L'association Anticor est aujourd'hui l'un des acteurs essentiels de la lutte contre les atteintes à la probité, notamment les activités de corruption et de fraude fiscale. Elle s'est fait connaître en 2011, lorsqu'elle a déposé une plainte dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. Par la suite, Anticor a dénoncé de nombreux agissements liés à la corruption ou aux conflits d'intérêts. C'est ainsi qu'en juin 2018, l'association a déposé une plainte pour prise illégale d'intérêts contre Alexis Kohler, actuellement Secrétaire général de l'Élysée. Il lui est reproché ses liens familiaux et professionnels avec l'armateur MSC. Une enquête sur cette affaire a été ouverte par le Parquet national financier (PNF).
La procédure d'agrément de ce type d'association est prévue par l'article 2-23 du code de procédure pénale, issu de la loi du 6 décembre 2013. Il précise que cet agrément peut être obtenu par "toute association agréée déclarée depuis au moins cinq ans" dont l'objet social est la lutte contre la corruption, lui permettant d'exercer dans ce domaine les droits reconnus à la partie civile.
En principe, l'agrément est délivré par le ministre de la Justice. Anticor a ainsi obtenu son premier agrément de Christiane Taubira en mars 2015, puis le second de Nicole Belloubet en février 2018. En 2021, l'agrément a été renouvelé par la Premier ministre. On se souvient en effet que le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti avait fait l'objet d'une plainte déposée en octobre 2020 par Anticor pour prise illégale d'intérêts dans l'affaire des procédures disciplinaires qu'il avait engagées contre des magistrats. La compétence du Premier ministre était donc substituée à celle du ministre et c'est Jean Castex qui décide le renouvellement de l'agrément en 2021. Cette décision est toutefois annulée par le juge administratif le 23 juin 2023 au motif que l'association, alors profondément divisée dans sa gouvernance, ne remplissait pas toutes les conditions requises pour l'obtention de cet agrément. la gouvernance a alors été profondément remaniée, et une nouvelle procédure d'agrément a été engagée. Mais la nouvelle demande s'est heurtée à un mur de silence de l'administration, d'où le recours contre la décision implicite de rejet.
C'est précisément ce caractère implicite de la décision qui est à l'origine de la suspension par le juge des référés. Le silence de l'administration excluait évidemment toute motivation du refus de renouvellement de l'agrément.
Les Indégivrables. Xavier Gorce. 2 février 2017
Absence de motivation et doute sur la légalité des motifs
Certes, l'agrément n'est pas un droit, comme en témoigne la rédaction de l'article 2-23 du code de procédure pénale qui affirme que ces associations "peuvent" être agréées, formule reprise dans le décret du 12 mars 2014 qui définit la procédure d'octroi de l'agrément. Une jurisprudence ancienne du Conseil d'État, du 6 mars 1992 affirme donc que l'agrément n'étant pas un droit, il n'a pas à être motivé. Mais il s'agissait alors d'une association d'aide aux entreprises. Un jugement du tribunal administratif de Paris en a décidé tout autrement, en imposant, le 22 mai 2003, la motivation d'une décision portant sur l'agrément d'une association de défense de l'environnement. Cette motivation doit énoncer les motifs de fait et de droit fondant la décision, ce qui signifie que l'administration ne saurait se contenter d'affirmer que l'association remplit, ou non, les conditions émises pour son obtention. Aujourd'hui, la tendance est donc à l'élargissement de l'obligation de motivation aux décisions de refus ou de retrait d'agrément.
En témoigne l'ordonnance du 12 août 2024, dans laquelle le juge des référés observe que le Premier ministre n'a pas indiqué, dans son mémoire en défense, les motifs de sa décision de refus d'agrément, se bornant à contester l'urgence à en prononcer la suspension. Alors que l'association Anticor fait valoir qu'elle remplit les conditions posées par la décret de 2014, cette absence de communication des motifs au juge suscite un doute sur la légalité de la décision. Par cette analyse, le juge des référés impose donc la motivation de la future décision expresse concernant l'agrément.
La condition d'urgence
Reste précisément l'urgence, son absence constituant l'essentiel de la défense des services du Premier ministre. Le juge des référés considère, quant à lui, que la condition d'urgence est remplie et invoque deux éléments essentiels.
Il fait d'abord observer que, du fait de son absence d'agrément, Anticor éprouve de grandes difficultés dans l'exercice de sa mission. Elle ne peut plus porter plainte en se constituant partie civile, ne peut plus intervenir pendant l'instruction ni formuler des demandes indemnitaires devant le tribunal correctionnel. Les conséquences demeurent modestes pour les affaires dans lesquelles Anticor s'était portée partie civile avant le refus d'agrément. Elles deviennent plus graves pour les affaires postérieures, notamment parce que le parquet peut classer une affaire sans suite, en l'absence de constitution de partie civile. L'association cite le cas de la plainte déposée en juin contre X pour des soupçons de favoritisme entre des concessionnaires d'autoroute et le gouvernement Valls en 2015 ou celle visant des opérations immobilières à L'Hay-les-Roses. En d'autres termes, l'absence d'agrément empêche Anticor d'imposer la désignation d'un juge d'instruction, laissant finalement au parquet le contrôle de la procédure. On comprend évidemment que cette situation n'est pas sans intérêt pour l'Exécutif.
Le second élément justifiant l'urgence réside dans une appréciation très concrète de la lutte anti-corruption. Le juge des référés fait observer qu'en l'absence d'Anticor, les associations agréées ne sont plus que deux. Et en effet Transparency et Sherpa semblent bien isolées, cette dernière ayant, elle aussi, éprouvé quelques difficultés à obtenir le renouvellement de son agrément. Certes, le juge ne fait pas de cette appréciation un élément de doute sur la légalité du refus d'agrément, mais se borne à en faire un élément justifiant l'urgence du référé. Le juge affirme en effet que cette situation "porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à l’intérêt public qui s’attache à la lutte contre la grande délinquance économique et financière". Cette formule peut s'interpréter comme un hommage rendu aux associations actives dans ce domaine.
L'Exécutif juge et partie
Certes, le Premier ministre peut se pourvoir devant le Conseil d'État, mais dans le cadre d'un recours en cassation, toujours aléatoire. S'il ne le fait pas, il devra prendre une nouvelle décision dans moins de quinze jours, et il faut espérer qu'Anticor retrouvera cet agrément dont l'association n'aurait jamais dû être privée. Cette solution est peut-être même la plus simple pour le gouvernement, car la motivation, cette fois impérative, de la décision de refus risque de se révéler complexe. Les conditions posées par le décret de 2014 sont en effet purement factuelles et il va être difficile de considérer qu'Anticor ne les remplit pas.
D'une manière plus générale, l'affaire suscite la réflexion sur cette procédure d'agrément. Il semble incroyable que l'activité d'une association anti-corruption soit conditionnée par l'agrément de l'Exécutif. Avouons que la situation est étrange, qui exige que le Premier ministre délivre un agrément à une association qui a permis d'engager des poursuites contre le Secrétaire général de l'Elysée. La tentation de refuser l'agrément pour des motifs politiques n'est pas nécessairement à exclure. La solution passerait sans doute par le transfert de cette compétence à une autorité indépendante ou à un collège de magistrats.