« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 6 juillet 2024

Les magistrats aussi ont droit au silence.


Au moment où la campagne électorale se voit imposer le silence, à la veille du second tour des élections législatives, le moment semble opportun pour évoquer le nouvel élargissement du droit au silence issu de la décision du Conseil constitutionnel M. Hervé A., rendue le 26 juin 2024.

Le Conseil déclare non conformes à la constitution les articles 52 et 56 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature. Ces dispositions organisent en effet la procédure disciplinaire applicable aux magistrats mais ne mentionnent pas expressément la notification de leur droit de garder le silence. Il ne leur est notifié ni par le rapporteur dans le cadre de l'enquête, ni lors de leur comparution devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) statuant en formation disciplinaire.

Le Conseil constitutionnel censure ces dispositions pour violation de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui garantit le respect des droits de la défense.

 

Un changement de circonstances de droit

 

Le Conseil s'était pourtant déjà prononcé sur ces dispositions de l'ordonnance du 22 décembre 1958, dans ses décisions du 9 juillet 1970 et du 19 juillet 2010. A chaque fois, il les avait déclarées conformes à la constitution. En principe, le Conseil ne devrait donc pas se prononcer une nouvelle fois sur des dispositions qu'il a déjà déclarées conformes. Mais il existe une dérogation à cette règle, en cas de changement de circonstances de fait ou de droit.

Dans le cas présent, il s'agit d'un changement de circonstances de droit. Dans sa décision Renaud N. du  8 décembre 2023, le Conseil a en effet affirme que l’article 9 de la Déclaration de 1789 exige que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur des manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé de son droit de se taire. Une telle décision sème donc le doute sur la constitutionnalité de dispositions qui ne prévoient aucune notification au magistrat de son droit au silence.

Cette décision Renaud N., intervenue à propos du régime disciplinaire des notaires, rappelle "le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire". Et elle ajoute que "ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition". 

 


 Calvin & Hobbes. Bill Watterson

 

Apparition en matière pénale

 

Le droit au silence s'est introduit dans le droit positif par la procédure pénale, et plus spécialement dans le droit de la garde à vue. Le Conseil constitutionnel le premier, dans sa décision Daniel W., QPC du 30 juillet 2010, affirme qu’il fait partie des droits de la défense dont est titulaire toute personne gardée à vue. Parce qu’elle ne prévoit pas le droit au silence du gardé à vue, la CEDH condamne ensuite la France dans son arrêt du 14 octobre 2010 Brusco c. France pour violation du droit au procès équitable. La loi du 14 avril 2011 tire les conséquences de ces jurisprudences et introduit dans la garde à vue« le droit, lors des auditions (…), de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire ».

Le droit au silence a été élargi à l’ensemble de la procédure pénale avec la directive européenne du 22 mai 2012, transposée par la loi du 27 mai 2014. Dans une décision du 25 avril 2017, la Cour de cassation sanctionne ainsi de nullité les aveux faits dans la voiture qui ramenait le suspect d’une perquisition, avant la première audition, car précisément il n’avait pu user de son droit au silence. Dans un arrêt du 24 février 2021, elle l’étend à toutes les débats sur la détention provisoire, et le Conseil constitutionnel, par une QPC du 18 juin 2021 Al Hassane S., l’élargit à tout le contentieux de la mise en liberté. Devant les juridictions de jugement, il doit être notifié avant le commencement des débats, principe rappelé par une décision rendue le 16 octobre 2019 par la Chambre criminelle. Enfin, le Conseil constitutionnel, dans deux décisions QPC du 30 septembre 202, l’impose à toutes les audiences devant le juge de la liberté et de la détention (JLD).

Le droit au silence s'est ainsi imposé pas à pas en matière pénale. Cela ne signifie pas qu'il ne soit pas contesté. Si certains avocats ont tendance à conseiller à tous leurs clients de l'invoquer durant la garde à vue, jusqu'à ce qu'ils aient pu avoir accès au dossier, les magistrats et les policiers considèrent souvent que le droit au silence est plutôt défavorable à la personne mise en cause. Il ne lui permet pas, en effet, d'exercer totalement sa défense, en invoquant notamment les éléments à décharge.

 

Un principe général de droit processuel

 

En dépit de ces réserves, le droit au silence s'est encore étendu, jusqu'à devenir un principe général de droit processuel. La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 8 décembre 2023 élargit en effet la notification du droit de se taire à " toute sanction ayant le caractère d’une punition". Applicable au régime disciplinaire des notaires, il était évident qu'elle serait aussi imposée à celui des magistrats.

Cette évolution a toutefois été obtenue de haute lutte. Dans un arrêt du 23 juin 2023, le Conseil d'État avait en effet affirmé, sans trop de motivation, que le droit au silence "avait seulement vocation à s'appliquer dans le cadre d'une procédure pénale". Il refusait alors de transmettre au Conseil une nouvelle QPC portant sur la procédure disciplinaire, jugeant que la question était dépourvue de caractère sérieux. A l'époque, l'affaire portait précisément sur la procédure disciplinaire visant les magistrats devant le Conseil supérieur de la magistrature.  

Heureusement, le changement de circonstances de droit provoqué par la décision du Conseil constitutionnel rendue le 8 décembre 2023 a contraint le Conseil d'État à faire évoluer sa jurisprudence, un peu contre son gré. La QPC du 26 juin 2024 est donc le résultat d'un arrêt de renvoi rendu par le Conseil d'État le 19 avril 2024.

L'évolution semble ainsi achevée vers la reconnaissance du droit au silence comme un principe fondamental applicable à l'ensemble du droit processuel, pénal et disciplinaire. Sa notification à l'intéressé est évidemment indissociable du caractère fondamental de ce droit. On peut tout de même espérer qu'un jour ou l'autre un bilan sera fait de ce droit nouveau, d'importation américaine. Son exercice écarte-t-il de manière mesurable le risque de condamnation pénale ou disciplinaire ? Renforce-t-il le rôle de l'avocat dans une procédure où la personne mise en cause, par son silence, ne peut faire valoir les éléments à décharge ? Beaucoup d'autres questions mériteraient d'être posées, et une véritable enquête sur le droit au silence serait certainement souhaitable. En espérant que l'on ne fera pas taire les enquêteurs..


Le droit au silence : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4, section 2 § 1 B


mardi 2 juillet 2024

Le Président chef des armées, désarmé, incertain.


Au moment où la campagne des élections législatives entre dans une phase particulièrement sensible, on commence à se demander ce que serait une cohabitation. S'il est vrai que la dernière expérience dans ce domaine remonte à 1997, il s'agissait alors d'une cohabitation entre le Président de la République Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin. Elle s'est finalement bien passée, marquée par un retour au texte constitutionnel, et par une pratique relativement pacifiée en matière de politique extérieure et de défense. Aujourd'hui, l'hypothèse d'une cohabitation entre le Président de la République Emmanuel Macron et l'éventuel Premier ministre Jordan Bardella laisse entrevoir une cohabitation plus rugueuse, d'autant que les relations internationales sont marquées par un regain de conflictualité, notamment en Ukraine et à Gaza.

Dans ce contexte, Marine Le Pen a déclaré, le 26 juin 2024, au Télégramme : « Chef des armées, pour le Président, c’est un titre honorifique puisque c’est le Premier ministre qui tient les cordons de la bourse. (...) Sur l'Ukraine, le Président ne pourra pas envoyer de troupes ». La formulation n'est pas des plus adroites. Elle semble ignorer que la formule "Chef des armées" n'a rien d'honorifique, mais figure dans l'article 15 de la Constitution : "Le Président est le Chef des armées". Ces dispositions ne permettent cependant pas au Président de cohabitation de faire ce qu'il veut en matière de projection de troupes à l'étranger.

Les proches du Président interviennent alors en rangs serrés pour sauver le soldat Macron, et le présenter comme Commander in Chief. Ils développent deux séries d'arguments. Les uns reprennent la notion de domaine réservé, les autres imaginent une coutume constitutionnelle surgie de nulle part. 

 

Le domaine réservé

 

Au risque de décevoir, on ne peut qu'observer que le domaine réservé n'existe pas. Certes, il existe des pouvoirs propres, ceux que le Président exerce sans contreseing du Premier ministre, comme par exemple le droit de dissolution...Mais le domaine réservé ne figure pas dans la constitution, et on attribue la paternité de cette notion à Jacques Chaban-Delmas. En 1959, il désignait comme "domaine réservé" certains secteurs de la politique nationale, notamment la défense et la politique extérieure. A l'époque, la cohabitation n'était même pas une hypothèse, et le Président de la République était le Général de Gaulle, auquel personne n'aurait osé contester le contrôle qu'il exerçait sur ces questions. Peu à peu, la notion de domaine réservé a toutefois évolué, au rythme de la succession des présidents, pour désigner tout domaine dans lequel le Chef de l'État s'investit particulièrement. Qu'il s'agisse de la politique extérieure pour le Général de Gaulle ou de l'urbanisme pour François Mitterrand, le domaine réservé devenait une notion à géométrie variable.

Le seul domaine dans lequel on peut défendre l'idée d'un Président puissant en matière militaire s'appuient est évidemment la dissuasion nucléaire. En l'état actuel du droit, c'est lui qui donne l'ordre d'engagement, et il appartient au chef d'état-major des armées de "faire exécuter les opérations nécessaires à la mise en œuvre des forces nucléaires". Le Premier ministre n'est toutefois pas absent de la procédure, puisqu'il "prend les mesures générales d'application", en exécution des mesures décidées en Conseil de défense. Le Président prend donc la décision, mais son exécution repose largement sur l'intervention d'autres acteurs.

En tout état de cause, il est faux de déduire du pouvoir du Président en matière de dissuasion une compétence générale et exclusive dans tout le domaine de la défense. La constitution affirme tout autre chose. Sur ce point, la notion de "domaine partagé" employée par Edouard Balladur correspond bien davantage à la réalité juridique.



Calvin & Hobbes. Bill Watterson


La constitution, toute la constitution, rien que la constitution

 

Le texte constitutionnel énonce, dans son article 5, que le Président de la République est "garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités". Certes, mais ce rôle s'inscrit clairement dans la fonction arbitrale dévolue au Président par ce même article 5 : "Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État". Ces dispositions sont des principes généraux qui définissent un rôle, mais les compétences, et leur partage, sont ensuite déclinées dans la constitution. Selon la formule de Michel Debré, "le Président n'a pas d'autre pouvoir que celui de solliciter un autre pouvoir".

Une observation identique peut être faite à propos de l'article 15 de la Constitution de 1958, aux termes duquel « Le Président de la République est le chef des armées ». Sans doute, mais ces dispositions permettent surtout de fonder la compétence du Président en matière nucléaire, ainsi que la présidence du conseil de défense et de sécurité nationale et de ses formations spécialisées comme le conseil national du renseignement. Encore doit-on observer que dans ces fonctions, le président peut "se faire suppléer par le Premier ministre". Le "chef des armées" n'a donc rien à voir avec le "Commander in Chief" américain.

La constitution confère en effet au Premier ministre une fonction essentielle en matière de défense.  Dans son article 20, elle affirme que "le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation". Il dispose de l'administration et de la force armée". Elle ajoute, dans l'article 21, alinéa 2, que "Le Premier ministre (...) est responsable de la défense nationale", ce qui lui permet de "nommer aux emplois civils et militaires". Le texte constitutionnel évoque donc clairement un pouvoir partagé, et non pas une compétence exclusive du Président.

 

L'envoi de troupes à l'étranger


L'envoi de troupes à l'étranger constitue sans doute le meilleur exemple de cette compétence gouvernementale. A ce propos, les défenseurs de l'exclusivité du pouvoir présidentiel se livrent actuellement à un étrange tour de passe-passe, qui consiste à oublier l'article 35 alinéa 2 de la constitution, issu de la révision de 2008. Celui-ci est pourtant parfaitement clair :"Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote". La constitution donne clairement compétence au gouvernement, et non pas au président, pour envoyer des troupes à l'étranger. Il est d'ailleurs précisé que lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, c'est encore le gouvernement qui soumet cette prolongation à l'autorisation du parlement. 

On ne voit pas quelle interprétation permettrait d'affirmer la compétence du Président de la République, alors que la constitution donne expressément compétence au gouvernement, et donc au Premier ministre. Le Conseil constitutionnel confirme cette analyse dans sa décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité du 28 novembre 2014. A l'occasion d'une déclaration d'inconstitutionnalité de dispositions interdisant aux militaires d'active d'exercer un mandat électif dans une collectivité territoriale, le Conseil déclare "qu'en application de ces dispositions (les articles 20 et 21), sans préjudice de celles de l'article 35 de la Constitution, le Gouvernement décide, sous l'autorité du Président de la République, de l'emploi de la force armée ; que l'exercice de mandats électoraux ou fonctions électives par des militaires en activité ne saurait porter atteinte à cette nécessaire libre disposition de la force armée". La "libre disposition de la force armée" est bel et bien une compétence gouvernementale.

Dans un article récent, publié par le Club des Juristes, un auteur affirme que l'article 35 de la Constitution, celui qui fait du Président le "chef des armées" énonce une norme coutumière, valide aussi bien en droit interne qu'en droit international public.  On l'a compris, il s'agit, avant tout, d'affirmer qu'il ne s'agit pas d'une disposition "honorifique". Certes, mais il n'est pas utile d'inventer une coutume constitutionnelle quand la constitution prévoit déjà un dispositif cohérent, parfaitement applicable en cohabitation.

La cohabitation, on le sait, conduit à appliquer la constitution dans toute sa rigueur. Personne n'ignore que, hors cohabitation, la décision d'envoyer des troupes à l'étranger est souvent attribuée au Président de la République. Celui-ci s'en attribue la compétence, ou le mérite, et le Premier ministre n'ose guère protester. C'est ainsi que Nicolas Sarkozy a décidé l'envoi de troupes en Libye et en Côte d'Ivoire, à une époque où il présentait le Premier ministre François Fillon comme "le premier de ses collaborateurs". De même l'Opération Serval en 2013, renommée Barkhane en 2014, a été officiellement décidée par le Président François Hollande, sans que le Premier ministre y voie un inconvénient.

Certes, mais en cohabitation, on revient à la constitution. En 1999, le Premier ministre Lionel Jospin s'est ainsi opposé à l'envoi de troupes en Côte d'Ivoire après le coup d'État contre Henri Konan Bédié. L'un voulait aller secourir un régime ami, l'autre voyait dans cette intervention une ingérence caractéristique de la Françafrique.

Certes, Marine Le Pen se trompe en affirmant que le rôle du Président est purement "honorifique". En revanche, elle a raison de considérer qu'un éventuel Premier ministre du Rassemblement National pourrait parfaitement s'opposer à l'envoi de troupes en Ukraine. D'une manière générale, on ne peut que déplorer un dévoiement du débat politique, qui conduit certains à ignorer la constitution, ou à en donner une interprétation qui relève davantage de la poésie que du droit constitutionnel.

 

 

vendredi 28 juin 2024

LR, le petit parti qui est parti du petit écran.



Dans une ordonnance de référé du 25 juin 2024, le Conseil d'État refuse de suspendre la décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) écartant une demande de mise en demeure visant TF1. Les Républicains lui demandaient en effet de contraindre la chaîne à inviter un représentant de ce parti au débat électoral diffusé dans la soirée du 25 juin. Celui-ci n'a finalement réuni que messieurs Gabriel Attal (Renaissance), Jordan Bardella (RN) et Manuel Bompard (LFI). M. Bellamy, membre des Républicains, a dû, quant à lui, se contenter d'une participation de sept minutes au journal télévisé du 27 juin.

 

L'objectif constitutionnel de pluralisme

 

Le pluralisme est défini comme un « objectif à valeur constitutionnelle » depuis la décision du Conseil constitutionnel rendue 11 octobre 1984. Initié en matière de presse, le pluralisme est ensuite étendu aux médias audiovisuels par la décision du 18 septembre 1986 qui précise qu’il « constitue une des conditions de la démocratie ».

Aujourd'hui, le pluralisme est divisé en deux branches bien distinctes. Le pluralisme externe suppose la présence sur le marché d’une offre suffisamment large pour refléter tous les courants d’opinions. Cette exigence se traduit par des aides à la presse et un dispositif anti-concentrations d'ailleurs bien peu appliqué.  

 


 La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf

Fables choisies de Monsieur de La Fontaine. 1688

Gravure de Claude Barbin et Denys Thierry

 

Le pluralisme interne

 

En l'espèce, LR invoque le pluralisme interne qui impose un véritable droit à l’expression des courants minoritaires. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme ainsi, dans son célèbre arrêt Handyside de 1976, que le droit d’exposer une opinion minoritaire est une composante essentielle de la société démocratique, qui repose elle-même sur « le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture". Plus récemment, un arrêt du 5 avril 2022 NIT SRL c. République de Moldavie, estime que les autorités publiques peuvent révoquer l’autorisation d’émettre donnée à une chaîne de télévision, lorsque ses responsables écartent l’expression de toute opinion minoritaire. 

La question du temps de parole des courants minoritaires prend une acuité particulière en période électorale. Sur le fondement de l'article 16 de la loi du 30 septembre 1986, il appartient à l'Arcom d'assurer le respect du pluralisme durant les campagnes électorales. Le texte essentiel pour les élections législatives est donc la délibération de l'Arcom (à l'époque conseil supérieur de l'audiovisuel) du 4 janvier 2011. Elle a été complétée par une recommandation particulière du 10 juin 2024 qui tient compte de la brièveté de la campagne, ne comportant finalement que la seule campagne officielle.

Selon ce texte de 2024, dans le cas où un débat "dépasse le cadre d'une seule circonscription législative" (...) les éditeurs veillent à ce que les partis et groupements politiques présentant des candidats et leurs soutiens bénéficient d'une présentation et d'un accès équitables à l'antenne". Le critère fondamental de présence à l'antenne est donc l'équité, et non pas l'égalité des candidats ou des partis. Le système est bien connu, car c'est celui qui a été mis en oeuvre par la loi organique du 25 avril 2016, dans le cas des élections présidentielles.

On peut éprouver quelque difficulté à comprendre ce que signifie un traitement "équitable" des candidats à une élection législative, s'il ne s'agit pas d'une égalité stricte dans la présence médiatique. L'Arcom précise donc qu'elle est appréciée "en fonction des résultats obtenus lors de la dernière élection des députés à l'Assemblée nationale et aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des indications de sondages d'opinion". A cela s'ajoute la participation du candidat "à l'animation du débat électoral".

La présence médiatique est donc largement appréciée au regard des sondages et des résultats électoraux. Evidemment, ce n'est pas très bon pour L.R. Le juge des référés ne manque pas de rappeler qu'aux élections législatives de 2022, ses candidats ont obtenu 10, 4 % des suffrages au premier tour. Aux présidentielles, la candidate LR, Valérie Pécresse, a recueilli moins de 5 % des voix. Enfin, aux dernières élections européennes, deux semaines avant le référé, M. Bellamy a obtenu 7, 25 % des suffrages. Ces résultats sont évidemment bien éloignés de ceux obtenus par le RN, LFI et Renaissance, les trois mouvements invités au débat.


L'équité inéquitable ?

 


Cette inégalité entre les candidats a déjà été admise par Conseil d’État, qui, dans une ordonnance de référé du 4 avril 2019, tolère que les représentants des « petites listes » aux élections européennes n’aient pas été invités à un débat électoral organisé par France Télévision. Il serait tout de même intéressant qu'un recours aboutisse un jour devant les juges européens. En effet, dans un arrêt Associazone Polictica Nazionale Lista Marco Pannella c. Italie du 31 août 2021, la CEDH a sanctionné pour atteinte au pluralisme la pratique de la télévision publique italienne qui écartait des débats télévisés les Radicaux italiens. Certes, il s'agit d'une télévision publique, et l'égalité devant le service public est une exigence qui ne concerne pas TF1, chaîne purement privée. Mais il n'en demeure pas moins que les règles en vigueur doivent être appréciées au regard du principe du pluralisme. 

Les déboires de L.R. peuvent évidemment faire sourire. On peut y voir un petit parti qui veut se faire aussi gros que les grands mouvements. On peut y déceler aussi un brin de nostalgie de ses dirigeants pour le grand parti qu'ils ont été. Mais le problème de fond demeure inchangé, qu'il s'agisse de LR ou de tout autre mouvement à l'audience relativement modeste. En effet, un petit parti qui perd sa visibilité médiatique n'a pas beaucoup de chances de grandir. Il se trouve placé dans une sorte de dynamique de la marginalisation pendant que l'antenne est monopolisée par ceux qui ont davantage d'audience.  Cette vision de l'équité est-elle équitable ? On peut au moins se poser la question.

 

 

lundi 24 juin 2024

Les contentieux de la dissolution.


La dissolution de l'Assemblée nationale, décidée par le Président de la République à la suite des élections européennes suscite un double contentieux. Dans un premier temps, une dizaine de recours ont été déposés contre le décret du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale. Ces requêtes ont été rejetées par le Conseil constitutionnel dans une décision du 20 juin 2024. Ensuite, le décret de dissolution lui-même, daté du 9 juin 2024, a lui-même été déféré au Conseil qui, sur ce point, n'a pas encore statué, mais les chances de succès sont extrêmement modestes.

 

Les recours contre le décret de convocation des électeurs


Aux termes de l'article 59 de la constitution, "le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs". Le plus souvent, le contentieux se déroule a posteriori, lorsqu'un candidat malheureux conteste l'élection de son concurrent dans la circonscription. Mais le Conseil, dans une décision du 7 juin 2012, se déclare compétent pour juger d'un recours mettant en cause la régularité d’élections à venir. Encore est-il nécessaire que l'irrecevabilité éventuelle qui pourrait être opposée à ces requêtes risque de compromettre gravement l'efficacité de son contrôle, de vicier le déroulement des opérations électorales ou de porter atteinte au  fonctionnement normal des pouvoirs publics. Dans le cas présent, le Conseil affirme, sans beaucoup de précision, que "ces conditions sont remplies". On peut penser en effet, qu'une convocation irrégulière des électeurs pourrait vicier le déroulement des opérations électorales.

Au fond, les requérants se fondent sur les délais entre la dissolution et la convocation des électeurs. L'article 12 de la Constitution énonce : "Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution". En l'espèce, le Président de la République a choisi la voie la plus courte. Le décret du 9 juin fixe les élections au 30 juin, soit exactement 20 jours après la dissolution. Sur ce point, le Conseil fait observer que le décret de dissolution est entré en vigueur dès sa publication au Journal officiel et que les élections peuvent donc intervenir le 20e jour après la dissolution. Il calcule donc en jours calendaires et non en jours francs, ce qui d'ailleurs n'était pas nécessairement acquis. On imagine mal toutefois, le Conseil rendant impossible la tenue des élections, pour un motif quelque peu futile.

Le Conseil écarte ainsi le moyen reposant sur l'incompatibilité de ce délai avec l'article L 157 du code électoral, selon lequel "les déclarations de candidatures doivent être déposées, en double exemplaire, à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin". Il écarte en même temps le moyen fondé sur l'incompatibilité du décret avec les délais dans lesquels le tribunal administratif peut être appelé à se prononcer sur les candidatures, délais prévus aux articles L 159 et L 160 du code électoral. Dans tous les cas, il est évident que l'article 12 de la Constitution est supérieur aux dispositions législatives du code électoral. Le délai de 20 jours pour organiser les élections, délai autorisé par la Constitution, s'impose donc. Une application des délais du code électoral reviendrait, en effet, à vider de son contenu la norme constitutionnelle.

D'une manière générale, le Conseil écarte différents moyens fondés sur l'idée que la brièveté de la campagne porterait atteinte à la sincérité du scrutin. Ceux de La France Insoumise contestent ainsi le gel des listes électorales qui, selon eux, entraverait l'exercice du droit de suffrage. Le Conseil répond logiquement que ce gel est indispensable pour l'organisation concrète du scrutin, et que pourront voter les électeurs ayant atteint l'âge de dix-huit ans ou acquis la nationalité française plus de dix jours avant la consultation électorale. Les conséquences de ce gel sont donc très modestes.


Il suffit d'une dissolution. Les Goguettes. 22 juin 2024

Les recours contre le décret de dissolution


Le Conseil ne s'est pas encore prononcé sur ces requêtes dirigées directement contre le décret de dissolution du 9 juin, mais, avouons-le, elles n'ont que fort peu de chances de prospérer.

Le Conseil s'est déjà prononcé à deux reprises sur des décrets de dissolution, et, à chaque fois, il s'est déclaré incompétent. Dans sa décision du 4 juin 1988 Minvielle de Guilhem de la Taillade, comme dans celle du 10 juillet 1997 M. Abraham, il déclare  qu’"aucune disposition de la Constitution ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour statuer sur la requête susvisée".

On ne voit par pour quel motif le Conseil constitutionnel modifierait une jurisprudence qui, sans la nommer, reste totalement inspirée par la théorie des actes de gouvernement. Certes, les actes de gouvernement, donc insusceptibles de recours, ont vu leur champ d'application se réduire depuis le XIXe siècle, époque où le Conseil d'État s'estimait incompétent pour apprécier toute décision dont le gouvernement estimait qu'elle touchait une "question politique". Aujourd'hui ne subsistent de l'acte de gouvernement que les décisions non détachables des relations internationales et celles qui concernent "les rapports entre les pouvoirs publics".

Précisément, dans un arrêt Allain du 20 février 1989, le Conseil d'État affirme clairement qu'il ne lui appartient pas "de se prononcer sur la légalité des actes relatifs aux rapports entre le Président de la République et l'Assemblée Nationale". Il se déclare donc incompétent pour connaître d'un recours dirigé contre un décret de dissolution. Certes, le Conseil constitutionnel, statuant en matière électorale,  n'est pas le Conseil d'État. Il n'en demeure pas moins qu'il semble s'être approprié la théorie de l'acte de gouvernement.

L'irrecevabilité semble évident, mais elle pose néanmoins problème, car le décret de dissolution n'est finalement soumis à aucun contrôle. C'est fâcheux si l'on considère que l'article 12 de la Constitution affirme certes le pouvoir discrétionnaire du Président de la République pour prononcer la dissolution, mais encadre cette décision d'une procédure consultative obligatoire.

Ainsi est-il précisé que le décret de dissolution ne peut intervenir qu'"après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées". Or, dans l'état actuel du droit, aucun contrôle ne peut être exercé sur le respect de cette procédure consultative. Il ne s'agit évidemment que d'inscrétions de journalistes, mais on a appris que l'ancienne présidente de l'Assemblée nationale a dû demander au Président que cette consultation se déroule à huis-clos. De même a-t-il été mentionné que Gabriel Attal, Premier ministre, n'avait guère été consulté, à moins qu'il l'ait été tardivement. Il semble en effet que le journaliste de CNews Pascal Praud ait été informé de la dissolution, avant le Premier ministre.

Ragots, indiscrétions ? Peut-être, mais le problème ne disparaît pour autant. La procédure ne fait l'objet d'aucun contrôle contentieux. Bien entendu, dans une dissolution, le contrôle appartient d'abord au corps électoral. Et s'il n'est pas très intéressé par le respect des procédures, il se prononcera au moins sur le respect des promesses électorales.




mercredi 19 juin 2024

Localisme et "postes à moustache" : l'Université devant les juges.


Plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation et du Conseil d'État viennent fort à propos rappeler à l'Université que le recrutement des enseignants chercheurs relève du droit des concours et que le principe d'égalité entre les candidats doit être scrupuleusement respecté. Certaines pratiques sont sanctionnées, qui constituent autant de détournements des procédures légales, dans l'unique but de favoriser un candidat ayant étudié ou enseigné dans l'établissement ou plus simplement proche, personnellement ou idéologiquement, de certains enseignants. 

 

Le localisme

 

On pourrait définir le localisme comme une forme d'esprit de clocher à l'échelle universitaire. Il consiste à recruter une personne que l'on connaît déjà, parce qu'on l'a formée ou qu'elle a fait ses premières armes d'enseignant dans l'Université. Elle fait partie de la maison, et cette considération l'emporte, quand bien même le dossier académique et scientifique des autres candidats serait meilleur. Bien entendu, beaucoup d'établissements d'enseignement supérieur ne pratiquent pas ce localisme, mais il est néanmoins suffisamment répandu pour que chaque universitaire puisse citer quelques exemples. 

La sanction de cette pratique est loin d'être simple, tout simplement parce que la preuve du localisme est extrêmement difficile à apporter. Le jury souverain se borne alors à affirmer que le candidat Tartemolle, qui comme par hasard a soutenu sa thèse dans l'établissement, a un dossier bien meilleur et qu'il a fait une bien meilleure prestation que le candidat Tartemuche qui a eu la mauvaise idée de soutenir sa thèse dans une autre Université. 

Au plan contentieux, le localisme peut être sanctionné par le juge administratif sur le fondement du détournement de pouvoir. Mais la preuve est, là encore, difficile à apporter. Tout au plus peut-on citer l'arrêt S-O du 4 novembre 2002. A l'époque, le conseil d'administration de l'Université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle avait rejeté, à deux reprises, le classement opéré par la commission de spécialistes intervenant dans le recrutement d'un professeur de linguistique. Et pour donner encore plus de poids à sa volonté de recruter un "local", il avait tout simplement modifié le profil du poste, lui ajoutant une référence à l'"acquisition du langage". Pas dupe, le Conseil d'État estimait que l'ensemble de ces éléments « avaient pour motif le refus de proposer la nomination, quel que fût l'avis de la commission de spécialistes, de tout autre candidat que celui qui était déjà en fonction ». La maladresse des instances universitaires avait alors permis de prouver le détournement de pouvoir.

Tout récemment, un autre type de détournement de pouvoir a été sanctionné, par un arrêt du 6 février 2024. L'Université de Bordeaux a été très fâchée que le candidat local classé premier par le comité de sélection sur un poste de professeur de droit "voie longue" se soit ensuite heurté à un avis défavorable du Conseil National des Universités (CNU). Elle a donc tout simplement décidé de supprimer le poste pour empêcher la venue du candidat classé second qui, lui, avait bénéficié d'un avis favorable du CNU. Le Conseil d'État annule la délibération de l'Université au motif que cette décision n'avait pas de finalité budgétaire comme l'affirmait l'établissement, mais visait uniquement à écarter le malheureux classé second.

Une telle maladresse est rare. Dans l'incapacité de prouver le détournement de pouvoir le juge administratif se fonde généralement sur l'erreur de droit. Il vérifie alors que l'évaluation des mérites des candidats a été réalisée sur le fondement de critères objectifs. Dans une décision du 13 janvier 1999, il admet ainsi que le CNU écarte une candidature à la qualification aux fonctions de maître de conférences en se fondant sur l'insuffisance des travaux de recherche de l'intéressé, ainsi que sur l'absence de sa part, de tout projet de recherche. Certes, mais, là encore, une telle situation n'est pas fréquente. Dans la plupart des cas, les candidats à un emploi d'enseignant-chercheur ont quelques travaux à faire valoir.

Le juge administratif éprouve ainsi de grandes difficultés à contrôler la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs. En soi, ce n'est pas une mauvaise chose, car il serait tout de même fâcheux qu'il puisse substituer son appréciation des travaux du candidat à celle effectuée par les instances universitaires. Mais il n'en demeure pas moins que le localisme n'est pas vraiment sanctionné, sauf, parfois indirectement, en relevant une opportune erreur de procédure.

 


 Calvin & Hobbes. Bill Waterson

 

L'approche pénale

 

La Cour de cassation vient, dans une décision du 5 juin 2024, renforcer ce contrôle, en envisageant le localisme à travers une approche pénale. 

M. X., professeur des Universités, s'est porté candidat à plusieurs reprises à des concours de recrutement ouverts par une Université, afin de pourvoir un poste de professeur de géographie. Sa candidature n'a jamais été retenue, alors que son profil correspondait aux postes proposés.  Il estime que les candidats locaux ont été privilégiés, et il a eu l'idée de porter plainte pour fraude aux examens et concours publics, délit figurant dans les articles 1 et 2 de la loi du 23 décembre 1901

Dans son arrêt du 5 juin 2024, la Chambre criminelle affirme que ce délit ne concerne pas seulement les fraudes commises par les étudiants. Il est susceptible de s'appliquer à tous les concours, y compris aux recrutements universitaires. La Cour précise que ce délit doit être apprécié au regard des manoeuvres destinées à favoriser un candidat, sans empiéter sur les compétences que détient le juge administratif pour apprécier le déroulement du concours. Certes, le partage des compétences n'est pas simple, mais il n'en demeure pas moins qu'une manoeuvre visant à favoriser un candidat local est clairement susceptible de poursuites pénales.

 

Les "postes à moustache"

 

Parmi ces manoeuvres, figure la pratique du "poste à moustache". Ce terme imagé, et connu de tous les universitaires, désigne un poste dont le profil a été établi de manière si précise que les critères qu'il mentionne ne sont pleinement remplis que par un seul candidat ou une seule candidate. Les autres sont ainsi dissuadés de se présenter, et s'ils osent faire acte de candidature, ils se verront reprocher de ne pas correspondre au profil demandé. 

Le "poste à moustaches" est une pratique qui n'est pas dépourvue de risque. Il arrive assez fréquemment qu'un comité de sélection, composé paritairement de membres extérieurs à l'établissement, fasse preuve de quelque agacement et classe en tête de sa sélection un candidat non moustachu. 

Aujourd'hui, le risque devient clairement contentieux avec l'arrêt rendu par le Conseil d'État le 17 juin 2024. En l'espèce, M. B. A., maître de conférences en lettres modernes au centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte, a présenté sa candidature à une poste de " littératures françaises et francophones " de professeur des universités, créé par transformation d'un emploi auparavant pourvu au sein de ce même centre par un maître de conférences. Le comité de sélection a sèchement rejeté sa candidature, sans même l'auditionner, et a placé en tête M. C., également maître de conférence dans l'établissement.

M. B. A. a donc fait un recours contre la délibération du comité de sélection et contre le décret nommant M. C. professeur des Universités. Le Conseil d'État lui donne satisfaction, précisément en constatant l'existence d'un poste à moustaches. Il observe que "la fiche de poste (...) correspond de manière particulièrement étroite, du fait de la combinaison très précise et ciblée des compétences et thèmes d'enseignement attendus, aux matières enseignées par M. C... et aux domaines de recherche dont il est spécialiste". Il dénonce "le caractère excessivement ciblé du profil décrit dans la fiche de poste", qui d'ailleurs avait été contesté par une professeure aixoise présente dans le comité de sélection. Cette volonté d'avantager un candidat est donc constitutive d'une rupture d'égalité devant le concours.

Cet ensemble jurisprudentiel témoigne d'une volonté des juges de contrôler une activité qui l'était fort peu. Au nom de l'autonomie des Université et de la souveraineté des jurys de concours, le contrôle contentieux était en effet traditionnellement très modeste. Il est évident que de telles pratiques de localisme doivent être sanctionnées, et il est sans doute positif que les juges se penchent sur ces questions, au nom de l'égalité des candidats à un concours. Mais on doit surtout regretter que de telles pratiques existent, et que des universitaires, même peu nombreux, se livrent à des agissements bien éloignés des principes qu'ils doivent enseigner.




dimanche 16 juin 2024

Investitures : la nuit des seconds couteaux.


Certains candidats de La France Insoumise (LFI) ont eu la douloureuse surprise de s'apercevoir que la nuit du 14 au 15 juin ne leur avait pas été favorable. Ils ont appris, parfois par la presse, que les instances dirigeantes du parti, ou plutôt Jean-Luc Mélenchon seul maître à bord, avaient décidé de ne pas leur accorder l'investiture en vue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet. La décision ne visait pas des backbenchers de LFI inconnus du grand public, mais au contraire des personnalités qui ont figuré parmi ses cadres dirigeants, dont Alexis Corbière, Raquel Garrido et Danièle Simonnet. Quel est leur crime ? Avoir osé critiquer le Lider Maximo

L'évènement suscite beaucoup de commentaires politiques, mais on doit aussi s'interroger sur le cadre juridique de l'investiture. On peut la définir simplement comme l'acte par lequel un parti politique désigne officiellement un candidat à une fonction élective. Ses effets juridiques sont loin d'être négligeables puisque, une fois investi, le candidat bénéficie du financement de son parti, de son aide pour l'organisation de sa campagne, et participe au partage du temps de parole accordé à sa formation dans les médias.

 

L'investiture, une affaire de parti

 

La jurisprudence se montre cependant extrêmement prudente et ne se penche pas volontiers sur les querelles d'investiture. Le juge de l'élection s'interdit, de manière générale, de vérifier la sincérité ou la régularité de l'investiture des candidats au regard des règles de fonctionnement et des statuts des partis politiques. Dans une décision du 20 octobre 2004, le Conseil d'État, statuant dans un contentieux lié aux élections régionales, considère ainsi "qu'il n'appartient pas au juge administratif de vérifier la régularité de l'investiture des candidats au regard des statuts et des règles de fonctionnement des partis politiques". 

Le Conseil constitutionnel, juge de l'élection législative, dans sa décision du 28 juin 2007 sur une élection législative dans une circonscription du Bas-Rhin, affirme, de son côté, qu'il ne lui appartient pas "de contrôler, au regard de leurs statuts, la régularité de l'investiture des candidats par les partis politiques, ni de s'immiscer dans leur fonctionnement interne". Il estime globalement que la procédure d'investiture relève de l'autonomie des partis politiques, de la liberté d'action qui leur est garantie par l'article 4 de la Constitution. Il affirme en effet qu'"ils se forment et exercent leur activité librement".

Cela ne signifie pas que le juge de l'élection se désintéresse totalement de l'investiture. Il vérifie en effet si une manoeuvre est susceptible de tromper les électeurs sur la réalité de l'investiture dont le candidat se prévaut ou qui a été attribuée à son adversaire . Autrement dit, c'est seulement si l'investiture, ou le défaut d'investiture, est de nature à tromper l'électeur que le Conseil prononce une sanction. Et ce n'est pas la procédure d'investiture qui est sanctionnée, mais la manoeuvre à laquelle elle a donné lieu. De fait, la question de l'investiture ne pourra être soulevée qu'a posteriori, lors d'un recours dirigé contre le résultat de l'élection. Dans une décision du 30 janvier 2003, le Conseil constitutionnel annule ainsi une élection législative au motif qu'un candidat se prétendait « candidat de la droite républicaine investi par l'UDF » alors même que ce parti lui avait retiré son investiture. Mais, comme toujours dans le contentieux électoral, cette sanction n'intervient qu'au regard du faible écart de voix existant entre les candidats. En l'espèce, il manquait deux voix au requérant pour atteindre le seul de 12, 5 % lui permettant de participer au second tour.

 


 On dirait la Nupes

Les Goguettes, en trio mais à quatre. juillet 2023


Les voies offertes aux victimes de la purge


Les victimes de la purge mélenchonienne ne peuvent guère envisager de contester, dès aujourd'hui, le refus d'investiture qui leur été opposé par leur parti. Dans un arrêt du 13 septembre 2012, la Cour de cassation affirme ainsi qu'un candidat ne peut engager la responsabilité délictuelle d'un parti, au motif qu'il lui aurait brutalement retiré son investiture. En tout état de cause, les victimes de la purge n'ont pas fait l'objet d'un retrait d'investiture, mais plutôt d'un refus d'investiture matérialisé par l'octroi de l'investiture à des "seconds couteaux" de LFI.

Bien entendu, les candidats évincés pourront saisir le juge de l'élection a posteriori, et contester la régularité de la procédure d'investiture. Mais là encore, la jurisprudence ne leur est pas vraiment favorable. Dans une décision du 25 novembre 1993, le Conseil constitutionnel juge le cas d'un militant de l'Union pour la démocratie française (UDF) dans la circonscription de Sartrouville. Longtemps considéré comme le candidat naturel de cette formation, il n'a pas reçu de notification de l'investiture, avant que celle-ci soit finalement attribuée à un tiers. Aux yeux du Conseil, il ne s'agit pas d'une manoeuvre destinée à tromper les électeurs, mais des aléas de la vie interne d'un parti politique. Les militants de LFI victimes de la purge sont sensiblement dans la même situation.

Que faire dans de telles conditions ? On leur conseille de relire simplement le code électoral, notamment ses articles L154 et L155. Enumérant la liste des pièces à fournir pour être candidat aux élections législatives, ils ne mentionnent pas la nécessité d'une investiture, et ne se réfèrent même pas à l'existence d'un parti. Ils peuvent donc être candidats sans être présentés par LFI. Dans une décision du 8 décembre 2017, le Conseil constitutionnel déclare même qu'il est possible de se présenter comme "membre fondateur" d'un parti, alors même qu'un autre candidat est investi par cette formation. Aux yeux du Conseil, une telle mention ne crée pas de confusion susceptible de tromper les électeurs.

 Les candidats LFI victimes de la purge sont, en quelque sorte, incités par la jurisprudence à se présenter, d'abord pour pouvoir contester a postériori la mesure dont ils ont été victimes, et aussi, évidemment, pour gagner. Car le Lider d'un parti, aussi "maximo" soit-il, n'est pas propriétaire des voix des électeurs. C'est le principe même de la démocratie.