« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 28 juin 2024

LR, le petit parti qui est parti du petit écran



Dans une ordonnance de référé du 25 juin 2024, le Conseil d'État refuse de suspendre la décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) écartant une demande de mise en demeure visant TF1. Les Républicains lui demandaient en effet de contraindre la chaîne à inviter un représentant de ce parti au débat électoral diffusé dans la soirée du 25 juin. Celui-ci n'a finalement réuni que messieurs Gabriel Attal (Renaissance), Jordan Bardella (RN) et Manuel Bompard (LFI). M. Bellamy, membre des Républicains, a dû, quant à lui, se contenter d'une participation de sept minutes au journal télévisé du 27 juin.

 

L'objectif constitutionnel de pluralisme

 

Le pluralisme est défini comme un « objectif à valeur constitutionnelle » depuis la décision du Conseil constitutionnel rendue 11 octobre 1984. Initié en matière de presse, le pluralisme est ensuite étendu aux médias audiovisuels par la décision du 18 septembre 1986 qui précise qu’il « constitue une des conditions de la démocratie ».

Aujourd'hui, le pluralisme est divisé en deux branches bien distinctes. Le pluralisme externe suppose la présence sur le marché d’une offre suffisamment large pour refléter tous les courants d’opinions. Cette exigence se traduit par des aides à la presse et un dispositif anti-concentrations d'ailleurs bien peu appliqué.  

 


 La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf

Fables choisies de Monsieur de La Fontaine. 1688

Gravure de Claude Barbin et Denys Thierry

 

Le pluralisme interne

 

En l'espèce, LR invoque le pluralisme interne qui impose un véritable droit à l’expression des courants minoritaires. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme ainsi, dans son célèbre arrêt Handyside de 1976, que le droit d’exposer une opinion minoritaire est une composante essentielle de la société démocratique, qui repose elle-même sur « le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture". Plus récemment, un arrêt du 5 avril 2022 NIT SRL c. République de Moldavie, estime que les autorités publiques peuvent révoquer l’autorisation d’émettre donnée à une chaîne de télévision, lorsque ses responsables écartent l’expression de toute opinion minoritaire. 

La question du temps de parole des courants minoritaires prend une acuité particulière en période électorale. Sur le fondement de l'article 16 de la loi du 30 septembre 1986, il appartient à l'Arcom d'assurer le respect du pluralisme durant les campagnes électorales. Le texte essentiel pour les élections législatives est donc la délibération de l'Arcom (à l'époque conseil supérieur de l'audiovisuel) du 4 janvier 2011. Elle a été complétée par une recommandation particulière du 10 juin 2024 qui tient compte de la brièveté de la campagne, ne comportant finalement que la seule campagne officielle.

Selon ce texte de 2024, dans le cas où un débat "dépasse le cadre d'une seule circonscription législative" (...) les éditeurs veillent à ce que les partis et groupements politiques présentant des candidats et leurs soutiens bénéficient d'une présentation et d'un accès équitables à l'antenne". Le critère fondamental de présence à l'antenne est donc l'équité, et non pas l'égalité des candidats ou des partis. Le système est bien connu, car c'est celui qui a été mis en oeuvre par la loi organique du 25 avril 2016, dans le cas des élections présidentielles.

On peut éprouver quelque difficulté à comprendre ce que signifie un traitement "équitable" des candidats à une élection législative, s'il ne s'agit pas d'une égalité stricte dans la présence médiatique. L'Arcom précise donc qu'elle est appréciée "en fonction des résultats obtenus lors de la dernière élection des députés à l'Assemblée nationale et aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des indications de sondages d'opinion". A cela s'ajoute la participation du candidat "à l'animation du débat électoral".

La présence médiatique est donc largement appréciée au regard des sondages et des résultats électoraux. Evidemment, ce n'est pas très bon pour L.R. Le juge des référés ne manque pas de rappeler qu'aux élections législatives de 2022, ses candidats ont obtenu 10, 4 % des suffrages au premier tour. Aux présidentielles, la candidate LR, Valérie Pécresse, a recueilli moins de 5 % des voix. Enfin, aux dernières élections européennes, deux semaines avant le référé, M. Bellamy a obtenu 7, 25 % des suffrages. Ces résultats sont évidemment bien éloignés de ceux obtenus par le RN, LFI et Renaissance, les trois mouvements invités au débat.


L'équité inéquitable ?

 


Cette inégalité entre les candidats a déjà été admise par Conseil d’État, qui, dans une ordonnance de référé du 4 avril 2019, tolère que les représentants des « petites listes » aux élections européennes n’aient pas été invités à un débat électoral organisé par France Télévision. Il serait tout de même intéressant qu'un recours aboutisse un jour devant les juges européens. En effet, dans un arrêt Associazone Polictica Nazionale Lista Marco Pannella c. Italie du 31 août 2021, la CEDH a sanctionné pour atteinte au pluralisme la pratique de la télévision publique italienne qui écartait des débats télévisés les Radicaux italiens. Certes, il s'agit d'une télévision publique, et l'égalité devant le service public est une exigence qui ne concerne pas TF1, chaîne purement privée. Mais il n'en demeure pas moins que les règles en vigueur doivent être appréciées au regard du principe du pluralisme. 

Les déboires de L.R. peuvent évidemment faire sourire. On peut y voir un petit parti qui veut se faire aussi gros que les grands mouvements. On peut y déceler aussi un brin de nostalgie de ses dirigeants pour le grand parti qu'ils ont été. Mais le problème de fond demeure inchangé, qu'il s'agisse de LR ou de tout autre mouvement à l'audience relativement modeste. En effet, un petit parti qui perd sa visibilité médiatique n'a pas beaucoup de chances de grandir. Il se trouve placé dans une sorte de dynamique de la marginalisation pendant que l'antenne est monopolisée par ceux qui ont davantage d'audience.  Cette vision de l'équité est-elle équitable ? On peut au moins se poser la question.

 

 

1 commentaire:

  1. Vous avez entièrement raison.

    Soit il existe un principe valant erga omnes (Cf. le droit à un procès équitable détaillé par l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme du Conseil de l'Europe) et il s'applique à tous, soit il n'existe pas ou si peu qu'il conduit à établir une discrimination de facto entre les forts et les faibles..

    Nous sommes au coeur des contradictions engendrées par un droit vague dans lequel le ou les exceptions confirment la règle. Une spécialité bien française qui laisse à la "jurisprudence" une trop grande marge de manoeuvre qui peut aboutir à des situations ubuesques comme celle que vous présentez : "l'équité inéquitable". Si elle fait le bonheur des exégètes du droit, cette situation fait le malheur des citoyens. L'humoriste Pierre Dac aurait certainement eu quelques bons mots pour se gausser de pareil contorsionnisme juridique.

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