« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


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vendredi 17 juin 2016

Vincent Lambert : le juge administratif et les pressions sur les médecins

L'affaire Lambert n'est pas l'un de ces faits divers qui envahit les médias pendant quelques jours ou quelques semaines, avant de tomber dans l'oubli le plus profond. C'est une de ces affaires qui révèlent que l'évolution des libertés publiques ne se réalise pas par un progrès constant et linéaire. Au contraire, l'évolution des libertés est faite d'avancées et de reculs, de revendications et de contestations, de lois votées par une majorité parlementaire et contestées par des groupements minoritaires. 

Vincent Lambert, tétraplégique en "état de conscience minimum" depuis six ans, est, bien malgré lui, l'incarnation du droit de mourir dans la dignité, droit mis en oeuvre par la loi Léonetti du 22 avril 2005. Onze ans après, alors même qu'une seconde loi Léonetti du 2 février 2016 est venue en est préciser les conditions de mise en oeuvre, ce droit est toujours contesté par les milieux catholiques les plus traditionnels, dont font partie les parents de l'intéressé. 

La décision de la Cour administrative d'appel (CAA) de Nancy intervenue le 16 juin 2016 est le dernier épisode de ce conflit. On sait que la famille Lambert se déchire. Son épouse et une partie de ses proches dont son neveu demandent l'application de la loi Léonetti de 2005, selon laquelle "les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnables. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris". La mère de Vincent Lambert ainsi qu'une soeur et un demi-frère pensent, contre l'avis des médecins, qu'il peut encore guérir et refusent toute idée d'interruption des soins.

On se souvient que, dans un arrêt du 24 juin 2014, le Conseil d'Etat avait admis la légalité de la décision prise par l'équipe médicale de l'époque de mettre fin à l'alimentation et à l'hydratation artificielles de Vincent Lambert. Le 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l'homme avait affirmé que la mise en oeuvre d'une telle décision n'emportait pas de violation de la Convention européenne des droits de l'homme. 

Les parents de Vincent Lambert ont donc exploré d'autres voies que la voie juridique. Eric Kariger, médecin chef du service de l'hôpital de Reims où était hospitalisé Vincent Lambert a fini par quitter ses fonctions, admettant publiquement qu'il avait fait l'objet de pressions et de menaces s'il mettait en oeuvre la décision du Conseil d'Etat. 

Une seconde équipe médicale


Un autre médecin est donc arrivé, le docteur Danièla Simon. S'estimant non liée par la décision de son confrère, elle a repris la procédure à l'origine. On sait que Vincent Lambert est hors d'état d'exprimer sa volonté sur l'éventuel arrêt des soins. Il n'a pas davantage pris la précaution de faire connaître sa volonté par des "directives anticipées" ou par la désignation d'une "personne de confiance", deux possibilités offertes par la loi Léonetti. Dans ce cas, la loi prévoit une procédure collégiale réunissant les médecins traitants, qui se prononcent après avis de la "famille" du patient (art L. 111-4 csp). 

Alors même que la première procédure consultative avait permis de connaître l'opinion de onze membres de la famille, une seconde procédure a été engagée le 7 juillet 2015, pour être aussitôt interrompue, le 23 juillet suivant. Selon le communiqué publié par le CHU, "les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires" à la poursuite de ces consultations n'étaient plus réunies.

Trois décisions contestées


Les décisions contestées par le neveu de Vincent Lambert sont donc au nombre de trois : 
- la décision du 7 juillet par laquelle le second médecin choisit de ne pas exécuter la décision d'arrêt de soins prise par son prédécesseur ; 
- la seconde décision du 7 juillet par laquelle elle décide de reprendre la procédure consultative ab initio
- la décision du 25 juillet d'interrompre cette procédure consultative sine die.

Devant le tribunal administratif de Châlons en Champagne qui s'est prononcé le 3 octobre 2015, le requérant n'a pas obtenu satisfaction. Il fait donc appel devant la CAA de Nancy qui  distingue clairement entre ces trois décisions. 

L'indépendance professionnelle du médecin


En se fondant sur le principe d'indépendance professionnelle et morale du médecin, la CAA de Nancy admet la légalité des deux premières décisions, c'est-à-dire le choix par le Docteur Simon de ne pas exécuter la décision du docteur Kariger et d'engager une nouvelle procédure consultative.

Aux termes de l'article R. 4127-5 du code de la santé publique, "le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit". Les décisions prises dans l'exercice de son art médical ne peuvent lui être dictées par qui que ce soit. C'est ainsi que, dans un arrêt du 2 octobre 2009, le Conseil d'Etat a rappelé que le directeur d'un centre hospitalier pouvait intervenir en matière de santé publique et, le cas échéant, saisir les autorités ordinales pour demander une sanction disciplinaire à l'encontre d'un praticien. Il ne peut, en revanche, intervenir dans son activité purement médicale. De même, dans une décision du 23 octobre 2013, le Conseil d'Etat affirme que le médecin coordonnateur d'une maison de retraite n'a aucun pouvoir hiérarchique sur les médecins salariés de l'établissement, dès lors que ce lien hiérarchique porterait atteinte à leur indépendance professionnelle.


Hergé. Vol 714 pour Sidney. 1968. Rastapopoulos et le docteur Krollspell.


La reprise de la procédure


L'interruption sine die de la seconde procédure consultative est, quant à elle, déclarée illégale. Observons que les motifs de cette interruption n'ont pas été formulés par le médecin mais par un communiqué du CHU. Il est vrai qu'ils n'ont aucun caractère médical, le texte invoquant des conditions de sécurité et de sérénité non remplies, c'est-à-dire concrètement de nouvelles menaces formulées à l'encontre de l'équipe soignante. 

La CAA Nancy observe que ces motifs sont dépourvus de base légale. Un médecin peut toujours démissionner parce qu'il a fait l'objet de menaces et, dans ce cas, il prend une décision qui lui est personnelle et qui ne porte aucune atteinte à la continuité du service public hospitalier. Ce sera à son successeur d'assumer les responsabilités qui y sont liées. En revanche, l'interruption d'une procédure légale, sine die, porte atteinte à la continuité du service. La CAA fait observer que les motifs invoqués sont dépourvus de base légale, le chef d'un service hospitalier ne pouvant ainsi empêcher durablement l'application de la loi. 

La lecture de la décision impose une réflexion sur sa mise en oeuvre. La décision d'interrompre la procédure consultative prise le 25 juillet 2015 est annulée, ce qui signifie concrètement que le médecin doit la poursuivre et la mener à son terme. Mais le médecin est une personne privée qui ne peut être destinataire d'une injonction d'une juridiction administrative. Par conséquent, la CAA délivre l'injonction au CHU de donner au docteur Simon, ou à tout autre praticien qui serait appelé à lui succéder, les moyens permettant de mener à bien la consultation dans les conditions de sérénité adéquates.

De toute évidence, la CAA n'est pas dupe. Sans reprendre le point de vue du requérant qui affirme que "le docteur Daniela Simon a (...) accepté de jouer un rôle dans un scénario coécrit par le CHU et les parents de Vincent", la CAA n'a pu manquer de s'interroger sur la rapidité avec laquelle la procédure consultative a été interrompue, sans que le médecin se préoccupe de fixer une date à sa reprise. 
Reste que cette tactique risque de ne pas se révéler payante. La nouvelle loi Léonetti du 2 février 2016 a, en effet, été votée, avec l'affaire Lambert en toile de fond. Et elle prend soin d'affirmer, dans son article 2, que "la nutrition et l'hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés", lorsqu'ils s'analysent comme relevant d'une "obstination déraisonnable" au sens de la loi. Autant dire que la nouvelle procédure consultative, que les parents de Vincent Lambert s'efforcent de retarder autant que possible, conduira à une décision prise sur le fondement de la loi nouvelle, et que ce texte a précisément pour objet de permettre à Vincent Lambert et à ceux qui sont malheureusement dans une situation identique d'obtenir le droit de mourir dans la dignité.

samedi 22 juillet 2017

VIncent Lambert : la loi face à l'intimidation

"Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire faire le surledemain par quelqu’un d’autre". Le médecin responsable du service en charge de Vincent Lambert aurait-il lu Pierre Dac lorsqu'il a décidé, en juillet 2015, de suspendre sine die la procédure de consultation préalable à l'arrêt des traitements de ce jeune homme tétraplégique, "en état de conscience minimum" depuis de nombreuses années ? Dans un arrêt du 19 juillet 2017, le Conseil d'Etat annule cette décision de suspension et impose ainsi au médecin de se prononcer formellement sur l'engagement d'une nouvelle procédure d'interruption des traitements.

La loi Léonetti du 22 avril 2005  énonce que "les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnables. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris". Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté sur l'éventuel arrêt des soins, la décision peut être prise sur le fondement de "directives anticipées" qu'il a pris la précaution de rédiger ou sur l'avis d'une "personne de confiance"qu'il a désignée, deux possibilités offertes par la loi Léonetti. Lorsque, comme c'est le cas de Vincent Lambert, aucune de ces procédures n'a été mise en oeuvre, la loi prévoit que la décision est prise par l'équipe médicale qui se prononce après avis de la famille du patient (art L. 111-4 csp).

En l'espèce, la consultation avait eu lieu, auprès de onze proches de Vincent Lambert, suivie d'une décision d'arrêt des traitements prise par le médecin responsable du service au CHU de Reims. On se souvient que, dans un arrêt du 24 juin 2014, le Conseil d'Etat avait admis la légalité de la décision prise par l'équipe médicale de l'époque de mettre fin à l'alimentation et à l'hydratation artificielles de Vincent Lambert. Le 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l'homme avait affirmé que la mise en oeuvre d'une telle décision n'emportait pas de violation de la Convention européenne des droits de l'homme. 

Nouvelle équipe, nouvelle décision


Hélas, la famille de Vincent Lambert demeure divisée, et sa mère en particulier refuse toute idée d'interruption des traitements. Après cet échec contentieux, d'autres techniques ont été explorées, avec un certain succès. Eric Kariger, médecin chef du service de l'hôpital de Reims où était hospitalisé Vincent Lambert a fini par quitter ses fonctions, admettant publiquement qu'il avait fait l'objet de pressions et de menaces s'il mettait en oeuvre la décision du Conseil d'Etat. 

La première question posée au Conseil d'Etat est donc de savoir si la seconde équipe médicale est liée par la décision prise par la première. Comme la Cour administrative d'appel de Nancy, le Conseil d'Etat se fonde sur l'article R. 4127-5 du code de la santé publique qui énonce que "le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit". Les décisions prises dans l'exercice de son art médical ne peuvent lui être dictées par qui que ce soit et il doit se prononcer personnellement. Cela signifie concrètement qu'une nouvelle procédure doit être engagée.

C'est ce qu'a fait le médecin qui a succédé au professeur Kariger le 7 juillet 2015, nouvelle procédure presque aussitôt interrompue le 23 juillet suivant. A l'appui de cette décision d'interruption, le CHU invoque des conditions de sécurité et de sérénité non remplies, c'est-à-dire probablement de nouvelles menaces formulées à l'encontre de l'équipe soignante. Cette fois, il faut reconnaître qu'elle a rapidement cédé.

William Bouguereau. Une âme au ciel. 1878

Illégalité des motifs


La question des motifs de cette interruption est essentielle non seulement pour la résolution de l'affaire Lambert mais aussi et surtout au regard de l'effectivité de la loi Léonetti. Celle-ci prévoit en effet que l'équipe médicale compétente pour décider de l'interruption du traitement,  peut se fonder sur deux séries d'éléments. Des éléments médicaux tout d'abord comme l'état du patient,  son évolution depuis l'accident ou le début de sa maladie, son éventuelle souffrance et le pronostic clinique. Des éléments non médicaux ensuite, reposant essentiellement sur la volonté du patient ou, si elle n'est pas exprimée, sur l'avis de sa famille. 

C'est ainsi que dans une ordonnance du 8 mars 2017, le juge des référés du Conseil d'Etat a ordonné de continuer les soins dispensés à une enfant de dix mois atteinte de lésions cérébrales définitives à la suite d'une infection virale. Les données médicales ne permettaient pas d'être certain que l'état de l'enfant ne pouvait connaître aucune évolution. Quant aux données non médicales, elles tenaient tout entières dans un refus pur et simple des parents d'envisager l'arrêt des traitements. Le juge des référés a alors sagement décidé de laisser du temps au temps. 

Dans le cas de Vincent Lambert, les causes invoquées pour suspendre la procédure d'interruption résident dans l'absence de sécurité et de sérénité de son déroulement. Pour le Conseil d'Etat, cette cause n'est pas prévue par la loi, et elle ne peut donc être utilement invoquée devant le juge. Le médecin nouvellement en charge de Vincent Lambert ne pouvait suspendre la procédure pour ces motifs et il doit engager une nouvelle consultation. 

Cet arrêt, qui ne porte que sur la procédure d'interruption des traitements, pourrait sembler relativement secondaire dans une affaire marquée déjà par une bonne dizaine de décisions de justice. Il risque pourtant de rendre plus difficile la situation de la mère de Vincent Lambert et de ceux qui s'opposent énergiquement à l'interruption des traitements. En effet, la seconde loi Léonetti du 2 février 2016 précise les conditions de mise en oeuvre du droit de mourir dans la dignité. Elle affirme en particulier que la notion d'interruption des traitements englobe celle de la nutrition et de l'hydratation. Cet ajout est, à l'évidence, le produit de l'affaire Lambert et le législateur affirme ainsi clairement que son cas entre dans le champ d'application du droit de mourir dans la dignité. Par ailleurs, plus le temps passe, et plus l'argument reposant sur l'amélioration de l'état de Vincent Lambert perd sa crédibilité.

Surtout, la décision du 19 juillet 2017 envoie un message clair : une procédure prévue par le législateur ne peut pas être indéfiniment tenue en échec par des pressions et des mesures d'intimidation. Une ou plusieurs personnes, aussi déterminées soient-elles, ne peuvent faire obstacle à l'application de la loi et doivent faire valoir leur point de vue en utilisant les procédures légales. Il est parfois bon de rappeler des évidences.


Sur le droit de mourir dans la dignité  : Chapitre 7 section 2 § 2 du manuel de libertés publiques sur internet

vendredi 5 janvier 2018

Inès : la jeune fille et la mort

Le 5 janvier 2018, le juge des référés du Conseil d'Etat a refusé de suspendre la décision d'arrêt de soins prise par l'équipe médicale en charge du cas de la jeune Inès, en état végétatif depuis six mois. Appliquant la loi Léonetti-Claeys du 2 février 2016, il autorise ainsi les médecins, malgré l'avis contraire des parents, à interrompre la ventilation et à procéder à l'extubation d'une enfant de quatorze ans. Si cette décision est exécutée, son décès devrait intervenir dans les heures ou les jours qui suivent l'interruption des traitements.

Compte tenu de l'importance de l'enjeu, puisqu'il s'agissait de se prononcer sur une décision susceptible d'entrainer le décès la patiente, l'ordonnance de référé a été prise par un collège de trois juges, à l'issue d'une audience réunissant les avocats du centre hospitalier et ceux des parents de l'enfant.

Une autorisation, pas une injonction

 

L'ordonnance est très soigneusement motivée. Le juge précise d'abord qu'il appartiendra au médecin compétent d'apprécier "si et dans quel délai la décision d’arrêt de traitement doit être exécutée", compte tenu des circonstances. Il devra également prendre des mesures pour assurer la sauvegarde de la dignité de la patiente et lui dispenser les soins palliatifs nécessaires. L'ordonnance de référé s'analyse donc comme une autorisation d'interrompre le traitement, pas comme une injonction. 

Au regard de l'ensemble de la jurisprudence antérieure, il demeure évident que cette décision devait être prise, aussi cruelle soit-elle. Il n'était en effet pas possible de statuer autrement, sans vider de son sens la loi Léonetti et le droit de mourir dans la dignité qu'elle met en oeuvre. Toutes les conditions mises à son application étaient en effet réunies.

L'obstination déraisonnable


La loi Léonetti affirme que les traitements peuvent être interrompus lorsqu'ils révèlent une "obstination déraisonnable", c'est-à-dire lorsqu'ils « apparaissent inutiles, disproportionnés et n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie". Tel est malheureusement le cas dans le cas d'Inès qui souffrait depuis longtemps d'une myasthénie auto-immune sévère. En juin 2017, elle a été trouvée inanimée à son domicile, à la suite d'un arrêt cardio-respiratoire. Prise en charge au CHRU de Nancy, tous les examens ont montré une évolution neurologique défavorable et une absence totale de réactivité. Les médecins n'ont rien pu faire si ce n'est placer l'enfant sous ventilation et assurer son alimentation et son hydratation par sondes. Au moment où intervient le référé, elle est dans un coma profond depuis six mois, en "maintien artificiel de la vie", au sens de la loi Léonetti, et la durée même de cette situation traduit une "obstination déraisonnable".

Sur ce plan, la situation d'Inès est différente de celle de la petite Marwa, affaire jugée par le tribunal administratif de Marseille en mars 2017. Il s'agissait alors d'une enfant de dix mois victime d'un virus provoquant de graves dommages cérébraux. A peine deux mois après l'apparition de la maladie, les médecins proposent l'interruption des traitements. Mais, au moment où le  juge est saisi, l'état de conscience, ou d'inconscience, de l'enfant ne semble pas tout-à-fait stabilisé. Si les médecins de l'équipe soignante insistent sur le caractère irréversible des lésions, les expertises sont plus nuancées. Un expert sollicité par le tribunal ne semble pas exclure que l'enfant ait un certain niveau de conscience que sa paralysie lui interdit d'exprimer. Devant une telle situation, le juge des référés du tribunal administratif estime qu'il n'est pas encore possible d'envisager l'évolution future de l'état de l'enfant, et que l'arrêt des traitements ne peut donc pas encore être envisagé. La situation de Marwa ne relève pas de l'acharnement thérapeutique ou de l'"obstination déraisonnable" au sens de la loi de 2016.




La jeune fille et la mort. Franz Schubert. Quatuor Alban Berg

La procédure


Dans le cas d'Inès, l'équipe médicale a appliqué la procédure fixée par la loi. En l'absence de directives anticipées rédigées par le patient lui-même, précaution possible mais peu probable dans le cas d'une enfant de quatorze ans, la loi Léonetti prévoit que l'interruption des traitements peut être effective à l'issue d'une procédure collégiale réunissant les médecins traitants et un expert extérieur au service, qui se prononcent après avis de la "famille". Dans le cas de Vincent Lambert, on sait que les premiers juges avaient estimé que, dans un contexte de conflit familial, la consultation devait être élargie à l'ensemble des proches du patient. Dans celui d'Inès, la situation est juridiquement plus simple car le code de la santé publique prévoit que, dans le cas d'un patient mineur, ce sont les titulaires de l'autorité parentale qui sont consultés (art L. 111-4 csp). 

L'ordonnance de référé précise que parents d'Inès s'opposent à l'arrêt des traitements pour des motifs religieux et qu'ils pensent même qu'une hospitalisation à domicile permettrait d'améliorer l'état de leur fille. Les médecins considèrent, quant à eux, qu'un tel projet n'est pas réaliste "compte tenu de la gravité de l’état de la patiente, de son caractère irréversible et de la lourdeur des soins qu’il impliquerait de délivrer en permanence". Le juge des référés se borne à mentionner cette divergence. Il n'a pas besoin de l'arbitrer car, au sens de la loi, les parents d'Inès ne sont pas titulaires du pouvoir de décision. 

Celui-ci appartient à l'équipe médicale, et le Conseil constitutionnel l'a clairement rappelé dans sa décision QPC du 2 juin 2017 : « il n’appartient pas au Conseil constitutionnel (...) de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles, en l’absence de volonté connue du patient, le médecin peut prendre, dans une situation d’obstination thérapeutique déraisonnable, une décision d’arrêt ou de poursuite des traitements. ». La décision est celle des médecins, et le législateur l'a précisément voulu ainsi pour ne faire peser sur la famille du patient une responsabilité trop lourde. Le Conseil constitutionnel ajoute que les proches du patient, s'ils sont en désaccord avec la décision prise, peuvent toujours saisir le juge d'une demande de référé. 

La décision s'appuie ainsi sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'elle mentionne d'ailleurs expressément. Elle fait observer que, dans le cas d'Inès, la procédure s'est déroulée conformément à la loi, que ses parents ont été entendus, qu'un rapport d'expert indépendant a été demandé. In fine, le juge des référés refuse, logiquement, de suspendre la décision d'interruption des traitements.

Il convient de rappeler qu'une demande de référé-liberté ne s'accompagne pas nécessairement d'un recours au fond. La décision des médecins est donc immédiatement exécutoire. Mais les parents d'Inès n'ignorent pas que ceux de Vincent Lambert ont aussi été confrontés à une ordonnance de référé déclarant légale la décision d'arrêt des traitements. C'était le 24 juin 2014. Ils ont ensuite subi un nouvel échec devant la Cour européenne des droits de l'homme, le 6 juin 2015. La voie contentieuse ne leur étant pas favorable, ils ont donc utilisé d'autres moyens. Par diverses pressions et intimidations, ils ont obtenu la démission du chef de service dans lequel leur fils était hospitalisé, et la désignation d'un nouveau médecin a permis de reprendre la procédure au début...Les parents d'Inès vont-ils, à leur tour, adopter une tactique de guérilla juridique ou, au contraire, laisser leur fille s'éteindre dans la dignité ?


Sur le droit de mourir dans la dignité : Chapitre 7 section 2 § 1 du manuel de libertés publiques sur internet version e-book, version papier