Le jugement du tribunal correctionnel
Rien, ou presque, car l'intérêt de la décision se situe dans l'indemnisation de 1000 € qu'il doit aux parties civiles, au titre de la victimisation secondaire. Il s'agit de réparer le préjudice qu'elles ont subi du fait du comportement de son avocat durant le procès.
Cette victimisation secondaire, c'est encore le jugement rendu qui en parle le mieux :
"Le tribunal considère que les parties civiles ont été exposées à une dureté excessive
des débats à leur encontre, allant au-delà des contraintes et des
désagréments strictement nécessaires à la manifestation de la vérité, au
respect du principe du contradictoire et à l’exercice légitime des
droits de la défense.
Si les droits de la défense et la liberté de
parole de l’avocat à l’audience sont des principes fondamentaux du
procès pénal, ils ne sauraient toutefois justifier des propos
outranciers ou humiliants, portant atteinte à la dignité des personnes
ou visant à les intimider.
(…) Ce dénigrement
objectivable, constitutif d’une victimisation secondaire, a engendré un
préjudice distinct de celui lié à l’infraction elle-même. Ce préjudice,
venant aggraver le dommage initial, doit faire l’objet d’une
indemnisation spécifique. »
Il est établi que le défenseur de Gérard Depardieu a fait preuve d'une grande agressivité à l'égard des parties civiles et de leurs conseils. La presse n'a pas manqué de citer ses propos, les qualifiant d'"hystériques", d'"agitées du bocal" et ajoutant, dans sa plaidoirie, à propos d'une plaignante, "Je veux bien qu'elle ne lise pas Le Monde, parce que c'est trop compliqué"....
Pour le tribunal, une défense de rupture, comportement des propos sexistes et humiliants pour les parties civiles, et constitutive d'un préjudice de victimisation secondaire. Sur ce point, les opinions divergent.
Voutch. 2015
Les avocats et l'atteinte à leur liberté d'expression
Les avocats agitent les médias en protestant contre ce qu'ils estiment une atteinte à leur liberté d'expression. Ils s'appuient d'abord sur la jurisprudence, qui considère que cette liberté est fort large. La 2è chambre civile de la cour de cassation, dans un arrêt du 20 avril 2023, affirme ainsi que « la rhétorique d’un avocat peut être excessive sans être répréhensible ». Mais il s'agissait d'une affaire civile, l'avocat ayant accusé son adversaire d'une "mauvaise foi qui confine à l'escroquerie".
Au plan pénal, ils invoquent surtout l'article 401 du code de procédure pénale qui confie la police de l'audience au président du tribunal. A leurs yeux, ce dernier n'a pas suffisamment usé de ce pouvoir pour contrôler les propos de l'avocat de Gérard Depardieu. Le public nombreux au procès a pourtant pu observer de nombreux rappels à l'ordre demeurés sans effet.
La jurisprudence de la CEDH
La victimisation n'est pourtant pas une totale innovation juridique. Cette notion est apparue dans la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, élaborée au sein du Conseil de l'Europe. Il est alors demandé aux États parties d'éviter cette "victimisation secondaire".
Dans son arrêt Y. c. Slovénie du 28 août 2015, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) la définit comme le fait de reproduire des stéréotypes sexistes dans des décisions de justice ou dans la procédure pénale. C'est le cas lorsqu'une femme qui a été violée se voit exposée à des propos culpabilisants ou moralisants de nature à décourager sa confiance dans la justice. Tout récemment, dans sa décision du 25 avril 2025, L. et autres c. France, la Cour a mis en oeuvre la notion de victimisation secondaire pour sanctionner certaines défaillances du système français qui, à l'époque des faits, n'accordait pas suffisamment d'attention aux victimes mineures de viols et d'agressions sexuelles. En l'espèce, les enquêteurs avaient brutalement reproché à une jeune victime de ne pas avoir adopté un comportement adéquat en se défendant physiquement contre son agresseur. Cette décision a été saluée unanimement par la doctrine juridique, y compris par les avocats, mais elle sanctionnait les lacunes de l'autorité judiciaire et des enquêteurs.
La réaction des avocats n'est évidemment pas identique lorsque les défaillances viennent de la défense elle-même. Il est clair pourtant que la victimisation secondaire est employée pour apprécier la manière dont est traitée une partie civile durant l'ensemble de la procédure judiciaire, de l'enquête jusqu'au procès. Les juges considèrent ainsi qu'une femme victime de violences sexuelles peut être indemnisée pour victimisation secondaire si des propos sexistes ont été tenus à son égard, à quelque moment que ce soit. Tel fut bien le cas dans le procès Depardieu durant lequel les parties civiles et leurs conseils ont été couvertes de propos et injures sexistes par l'avocat du prévenu.
In fine, il est exact que Gérard Depardieu va devoir indemniser les parties civiles du fait du comportement de son avocat. Certains ont dénoncé une atteinte au principe d'individualisation de la peine pénale. Mais il n'en est rien, car l'indemnisation est d'ordre civil et non pénal. Il s'agit de réparer un préjudice. Le tribunal correctionnel considère ainsi que Gérard Depardieu a choisi son mode de défense avec son avocat, et qu'il en est donc pleinement responsable. Des violences sexuelles ont été commises sur le tournage d'un film. Il n'était vraiment pas nécessaire d'en exercer de nouvelles dans le prétoire. A Gérard Depardieu de tirer les conséquences de cette décision, en changeant de défense, et peut-être d'avocat, pour le procès en appel.