Le 1er janvier 2022 marque un changement notable dans le paysage de la régulation numérique et audiovisuelle. La fusion entre la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) est désormais consommée. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) prend ses fonctions, conformément aux dispositions de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique (loi "RPAOCEN"). La première décision rendue par l'Arcom est datée précisément du 1er janvier, et elle concerne l'organisation de ses services.
Changement de terminologie, fusion des autorités, la réforme ne s'analyse pourtant pas comme un véritable bouleversement. Elle était nécessaire, car le droit français datait, reposant sur une distinction aujourd'hui dépassée entre la radio-télévision et internet. Aujourd'hui, les entreprises du secteur audiovisuel sont actives sur tous ces vecteurs, et la télévision à l'ancienne semble, à terme, plus ou moins condamnée, remplacée par des services de diffusion en ligne.
Hadopi, revu et corrigé
Dès mai 2013, le rapport Lescure mettait en évidence les limites du système Hadopi. Trois ans après l'entrée en vigueur de la la loi Hadopi du 12 juin 2009, le résultat était déjà décevant. La riposte graduée destinée à sanctionner les téléchargements illicites n'a pas réellement fonctionné. On se souvient qu'à la première infraction, l'internaute recevait un simple rappel à la loi par lettre simple. A la deuxième infraction intervenue dans les six mois suivant la première, le rappel à la loi avait lieu par lettre recommandée. Enfin, la troisième infraction, si elle intervenait dans l'année suivant la seconde, pouvait donner lieu à saisine du juge en vue de la condamnation de l'internaute à une amende de 1500 €.
Les internautes, peu dissuadés par le faible nombre de condamnations, ont appris à masquer leur adresse IP ou à utiliser des techniques de cryptage pour ne pas être repérés. Le rapport annuel de la Hadopi pour 2019 reconnaissait ainsi que, depuis sa création, les amendes prononcées avaient rapporté 87 000 €, alors que le coût de fonctionnement de l'autorité indépendantes était proches de 82 millions d'euros.
Certes, la rentabilité n'est pas nécessairement le seul critère d'évaluation de la réussite de l'autorité indépendante. Il n'en demeure pas moins que le gouffre financier que représentait Hadopi n'est certainement pas sans lien avec sa disparition.
Force est de constater pourtant que la loi du 25 octobre 2021 ne supprime pas la riposte graduée, pourtant très contestée. La procédure n'est modifiée qu'à la marge, avec la possibilité pour une personne victime de ces téléchargements illégaux de saisir directement l'Arcom d'une demande d'intervention, possibilité qui, auparavant, n'était ouverte qu'aux organismes de gestion collective.
La loi prévoit deux procédures nouvelles destinées à lutter contre les atteintes à la propriété intellectuelle. Le premier, figurant dans l'article L 331-25 du code de la propriété intellectuelle, prévoit une "liste noire" susceptible d'être rendue publique par l'Arcom. Elle devrait lister les sites portant atteinte "de manière grave et répétée" aux droits d'auteur, à partir des infractions connues. Cette liste pourra, éventuellement, être utilisée à l'appui d'une action judiciaire des victimes. La seconde procédure nouvelle, figurant dans l'article L 331-27 du code de la propriété intellectuelle, permet à l'Arcom d'exiger de tout service de communication au public en ligne l'interdiction d'accès à un site miroir reprenant le contenu d'un service déjà condamné. Là encore, l'Arcom pourra être saisie à cette fin par les victimes.
Ces deux procédures sont loin d'être sans intérêt. Elles devront toutefois faire l'objet d'une évaluation, car les sites portant atteinte à la propriété intellectuelle sont bien souvent domiciliés à l'étranger, dans des paradis des données, c'est-à-dire des États dont le droit ne prévoit aucune sanction pour ce type de pratiques. Les injonctions de l'Arcom risquent alors de ressembler fort à un coup d'épée dans l'eau.
Comment te dire adieu ? Françoise Hardy
Archives de l'INA. 1969
L'Arcom, ou le CSA revisité
Pour ce qui est de l'audiovisuel, la loi du 25 octobre 2021 ne modifie pas sensiblement la situation antérieure. Les pouvoirs de régulation audiovisuelle qui étaient ceux du CSA sont simplement transférés à l'Arcom, avec évidemment un élargissement de ses compétences à l'ensemble du secteur de communication au public par voie électronique. De fait, l'Arcom pourra agir à l'encontre des chaînes de télévision ou de radio, mais aussi à l'encontre des plateformes comme Netflix ou Disney. Le défi sera alors pour l'Arcom de réguler ces services, notamment pour leur imposer le système de financement de la création française ou européenne. Là encore, l'enjeu est de taille puisqu'il s'agit d'imposer à des multinationales américaines le respect du droit français.
Pour le reste, l'Arcom conserve toutes les compétences du CSA, notamment, et ce n'est pas négligeable dans la période actuelle, la surveillance du respect du pluralisme des courants d'opinion dans le cadre de la campagne électorale. Jusqu'à présent, le CSA n'est guère parvenu à formuler des règles claires dans ce domaine, et il faut bien reconnaître que la concentration économique qui caractérise le paysage audiovisuel actuel risque de constituer un obstacle important dans ce domaine.
La mission de régulation, aussi bien de l'audiovisuel que de l'internet, est donc désormais confiée à l'Arcom, qui ressemble étrangement au CSA. Initialement fixé à 9 membres, le collège du CSA était passé à 7 membres avec la loi du 15 novembre 2013 sur l'indépendance de l'audiovisuel public. Aujourd'hui, le collège de l'Arcom compte de nouveau 9 membres, soit 3 désignés par le président du Sénat, 3 désignés par le président de l'Assemblée nationale et 3 désignés par le Président de la République, tous pour un mandat de six ans.
De manière très concrète, la succession des deux autorités a été réalisée sans complication inutile. L'Arcom est composée de sept membres issus du CSA auxquels il faut ajouter deux anciens membres de Hadopi, dont son ancien président. Les mandats ne sont donc pas interrompus par la création de l'Arcom. Roch-Olivier Maistre, ancien président du CSA, devient ainsi, sans autre formalité, président de l'Arcom.