Dans une décision D. B. et autre c. Suisse du 22 novembre 2022, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sanctionne la violation de la vie privée d'un enfant né d'une gestation pour autrui (GPA). En l'espèce, un couple de même sexe, les deux premiers requérants, sont unis par un contrat de partenariat en Suisse. Il ont eu recours à la GPA en Californie, en utilisant les gamètes de l'un. Un enfant, le troisième requérant, est donc né en 2011.
La contestation du droit suisse
Dès la grossesse confirmée, un juge californien avait rendu un jugement déclarant que les deux hommes étaient les parents légaux de l'enfant à naître. Le couple avait donc demandé en Suisse la transcription du jugement américain, afin de permettre l'inscription de l'enfant dans le registre de l'état civil suisse. Mais l'officier d'état civil du canton de Saint-Gall avait refusé de reconnaître le jugement californien, décision qui a évidemment donné lieu à un contentieux. Après un premier rejet du recours par le tribunal administratif cantonal, le tribunal fédéral avait rendu, en 2015, une décision marquée par une certaine rigidité. Dès lors que la GPA est prohibée en Suisse, le tribunal avait refusé en effet de reconnaître tout lien de filiation entre le parent non génétique et l'enfant. Seul le parent qui avait donné ses gamètes pouvait donc se voir reconnaître un lien de filiation en droit suisse, et c'est précisément ce qui est contesté devant la CEDH.
Entre la date du jugement, 2015, et celle de l'arrêt de la CEDH, novembre 2022, le droit suisse a toutefois évolué. Le législateur est intervenu, et, à compter du 1er janvier 2018, le conjoint qui n'avait pas donné ses gamètes a été autorisé à adopter l'enfant, procédure qui, dans le cas des requérants s'est donc achevée par un jugement d'adoption en décembre 2018. Il ne fait aucun doute que cette évolution du droit suisse trouve son origine dans la procédure d'avis consultatif demandé à la Cour européenne par la Cour de cassation française. Certes, l'avis n'était pas rendu au moment de l'évolution du droit suisse, mais son sens était déjà prévisible. Il n'en demeure pas moins que la juge écarte la demande du gouvernement suisse qui souhaitait obtenir que la requête soit radiée du rôle. D'une part, l'ingérence dans la vie privée de l'enfant, privé d'un élément essentiel de sa filiation durant sept ans, a été trop longue pour que l'on puisse considérer qu'il n'a pas subi un préjudice. D'autre, l'affaire présente un intérêt plus large, dès lors qu'il s'agit de statuer sur le lien de filiation, dans le cas d'un couple homosexuel.
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La jurisprudence Mennesson et les couples hétérosexuels
Dès son arrêt Mennesson du 26 juin 2014, la CEDH déclarait que le fait de ne pas pouvoir obtenir en France une filiation légalement établie aux Etats-Unis violait le droit au respect de la vie privée des enfants. A l'époque, il s'agissait de sanctionner un droit français qui considérait que la non conformité de la GPA à l'ordre public français suffisait à rendre nuls et non avenus tous les actes qui en étaient la conséquence, interdisant de fait toute transcription de la filiation américaine des jumelles Mennesson dans les registres de l'état civil français. Cette décision ne réglait toutefois le problème que très partiellement. De fait, dans le cas d'un couple hétérosexuel comme dans l'affaire Mennesson, seule la filiation paternelle, celle du donneur de gamètes, pouvait désormais figurer dans les registres français, principe auquel la Cour de cassation s'est ralliée, dans une décision du 3 juillet 2015. La filiation maternelle demeurait celle de la mère porteuse.
Le droit a évolué avec l'avis consultatif de la CEDH du 10 avril 2019 qui estime que les enfants nés par GPA ont droit à une filiation maternelle. L'intérêt supérieur de l'enfant est au coeur du raisonnement de la CEDH, intérêt qui doit primer dans toutes les décisions le concernant. Ce principe est rappelé régulièrement par la Cour, en particulier dans sa décision du 27 janvier 2015 Paradiso et Campanelli et il figurait déjà dans la première décision Mennesson. S'il est vrai qu'"il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recours à l'étranger à une méthode de procréation qu'elle prohibe sur son territoire", il n'en demeure pas moins que la non-reconnaissance du lien de filiation ne touche pas seulement les parents, en quelque sorte sanctionnés pour avoir eu recours à la GPA, mais aussi et surtout les enfants. Ces derniers risquent de voir leurs droits successoraux amoindris à l'égard de leur mère d'intention, voire leur relations fragilisées en cas de séparation des époux ou de décès du père. L'absence totale et automatique de lien de filiation avec la mère d'intention n'est donc pas compatible avec l'intérêt de l'enfant.
Égalité juridique des couples homosexuels
La décision D.B. et autre c Suisse du 22 novembre 2022 place les couples homosexuels dans une situation d'égalité juridique par rapport aux couples hétérosexuels. Ce droit à la filiation maternelle qui avait été consacré par l'avis consultatif de 2019 s'analyse désormais comme un droit à la filiation du second membre du couple homosexuel, celui qui n'a pas de lien génétique avec l'enfant. Qu'il soit un homme ou femme est sans influence sur la résolution du litige, puisque celle-ci repose exclusivement sur l'intérêt de l'enfant né d'une GPA.
En ce qui concerne les modalités concrètes d'établissement du lien de filiation, la CEDH laisse aux États une large part d'autonomie. Elle précise en effet qu'elle sanctionne "l'impossibilité générale et absolue d'obtenir la reconnaissance du lien entre l'enfant et le premier requérant pendant un laps de temps significatif". Mais elle n'interdit pas à l'État d'imposer la procédure d'adoption, en écartant la transcription pure et simple de l'état civil établi à l'étranger.
Un droit français inchangé
La décision du 22 novembre 2022 met donc les couples homosexuels dans la même situation que les couples hétérosexuels, mais, à dire vrai, le problème spécifique du droit français demeure en l'état.
En effet, la Cour de cassation, dans trois décisions du 18 décembre 2019, avait fait preuve d'un remarquable libéralisme. Elle affirmait qu'une GPA conforme au droit de l'État où elle avait été réalisée ne faisait pas obstacle à la transcription sur les registres d'état civil français de l'acte de naissance, dans son intégralité. Cela signifiait que cet acte pouvait à la fois désigner le parent biologique et le parent d'intention. Surtout, la transcription devenait possible, écartant la solution peu satisfaisante de l'adoption simple. Cette jurisprudence libérale avait ensuite été confirmée dans deux arrêts du 4 novembre 2020.
Mais la loi du 2 août 2021, texte qui a été présenté par le gouvernement de l'époque comme très libéral parce qu'il autorisait l'accès des femmes, seules ou en couple, à l'assistance médicale à la préoccupation, cache d'autres dispositions moins libérales. Parmi celles-ci, une nouvelle rédaction de l'article 47 du code civil, qui précise désormais que la reconnaissance de la filiation est "appréciée au regard de la loi française". La presse n'a guère fait état de cette disposition qui semblait mineure. Elle n'a pas compris le sous-entendu : la reconnaissance de la filiation à l'étranger est appréciée au regard de la loi français, dans la mesure où elle interdit la GPA. En d'autres termes, cette loi a été utilisée pour faire échec à la jurisprudence libérale de la Cour de cassation, et revenir au statu quo ante. Pour les enfants issus d'une GPA, la transcription d'un acte d'état civil étranger se trouve de nouveau limitée au seul parent qui a donné ses gamètes, l'autre ne peut que recourir à la procédure d'adoption. Avec la décision de la CEDH du 22 novembre 2022, les couples homosexuels ont au moins la satisfaction d'apprendre qu'ils sont dans la même galère que les couples hétérosexuels.