L'obstination déraisonnable, pour vivre
La QPC déposée par Mme Zohra M. a été renvoyée par le juge des référés du Conseil d'État, statuant le 19 août 2022. Il était saisi par la famille d'un homme de quarante-quatre ans victime d'un grave accident de la route, qui l'a plongé dans un coma profond, avec absence totale d'activité cérébrale. L'équipe médicale s'était prononcée en faveur d'un arrêt des soins, dans les conditions prévues par la loi Léonetti-Claeys du 22 avril 2005 modifiée en 2016, c'est-à-dire lorsque ils "apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie". Il est apparu toutefois que le patient avait rédigé des directives anticipées. Contrairement à la plupart des personnes dans ce cas qui demandent que les soins soient interrompus lorsqu'ils relèvent d'une obstination déraisonnable à vouloir les maintenir en vie, l'auteur avait, au contraire, demandé que tout soit mis en oeuvre pour l'empêcher de mourir. Autrement dit, il réclamait l'obstination déraisonnable. Les médecins, eux, s'appuyaient sur l'alinéa 3, pour justifier leur décision de mettre fin aux soins, considérés comme "manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale".
Trio des Parques. Hippolyte et Aricie. Rameau
Opéra de Paris, juin 2012. Le Concert d'Astrée. Direction Emmanuelle Haïm
Une stratification de textes
La stratification normative, dans le domaine particulier de la fin de vie, suscite bien des incertitudes juridiques, tant il est vrai que l'articulation entre les différents textes n'a pas été pesée avec beaucoup de minutie. La loi de 2016 énonce que "les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement", formulation qui laisse penser qu'elles sont opposables à l'équipe médicale. Mais l'ordonnance du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé ajoute aujourd'hui qu'elle peut y déroger si ces directives sont "manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale", formulation qui laisse une large marge d'interprétation aux praticiens.
Le Conseil explicite ces dispositions et, à cet égard, la décision du 10 novembre 2022 se révèle très utile pour guider la mise en oeuvre des directives anticipées. Il fait ainsi observer que les dispositions législatives en cause doivent être appréciées au regard du principe de dignité de la personne humaine et de sa liberté, deux principes ayant évidemment valeur constitutionnelle. Or, c'est au législateur, et à lui seul, de déterminer les conditions dans lesquelles la poursuite ou l'arrêt des traitements d'une personne en fin de vie peuvent être décidés, dans le respect de ces exigences constitutionnelles. C'est ensuite aux équipes médicales d'appliquer la loi.
Des directives partagées ou concertées
Et précisément, le législateur a imposé une certaine souplesse dans la mise en oeuvre des directives anticipées, car il s'agit de garantir un traitement individualisé du dossier. Chaque personne en fin de vie est en effet titulaire du droit de "recevoir les soins les plus appropriés à son état", dans le respect de sa dignité. Le Conseil ajoute d'ailleurs qu'il est matériellement impossible d'appliquer les directives anticipées en toutes circonstances, car elles sont rédigées à un moment où leur auteur n'est pas encore confronté à la situation particulière de la fin de vie, moment où précisément il ne sera plus en mesure d'exprimer sa volonté. Enfin, il précise que la procédure mise en oeuvre est respectueuse des droits des personnes et notamment des proches qui sont entendus, et qui peuvent saisir le juge pour contester la décision de l'équipe médicale.
Était-il envisageable que le Conseil constitutionnel statue autrement ? Sans doute pas, car accepter une toute puissance des directives anticipées aurait conduit à mettre l'équipe médicale dans une position de soumission totale à l'égard de volontés plus ou moins réalistes, voire marquées par des dérives sectaires. Il est évidemment que ces directives peuvent parfois être "inappropriées" par rapport à l'état du patient, et que le droit doit alors offrir à la médecine une porte de sortie, dans une situation qui pourrait se révéler inextricable.
Alors que le débat actuel a tendance à se focaliser sur l'euthanasie, c'est-à-dire à mettre en avant le combat de ceux qui luttent pour mourir dans la dignité en évitant la déchéance de la maladie, la décision du 20 novembre 2022 met l'accent sur le combat de ceux qui revendiquent le droit de vivre, dans n'importe quelles conditions. A ce titre, elle offre une perspective englobante des directives anticipées.
Il n'en demeure pas moins que Conseil constitutionnel relativise la puissance de ces directives et affirme clairement
qu'une décision aussi grave que l'arrêt des soins ou au contraire leur
continuation ne saurait reposer sur cet unique fondement. Sans doute,
devrait-on évoquer avec davantage de précision des "directives
partagées" ou "concertées" ? En tout cas, il ne fait guère de doute que
la puissance des directives anticipées se trouve battue en brèche, au
point que certains pensent déjà que des personnes pourraient renoncer à en rédiger, en pensant qu'elles ne seront pas suivies. Mais ces craintes procédurales en cachent d'autres, moins ouvertement mises en lumière. La décision du 20 novembre 2022 interdit en effet d'utiliser ces directives
anticipées comme une sorte de veto, expression d'une
foi religieuse absolument opposée à tout acte de sédation profonde.
Dans certains milieux, la jurisprudence
Lambert demeure une blessure profonde et un combat toujours recommencé.
L'inviolabilité du corps humain : Chapitre 7 Section 2 du manuel sur internet
Comme d'habitude empilement de textes, effroi de la puissance publique à l'idée de laisser la liberté individuelle s'exprimer et nécessité de nourrir la machine à recours judiciaire et administrative pour le plus grand bénéfice des avocats s'allient contre les libertés.
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