« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


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lundi 22 août 2011

Le CV anonyme passe à la poubelle

Yazid Sabeg, le commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, vient d'annoncer que le CV anonyme ne serait pas généralisé. 

En soi, la nouvelle ne présente pas un intérêt immense, mais le CV anonyme offre tout de même un exemple presque caricatural de ces réformes cosmétiques qui font de la lutte contre les discrimination un objet de communication, et rien d'autre. 

L'abandon de cette réforme n'est pas aussi surprenant que les conditions de son adoption. Car le CV anonyme est une obligation légale depuis la loi du 31 mars 2006 sur l'égalité des chances, qui reprenait alors une idée lancée par Claude Bébéar, dans un rapport de 2004. Le texte introduit dans le code du travail l'article L 1221-7 qui énonce : "Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, les informations (…) communiquées par écrit par le candidat à un emploi ne peuvent être examinées que dans des conditions préservant son anonymat". 

Or, cette loi sur l'égalité des chances a été victime d'une sorte de malédiction. On se souvient qu'à la suite de manifestations de grande ampleur, le président de la République, à l'époque Jacques Chirac, avait demandé aux entreprises de ne pas appliquer ses dispositions portant sur le "Contrat  première embauche" (CPE). Dans la foulée, les entreprises en ont sans doute profité pour ne pas appliquer davantage celles relatives au CV anonyme, d'autant que le décret en Conseil d'Etat qui devait en préciser les modalités de mise en œuvre n'a jamais été publié.

Trois ans après le vote de la loi, notre actuel Président de la République a redécouvert le CV anonyme, peut être en lisant le Journal Officiel ? Quoi qu'il en soit, dans un discours à l'Ecole Polytechnique de décembre 2008, il déclare : "Je veux que le CV anonyme devienne un réflexe pour tous les employeurs". Il propose donc une expérimentation, idée fort originale, puisqu'il est peu fréquent de procéder à l'expérimentation postérieurement à la loi.. 

Quoi qu'il en soit, en novembre 2009, 49 entreprises acceptent de mettre en oeuvre pendant six mois le CV anonyme dans leur procédure d'embauche. Personne n'avait entendu parler des résultats … jusqu'à ce que Pôle Emplois se voie confier une nouvelle expérimentation, qui s'est déroulée dans 8 départements. Le bilan en a été confié au CREST qui a communiqué des résultats accablants. On y apprend que les candidats issus de l'immigration ont une chance sur 22 d'obtenir un entretien lorsque leur CV est anonyme, et une chance sur 10 lorsqu'il n'est pas anonyme. Les analystes pensent que les recruteurs sont plus indulgents sur les maladresses d'écriture ou les "trous" dans les CV quand ils connaissent les origines sociales de celui ou celle qui l'a rédigé. En bref, on s'aperçoit que les recruteurs ne sont pas nécessairement tous des vilains racistes.. 

On aurait peut être pu s'en douter et éviter le ridicule de ces expérimentations successives. Mais au-delà de l'anecdote, et avant que le CV anonymes échoue dans les poubelles de l'histoire, nous pouvons peut être tirer quelques leçons de ses péripéties.

D'une part, la lutte contre les discriminations est, avant tout un combat juridique pour l'égalité de traitement. Des textes existent pour sanctionner les employeurs qui pratiquent des discriminations à l'embauche, qu'elles soient fondées sur les origines, le sexe, l'âge ou les orientations sexuelles. C'est aussi un combat culturel, et il est sans doute plus utile d'apprendre aux jeunes postulants à rédiger correctement un CV plutôt que les inciter à l'anonymat. 

Ce CV anonyme est inutile, dans la mesure où il ne fait que repousser l'éventuelle discrimination jusqu'à l'entretien. Il est également dangereux, car il stigmatise ceux qui recourent à cet anonymat, puisque, par hypothèse, ils arrivent dans une procédure de recrutement avec "quelque chose à cacher".  Au lieu de lutter contre la discrimination, il la crée.  Mais le plus grave n'est-il pas de laisser croire aux victimes potentielles qu'il suffit d'un CV anonyme pour rétablir l'égalité ?  

D'autre part, l'aventure du CV anonyme témoigne d'un certain mépris de la loi. En 2006, le parlement est sollicité pour voter l'adoption du CV anonyme. Il participe alors à un "coup médiatique", la promotion d'une idée à la mode. Elle fait l'objet d'une sorte de consensus, illustré par la proposition n° 25 du Projet socialiste pour 2012, qui, lui aussi, propose la généralisation du CV anonyme.

La loi est votée sans que l'on connaisse réellement les conséquences de la réforme ainsi adoptée. C'est si vrai qu'après avoir voté ce texte, on va se préoccuper, trois ans après, de l'expérimenter… pour découvrir finalement qu'il était parfaitement nuisible aux intérêts mêmes qu'il voulait protéger.  Pendant cinq années, on nous a donc vanté les bienfaits d'une technique dont personne ne connaissait l'impact… 

Les bons sentiments ne font décidément pas une bonne législation. 



lundi 18 août 2014

Grandeur et décadence du CV anonyme

Le 9 juillet 2014, le Conseil d'Etat, saisi par différentes associations de lutte contre les discriminations, a pris une décision sanctionnant le rejet implicite du Premier ministre d'une demande tendant à ce que soit pris le décret d'application prévu par l'article 24 de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances. Cette disposition, codifiée aujourd'hui à l'article L 1221-7 du code du travail impose la mise en place du CV anonyme dans les entreprises de cinquante salariés et plus. Constatant que six ans après la loi les mesures d'application ne sont toujours pas prises, le Conseil d'Etat donne une injonction au gouvernement, lui accordant un délai de six mois pour prendre le décret indispensable à la mise en place concrète du CV anonyme.

Immédiatement, le mouvement associatif s'est réjoui de cette décision, le CV anonyme étant présenté comme une mesure phare de la lutte contre les discriminations à l'embauche. Les médias ont fait quelques titres affirmant que le Conseil d'Etat "impose" désormais le CV anonyme. Une nouvelle fois, le Conseil d'Etat est donc présenté comme le protecteur des libertés, image qu'il aime donner... surtout lorsque sa décision est sans grande conséquence. 

Observons d'emblée que l'injonction n'est accompagnée d'aucune astreinte, contrairement à ce que demandaient les associations requérantes et à ce que proposait le rapporteur public. Certes, il n'est pas facile de prononcer une astreinte contre l'Etat, car sa mise en recouvrement est pour le moins aléatoire. Mais ne pas en prononcer revient à faire de l'injonction une décision purement symbolique. Que se passera t il si le gouvernement ne s'exécute pas ? Pas grand chose, ou plus exactement un autre contentieux qui durera des années. Il pourra sans doute aboutir à engager la responsabilité de l'Etat pour sa carence mais sans doute pas le contraindre à prendre le fameux décret.

Le délai raisonnable


En principe, l'administration peut prendre les décrets d'application des lois au moment qui lui semble opportun, en fonction de ses priorités et des contraintes liées aux textes en question. Une jurisprudence s'est cependant développée pour empêcher que l'administration puisse user de ce pouvoir discrétionnaire pour repousser perpétuellement l'application de la loi, ce qui reviendrait à conférer à l'Exécutif une sorte de droit de veto sur le pouvoir législatif. C'est la raison pour laquelle le juge utilise la notion de "délai raisonnable", délai dont dispose l'administration pour prendre les décrets d'application, délai au-delà duquel son abstention devient fautive. Cette jurisprudence a été initiée par l'arrêt d'assemblée du 27 novembre 1964, Ministre des finances c. dame veuve Renard (rec. p. 590), dans lequel le juge estime que ce délai raisonnable est "largement dépassé" dans le cas d'un retard de treize ans pour prendre un décret d'application. considéré. 

Le juge apprécie ce caractère raisonnable en fonction de chaque cas, en tenant compte des difficultés particulières d'élaboration du texte. Dans une décision Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers du 3 octobre 1997, il estime qu'un délai de trois ans n'est pas déraisonnable, car il s'est produit un changement de gouvernement dans l'année, et la nouvelle administration a annoncé une modification de la loi à appliquer. Si le délai raisonnable est d'une durée plus ou moins fluctuante, force est de constater qu'une durée de six ans est tout de même particulièrement longue.

Un retard jugé trop long est toujours fautif. Pour autant, il n'engage pas nécessairement la responsabilité de l'Etat s'il n'a pas causé de préjudice. Par exemple, pour un retard de treize années, le juge explique qu'il n'a pas fait perdre de chance de titularisation à un agent contractuel : CE 30 décembre 2009. Dans le cas du décret sur le CV anonyme, le recours déposé par les associations est un recours pour excès de pouvoir qui demande l'annulation du refus implicite de prendre le décret. Il n'engage pas la responsabilité de l'administration, ce qui signifie que la question de l'éventuel préjudice n'est pas posée.

Candidat à un entretien d'embauche. L'homme invisible. James Whale. 1933

Une procédure désuète


Si l'arrêt est conforme à la jurisprudence antérieure, il reste tout de même à s'interroger sur les motifs du retard, d'ailleurs mentionnés dans la décision. Aux yeux de l'administration, le délai demeure raisonnable car le texte nécessitait une expérimentation et une évaluation. En 2010-2011, une expérimentation a effectivement été réalisée par le Crest (Centre d'étude en économie et statistique, rattaché à l'INSEE) auprès d'entreprises, de cabinets de recrutement, d'agences d'interim, sous l'autorité de Pôle Emploi. Les résultats vont à l'encontre de ce qui était attendu de la réforme, ce qui incite à penser qu'il aurait tout de même été plus judicieux de faire l'expérimentation avant le vote de la loi.

Le rapport indique en effet que "le CV anonyme n'a pas d'effet détectable sur les chances d'accès à l'emploi". Au contraire, il peut se révéler contre-productif en privant les recruteurs qui pratiqueraient une recherche de diversité des moyens de la mettre en oeuvre. Surtout, le CV anonyme ne supprime pas l'entretien final avant le recrutement, entretien durant lequel la discrimination peut produire pleinement ses effets. Nul doute que ce rapport ait incité l'administration à considérer qu'il était urgent d'attendre, et peut être même urgent d'oublier le CV anonyme.

Presque huit ans après la loi, la réforme apparaît quelque peu désuète. Aujourd'hui, une grande partie des recrutements se fait selon une procédure qui, sans exclure le CV, le marginalise. Les recruteurs n'ignorent pas que ce document, lorsqu'il n'est pas franchement mensonger, relève souvent de la présentation cosmétique d'un parcours professionnel, selon une présentation plus ou moins standardisée qui ne laisse guère apparaître la personnalité de l'auteur. La recherche des collaborateurs passe désormais par d'autres vecteurs, recours aux stagiaires, associations d'anciens élèves et réseaux sociaux. En 2006, au moment du vote de la loi, LinkedIn avait trois ans. En 2014, il compte trois cent millions d'inscrits et renseigne plus d'un recruteur sur les compétences et le parcours d'un candidat, sur son milieu professionnel, etc...

Le CV anonyme est donc, avant tout, une mesure symbolique destinée à affirmer une volonté de lutte contre les discriminations. Nul n'ignore plus aujourd'hui que son efficacité est des plus réduites. C'est précisément ce moment précis que choisit le Conseil d'Etat pour le replacer au centre du débat par un arrêt tout aussi symbolique, à moins qu'il s'agisse d'inciter le législateur à modifier la loi ?

mercredi 13 mai 2015

Les statistiques ethniques ou religieuses : en avoir ou pas

L'affaire des "statistiques" du maire de Béziers est en train de s'effondrer, du moins sur le plan juridique. Le tribunal administratif de Montpellier a rejeté, le 11 mai 2015, la requête présentée par la Coordination contre le racisme et l'islamophobie. Cette décision était parfaitement prévisible.

On se souvient qu'à l'émission Mots croisés du 5 mai 2015, Robert Ménard annonce avoir recensé 64, 6 % d'enfants musulmans dans les écoles de Béziers. Ses propos ont immédiatement eu l'effet attendu. On voit se multiplier les réactions dénonçant un fichage ethnique et religieux illégal, susceptible de conduire à sa condamnation à cinq années de prison. Une perquisition de la mairie est organisée, à la recherche du fichier.. L'élu provocateur se réjouit certainement de cette médiatisation qui lui permet de se présenter comme une victime, celui qui, le premier, ose dire la vérité et violer le tabou des statistiques ethniques. Quand on se veut anti-système, c'est déjà une belle victoire.

Le fichage ethnique et religieux des enfants de Béziers recouvre probablement une autre réalité. L'élu se fait communiquer la liste nominative des enfants inscrits "dans quelques écoles", formule employée par l'avocat de Robert Ménard. Il fait ensuite une sorte de pointage, sur le coin de son bureau. Lorsqu'il trouve un prénom qu'il considère comme étant de consonance étrangère, il classe l'enfant comme musulman. A la fin de l'opération, il fait le compte. Ensuite, à l'émission Mots croisés, il annonce fièrement ce nombre de 64, 6 %. La précision fait sourire si l'on considère le caractère totalement fantaisiste de la méthode employée : le choix des écoles étudiées ne semble pas avoir été déterminé de manière à constituer un échantillon représentatif, le lien établi entre le patronyme et la religion n'a vraiment rien de scientifique. De toute évidence, les propos de Robert Ménard ne relèvent pas de la statistique ethnique ou religieuse, mais de la posture politique.
 
L'affaire, aussi ridicule soit-elle, permet de mettre en lumière les incertitudes du droit positif. Certes, le droit consacre une interdiction de principe des statistiques ethniques. Mais en même temps, il admet des dérogations qui les rendent possibles, sous certaines conditions.

Le tabou des statistiques ethniques


Le droit français interdit, en principe, les statistiques ethniques.  Dans sa décision du 15 novembre 2007, le Conseil constitutionnel a été saisi de l'article 63 de la loi relative à la maîtrise de l'immigration qui autorisait "pour la conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines, de la discrimination et de l'intégration", et sous réserve d'une autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), la réalisation de traitements de données à caractère personnel faisant « apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques » des personne. En clair, il s'agissait d'autoriser en France les statistiques ethniques, comme celles qui existent, par exemple, aux Etats Unis ou au Royaume-Uni. 

Le Conseil constitutionnel déclare cette disposition non conforme à la Constitution, mais pour un tout autre motif que l'éventuelle discrimination provoquée par un tel fichage. Il estime en effet que la disposition, ajoutée par un amendement, n'a pas suffisamment de rapport avec le texte en discussion. En revanche, il ajoute une réserve d'interprétation qui n'est pas sans importance : "Si les traitements nécessaires à la conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l'article 1er de la Constitution, reposer sur l'origine ethnique ou la race". En clair, les statistiques peuvent reposer sur une donnée objective comme la nationalité mais pas sur l'origine ethnique ou raciale, notion au contenu trop peu rigoureux et donc, en soi, discriminatoire. Sur ce point, la décision du Conseil constitutionnel ne fait, en réalité, que rappeler le droit positif.

Robert Ménard expliquant ses statistiques à la presse


 La loi du 6 janvier 1978


L'article 8 - I de la loi du 6 janvier 1978 dite Informatique et Libertés énonce en effet qu'il "est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques (...)". Ce que la Commission nationale de l'informatique et des libertés appelle le "profilage communautaire" est donc prohibé, et l'article 226-19 du code pénal prévoit une peine de 300 000 € d'amende et cinq années d'emprisonnement pour ceux qui se livreraient à ce type de fichage. Par ailleurs, la CNIL dispose d'un pouvoir de sanction qui lui est propre (art. 45 de la loi du 6 janvier 1978). C'est sur ce fondement qu'elle a condamné, par une délibération du 31 janvier 2008, à une sanction pécuniaire de 15 000 € une entreprise d'assurance qui avait utilisé à des fins de prospection commerciale un fichier mentionnant les origines ethniques des personnes.

De ces différentes dispositions, les commentateurs ont déduit que Robert Ménard risquait une peine de cinq années de prison au seul motif qu'il s'était livré à un fichage ethnique. L'analyse se heurte à une difficulté matérielle, déjà évoquée. Le document qu'il a utilisé est en effet la liste des élèves de "certaines écoles" de sa ville, liste qui n'a rien d'ethnique en soi et que le maire de la commune est fondé à consulter. Quant au "pointage", le retrouvera-t-on et sera-t-il possible de démontrer qu'il s'agit d'un "profilage communautaire" ? Rien n'est moins certain.

Les dérogations à l'interdiction


L'analyse se heurte aussi à une difficulté juridique, car les statistiques ethniques ou religieuses peuvent être licites, dans les conditions extrêmement rigoureuses définies par l'article 8 - II de cette même loi du 6 janvier 1978. Une  dérogation concerne ainsi les traitements réalisés par l'INSEE ou l'un des services statistiques ministériels (art. 8 - II al. 7). Ils doivent être réalisés dans le respect de la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques. Ils sont soumis à une double procédure, d'une part un avis du Conseil national de l'information statistique (CNIS) et d'autre part une autorisation de la CNIL.

Les statistiques ethniques sont-elles pour autant interdites dans les institutions qui ne sont pas l'INSEE ou un service ministériel de statistiques ? La loi du 6 janvier 1978 ne l'exclut pas, à la condition que le fichage respecte, là encore, de rigoureuses conditions. 

C'est ainsi qu'un groupement religieux peut logiquement détenir un fichier de ses membres (art. 8 - II al. 3). De la même manière une association sans but lucratif peut conserver des données ethniques si elles sont conformes à son objet social. Le 31 janvier 2007, le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) a commandé et diffusé le premier sondage effectué par la SOFRES sur "les discriminations à l'encontre des populations noires" . Personne ne l'a alors accusé de conserver des données ethniques, tout simplement parce que cette conservation était conforme à son objet social.

De la même manière, dans une décision du 30 septembre 2008, la chambre criminelle de la Cour de cassation a été saisie d'une plainte pour discrimination contre l'Office public de HLM d'une commune, accusé de pratiquer un fichage ethnique pour exclure certaines familles de l'accès aux logements sociaux. En l'espèce, la Cour a constaté que le fichage en question ne contenait que des données anonymisées et que, dès lors, elles ne pouvaient être considérées comme constitutives de discriminations. L'anonymisation permet ainsi de développer une connaissance statistique de données ethniques ou religieuses.

Il ne serait donc pas juridiquement impossible à la mairie de Béziers de développer un traitement statistique, à la condition qu'il repose sur des données objectives comme la nationalité, et que les données soient anonymisées. Sur le plan de la procédure, l'autorisation de la CNIL permettrait de s'assurer que la finalité du traitement n'est pas la discrimination mais au contraire la lutte contre les discriminations. 

L'affaire de Béziers a évidemment quelque chose de ridicule : pour s'exonérer des poursuites, le maire n'a en effet pas d'autre solution que de plaider le fait que ses chiffres reposent sur une évaluation "au doigt mouillé" et non pas sur des statistiques fiables.

Elle témoigne aussi des contradictions du droit lui-même, contradictions déjà apparues lors de la tentative d'introduire le CV anonyme, considéré comme le moyen de lutter contre les discriminations à l'embauche. Une expérimentation avait montré que les candidats issus de l'immigration ont une chance sur 22 d'obtenir un entretien lorsque leur CV est anonyme, et une chance sur 10 lorsqu'il n'est pas anonyme. La lutte contre la discrimination conduisait ainsi à renforcer la discrimination.

Aujourd'hui, dans le but de lutter contre les discriminations, le droit interdit tout simplement de les mesurer. C'est ainsi, par exemple, que l'administration pénitentiaire est invitée à nommer des aumôniers musulmans dans les prisons, sans dresser la liste des personnes incarcérées de confession musulmane. De la même manière, il serait sans doute intéressant de mesurer le nombre de personnes issues des minorités visibles dans les conseils d'administration. De telles études ont déjà été faites pour mettre en lumière les discriminations envers les femmes. Pourquoi les personnes issues des minorités visibles ne pourraient elles bénéficier de ce type de politique ?