Le Premier ministre Gabriel Attal annonce un "sursaut d'autorité" face à la délinquance des mineurs. Les mesures concrètes ne sont, pour le moment, guère précisées, à l'exception d'une volonté affirmée d'"ouvrir le débat" sur "l'atténuation possible de l'excuse de minorité". Le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a fidèlement repris le discours en proclamant "la culture de l'excuse, c'est fini", avant d'ajouter que "ça ne signifie pas qu'on oublie qu'un gamin est un gamin". En bref, il faut mettre en question l'excuse de minorité, mais pas trop.
Une notion qui ne figure pas dans le code pénal
L'excuse de minorité n'est pas une notion employée par le Code pénal. Son article 122-8 mentionne, de manière très générale : "Les mineurs capables de discernement sont
pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils
ont été reconnus coupables, en tenant compte de l'atténuation de
responsabilité dont ils bénéficient en raison de leur âge, dans des
conditions fixées par le code de la justice pénale des mineurs". On doit en déduire que la situation pénale des mineurs repose sur deux notions essentielles, d'une part celle de responsabilité, d'autre part celle de discernement. Depuis l'ordonnance de 1945, remplacée en 2021 par le code de la justice pénale des mineurs, ces principes n'ont guère été remis en cause. Cette permanence peut sembler remarquable dans un droit pénal des mineurs qui s'analyse comme un perpétuel chantier, soumis à des changements très fréquents, la codification n'ayant en rien modifié cette instabilité chronique.
En l'état actuel du droit, la responsabilité pénale d'un mineur de moins de treize ans ne peut être engagée, et il ne peut faire l'objet que de mesures d'assistance éducative. Quant à la responsabilité de ses parents, elle n'est engagée qu'en matière civile, pour réparer les dommages causés par l'enfant, quand bien même il n'aurait pas commis de faute. Les parents ne sont pas pénalement responsables des infractions commises par leurs enfants. Cette absence de responsabilité pénale des mineurs de moins de treize ans s'explique par une présomption de non-discernement.
La chasse à l'enfant. Marianne Oswald. 1936
Jacques Prévert
Une diminution de peine
La question se pose en termes différents pour les plus de treize ans. L'article L 11-5 du code la justice pénale des mineurs énonce que "les peines encourues par les mineurs sont diminuées conformément aux dispositions du présent code". Mais là encore, il n'est pas question d'excuse de minorité, mais plus simplement de diminution de peine. Selon l’article 121-5 du Code de la justice pénale des mineur, un jeune de plus de treize peut être condamné à une peine d'emprisonnement égale, au maximum, à la moitié de la peine encourue par un majeur. Lorsque la peine prévue pour un majeur est la réclusion criminelle à perpétuité, le mineur peut être condamné à une peine de vingt ans d'emprisonnement.
Cette règle constitue le droit commun pour tous les mineurs, mais les juges peuvent y déroger pour ceux qui ont entre seize et dix-huit ans. Ceux-là peuvent être condamnés aux mêmes peines que les majeurs, à l'exception de la réclusion à perpétuité, qui peut être remplacée par une peine de trente ans d'emprisonnement. Cette peine maximum de trente ans est évidemment particulièrement sévère pour un mineur, si l'on considère que le code de la justice des mineures, comme avant lui l'ordonnance de 1945, reposait sur un principe faisant prévaloir l'éducation sur la répression. En tout état de cause, le juge peut décider d'écarter le principe d'atténuation de la peine dans trois cas. Il en est ainsi (1) lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient, (2) lorsque le crime d'atteinte volontaire à la vie a été commis en état de récidive, ou (3) lorsque le délit de violences volontaires, d'agressions sexuelles ou le délit commis avec la circonstance aggravante de violence a été commis en état de récidive. Il s'agit là de situations relativement rares, tout simplement parce qu'elles concernent des infractions extrêmement graves.
On doit aussi reconnaître que les juges répugnent à écarter cette atténuation de peine. On se souvient de la terrible affaire Shaïna. Un jeune de dix-sept ans avait, à Creil en 2019, poignardé puis brûlé vive cette adolescente de quinze ans. L'horreur de ce crime avait suscité beaucoup d'émotion dans l'opinion et l'avocat général avait requis la levée de l'atténuation de la peine. Mais le jury s'y était refusé, condamnant tout de même l'accusé à dix-huit d'emprisonnement. Cette affaire avait alors suscité un débat sur cette "excuse de minorité", car si elle n'est pas écartée dans une telle hypothèse, elle risque évidemment de ne l'être jamais.
Lorsque Gabriel Attal envisage "l'atténuation possible de l'excuse de minorité", il entend ainsi, du moins on le suppose, ouvrir un débat sur l'éventuelle suppression de cette diminution de peine qui concernerait tous les mineurs entre treize et seize ans ou sur un allongement de liste des infractions justifiant qu'elle soit écartée, pour les plus de seize ans. Pour le moment, les précisions font cruellement défaut.
On peut toutefois d'ores et déjà s'interroger sur les obstacles juridiques que le Premier ministre risque de rencontrer.
La Convention internationale sur les droits de l'enfant
Observons d'abord qu'il est impossible de juger les enfants comme les adultes, et donc de supprimer purement et simplement le droit pénal des mineurs. La Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, signée et ratifiée par la France, impose aux États parties, dans son article 40 alinéa 3 d'« établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n'avoir pas la capacité d'enfreindre la loi pénale». Ils doivent aussi, "prendre des mesures, chaque fois que cela est possible et souhaitable, pour traiter ces enfants sans recourir à la procédure judiciaire". Bien entendu, la formulation n'interdit pas d'infliger à un mineur une peine d'emprisonnement, mais en revanche elle impose un statut pénal des mineurs, nécessairement différent de celui des majeurs, et reposant sur "l'intérêt supérieur de l'enfant".
L'obstacle constitutionnel
Le second obstacle réside dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 29 août 2002, il érige en principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFLR) le fait que "« la responsabilité pénale des mineurs doit être atténuée en fonction de leur âge » et que « la réponse des pouvoirs publics aux infractions que commettent les mineurs doit rechercher autant que faire se peut leur relèvement éducatif et moral par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité et prononcées selon les cas par des juridictions spécialisées ou selon des procédures juridictionnelles aménagées".
L'origine de ce PFLR se trouve dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, dans celle du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et enfin dans l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante. Mais, là encore, comme la Convention sur les droits de l'enfant, le Conseil constitutionnel se garde bien d'affirmer que les sanctions pénales doivent toujours être écartées au profit de mesures éducatives. L'ordonnance de 1945 prévoyait d'ailleurs de telles sanctions allant du placement à la détention pour les mineurs de plus de treize ans.
S'il veut réformer le droit pénal des mineurs, Gabriel Attal devra se livrer à un exercice d'équilibriste. Certes, il n'est pas impossible, comme le souhaitent les partis situés plutôt à droite de l'échiquier politique, d'écarter un peu plus facilement le principe d'atténuation de la peine. Mais l'évolution ne doit pas aller jusqu'à supprimer la spécificité du droit pénal des enfants, qui repose essentiellement sur l'éducation. En tout état de cause, on peut se demander si la question ne relève pas plutôt de la politique pénale, d'une volonté d'appliquer une loi qui existe plutôt que de voter une nouvelle législation plus répressive, pour ne pas l'appliquer. N'oublions pas en effet que le principe d'individualisation de la peine s'applique aux enfants, comme aux adultes,