Les représentants des cultes viennent de subir une sévère défaite devant le Conseil constitutionnel. Dans une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité le 22 juillet 2022, il déclare en effet conformes à la constitution les dispositions de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République dite "loi séparatisme".
L'Union des associations diocésaines de France ainsi que des représentants des cultes protestant et orthodoxe ont en effet contesté la nouvelle rédaction des articles 19-1 et 19-2 de la célèbre loi de Séparation du 9 décembre 1905. Ces dispositions portent sur les nouvelles contraintes imposées aux associations cultuelles, en échange de l'obtention de divers avantages. C'est ainsi qu'elles doivent désormais déclarer leur qualité "cultuelle" tous les cinq ans au préfet et celui-ci a deux mois pour s'y opposer. L'objet de cette réglementation est de permettre à l'administration de vérifier que le groupement est éligible aux avantages qui sont ceux des associations cultuelles. Ils sont d'ordre fiscal, mais aussi patrimonial avec la possibilité de percevoir des dons et legs, le produit des quêtes, ou des rétributions pour certaines cérémonies. De même peuvent-elle posséder et administrer librement les immeubles dont elles sont propriétaires.
Pour les associations requérantes, cette nouvelle rédaction emporte une double atteinte, à la liberté de culte d'une part, à la liberté d'association d'autre part. Le Conseil constitutionnel écarte toutefois les deux moyens, avec une certaine sécheresse.
La liberté de culte
L'avocat des groupements estimait que ce délai de deux mois donné au préfet pour s'opposer à la déclaration d'une association cultuelle s'analysait comme une atteinte à la liberté de culte. A ses yeux, il mettait en place un régime d'autorisation préalable à son exercice.
L'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 énonce en effet que "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi". De cet article 10, le Conseil constitutionnel déduit que le principe de laïcité impose à la République de garantir le libre exercice des cultes, principe rappelé dans la décision QPC du 29 mars 2018, M. Rouchdi B. et autres.
L'invocation de la liberté de culte permet toujours un joli effet dans le prétoire. Hélas, le moyen n'est pas pertinent en l'espèce. La liberté de culte n'est en effet pas directement concernée par les nouvelles procédures imposées aux associations cultuelles. Le Conseil l'affirme en ces termes : "Les dispositions contestées ont pour seul objet d'instituer une obligation déclarative en vue de permettre au représentant de l'État de s'assurer que les associations sont éligibles aux avantages propres aux associations cultuelles. Elles n'ont ni pour objet ni pour effet d'emporter la reconnaissance d'un culte par la République ou de faire obstacle au libre exercice du culte, dans le cadre d'une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ou par voie de réunions tenues sur initiatives individuelles". Autrement dit, rien n'interdit de célébrer un culte sans constituer une association cultuelle, en s'organisant sous la forme d'une association ordinaire de la loi de 1901, voire en se réunissant sans constituer d'association. La création d'une association cultuelle conditionne le bénéfice d'avantages fiscaux et patrimoniaux. Elle ne soumet l'exercice du culte à aucune autorisation.
La Cour européenne des droits de l'homme ne raisonne pas autrement, lorsqu'elle affirme, par exemple dans l'arrêt du 13 décembre 2001 Église métropolitaine de Bessarabie c. Moldavie, l'existence d'un véritable droit des communautés religieuses de s'organiser juridiquement, afin de pouvoir recevoir des dons, gérer des biens ou ester en justice. L'association cultuelle est l'instrument de cette organisation en France, et elle fait l'objet d'un contrôle étatique depuis la loi du 2 janvier 1907 qui prévoyait déjà l'examen de son compte annuel.
Un drôle de paroissien. Jean-Pierre Mocky. 1963
La liberté d'association
Le second moyen développé par les groupements requérants, peut-être un peu plus crédible, réside dans l'atteinte à la liberté d'association. Il est plus sérieux parce que cette atteinte n'est pas contestée et que la question posée devient celle de sa proportionnalité par rapport aux buts poursuivis.
La loi séparatisme impose en effet aux associations cultuelles des contraintes nettement plus lourdes que celles figurant dans l'ancien texte de 1907. Elles doivent ainsi présenter leur budget prévisionnel sur simple demande du préfet, établir une comptabilité analytique distinguant clairement les activités cultuelles et les autres, certifier les comptes en cas de recours à des financements étrangers dont le montant s'élève au-delà d'un seuil fixé par décret etc.
Nul n'ignore que la liberté d'association a valeur constitutionnelle depuis que le Conseil, dans sa grande décision du 16 juillet 1971 l'a érigée en principe fondamental reconnu par les lois de la République. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'elle soit absolue. Comme toute liberté, elle s'exerce dans le cadre des lois qui la réglementent. Et la loi séparatisme la réglemente en imposant quelques contraintes de transparence financière aux associations cultuelles. Le Conseil constate donc que la déclaration imposée aux associations cultuelle a pour finalité de leur permettre de bénéficier de certains avantages, mais n'a précisément pas pour finalité d'encadrer les conditions dans lesquelles elles se constituent et exercent leurs activités. De fait, l'atteinte à la liberté d'association est proportionnée aux finalités poursuivies, dans la mesure où l'essentiel de cette liberté demeure sauvegardé. L'association se constitue toujours librement et exerce également son activité librement.
Le Conseil, dans une réserve d'interprétation, prend la peine d'indiquer au législateur l'atteinte à la liberté d'association qui pourrait être jugée disproportionnée. Tel serait le cas si le retrait des bénéfices de l'association cultuelle par le préfet s'accompagnait d'une exigence de restitution des avantages perçus avant la perte de la qualité cultuelle. Dans ce cas en effet, la liberté d'association pourrait être atteinte dans son essence même, le groupement se voyant empêché de fait d'exercer son activité.
Les représentants des cultes, grâce à cette QPC, ont donné l'occasion au Conseil constitutionnel de conforter la loi du 24 août 2021. Elle n'est pas
présentée comme imposant des contraintes, mais, au contraire, comme un
instrument incitatif. L'association cultuelle devient en effet attractive,
dans la mesure où elle permet de recevoir des dons et legs, à la
condition toutefois qu'ils soient transparents et que ces sources de
financement puissent être connues de l'État. L'objet de la loi est
évidemment d'inciter l'islam de France à recourir à la formule de
l'association cultuelle, de manière à bénéficier des mêmes avantages que les autres mouvements religieux. Il s'agit aussi, évidemment, d'engager avec l'islam une sorte de dialogue de gestion avec des interlocuteurs attachés aux principes républicains. Considérée sous cet angle, la QPC introduite par les mouvements catholiques, protestants et orthodoxes s'analyse comme une tentative un peu désespérée de conserver un statut dont l'islam ne bénéficie pas. A moins qu'il s'agisse de pérenniser un système d'opacité financière ? Mais cela, personne ne peut le croire.
Sur le financement des cultes : Chapitre 10 Section 2 du Manuel