« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 28 octobre 2019

Comment définir l'injure ?

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation s'est prononcée, dans un arrêt du 25 octobre 2019, sur la définition juridique de l'injure. La décision mérite d'être étudiée, car il faut bien reconnaître que le contentieux de l'injure est peu lisible, comme en témoignent les divergences jurisprudentielles qui ont marqué cette affaire.

Elle remonte au 7 janvier 2012, lorsque, dans l'émission "On n'est pas couché", Laurent Ruquier diffuse une séquence dans laquelle, à l'issue de l'interview de l'un des candidats à l'élection présidentielle, sont montrés des dessins, publiés quelques jours auparavant par Charlie Hebdo. L'un d'entre eux représente un excrément surmonté de la mention "Marine Le Pen, la candidate qui vous ressemble". Mme Le Pen a donc porté plainte avec constitution de partie civile, estimant qu'était constituée l'infraction d'injure publique envers un particulier. 


Une question de principe



Les juges du fond et la Cour d'appel de Paris ayant écarté cette analyse, la plaignante s'est portée une première fois devant la Cour de cassation, le 20 septembre 2016. La chambre criminelle a alors considéré que "le dessin et la phrase poursuivis qui portaient atteinte à la dignité de la partie civile (...) dépassaient les limites admissibles de la liberté d'expression". L'injure était donc considérée comme constituée, et la décision fut renvoyée à la Cour d'appel de Paris autrement composée. Celle-ci a toutefois refusé de se plier à la décision de la Cour de cassation, confirmant notamment la relaxe de Laurent Ruquier. Mme Le Pen s'est donc pourvue une nouvelle fois en cassation, et, le 22 janvier 2019, la Chambre criminelle a renvoyé l'affaire devant l'Assemblée plénière, en application de l'article 431-6 du code de l'organisation judiciaire. Cette procédure est utilisée lorsqu'il s'agit de répondre à une question de principe qui a suscité des décisions divergentes. 

Dès lors que Laurent Ruquier a été relaxé par le tribunal correctionnel et que Mme Le Pen est la seule à contester la décision, seule subsiste l'action civile. Dans un arrêt du 12 avril 2012 Lagardère c. France, la Cour européenne des droits de l'homme CEDH) considère en effet qu'une cour d'appel porte atteinte à la présomption d'innocence si elle déclare coupable d'une infraction une personne qui a été relaxée en première instance. Depuis un arrêt du 5 février 2014, la Cour de cassation limite donc l'appel contre une relaxe à la seule responsabilité civile. En l'espèce, cette restriction est sans influence sur l'essentiel du débat : la définition de l'injure publique.


Étendue du contrôle de cassation



L'article 29 de la loi de 1881 la définit comme "toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait presse". C'est précisément cette absence de fait précis qui distingue l'injure de la diffamation, sans pour autant lui conférer un contenu précis. Cette incertitude a conduit la jurisprudence à approfondir l'intensité de son contrôle, au point que la Cour de cassation elle-même, n'hésite pas à intégrer dans l'analyse de la qualification des faits l'examen de leur proportionnalité. La qualification d'injure implique en effet une appréciation du caractère excessif ou non des propos qui ont été tenus. Encore faut-il déterminer les critères permettant d'apprécier ce caractère excessif, et c'est tout l'intérêt de la décision de l'Assemblée plénière.

Le Pornographe. Georges Brassens, 1958

La dignité



Celle-ci commence par affirmer que le principe de dignité, invoqué par Mme Le Pen, ne saurait, à lui seul, justifier une atteinte à la liberté d'expression. Elle se fonde sur l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui ne mentionne pas la dignité dans la liste des "mesures nécessaires, dans une société démocratique", susceptibles de justifier une ingérence de l'Etat dans la liberté d'expression.

Cela ne signifie pas que le principe de dignité ne soit pas consacré par le droit positif. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 27 juillet 1994, a consacré la valeur constitutionnelle du principe "de sauvegarde de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation", principe qu'il fonde sur le Préambule de 1946. Le juge administratif en a fait un élément de l'ordre public dans sa célèbre décision commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995. Quant au législateur, il l'a introduit un peu partout, et notamment dans le chapitre V du titre II du code pénal, intitulé "Des atteintes à la dignité de la personne". Y figurent pêle-mêle des incriminations comme le proxénétisme, les actes discriminatoires ou "les conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité de la personne".

Le principe de dignité existe donc, mais il n'est jamais défini avec précision. C'est la raison pour laquelle les juges ne s'y réfèrent qu'avec parcimonie, et l'on remarque ainsi que la jurisprudence Morsang-sur-Orge est demeurée isolée, la référence à la dignité apparaissant, dans ce cas, comme la seule voie de droite ouverte au juge. La commune de Morsang-s-ur Orge avait en effet omis d'invoquer l'article 3 de la Convention européenne et la notion de traitement inhumain ou dégradant pour contester l'attraction de "lancer de nain" que le maire avait interdite. La doctrine, de son côté, se montre réservée, insistant souvent le flou de cette notion et l'énorme marge d'interprétation qu'elle offre aux juges.

Dans sa décision du 20 septembre 2016, la Chambre criminelle avait pourtant estimé que le dessin de Charlie Hebdo "portait atteinte à la dignité de la partie civile, (...) fût-ce en la visant comme personnalité politique, lors d'une séance satirique". La décision était importante car c'était la première foie que la dignité était ainsi consacrée pour protéger les droits d'autrui en matière de liberté d'expression. Certains commentateurs avaient même vu dans cet arrêt la consécration d'un droit subjectif à la dignité de la personne, droit qui pourrait donc être invoqué directement pour s'opposer à une publication, même satirique.

L'Assemblée plénière revient sur cette analyse. Elle refuse de considérer la dignité comme un rempart rendant inutile la balance des intérêts en présence. Elle peut certes constituer un élément du contrôle de la proportionnalité, mais elle ne saurait empêcher son exercice même.


Le contrôle de proportionnalité



L'Assemblée revient donc à un contrôle de proportionnalité "classique", dans lequel la dignité n'est qu'un élément parmi d'autres, qui permet d'apprécier si, "au regard des circonstances particulières de l’affaire, la publication litigieuse dépasse les limites admissibles de la liberté d’expression".

Sur ce point, la décision reprend la jurisprudence de la CEDH. Le premier critère employé réside dans la manière dont les propos s'intègrent dans le débat d'intérêt général, critère dont la CEDH a précisé, dans un arrêt Haguenauer c. France du 22 avril 2010 qu'il était applicable en matière d'injure. La notion de "débat d'intérêt général" n'est pas clairement définie, mais la Cour a toujours adopté une position extrêmement libérale dans ce domaine, estimant par exemple que la révélation d'un "enfant caché" du prince de Monaco relevait du débat d'intérêt général, dans une principauté héréditaire. En l'espèce, l'Assemblée plénière considère que le dessin de Charlie Hebdo comme sa diffusion dans l'émission de Laurent Ruquier se borne à une "appréciation du positionnement politique de Mme Le Pen à l’occasion de l’élection présidentielle".

Ceci nous conduit directement au second critère, tiré de la notoriété de la personne visée. Une jurisprudence très ancienne considère en effet que le simple quidam bénéficie d'une protection de son anonymat, alors que la personne qui est entrée dans une carrière politique doit s'attendre à ce que ses propos et ses actions fassent l'objet d'un débat parfois vif (par exemple : CEDH, 12 juillet 2001, Feldek c. Slovaquie). Dans l'affaire Lindon, Otchakovsky et July c. France du 22 octobre 2007, la Cour a même considéré qu'un "homme politique prenant des positions extrêmes et condamné pour provocation à la haine raciale (...) "s'expose de lui-même (...) à une critique sévère". Observons tout de même que Marine Le Pen n'a jamais été condamnée pour de telles infractions et que l'on serait fondé à se demander pourquoi on aurait davantage le droit d'injurier les personnes placées aux extrémités de l'échiquier politique.

Le dernier critère qui réside dans le caractère satirique de l'expression. Dans son arrêt du 25 avril 2007 Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, la CEDH précise que la satire est "une forme d'expression artistique et de commentaire social qui, de par l'exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter". En l'espèce, la CEDH a refusé l'interdiction d'un tableau représentant certaines personnalités politiques nues et se livrant à des activités sexuelles. Une jurisprudence abondante témoigne ainsi que l'expression satirique permet de repousser les limites de la liberté d'expression. L'Assemblée plénière observe ainsi que le dessin de Charlie Hebdo "émane d'un journal satirique et présente un caractère polémique".

La décision du 25 octobre 2019 invite ainsi les juges du fond à utiliser ces trois critères pour apprécier l'injure. Sur ce point, l'analyse rejoint très largement la jurisprudence de la CEDH. Si ce n'est tout de même que le contrôle de proportionnalité est généralement exercé pour apprécier si une sanction entraine une ingérence excessive dans la liberté d'expression. Or, en l'espèce, il n'y a pas eu de sanction. L'affaire pénale s'est terminée, rappelons-le, par une relaxe. La Cour de cassation, jugeant cette fois en matière civile, est ainsi conduite à exercer un contrôle de proportionnalité sur la manière dont le juge pénal a statué, dans une affaire dont le dossier est refermé depuis trois ans. Il est vrai que depuis 2007, "le criminel ne tient plus le civil en l'état". Mais précisément, si l'on détache ainsi l'action civile de l'action pénale, pourquoi ne pas envisager la question du préjudice, dans un système assez comparable à ce qui existe aux Etats-Unis en matière de liberté de presse ? Ne serait-il pas possible de reconnaître l'existence d'un dommage même symbolique, accompagné d'une réparation tout aussi symbolique ? 


Sur l'injure : Chapitre 9, Section 2 § 1 A du manuel de Libertés publiques sur internet

dimanche 27 octobre 2019

Les Invités de LLC : un peu de pub...

Un ami de Liberté Libertés Chéries, vraiment très talentueux, a décidé de renouveler la communication sur le manuel de Libertés publiques, en vente chez Amazon. Il a conçu ce "roman-photo" absolument irrésistible, accordant au livre une audience internationale qu'il n'a peut-être pas, ou pas encore.

C'est si drôle que nous ne pouvons résister au plaisir de partager ce "roman-photo" avec les lecteurs de LLC. Que son auteur soit vivement remercié, pour son talent évidemment, mais aussi parce qu'il nous montre que les libertés peuvent être étudiées dans la bonne humeur. 






jeudi 24 octobre 2019

Le droit de retrait, ou la manipulation du droit à des fins de communication

Le 16 octobre 2019, un TER reliant Charleville-Mézières à Reims percute un camion sur un passage à niveau, faisant onze blessés. Le conducteur du train, seul agent à bord, se voit contraint de prendre les mesures pour empêcher un sur-accident et de porter secours aux passagers, alors qu'il est lui-même blessé. A l'annonce de cette information, de nombreux agents SNCF cessent immédiatement le travail, invoquant le droit de retrait. 

Ils affirment que la présence d'une seule personne dans un train, le conducteur, constitue, en soi, un danger grave et imminent justifiant le droit de retrait. Cette affirmation a été reprise par bon nombre de médias qui ont donc présenté ce mouvement sous un jour particulièrement favorable. En cessant le travail pour garantir leur propre sécurité, les agents SNCF n'étaient-ils pas en lutte pour garantir la sécurité des usagers ? Le mouvement devenait ainsi parfaitement altruiste, bien éloigné des revendications corporatistes.


Un droit limité à la santé et à la sécurité



Si l'on s'éloigne de la communication pour entrer dans l'analyse juridique, on trouve le droit de retrait dans l'article L 4131-1 du code du travail pour les salariés du secteur privé, et dans l'article 5 al. 6 du décret du 28 mai 1982 pour les agents publics. Il les autorise à se retirer d'une situation de travail, lorsqu'elle présente "un danger grave et imminent pour (leur) vie ou (leur) santé". Si cela lui semble nécessaire, l'agent peut donc quitter son poste de travail pour garantir sa sécurité. Il ne peut être contraint de reprendre son activité si le danger persiste, et aucune sanction ni retenue sur salaire ne peut être prise à son encontre.

Observons d'emblée que ce droit de retrait n'est consacré que dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité au travail. Aucun texte n'en fait une prérogative d'ordre général dont serait titulaire tout agent public, et applicable dans toutes les situations. C'est ainsi que la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits des fonctionnaires n'en fait pas mention. Il en de même dans le secteur privé, le droit de retrait n'étant consacré que dans le titre du code du travail consacré à "la santé et sécurité au travail".

Les agents de la SNCF cessant le travail après l'accident du 16 octobre pouvaient-il se prévaloir du droit de retrait ? Ils n'ont pas manqué de le faire pour des raisons de communication, mais force est de constater que cette revendication ne résiste pas un instant à l'analyse juridique.

J'entends siffler le train. Richard Anthony. 1962


Un droit individuel



Le droit de retrait est, d'abord, un droit individuel, et c'est ce qui le distingue principalement du droit de grève, collectif dans son essence même. Il repose en effet sur le sentiment, de nature plus psychologique qu'objective, qu'il existe un danger grave et imminent. Plusieurs personnes peuvent partager ce sentiment, mais cela ne saurait transformer ce droit individuel en droit collectif. Encore moins peut-il susciter un appel syndical à arrêter le travail. 

Le droit de retrait repose donc sur l'appréciation du danger, réalisée par l'agent lui-même. Une marge d'erreur est donc possible, et la jurisprudence considère qu'il n'est pas nécessaire que le danger soit avéré. Il suffit que l'agent croie, de bonne foi, à un tel danger. Là encore, il est bien difficile de penser que les conducteurs qui ont collectivement cessé le travail le 16 octobre aient pu raisonnablement penser qu'ils allaient être victimes d'un accident lié à l'absence d'un second agent SNCF dans leur train, d'autant que ce n'était généralement pas le cas.


Un danger grave et imminent



Le conducteur du train accidenté le 16 octobre était, à l'évidence, dans une situation de "danger grave et imminent". En effet, son intégrité physique était atteinte et il risquait, lui et ses passagers, d'être victime d'un sur-accident. Et il était d'autant plus fondé à cesser le travail qu'il était blessé et donc plus en état d'assurer ses fonctions. 

La situation des autres agents SNCF est bien différente. Le juge administratif se montre en effet très rigoureux sur le caractère imminent du danger encouru. Le tribunal administratif (TA) de Besançon, dans un jugement du 10 octobre 1996, considérait ainsi comme licite le refus tout net d'un employé municipal de monter sur une échelle, elle-même posée sur la plate-forme d'un tracteur levée à quatre mètres du sol, pour suspendre des décorations de Noël. En revanche, le TA de Nîmes, dans un jugement du 15 octobre 2009, estime que le caractère imminent n'est pas avéré lorsque l'agent public dispose de la qualification requise pour exercer une fonction, même présentant un risque connu. S'il est vrai que la conduite d'un train n'est pas tout-à-fait sans danger, il est tout de même difficile de considérer que les agents ne sont pas formés aux fonctions qu'ils exercent, et qu'ils exercent d'ailleurs très bien. 


Un danger non hypothétique



Surtout, le danger ne saurait être purement hypothétique. La Cour administrative d'appel de Lyon, dans une décision du 22 décembre 2009, a ainsi écarté le droit de retrait d'un agent de service, dans le cas d'un arrêt de travail intervenu après que des collègues de l'intéressé aient été victimes de jets de pierre, menaces et insultes. De la même manière, les collègues du cheminot accidenté le 16 octobre ne peuvent invoquer qu'un danger hypothétique qui, au moment où ils invoquent le droit de retrait, ne les menace pas directement.

De toute évidence, les agents de la SNCF n'ont pas exercé le droit de retrait. Sur le plan juridique, ils ont cessé le travail, en se dispensant des procédures préalables à l'exercice du droit de grève. Le problème est qu'ils se retrouvent ainsi dans une position délicate et le Premier ministre a annoncé sa volonté d'en tirer les conséquences. La SNCF pourrait ainsi décider une retenue sur traitement pour service non fait, voire engager des sanctions disciplinaires pour absence injustifiée. Peut-être n'ira-t-on pas jusque-là, car la simple menace de ces mesures a finalement permis la reprise du service, mais l'hypothèse est loin d'être totalement écartée.

Le bilan de l'affaire est donc nuancé. Sur le plan de la communication, le droit de retrait est incontestablement une bénédiction. Le massage délivré, à l'usager comme aux médias, est celui de l'action menée dans le seul but de garantir la sécurité et la protection des personnes. C'est évidemment plus valorisant que le recours à la grève, vécue par l'usager comme une "galère", attente, trains annulés, service minimum plus ou moins assuré etc. Sur le plan juridique, le bénéfice est moins net, et le risque de sanction est élevé, si les autorités font preuve de fermeté. Car dans l'état actuel du droit, les chances contentieuses de voir reconnaître le droit de retrait dans une telle situation sont tout simplement inexistantes. La manipulation du droit à des fins de communication est toujours un exercice dangereux.

Sur le droit de grève : Chapitre 13, Section 2 § 2 B du manuel de Libertés publiques sur internet.




dimanche 20 octobre 2019

Sanctions disciplinaires : Le Conseil d'Etat persiste et signe

Dans un arrêt M. A. B. du 16 octobre 2019, le Conseil d'Etat affirme la légalité d'une sanction de mise à la retraite d'office prononcée en mars 2018 à l'encontre d'un ancien ambassadeur, accusé d'avoir favorisé la délivrance de visas irréguliers lorsqu'il représentait la France auprès de la Républicaine centrafricaine. La décision n'intéressera évidemment pas les commentateurs.

Les militants des droits de l'homme ne sont guère intéressés par ceux des hauts fonctionnaires, quand bien même ils auraient été bafoués. Les arrêtistes, quant à eux, ne verront dans la décision que la mise en oeuvre d'une jurisprudence précédente, issue d'un arrêt du 13 novembre 2013, lui-même relatif à une sanction identique infligée à un autre diplomate. A l'époque, ils avaient salué la décision du juge de l'excès de pouvoir d'exercer désormais un contrôle approfondi sur une sanction disciplinaire et donc de rechercher si les faits reprochés à l'agent constituent une faute de nature à la justifier.

Il ne s'est donc rien passé en six ans, et, en soi, cela qui mérite réflexion. Car depuis six ans, le Conseil d'Etat persiste à refuser de contrôler si une procédure disciplinaire est conforme au principe d'impartialité objective, pourtant consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Depuis six ans aussi, il affirme exercer un contrôle maximum, mais il s'appuie exclusivement sur la qualification et l'interprétation des faits donnée par l'administration elle-même. Et il faut bien reconnaître que la CEDH, pourtant prompte à dénoncer les lenteurs de la justice française, semble avoir oublié l'affaire de 2013, alors même qu'elle a fait l'objet d'un recours déposé devant elle il y a maintenant six ans.


L'impartialité objective



Le Conseil reconnaît que la procédure disciplinaire diligentée à l'encontre de M. A. B. se caractérise par l'omniprésence du directeur général de l'administration (DGA) du ministère des affaires étrangères. C'est lui qui a rappelé l'intéressé à Paris, a initié les poursuites disciplinaires, a nourri le dossier, et a finalement présidé lui-même le conseil de discipline qui propose la sanction au président de la République. Observons à ce propos que la procédure n'a pas changé depuis l'affaire de 2013.

Pour le Conseil d'Etat, reprenant exactement sa formulation de 2013, cette absence de distinction entre l'autorité qui saisit le conseil et celle qui juge ne constitue pas une violation du principe d'impartialité, dès lors qu'"il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ait, dans la conduite des débats, manqué à l'impartialité requise ou manifesté une animosité particulière à l'égard de l'intéressé". La formule est directement issue d'un arrêt Laniez du 15 mai 1960, tellement oublié qu'il ne figure même plus dans les bases de données recensant le droit en vigueur.
 
De cette jurisprudence antique, on doit déduire qu'une seule personne peut prendre toutes les décisions administratives concernant l'intéressé, saisir le conseil de discipline et le présider, à la seule condition qu'elle ne tienne aucun propos public qui pourrait révéler une animosité à son égard. Cela serait d'ailleurs difficile car les membres d'un conseil de discipline sont soumis au secret professionnel, principe rappelé par le Conseil d'Etat lui-même dans un arrêt Paillaud du 4 novembre 1992.
Le problème est que cette analyse viole aussi bien la jurisprudence du Conseil constitutionnel que celle de la Cour européenne des droits de l'homme. 
Le Conseil constitutionnel, depuis sa décision du 29 août 2002, rattache l'impartialité à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dans une décision QPC du 8 juillet 2011 rendue à propos de la justice des mineurs, il abroge ainsi pour manquement à l'impartialité une disposition qui permettait au juge des enfants d'instruire une affaire et de renvoyer le mineur devant une juridiction de jugement qu'il présidait. La situation de M. A.B. n'est guère différente, car le DGA a tout à la fois géré sa carrière, ou plus exactement l'interruption de sa carrière, avant de saisir le conseil de discipline qu'il a lui-même présidé. Quant à l'objection tirée du fait qu'une sanction disciplinaire n'est pas une sanction pénale, elle ne résiste pas à la décision QPC du 25 novembre 2011, dans laquelle le Conseil affirme que les principes d'indépendance et d'impartialité garantis par l'article 16 de la Déclaration de 1789 doivent également être respectés, (...) "lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition". Le principe d'impartialité s'applique donc, avec une intensité identique aux sanctions pénales et aux sanctions disciplinaires. En reprenant sa vieille jurisprudence Laniez, le Conseil d'Etat ignore donc celle du Conseil constitutionnel.

La CEDH, quant à elle, fonde l'exigence d'impartialité sur le droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans sa décision Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010, la Cour distingue deux critères permettant de mettre en cause l'impartialité d'une décision. 
 
Le premier critère peut être qualifié de "subjectif" parce qu'il consiste à pénétrer dans la psychologie du juge, à rechercher s'il désirait favoriser un plaideur ou nuire à un justiciable. Tel est le cas, dans l'arrêt Remli c. France du 23 avril 1996,  pour un jury de Cour d'assises jugeant un Français d'origine algérienne, dont l'un des jurés a tenu des propos racistes, hors de la salle d'audience mais devant la presse. C'est à ce critère subjectif que se réfère le Conseil d'Etat lorsqu'il observe que le DAG du ministère des affaires étrangères, "dans la conduite des débats", n'a pas "manifesté une animosité particulière à l'égard de l'intéressé". Peu importe donc qu'il ait nourri le dossier d'accusation s'il a su se tenir convenablement durant les débats.

Le second critère, dégagé par la CEDH, est, quant à lui, entièrement ignoré par le Conseil d'Etat. Il est qualifié d'"objectif" parce qu'il porte sur l'organisation même de l'institution, en l'espèce le conseil de discipline, qui doit apparaître impartiale, et inspirer la confiance. Sur ce point, la Cour s'inspire directement d'un adage de droit britannique : " Justice must not only be done : it must also be seen to be done". C'est ainsi que, dans l'arrêt du  22 avril 2010 Chesne c. France), la Cour affirme qu'un même juge ne peut exercer différentes fonctions juridictionnelles dans une même affaire. De son côté, la Cour de cassation avait, dès un arrêt du du 8 avril 2009, posé un principe d'impartialité fonctionnelle, bien proche de l'impartialité objective de la CEDH, interdisant à un magistrat de connaître d'une affaire pénale, alors qu'il avait déjà eu à juger de son volet civil. Dans ce cas, ce n'est pas le juge qui est en cause, mais l'organisation judiciaire qui ne satisfait pas au principe d'impartialité. 
 
La CEDH exige que les garanties du droit au procès équitable s'appliquent en matière disciplinaire, Mais en l'espèce, le Conseil d'Etat refuse de se poser la question de l'impartialité objective, comme il avait refusé de se la poser en 2013.  
 
La retraite. Les Couzins d'Octave. 2019
 

Le contrôle des motifs



Reste évidemment le grand apport de la décision du 13 novembre 2013, c'est à dire le contrôle de la proportionnalité de la sanction aux faits qui l'ont motivée.

Certes, cette jurisprudence a permis au moins une annulation de sanction. Dans un arrêt du 14 mars 2016, le Conseil d'Etat a ainsi jugé disproportionnée une sanction de mise en non-activité pendant neuf mois d'un lieutenant de l'armée de terre. Durant l'opération Serval, il avait procédé, de son propre chef et sans avoir les qualifications requises, à une opération de destruction de munitions appartenant à l'ennemi. Mais le texte même de la sanction montrait l'existence de circonstances très particulières, la chaine hiérarchique ayant mal fonctionné. 

Cette jurisprudence a donc été mise en oeuvre, mais dans un cas tout de même bien particulier, le Conseil d'Etat ayant trouvé la preuve du dysfonctionnement de l'administration dans la sanction elle-même.

La situation est évidemment bien différente dans l'arrêt d'octobre 2019. Il n'est évidemment pas question d'entrer dans le détail des faits reprochés à M. A.B., en l'espèce une pratique de délivrance des visas non conforme aux directives données par le Quai d'Orsay. On peut toutefois observer que le Conseil d'Etat reconnait l'exactitude des faits en se fondant sur un rapport d'inspection et un rapport d'auditions. L'inspection a évidemment été réalisée par les services du ministère, et les auditions concernent très probablement des agents soumis au pouvoir hiérarchique et qui ont tout intérêt à témoigner dans le sens souhaité... A dire vrai, il importe peu que les faits reprochés à M. A.B. soient vrais ou faux. Imaginons un instant, rien qu'un instant, que les faits soient faux et que l'on ait voulu, pour un motif ou pour un autre, écarter un agent qui dérangeait, le Conseil d'Etat serait-il en mesure de le constater ? Certainement pas s'il se fonde uniquement sur un dossier nourri par un directeur général de l'administration qui a rappelé l'intéressé, l'a accusé devant le conseil de discipline, instance qu'il a ensuite présidée.

Cette jurisprudence met ainsi en lumière l'impuissance du Conseil d'Etat, qui n'est pas en mesure de voir autre chose que les éléments fournis par l'administration. On se prend alors à rêver d'une juridiction qui pourrait refaire l'instruction à l'audience, entendre les témoins, bref qui aurait des compétences bien différentes, et des prérogatives qui seraient à peu près celles du juge pénal. Pour cela, il faudrait peut-être renoncer au vieux mythe du "Conseil-d'Etat-protecteur-des-libertés" pour envisager un pouvoir judiciaire unique. Pourquoi pas une Cour de cassation dotée de chambres administratives ? Mais cette idée relève, à l'évidence, du blasphème.

Sur le principe d'impartialité : Chapitre 4, Section 1 § 2 A du manuel de Libertés publiques sur internet.


 

lundi 14 octobre 2019

Universités : le Conseil constitutionnel et la "patate chaude"

La hausse des droits d'inscription à l'université demandés aux étudiants étrangers non communautaires a suscité bon nombre de réactions, des associations d'étudiants mais aussi des établissements d'enseignement supérieur eux-mêmes qui ont parfois refusé de l'appliquer. La décision rendue par le Conseil constitutionnel sur QPC le 11 octobre 2019 s'inscrit dans ce combat et sa principale caractéristique réside sans doute dans le fait qu'elle est applaudie par tout le monde, les opposants comme les partisans de la hausse des droits d'inscription. On doit donc se demander comment le Conseil est parvenu à réaliser un tel prodige et force est de constater qu'il y parvient en cultivant un flou artistique que la juridiction administrative devra interpréter.

La disposition contestée est l'article 48 de la loi de finances du 24 mai 1951 qui prévoit que sont fixés par arrêté "les taux et modalités de perception des droits d'inscription, de scolarité, d'examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l'Etat". C'est sur ce fondement qu'a été pris l'arrêté du 19 avril 2019 signé conjointement par le ministre des finances et la ministre de l'enseignement supérieur. Il prévoit une hausse de 170 à 2770 € des droits d'inscription pour les étrangers non communautaires s'inscrivant en licence, et de 243 à 3770 € pour ceux qui s'inscrivent en master. Les étudiants français et de l'Union européenne ne sont pas soumis à cette mesure, pas plus que les étudiants en thèse, même non communautaires. Ce texte a au moins l'avantage de démontrer à ceux qui en douteraient encore que l'autonomie des universités est un leurre, puisqu'elles ne fixent pas librement les droits d'inscription. 

Quoi qu'il en soit, l'arrêté a été vainement contesté, par les mêmes requérants, devant la juridiction administrative. Le juge des référés du Conseil d'Etat, dans une ordonnance du 21 mai 2019, a en effet refusé sa suspension. Il s'appuyait sur une jurisprudence ancienne qui considère qu'une différence objective de situation justifie un traitement différent au regard du principe de gratuité. Dans un arrêt du 9 avril 1976, Conseil des parents d'élèves des écoles publiques de la mission universitaire et culturelle française au Maroc, il avait déjà estimé que les élèves des établissements français à l'étranger ne se trouvaient pas dans la même situation que ceux suivant leurs scolarité primaire et secondaire en France.

Après l'échec de cette demande de référé, les requérants ont formé un recours pour excès de pouvoir demandant l'annulation de ce même arrêté du 19 avril 2019. Cette requête en annulation leur a donné l'occasion de poser une QPC sur la constitutionnalité de l'article 48 de la loi de finances de 1951, question que le Conseil a jugé sérieuse dans son arrêt de renvoi du 24 juillet 2019


L'enseignement supérieur, un 3è degré ?



Le problème de la mise en oeuvre du principe de gratuité à l'enseignement supérieur est, en effet, loin d'être résolu. Les requérants invoquent essentiellement la conformité de ces dispositions à l'alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi rédigé : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat".

La première question posée est celle de la place de l'enseignement supérieur dans l'ensemble du système français d'enseignement. Certes l'alinéa 13 pose un principe de gratuité "à tous les degrés", mais l'université est-elle un troisième degré, suivant logiquement les deux premiers degrés que sont les enseignements primaires et secondaires ? C'est la première fois que le Conseil était appelé à se prononcer sur ce point, et il répond positivement, bien qu'indirectement. En effet, c'est parce qu'il affirme que le principe de gratuité s'applique à l'enseignement supérieur que l'on peut en déduire que ce dernier relève d'un 3è degré au sens de l'alinéa 13. 

Calvin & Hobbes. Bill Watterson



La gratuité, devoir de l'Etat



Cette reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de gratuité de l'enseignement est saluée comme une victoire par les associations requérantes, et par tous ceux qui se sont opposés à l'augmentation des droits pour les étudiants étrangers.

S'agit-il pour autant d'un droit à la gratuité dont peuvent se prévaloir les étudiants ? Les avocats des requérants et des parties intervenantes ont déployé sur ce point des trésors d'imagination. L'un a demandé que la gratuité soit reconnue comme principe particulièrement nécessaire à notre temps (PPNT), l'autre a exigé la consécration d'un principe d'universalisme universitaire, dont il ne précisait pas exactement le contenu ou le fondement. Un troisième, plus prudent, se bornait à demander l'abrogation de la disposition pour incompétence négative, la fixation des droits d'inscription ne pouvant, à ses yeux, être abandonnée au seul pouvoir réglementaire. Sans doute avait-il oublié que l'incompétence négative ne peut être invoquée pour contester un texte antérieur à 1958 ? Dans une QPC du 17 septembre 2010, le Conseil a en effet déclaré que "si la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence peut être invoquée à l'appui d'une QPC dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, elle ne saurait l'être à l'encontre d'une disposition législative antérieure à la Constitution de 1958".

Quoi qu'il en soit, le Conseil écarte ces suggestions et consacre le principe de gratuité d'une manière extrêmement discrète. Car il faut bien reconnaître que la situation est complexe. D'un côté, la QPC ne peut exister que si est invoquée la violation d'un droit ou (d)'une liberté que la Constitution garantit, de l'autre côté l'alinéa 13 du Préambule de 1946 présente la gratuité, non comme un droit du citoyen, mais comme un devoir de l'Etat. Le Conseil se borne donc à reprendre la formulation de l'alinéa 13, sans justifier sa propre compétence sur le fondement d'une QPC. 


Droits d'inscription modique et pouvoir réglementaire

 

Dès lors qu'il s'agit d'un devoir de l'Etat, rien ne s'oppose donc, du moins aux yeux du Conseil, à ce que "des droits d'inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants". La formulation mériterait quelques explications, que le Conseil ne donne pas. Il s'agit en effet de laisser toute latitude à la juridiction administrative dans l'exercice de son contrôle, et aussi, sans doute, d'appliquer la technique bien connue, mais peu juridique, de la "patate chaude".

Le Conseil constate en effet que les dispositions contestées sont seulement attributives de compétence, dès lors qu'elles confient au pouvoir réglementaire le soin de fixer le montant des droits d'inscription "dans le respect des exigences de gratuité de l'enseignement public et d'égal accès à l'instruction". En tant que telles, elles ne portent donc pas atteinte au principe de gratuité et au principe d'égalité.

Sur ce point, la victoire remportée par les requérants est toute relative. Car le Conseil constitutionnel renvoie en pratique les requérants devant le Conseil d'Etat. Et ce n'est pas une bonne nouvelle, car celui-ci a déjà statué sur l'arrêté du 19 avril 2019, estimant que la différence de situation entre les étudiants français et étrangers pouvait justifier un traitement distinct au regard des droits d'inscription. Certes, une ordonnance de référé ne fait pas jurisprudence, mais les chances d'évolution demeurent limitées. 

A moins que le Conseil d'Etat n'estime que les droits demandés aux étudiants ne sont pas "modiques". L'adjectif fait sourire. Quelle somme est "modique" pour le Conseil d'Etat ? Si l'on compare les droits d'inscription payés par un étudiant étranger non communautaire à ceux payés par ses camarades français, ils sont très sensiblement plus élevés. Si on les compare à ce que paye un étudiant étranger du même pays dans une université américaine, ils deviennent dérisoires.

Le plus amusant dans l'histoire est que les plus inquiètes de cette décision du Conseil constitutionnel sont les grandes écoles et grands établissements qui participent directement au service public et demandent à leurs étudiants des droits d'inscription sans rapport avec ceux que l'université demande aux étudiants étrangers non communautaires. On attend avec beaucoup d'impatience et un peu d'amusement les recours qui conduiront le Conseil d'Etat à apprécier si les droits d'inscription demandés aux étudiants de l'IEP ou de Dauphine sont "modiques", ou pas. De grands moments en perspective.



 

mercredi 9 octobre 2019

Le verrou de Bercy revient devant le Conseil constitutionnel

Dans une décision Association française des entreprises privées, rendue sur question prioritaire de constitutionnalité le 27 septembre 2019, le Conseil constitutionnel affirme la conformité à la constitution de la procédure connue sous le nom de "verrou de Bercy". Les spécialistes des libertés ne s'intéressent guère à cette question, d'abord parce qu'elle est perçue comme un simple point de procédure fiscale, ensuite parce que les droits des fraudeurs fiscaux ne sont pas toujours les plus plaisants à défendre. Pourtant, derrière la question du verrou de Bercy se cache celle, autrement plus importante, de la séparation des pouvoirs.


2018 : faire bouger les lignes, mais pas le verrou



La disposition contestée par l'association requérante est l'article L228 du livre des procédures fiscales (lpf), dans sa rédaction issue de l'article 36 de la loi du 23 octobre 2018. Il convient, à cet égard, de préciser ce que change ce texte récent.

Avant la loi d'octobre 2018, l'article L228 énonçait que "Sous peine d'irrecevabilité, les plaintes tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de TVA et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l'administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales".  Cette disposition se traduisait par une initiative exclusive de l'administration, seule compétente pour déposer une plainte en matière de fraude fiscale. Cette plainte du ministre était précédée d'un avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF), commission consultative de nature purement administrative. Le Verrou de Bercy était donc l'expression employée pour désigner l'irrecevabilité d'une procédure qui serait diligentée à l'initiative du parquet. 

La loi d'octobre 2018 fait bouger les lignes, sans faire sauter le verrou. Elle prévoit que ces mêmes faits doivent être impérativement dénoncés au parquet par l'administration fiscale, une fois qu'elle les a examinés lors de son pouvoir de contrôle. En schématisant quelque peu, on peut affirmer qu'il s'agit des faits qui ont conduit à l'application de majorations particulièrement importantes (entre 40 % et 100 %), sur des droits éludés dont le montant est supérieur à 100 000 €. 

Beaucoup de faits continuent donc à échapper à la justice, dès lors que l'administration est parfaitement libre de ne pas les dénoncer au parquet. De même, la lutte contre la fraude demeure entachée d'une incohérence fondamentale, puisque certaines infractions peuvent être directement poursuivies par les parquets, alors que d'autres ne peuvent pas l'être. C'est ainsi que le blanchiment de fraude fiscale est considérée comme une infraction autonome depuis un arrêt rendu par la Cour de cassation 20 février 2008. Il n'est donc pas soumis à l'article L228 LPF et le parquet peut engager directement des poursuites. Le blanchiment est donc parfois poursuivi, sans que l'infraction d'origine, c'est-à-dire la fraude fiscale elle-même, ne le soit. Si l'on ajoute que le recel de fraude fiscale, est, quant à lui, soumis à l'article L 228 LPF, on aboutit à une sorte de saucissonnage de la fraude qui entrave considérablement les poursuites.

Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel ne s'interroge pas sur ces incohérences, et déclare la procédure nouvelle conforme à la Constitution. 

Le verrou. Julien Clerc. 1990

Élargissement de la QPC 



Dans une première décision QPC du 22 juillet 2016, il avait déjà rendu une décision de conformité à propos de la procédure ancienne. A l'époque, il avait estimé que la QPC ne portait que sur les quatre premiers mots de l'article L228 LPF : "Sous peine d'irrecevabilité". De fait, le Conseil n'envisageait que la procédure pénale, écartant de son contrôle la procédure se déroulant devant l'administration fiscale. L'atteinte à l'égalité devant la loi induite par le fait que certains contribuables échappaient aux poursuites pénales par la seule volonté de l'administration ne pouvait donc être retenue, ni même envisagée. 

La décision QPC du 27 septembre 2019 modifie quelque peu l'analyse. Elle élargit d'abord le champ de la question à l'ensemble du 1er paragraphe de l'article L228 LPF, dispositions qui énoncent la liste des faits qui doivent impérativement être dénoncés au parquet. C'est un signe positif, dès lors que le Conseil renonce à ce saucissonnage des procédures qui le conduisait à s'interdire d'envisager la rupture d'égalité entre les contribuables qui parvenaient à résoudre leur problème devant le fisc et ceux qui, ensuite, devaient rendre des comptes devant le juge pénal. 

Certes, mais cette approche globale ne le conduit pas à sanctionner une rupture d'égalité. Le Conseil rappelle, conformément à une jurisprudence constante qu'il "est loisible au législateur, (...) de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, (...)  à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.". Il constate ensuite que les contribuables qui font l'objet d'une dénonciation automatique au parquet ne sont pas dans la même situation que les autres, en raison même de l'importance des droits éludés. Il estime donc qu'il n'existe aucune discrimination entre eux et fonde sur cet unique motif la décision de conformité.


La séparation des pouvoirs à géométrie variable 



La question de la séparation des pouvoirs n'est pas même évoquée. Sans doute le Conseil reprend-il tacitement le raisonnement développé dans sa décision de 2016. A l'époque, il avait admis que la décision de l'administration fiscale avait pour effet d'empêcher l'autorité judiciaire d'exercer sa mission, et il avait donc accepté d'y voir une atteinte à la séparation des pouvoirs. Mais il avait aussitôt affirmé que cette atteinte à la séparation des pouvoirs n'était pas excessive au regard de l'intérêt public poursuivi. Elle était donc "proportionnée". Or la séparation des pouvoirs ne se mesure pas à l'aune du contrôle de proportionnalité. Elle est respectée ou elle ne l'est pas, et son non-respect doit être sanctionné. Le Conseil constitutionnel persiste ainsi dans sa décision de définir lui-même l'étendue du principe de séparation des pouvoirs, dans une appréciation qui relève davantage de l'opportunité que du droit. Et cette séparation des pouvoirs à géométrie variable lui permet ainsi de faire prévaloir les prérogatives exorbitantes de Bercy sur les principes généraux du droit pénal.



dimanche 6 octobre 2019

Epilogue de l'affaire Mennesson, en attendant d'autres contentieux

Dans une décision du 4 octobre 2019, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation met un terme à la célèbre affaire Mennesson. Contrairement à ce que certains affirment, elle n'introduit pas la GPA dans notre système juridique. Elle se borne, et c'est déjà beaucoup, à établir la filiation de la mère d'intention des deux jumelles nées en Californie d'une mère porteuse en l'an 2000. La lien de filiation paternel avait déjà, quant à lui, été établi par un jugement de la Cour supérieure de l'Etat de Californie, M. Mennesson étant le père biologique des enfants.

Cela n'empêche pas le ministère public de demander à la Cour de cassation d'annuler la transcription de cette filiation paternelle, établie depuis dix neuf ans. Sa demande est écartée, mais elle montre à quel point certains souhaitent que les enfants nés par GPA soient marqués d'une tache indélébile et se voient refuser le droit le plus élémentaire d'avoir un lien de filiation avec ceux qui les élèvent depuis leur naissance.

Le combat sur la filiation paternelle est évidemment d'arrière-garde, mais il n'en est pas de même de la question de la filiation maternelle. Tout l'effort de l'Assemblée plénière tend en effet à limiter, autant que possible, la portée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour faire de son arrêt du 4 octobre 2019 une simple solution d'espèce et n'accorder aux mères d'intention qu'une adoption simple.


La procédure



Rappelons que les époux Mennesson ont d'abord été déboutés par la Cour de cassation le 17 décembre 2008, les juges refusant à l'époque la transcription de l'état civil des jumelles dans les registres français, au motif que le juge américain violait la "conception française de l'ordre public international". Mais la CEDH avait sanctionné cette jurisprudence le 26 juin 2014, estimant que le fait de ne pas pouvoir obtenir en France une filiation légalement établie aux Etats Unis violait le droit au respect de la vie privée des enfants. 
Forts de l'évolution de la jurisprudence européenne, les époux Mennesson ont fait usage de la nouvelle procédure de réexamen issue de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. L'article L 452-1 du code de l'organisation judiciaire permet en effet à un requérant débouté par la Cour de cassation de revenir devant elle si un arrêt de la CEDH a déclaré la décision non conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. C'est à l'occasion de cette demande de réexamen que la Cour de cassation a, pour la première fois, utilisé la procédure d'avis consultatif, demandant à la CEDH si le droit français violait ou non l'article 8 de la Convention, et donc le droit à la vie privée des enfants, en refusant de transcrire sur l'état civil la filiation de la mère d'intention. 
 Papa, Maman. Georges Brassens et Patachou. 1952

Une décision conforme à la jurisprudence européenne 

 


Dans sa décision du 4 octobre 2019, l'Assemblée plénière se soumet à la position affirmée par la CEDH dans son avis consultatif du 10 avril 2019. Celle-ci s'appuie sur l'intérêt supérieur de l'enfant, intérêt qui doit guider toutes les décisions le concernant. Cette référence est classique, et l'intérêt supérieur de l'enfant est rappelé régulièrement par la CEDH, notamment dans sa décision du 27 janvier 2015 Paradiso et Campanelli, et, bien entendu, dans la décision Mennesson de 2014. Aux yeux de la CEDH, le refus systématique du droit français de reconnaître la filiation de la mère d'intention n'est pas compatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant. Celui-ci risque en effet de voir ses droits amoindris notamment en matière successorale, ses relations avec sa mère fragilisées en particulier en cas de séparation des époux.

La CEDH reconnaît cependant aux Etats une large marge d'autonomie en matière de GPA. Elle admet ainsi qu'il est "concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l'étranger à une méthode de procréation qu'elle prohibe sur son territoire". L'Assemblée plénière applique cette réserve au pied de la lettre. Elle reconnaît la filiation, puisqu'elle y est contrainte, mais les modalités de cette reconnaissance demeurent suffisamment souples pour permettre une filiation que l'on pourrait qualifier de "basse intensité".

Les modalités de reconnaissance de la filiation maternelle

 

Dans son avis d'avril 2019, la CEDH n'impose pas que la filiation maternelle soit établie par transcription. Elle affirme que "l'identité de l’individu est moins directement en jeu lorsqu’il s’agit non du principe même de l’établissement ou de la reconnaissance de sa filiation mais des moyens à mettre en œuvre à cette fin". Rien n'interdit donc d'établir la filiation par adoption. C'est précisément la formule choisie par la Cour de cassation, dans quatre décisions du 5 juillet 2017. Ce choix lui permet de n'autoriser que l'adoption simple, y compris lorsque la mère porteuse a renoncé, devant le juge californien, à tout lien de filiation avec l'enfant.née dans l'état civil américain suffit à interdire l'adoption plénière.

La décision du 4 octobre 2019 ne remet pas en cause cette jurisprudence, car elle présente, très habilement, le cas Mennesson comme un cas d'espèce. La Cour accepte en effet la transcription de la filiation maternelle des jumelles en se fondant sur la possession d'état. Elle s'appuie sur l'avis de la CEDH qui affirme que les parents sont ceux qui apportent aux enfants "l’environnement dans lequel ils vivent et se développent et (...) qui ont la responsabilité de satisfaire à leurs besoins et d’assurer leur bien-être". En l'espèce, l'Assemblée plénière estime que c'est la durée même du contentieux Mennesson qui entraine la possession d'état. Au moment de l'arrêt, les jumelles ont dix-neuf ans, et Mme Mennesson a toujours été leur mère, celle qui leur apporté "l’environnement dans lequel (elles) vivent et se développent". Ainsi,  "s’agissant d’un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans", la Cour décide que la transcription de la filiation maternelle ne peut plus être contestée et qu'elle peut donc être affirmée par transcription.

L'intervention du législateur

Certes, mais la jurisprudence est désormais fixée, et les contentieux, du moins on l'espère, dureront désormais moins de quinze ans, ce qui signifie que la possession sera plus délicate à établir. Qu'à cela ne tienne, puisque le droit français autorise l'adoption simple ! Considérée sous cet angle, la décision de l'assemblée plénière ne témoigne pas d'une volonté d'accorder à la mère d'intention une adoption plénière, mais d'ancrer dans le droit l'adoption simple. Tant pis si l'enfant né d'une GPA est victime de cette situation, le volonté demeure de sanctionner le recours à la GPA, d'une manière ou d'une autre. La Cour de cassation ne se soumet donc à la jurisprudence européenne qu'à contre-coeur, en reculant pourrait-on dire. Mais peut-être finira-t-elle par être victime de sa propre jurisprudence ? Il suffit en effet d'encourager les couples à faire durer le contentieux, en contestant l'adoption simple devant tous les juges possibles, y compris la CEDH. En misant sur la lenteur de la justice, ils pourront peut-être tenir plus de quinze ans, et invoquer la possession d'état. D'ici là, la Cour de cassation aura sans doute évolué quelque peu. 

A moins, et c'est sans doute ce qu'il faut espérer, que le législateur prenne ses responsabilités en ce domaine. Un amendement à la loi bioéthique actuellement discuté à l'Assemblée a ainsi été adopté, en quelque sorte par surprise, le 4 octobre, jour même de la décision de la Cour de cassation. Il ajoutait à la loi une disposition autorisant la transcription en France de l'état civil des enfants nés à l'étranger d'une GPA. Le gouvernement, quelque peu embarrassé, s'est prononcé contre cet amendement et a annoncé une seconde délibération destinée à le rejeter. Entre temps, on rappellera à la discipline les députés LaRem qui avaient osé le voter. L'amendement sera évidemment écarté, mais son existence comme son vote ont montré que les esprits évoluent. 


Sur la GPA : Chapitre 7, Section 2 § 3 B du manuel de Libertés publiques sur internet.


jeudi 3 octobre 2019

Adieu à la Miviludes

La presse annonce aujourd'hui que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sera rattachée au ministère de l'intérieur au début de 2020. Que l'on ne s'y trompe pas, il s'agit en réalité d'une disparition. Le président de cette institution, Serge Blisko, n'avait pas été remplacé après son départ, en 2018 et l'on voyait bien que les services du Premier ministre, auxquels était rattachée cette institution, avait tout simplement décidé de la laisser mourir. 

Rappelons que le droit français ignore la notion de secte et ne connaît que les "dérives sectaires", c'est à dire les pratiques illégales. La loi About-Picard du 12 juin 2001 ne fait pas référence à la dimension religieuse des groupements, qui peuvent donc professer n'importe quelle croyance. Certains attendent les extra-terrestres, d'autres un nouveau messie, d'autres enfin prétendent guérir toutes les maladies par le remède universel du potage aux légumes. Les "dérives sectaires" n'interviennent que s'ils commettent des infractions, qu'elles soient de droit commun comme l'escroquerie, la fraude fiscale et le blanchiment, l'abus de faiblesse, ou spécifiquement créées par la loi de 2001 comme "le fait de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique" de leurs adeptes.

L'information est inquiétante, car la Miviludes était l'instrument essentiel de la lutte contre les dérives sectaires, issue d'une loi adoptée à l'unanimité à la fois par l'Assemblée nationale et le Sénat. Longtemps présidée par Georges Fenech, la Miviludes apparaissait ainsi comme une institution consensuelle. En dépit d'un bilan positif, en dépit du fait qu'elle était parvenue à s'élever au-dessus des clivages politiques, la voilà éliminée d'un trait de plume par un gouvernement qui, en l'espèce, ne recherche guère le consensus, et ne se donne même pas la peine de justifier clairement sa décision.


Les succès de la Miviludes


La Miviludes a été créée par un décret du 28 novembre 2002. Ses missions consistaient à "observer et analyser le phénomène des mouvements sectaires dont les agissements sont contraires aux droits de l'homme", à favoriser l'action préventive et répressive et, à cette fin, à développer l'échange d'informations entre les services.

Service interministériel, la Miviludes devait donc nourrir la réflexion des pouvoirs publics et dégager des perspectives de coopération. L'un de ses apports essentiels à la lutte contre les dérives sectaires a été la diffusion de rapports, qui étaient autant de mise en garde, attirant l'attention des pouvoirs publics sur des mouvements considérés comme dangereux. 

Ces mouvements ne s'y trompaient d'ailleurs pas et n'hésitaient pas à contester une inscription dans le répertoire des mouvements susceptibles d'engendrer des dérives sectaires, répertoire géré par la Miviludes. Dans un arrêt du 7 novembre 2018, le Conseil d'Etat confirmait ainsi la légalité d'une décision de son président refusant de retirer la "fasciathérapie" de ce répertoire,

On doit ainsi mettre à l'actif la condamnation de la Scientologie pour escroquerie en bande organisée, condamnation confirmée par la Cour de cassation le 16 octobre 2013. Ce groupement vendait en effet, fort cher, à ses adeptes, une mystérieuse machine baptisée "électromètre" censée leur permettre d'accéder à la sérénité en se libérant des éléments mentaux négatifs.  

Tout récemment, le 24 septembre 2019, on a appris que la Miviludes avait ainsi informé les autorités sur un essai clinique "sauvage" pratiqué dans une abbaye près de Poitiers, sous l'autorité d'un Fonds Soeur Josefa Menendez dirigé par un médecin notoirement connu pour ses positions hostiles à la vaccination. Cet essai illégal d'une molécule prétendument efficace contre certaines affections neurologiques a suscité plusieurs signalements à la Miviludes. Celle-ci a prévenu l'Agence du médicament, qui a mis fin à cette étrange expérimentation. 

Quelques jours plus tard, on apprend donc que la Miviludes disparait, bien entendu sans que cette décision ait aucun lien avec les résultats de la Mission.


Les sectes. Les Inconnus


Les justifications



Le ministère de l'intérieur se fonde sur "la nécessité (…) de partages de compétences avec d’autres organismes qui n’existaient pas lors de sa création, comme le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) par exemple ».  Selon le ministère, la Miviludes et le CIPDR partagent « un point commun important qui est la lutte contre les nouvelles formes de radicalité et les phénomènes d’emprise et d’enfermement ». Etrange pratique qui consiste à détruire un service interministériel pour mieux le rapprocher d'un autre service interministériel.

Sur le fond, l'argument ne saurait convaincre. S'il est vrai que la Miviludes apportait un éclairage intéressant sur les processus de radicalisation qui s'apparente en effet à une aliénation sectaire, rien ne lui interdisait de travailler avec le CIPDR, comme elle travaillait avec le fisc, avec les magistrats, avec la police, avec les collectivités locales, avec les établissements d'enseignement etc. Mais ses missions ne se limitaient pas à la radicalisation, loin de là. Elle était aussi présente sur d'autres fronts des dérives sectaires, et notamment sur celui du recensement des mouvements dangereux. 

Derrière ces justifications peu convaincantes se cache sans doute une autre réalité. Force est de reconnaître que les mouvements sectaires s'installent désormais plus facilement en France, avec le soutien plus ou tacite des pouvoirs publics.

Le cas de la Scientologie



Prenons l'exemple de la Scientologie, mouvement très connu et condamné par la justice française. Nul n'a oublié qui Nicolas Sarkozy, ministre de l'économie et des finances, recevant Tom Cruise dans son ministère en 2005, reconnaissait avoir "parlé de Scientologie". Nul n'a oublié la loi du 12 mai 2009, dans laquelle avait été introduit un amendement interdisant de dissoudre une secte pour escroquerie, au moment précis où le parquet demandait que soit prononcée la dissolution de la branche française de la Scientologie. Heureusement, le Sénat a annulé cet amendement par un autre, ajouté à un projet de loi sur la formation professionnelle, mais trop tard pour permettre la dissolution du mouvement. Nul n'a oublié enfin, que l'Eglise de Scientologie a désormais pignon sur rue, son siège français installé en plein coeur du quartier d'affaires de la Plaine-Saint-Denis. Début 2019, la Miviludes avait rappelé que ce mouvement "se caractérise par son prosélytisme […] à l'occasion d'un test de personnalité gratuit, de la diffusion de tracts ou de brochures, de conférences « d'introduction » gratuites… ». 

Le chant du cygne sans doute, car il est claire que le travail de Miviludes n'est plus dans l'air du temps. C'est le moment de la faire taire, pour laisser les mouvements sectaires déployer tranquillement leur activité et exploiter sans vergogne la crédulité de leurs adeptes.


Sur les dérives sectaires : Chapitre 7, Section 3 du manuel de Libertés publiques sur internet.