Toutes les décisions de jurisprudence concernant Éric Zemmour sont scrutées par les commentateurs. L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 21 février 2023 ne fait pas exception. La Cour accueille en effet le pourvoi déposé par le procureur général près la Cour d'appel de Paris et par une multitude d'associations de protection des droits de l'homme contre la décision de cette même cour d'appel du 8 septembre 2021 qui avait prononcé la relaxe d'Éric Zemmour. Les commentaires consacrés à cette décision se réjouissent du renvoi de l'affaire, ce qui signifie que qu'il sera rejugé.
L'analyse juridique est sans doute moins intéressante. En effet, la personnalité du condamné est rigoureusement sans intérêt en l'espèce, car tout l'intérêt de la décision réside dans l'étendue du contrôle effectué par les juges du fond.
Eric Zemmour est poursuivi sur un double fondement. Sur la base de l'article 33 al. 3 de la loi du 29 juillet 1881, il est poursuivi pour "injure (...) envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". Sur le fondement de l''article 24 al. 7 de la loi du 29 juillet 1881, il est poursuivi pour "provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée".
Ces deux incriminations visent le même discours prononcé lors d'une réunion publique, la Convention de la Droite, le 28 septembre 2019. Il est impossible de recopier en entier l'ensemble des passages contestés devant la justice, mais ils sont largement cités dans l'arrêt de la Cour de cassation. Il est par ailleurs facile de retrouver l'intégralité du discours sur internet. Tous les thèmes chers à Eric Zemmour sont évoqués, notamment celui du "grand remplacement". Il attaque notamment "l'Afrique", accusée de vouloir coloniser l'Europe, et considérée comme uniformément musulmane. Le discours s'achève ainsi : "Il y a une continuité entre les viols, vols, trafics, jusqu'aux attentats de 2015 (...) Ce sont les mêmes qui passent sans difficulté de l'un à l'autre pour punir les kouffars, les infidèles. C'est le Djihad partout et pour tous".
Eric Zemmour a été condamné à une amende de 1000 € par le tribunal correctionnel le 25 septembre 2020 pour ces deux infractions. Mais la Cour d'appel de Paris prononce sa relaxe.
Saucissonnage des infractions
La relaxe reposait sur une analyse juridique un peu inédite, qui concerne aussi bien l'injure que la provocation.
La Cour d'appel s'est livrée à un saucissonnage des propos tenus dans le discours. Elle observe ainsi que certains visent les immigrés de confession musulmane en provenance d'Afrique, d'autres les immigrés de confession musulmane de manière générale et sans indication de provenance, d'autre les personnes demeurées en Afrique mais désireuses de venir " en France pour continuer à vivre comme au pays et placer les autochtones sous la domination des mœurs islamique". Enfin, certains propos ne visent, parmi les personnes de confession musulmane, que celles qui affichent une appartenance communautaire en imposant le port d'un voile pour les femmes ou de la djellaba pour les hommes. A l'issue de l'opération, la Cour d'appel a donc considéré que les propos tenus par Eric Zemmour ne visaient pas "une personne ou un groupe de personne dans son ensemble", analyse qui empêche donc que l'intéressé soit condamné pour injure ou provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence.
L'analyse est étrange car, si on va au bout du raisonnement, il suffirait d'injurier les personnes par petits groupes pour échapper à la condamnation. Pour s'attaquer aux personnes de confession catholique, on pourrait ainsi s'attaquer à certains fidèles, par exemple ceux de telle ou telle région, puis aux prêtres, pourquoi pas aux évêques ou aux moines ?
La Cour de cassation sanctionne cette démarche. Dans une décision du 16 octobre 2012, elle affirmait déjà "qu'il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances extrinsèques qui donnent une portée injurieuse (...) à des propos". Les juges doivent donc opérer une analyse contextuelle, en examinant avec le plus grand soin l'ensemble du discours tenu, certains propos non injurieux en tant que tels pouvant éclairer le sens global de ceux qui sont contestés. La décision du 16 octobre 2012 valide ainsi la condamnation de Dieudonné M'Bala M'Bala pour injure antisémite. La Cour estime alors que le fait de tourner en dérision la déportation des personnes de confession juive durant la seconde guerre mondiale constitue un "mode d'expression à la fois outrageant et méprisant qui caractérise l'infraction d'injure". La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), dans son arrêt du 20 octobre 2015 Dieudonné M'Bala M'Bala, estime que cette approche contextuelle de l'injure ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d'expression de l'intéressé.
Considéré sous cet angle, le seul intérêt de l'arrêt du 21 février 2023 ne présente pas d'autre intérêt que de surprendre un peu le lecteur. On se demande en effet pour quoi la Cour d'appel n'avait pas appliqué une jurisprudence de la Cour de cassation, elle-même validée par la CEDH.
Zemmour en croisade
Les Goguettes, en trio mais à quatre. 2016
Les parties civiles
La second motif de relaxe repose, selon la Cour d'appel, sur l'attitude des parties civiles. Elle invoque en effet leurs conclusions et plus précisément leurs divergences. Certaines considéraient que le groupe visé était suffisamment déterminé, en l'occurrence les personnes de religion musulmane. D'autres se livraient à une analyse ligne à ligne des groupes visés par Eric Zemmour.
La Cour de cassation rappelle que les positions des parties civiles constituent une "circonstance radicalement inopérante" dans l'analyse des juges du fond. En d'autres termes, les parties civiles ne dictent pas le jugement, et leurs éventuelles divergences ne doivent pas empêcher les juges d'exercer leur contrôle. Pour la Cour de cassation, cette incroyable erreur prive de base légale la décision de la Cour d'appel, dès lors que c'est précisément en se fondant sur les divergences des parties civiles qu'elle a renoncé à examiner le discours d'Éric Zemmour dans son contexte global.
Là encore, on ne peut manquer d'être surpris par la légèreté de la Cour d'appel de Paris. Il était en effet totalement impensable que la Cour de cassation valide une décision reposant sur la volonté, ou plutôt les divergences des parties civiles. C'est d'autant plus vrai dans ce type d'affaires, car la multiplication du nombre d'associations qui s'étaient portées partie civile rendaient les divergences d'autant plus inévitables que certaines d'entre elles ne disposent pas de conseils juridiques très efficaces.
Encore une fois, Eric Zemmour a permis de rappeler la jurisprudence relative à l'injure et à la provocation. On peut se demander s'il va une nouvelle fois saisir la CEDH, comme il l'avait fait pour contester sa condamnation pour provocation à la discrimination pour des propos tenus dans Le Point en 2007. Il est vrai qu'il avait été débouté par un arrêt du 20 décembre 2022, mais on attend tout de même une seconde tentative. Elle marquerait témoignerait l'attachement que porte Éric Zemmour aux juridictions européennes.
Injure et diffamation : Chapitre 9 Section 2 § 1 A du manuel sur internet