L'imam Iquioussen reste au Maroc, du moins pour le moment. Le tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 11 mars 2024, confirme en effet la légalité de l'arrêté d'expulsion signé en juillet 2022 par le ministre de l'Intérieur. On se souvient que cet acte n'avait pu être exécuté en raison de la fuite de l'imam qui avait été interpellé à Bruxelles et finalement expulsé par les autorités belges vers le Maroc en janvier 2023.
Le volet belge de l'affaire n'empêche évidemment pas l'imam de contester les actes pris à son encontre par les autorités françaises, recours auxquels se sont joints la Ligue des droits de l'homme, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti) ainsi que le Syndicat des avocats de France.
C'est en France qu'il veut revenir, car son domicile, abri de sa vie privée et familiale, est à Lourches, près de Valenciennes. Né à Denain, il aurait pu acquérir la nationalité française par simple déclaration, mais il ne l'a pas fait. Comme son épouse, il est donc titulaire de la seule nationalité marocaine. C'est aussi en France qu'il exerce son activité professionnelle de prédicateur et de professeur d'éthique au lycée musulman Averroès. Dans un premier temps, il a demandé au juge des référés la suspension de l'exécution de l'arrêté d'expulsion. Sa demande a été rejetée par le juge des référés du Conseil d'État le 30 août 2022. La présente décision, celle du 11 mars 2024, est donc la première décision au fond.
L'article 631-3 ceseda
Observons d'emblée que le droit applicable est antérieur à la loi du 26 janvier 2024 « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » mais que, sur ce point, elle ne l'a pas réellement modifié. L'article 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (ceseda) précisait alors qu'un étranger en situation régulière, même s'il était implanté en France depuis l'âge de treize ans ou depuis plus de vingt ans, ou y avait fait souche comme parent d'enfants français, pouvait néanmoins être expulsé. Dans ce cas, il devait toutefois avoir commis des actes graves, c'est à dire avoir développé des "comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes".
En l'espèce, le tribunal administratif, comme d'ailleurs les juges des référés, estime que le dossier ne montre pas que l'imam ait apporté son soutien à des activités terroristes.
Le café marocain. Henri Matisse
La vie privée et familiale de l'imam
En revanche, contrairement au juge des référés du tribunal administratif, il écarte le moyen fondé sur la vie privée et familiale de l'intéressé. Il ne conteste évidemment pas qu'elle se déroule globalement en France, mais il observe que l'expulsion ne lui porte pas atteinte irrémédiable. D'une part, les enfants de l'imam Iquioussen, de nationalité française, sont désormais adultes et ne sont donc pas directement victimes de la mesure d'expulsion. D'autre part, rien dans le dossier ne montre qu'il n'a aucune attache au Maroc. Au contraire, l'imam s'y est marié, y passe régulièrement des vacances. Son épouse, qui a aussi la nationalité marocaine pourrait tout-à-fait s'y établir avec lui. En d'autres termes, la vie privée et familiale de l'imam pourrait parfaitement s'ancrer au Maroc.
Une mesure de police administrative
Le tribunal administratif s'attache surtout à l'activité de l'imam en France, et il montre que celui a tenu des propos antisémites, favorables à la subordination de la femme et discriminatoires à l'égard des non-musulmans. La défense de l'imam invoque, sur ce point, l'absence de condamnation pénale, mais le juge affirme que celle-ci est sans influence sur une décision d'expulsion fondée sur l'article L 631-3 ceseda . Le Conseil d’État, dans un arrêt du 4 octobre 2004 ministre de l’Intérieur c. Bouziane, avait déjà admis l’expulsion de l’imam de Vénissieux, en l'absence de toute condamnation, en raison de son appartenance à la mouvance salafiste, avérée par des notes des services de renseignement. Cette jurisprudence est parfaitement logique, car une mesure de police administrative comme l'expulsion repose sur des motifs d'ordre public et non pas sur des considérations pénales. Ce n'est pas le casier judiciaire de la personne qui est important mais la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire.
Florilège discriminatoire et provocations diverses
Pour démontrer la gravité de l'atteinte à l'ordre public, le tribunal administratif se concentre sur "les actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes". Il nous livre un véritable florilège des propos de l'imam. En 2005, à Chelles, il évoque ainsi "le complot entre Hitler et les juifs d'Europe, dans les années 30, afin d'installer les juifs en Palestine". Plus tard, en 2014, il voit un "complot juif à l'origine de la fin de l'Empire ottoman". Tous ces "complots juifs" sont dénoncés dans des vidéos. Et si l'imam Iquioussen déclare aujourd'hui regretter ces propos discriminatoires, le juge administratif note qu'il n'a jamais demandé le retrait de ces vidéos.
Les femmes ne sont pas mieux traitées. Dans une vidéo de 2013, il déclare : "les filles elles sont trop bonnes, trop gentilles, donc un peu connes". La suite, en 2019, est presque logique car "leur place est dans la cuisine". Bref, il est clair que "la société occidentale a tout fait pour que la femme ne joue pas son rôle premier fondamental et essentiel qui est d'être une épouse et une mère". Le tribune multiplie les citations, montrant ainsi la continuité de la pensée de l'imam, qui milite en faveur de la soumission des femmes depuis bien des années. Devant le juge, il ne nie pas les propos tenus, mais se borne à la qualifier de "conservateurs et communément partagés". Mais le juge n'entre pas dans cette analyse, et mentionne seulement qu'ils portent atteinte au principe constitutionnel d'égalité entre l'homme et la femme.
Enfin, les non-musulmans sont particulièrement visés par l'imam. En 2012, à propos des "pseudo-attentats" (du 11 septembre 2001) il déclare qu'ils "avaient pour objectif de faire peur aux non-musulmans pour qu'ils aient peur de l'islam et des musulmans". Dans une conférence joliment intitulée "les non-musulmans sont-ils tous des mécréants ?", il déclare que les "faux-convertis sont des traitres (...) qui méritent le peloton d'exécution et des balles dans la tête". L'ensemble de ces propos constitue non seulement une provocation à la discrimination mais encore une provocation à la violence envers un groupe de personnes, groupe particulièrement large puisqu'il s'agit de l'ensemble des non-musulmans.
Le jugement est intéressant par l'accumulation même des propos de l'imam qui y sont mentionnés. Ils conduisent à constater que la nécessité d'une expulsion peut reposer sur une appréciation globale et de longue durée de la vie publique d'une personne. C'est, en quelque sorte, "l'ensemble de son oeuvre" qui est pris en compte et non pas un seul évènement récent. D'une certaine manière, l'accumulation d'exemples montre que l'imam ne s'est jamais intégré dans la société française et n'a jamais accepté le principe d'égalité.
Les notes blanches
L'imam conteste évidemment le fait que le tribunal se réfère à des notes blanches rappelant les propos de l'imam. On sait qu'une note blanche est établie par les services de renseignement, et que son auteur n'est pas identifiable. Devant le juge administratif, elles sont versées au dossier et débattues contradictoirement, le requérant ayant donc l'occasion de contester leur valeur probante. Mais en l'espèce, les propos de l'imam sont avérés et figurent, le plus souvent, dans des vidéos, ce qui relativise l'apport des notes blanches.
Dans une ordonnance du 11 décembre 2015, le juge des référés avait déjà posé un principe général, selon lequel "aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par les notes blanches produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif". Dans un arrêt Mustapha Fanouni c. France rendu le 15 juin 2023, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que la pratique des notes blanches était entourée de garanties suffisantes, dès lors que le requérant pouvait contester leur exactitude devant le juge.
Le jugement du tribunal administratif rendu le 11 mars n'a donc rien de surprenant et son intérêt réside plutôt dans la médiatisation de l'affaire, l'imam Iquioussen apparaissant comme une sorte de caricature de prédicateur attaché à un obscurantisme que beaucoup de musulmans ne partagent pas. On doit se féliciter qu'il ait été très bien défendu par un avocat qui a su invoquer tous les moyens envisageables devant le juge, même si sa mission était difficile. Mais défendre l'imam Iquioussen, ce n'est pas défendre les droits de l'homme, loin de là.
L'expulsion : Chapitre 5
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