« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 11 novembre 2021

La loi de vigilance sanitaire se heurte à celle du Conseil constitutionnel


Le Conseil constitutionnel s'est prononcé, dans une décision du 9 novembre 2021, sur la loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire. La presse a surtout mis l'accent sur la prorogation du passe sanitaire, question qui a mobilisé l'opinion publique durant le débat parlementaire. Cette prorogation a été déclarée conforme à la Constitution. Mais la loi n'est tout de même pas sortie intacte du Conseil constitutionnel, et les parlementaires requérants ont obtenu une satisfaction non négligeable avec la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions permettant aux chefs d'établissements scolaires d'avoir accès au statut virologique des élèves.

 

La prorogation du passe sanitaire

 

Les parlementaires auteurs de la saisine contestaient ainsi les articles 1er, 2 et 6 du texte qui prorogent jusqu'au 31 juillet 2022 l'applicabilité du régime juridique de l'état d'urgence sanitaire, la période durant laquelle le Premier ministre peut prendre des mesures en se fondant sur la loi de sortie de l'état d'urgence sanitaire, et enfin l'application Stop Covid. Au coeur de la discussion, se trouvait évidemment la prorogation du passe sanitaire, dispositif élaboré dans la loi de sortie de l'état d'urgence.

Le Conseil estime que les dispositions contestées "opèrent une conciliation équilibrée" entre l'objectif constitutionnel de protection de la santé et les libertés. Pouvait-il en décider autrement ? Sans doute pas, car l'appréciation de la situation sanitaire incombe au législateur, et le Conseil n'exerce sur ce point qu'un contrôle de l'erreur manifeste. La remontée actuelle de l'épidémie démontre qu'il n'est pas absurde d'envisager des mesures restrictives des libertés et le Conseil prendrait un gros risque en empêchant l'intervention du gouvernement, alors que les travaux parlementaires seront largement interrompus au printemps 2022, en raison des élections présidentielles en avril, puis des législatives en juin. On imagine mal une situation où personne ne pourrait prendre les mesures nécessitées par la situation sanitaire.

 



Les enfants s'ennuient le dimanche. Charles Trenet. 1939

 

L'accès au statut virologique des élèves

 

Le Conseil donne tout de même une satisfaction de taille aux requérants. Il déclare non conforme à la Constitution la disposition qui permettait aux directeurs des établissements scolaires, jusqu'à la fin de l'année scolaire en cours, d'avoir accès aux informations sur le statut virologique des élèves, leurs contacts avec des personnes contaminées et leur statut vaccinal.

Sur ce point, le Conseil sanctionne surtout une disposition très mal écrite.  La finalité affirmée par le législateur était la protection de la santé par la mise en oeuvre de protocoles sanitaires dans les établissements scolaires. En soi, elle n'a rien d'illicite, mais le problème réside dans les mesures envisagées par rapport à cette finalité. Pour établir un protocole sanitaire, il est sans doute utile de connaître le statut vaccinal et virologique des élèves, mais la constitution d'un fichier contenant des données de santé demeure soumis au principe du consentement éclairé des élèves intéressés, ou de leurs représentants légaux s'ils sont mineurs.

Les données de santé relèvent en effet de la vie privée, que le Conseil constitutionnel a considéré comme une "liberté individuelle" susceptible d'être protégée au titre de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dans sa décision du 22 mars 2012, il précise même que "par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif". Certes, le Conseil ne cite pas le Règlement général de protection des données, mais il n'en demeure pas que ce principe du consentement à la conservation et à la diffusion des données personnelles constitue le socle de la protection des données en droit européen. Pour le Conseil, une mise en oeuvre "adéquate" est précisément celle qui est conforme à ce principe.

Mais ce n'est pas le seul grief énoncé par le Conseil constitutionnel à l'encontre de cette disposition. Il reproche au législateur d'avoir porté atteinte au secret médical. Certes, ce dernier n'a rien d'absolu et l'article L 1110-4 al 3 du Code de la santé publique autorise le partage d'informations concernant un patient au sein d'une équipe médicale. Cette pratique était d'ailleurs considérée comme licite par le Conseil d'État dès un arrêt Crochette du 11 février 1972, intégré ensuite dans une circulaire du 20 avril 1973. Elle énonce que "l'obligation de secret professionnel lie nécessairement tous les auxiliaires du médecin qui sont ses confidents indispensables. Le secret est alors partagé entre ces diverses personnes et prend le caractère collectif".  

Précisément, le secret médical ne peut être partagé qu'entre l'équipe médicale et ses "confidents indispensables". Or le législateur de 2021 ne prend pas la peine de dire que les directeurs des établissements scolaires sont des "confidents indispensables". Pire, il autorise l'accès à ces données par des "personnes qu'ils habilitent spécialement à cet effet". Autrement dit, le directeur aurait pu donner accès à ces données à toutes les personnes employées au sein de l'établissement. 

Cette disposition est ainsi l'exemple même du texte mal rédigé. Imaginons un instant qu'une procédure de recueil des consentements ait été organisée et que les données n'aient été accessibles qu'au médecin scolaire. La constitutionnalité de la disposition devenait tout-à-fait probable. 


Les ordonnances de l'article 38 

 

Pour faire bonne mesure, le Conseil constitutionnel profite de l'occasion qui lui est donnée pour rappeler à l'ordre le gouvernement dans son recours aux ordonnances de l'article 38. Il résulte de ces dispositions que seul le gouvernement peut demander au parlement l'autorisation de prendre des ordonnances. Or, en l'espèce, la procédure se ramène à un gigantesque cafouillage. Le gouvernement avait demandé deux habilitations. La première, dans le projet initial portait sur les indemnités versées par l'employeur en cas d'arrêt de travail. La seconde, introduite par amendement gouvernemental, "pour limiter les fins et les ruptures de contrats de travail, atténuer les effets de la baisse d'activité et favoriser la reprise d'activité (...)". 

Ces deux demandes d'habilitation ont ensuite été supprimées par le Sénat, et la Commission mixte paritaire a été un échec. Le texte est donc revenu à l'Assemblée nationale et ces deux demandes d'habilitation ont été réintroduites, non pas par le gouvernement, mais par un amendement déposé par un député LaRem. Hélas, il n'avait sans doute pas lu l'article 38 et le Conseil sanctionne donc ces dispositions, puisque la demande d'habilitation n'était pas le fait du gouvernement. Une telle décision était pourtant probable, si l'on considère que, dans une décision du 1er juillet 2021 portant sur le règlement du Sénat, le Conseil avait validé une modification énonçant que "les amendements présentés par les sénateurs ne sont pas recevables s’ils tendent à autoriser le gouvernement à prendre par ordonnances des mesures qui sont normalement du domaine de la loi, à rétablir ou à étendre une telle autorisation". Cette décision aurait dû être analysée comme un avertissement, mais les députés LaRem ont-ils connaissance de la jurisprudence du Conseil ? 

La décision du 9 novembre 2021 ne doit sans doute pas donner lieu à de grands débats sur le passe sanitaire et le secret médical. La seule chose certaine est qu'elle sanctionne une certaine forme d'amateurisme bien surprenante à la fin d'une législature.

Sur l'urgence sanitaire : Chapitre 2 section 2 § 2 du Manuel

dimanche 7 novembre 2021

Les anti-chasse bredouilles devant le Conseil constitutionnel



Pour le lobby des chasseurs, les semaines se suivent et ne se ressemblent pas. Dans une décision du 25 octobre 2021, les nouveaux arrêtés obtenus pour autoriser les chasses dites "traditionnelles" aux oiseaux ont subi une humiliante annulation par le Conseil d'État. En revanche, le Conseil constitutionnel offre au lobby une belle victoire dans sa décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 4 novembre 2021. Il déclare conformes à la Constitution les dispositions de la loi du 24 juillet 2019 rendant impossible la constitution d'associations de propriétaires désireux d'interdire la chasse sur leurs terres, lorsqu'une association communale de chasse agréée (ACCA) existe déjà sur le territoire de la commune (art. 422-18 du code de l'environnement).

 

Le droit d'opposition à l'inclusion de terres dans une ACCA


La QPC a été posée par une "association de chasse des propriétaires libres" qui entendait user de son droit d'opposition à l'inclusion de terrains dans le territoire d'une ACCA. Ce droit, issu de la loi du 26 juillet 2000 offre une sorte de clause de conscience aux propriétaires. Lorsqu'ils ont clairement manifesté leur opposition à la chasse par conviction personnelle, leurs terrains peuvent ne pas être intégrés dans le territoire de l'association communale de chasse agréée (ACCA), quelle que soit leur superficie. C'est donc un véritable droit de refuser la chasse qui est établi, figurant dans l'article L 422-10 du code de l'environnement.

Ce droit a été imposé par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Elle a en effet été saisie de la loi Verdeille du 10 juillet 1964 qui contraignait les propriétaires de terrains dont la superficie est inférieure à vingt hectares, à adhérer à une ACCA. Et précisément, dans une décision Chassagnou et autres c. France du 29 avril 1999, la Cour a sanctionné une double atteinte à la liberté d'association et au droit de propriété, respectivement garantis par l'article 11 de la Convention et l'article 1 du Protocole n°1

Pour la liberté d'association comme pour le droit de propriété, elle a estimé que les contraintes imposées aux propriétaires de terrains étaient disproportionnées par rapport aux objectifs d'intérêt général poursuivis par le législateur. Cette disproportion est particulièrement évidente, lorsque les intéressés refusent d'adhérer à une ACCA pour des motifs liés à leurs convictions personnelles, c'est à dire lorsqu'ils sont hostiles à la chasse et veulent faire de leurs terres un sanctuaire pour les animaux. L'année suivante, la loi du 26 juillet 2000 mettait le droit français en conformité avec le droit européen.

 

La loi du 24 juillet 2019, fruit d'un lobbying efficace

 

Mais le lobby des chasseurs est reparti au combat et, comme à chaque fois dans le présent quinquennat, il a été entendu. Lui donner satisfaction n'était pas simple, car il fallait à la fois maintenir le droit de soustraire ses terrains à la pratique de la chasse afin de respecter la jurisprudence de la CEDH, tout en vidant ce droit de son contenu. C'est chose faite depuis la loi du 24 juillet 2019. Si le retrait d'un propriétaire qui possède un terrain supérieur à 20 hectares demeure possible, il devient beaucoup plus difficile à des petits propriétaires de se réunir en association mettant en commun leur territoire pour précisément retirer leurs terres de l'ACCA. La loi précise en effet que ce recours au mode associatif ne peut exister que lorsque l'association des opposants à la chasse a été créée antérieurement à l'ACCA. Or toutes les communes rurales ont une ACCA anciennement créée, ce qui signifie que l'association des propriétaires opposés à la chasse ne peut jamais être constituée. La manoeuvre était visible, et les opposants à la chasse ont engagé divers contentieux.

 


 Le lapin. Chantal Goya

Jean Jacques Debout, le chasseur. Carlos, le lapin.

Archives de l'INA, 1978


La CEDH : une affaire en cours


C'est même à propos de cette législation que le Conseil d'État, dans une décision du 15 avril 2021 a fait pour la première fois usage de la faculté offerte aux "hautes juridictions nationales" par le Protocole n° 16 à la Convention de demander à la CEDH un avis consultatif sur "des questions de principes relatives à l'interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la Convention pour ses protocoles". La CEDH a accepté la demande d'avis consultatif le 2 juin 2021 et le pronostic n'est pas excellent, ni pour les chasseurs, ni pour le gouvernement qui défend la disposition législative contestée. En effet, admettre que la loi peut empêcher la création d'associations de propriétaires opposés à la chasse revient à opérer un revirement par rapport à la jurisprudence Chassagnou

La seule possibilité d'y déroger serait de s'appuyer sur la décision Chabauty c. France du 4 octobre 2012, La Cour avait alors affirmé que la loi Verdeille poursuivait un objectif d'intérêt général, en évitant le morcellement d'espaces très étendus par le retrait de petites entités. Elle avait donc admis que la loi limite le droit de retrait aux propriétaires de terrains représentant une superficie vaste d'un seul tenant (20 hectares, aux termes de l'article L 422-13 du code de l'environnement). Mais cette décision repose largement sur la spécificité des faits de l'espèce. Le requérant n'invoquait en effet aucune clause de conscience, étant lui-même chasseur. Son seul but était de conserver le contrôle entier de ses terres, afin de les louer à d'autres chasseurs, opération plus lucrative que l'adhésion à une ACCA. Il recherchait le plus grand profit, et la Cour européenne a sans doute ressenti quelque répugnance à l'idée de donner satisfaction à une revendication invoquant le principe de non-discrimination pour faire prévaloir, non sans cynisme, un intérêt individuel purement financier.

Quoi qu'il en soit, cette demande d'avis est toujours pendante devant la CEDH. La QPC du 4 novembre 2021 offre ainsi au Conseil constitutionnel l'occasion de préempter le contrôle de la loi de 2019. Il fait prévaloir le point de vue des chasseurs, en écartant, sans trop de motivation, les moyens tirés des atteintes à la liberté d'association et au droit de propriété.

 

Principe d'égalité et liberté d'association 

 

L'association requérante invoque une éventuelle discrimination, articulée à une atteinte à la liberté d'association. En effet, Si les grands propriétaires terriens peuvent se retirer d'une ACCA, les petits ne peuvent en faire autant. Les nouvelles dispositions issues de la loi de 2019 leur interdisent en effet de se constituer en association pour tenter de répondre aux conditions posées par la loi.

Le Conseil reconnait que les dispositions contestées "privent du droit de se retirer de l'association communale les associations de propriétaires constituées après la création de celle-ci, même lorsque les terrains qu'elles regroupent atteignent cette superficie minimale". Il reconnaît également "une différence de traitement entre, d'une part, ces associations et, d'autre part, les propriétaires et associations de propriétaires dont l'existence était reconnue avant la création de l'association communale". Avec une telle formulation, on ne peut que s'attendre à une déclaration d'inconstitutionnalité.

Mais il n'en est rien. Le Conseil estime que cette atteinte à la liberté d'association est proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur. Il s'agit en effet de "prévenir le morcellement et le rétrécissement des territoires de chasse des associations communales et assurer ainsi la stabilité et la viabilité de ces territoires". La liberté d'association est ainsi sacrifiée sur l'autel de la chasse. Les associations de propriétaires opposants à la chasse sont tout simplement privées de toute efficacité. Le Conseil constitutionnel a décidément une bien singulière manière de célébrer le cinquantième anniversaire de la célèbre décision du 16 juillet 1971, celle qui précisément a érigé la liberté d'association en principe fondamental de la République, et l'a ainsi érigée au niveau constitutionnel.

 

Le droit de propriété

 

Le droit de propriété est traité exactement de la même manière. Le Conseil constitutionnel, se fondant sur les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, déclarait pourtant, dans sa décision du 16 janvier 1982 que ces dispositions avaient "pleine valeur constitutionnelle (...) en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont al conservation constitue l'un des buts de la société politique".

La formule est belle, mais nul n'ignore que le droit de propriété fait l'objet, de la part du législateur, de nombreuses atteintes. Dans une QPC du 12 novembre 2010, le Conseil encadrait cependant ces atteintes, en précisant qu'elles ne peuvent intervenir que si deux conditions sont réunies. D'une part, elles ne doivent pas conduire à une privation totale du droit de propriété. D'autre part, elles doivent être "justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi". 

Qu'en est-il dans le cas des opposants à la chasse ? La loi ne prévoit certes pas la confiscation de leur propriété, même s'ils se voient privés d'un attribut essentiel de leur  droit. L'usus, c'est-à-dire le droit de jouir de leur propriété comme ils l'entendent, leur est toutefois purement et simplement refusé. En l'état actuel du droit, les petits propriétaires terrains sont dans l'incapacité de sortir leur terrain de l'ACCA et le droit de chasse demeure géré par l'ACCA, dès lors qu'elle a été créée antérieurement à l'association des opposants. Mais, de nouveau, le Conseil considère qu'une telle atteinte au droit de propriété est propriété à la finalité d'intérêt général, qui est de ne pas morceler le territoire de chasse.

Toute l'analyse du Conseil constitutionnel repose ainsi sur une étrange confusion entre l'intérêt général et l'intérêt particulier des chasseurs. La seule finalité justifiant la législation contestée réside en effet dans la nécessité d'assurer à ces dernier "un territoire de chasse stable et viable". Mais en quoi l'intérêt des chasseurs est-il plus légitime que l'intérêt des promeneurs et randonneurs qui aimeraient, eux aussi, pratiquer leur sport favori ? Hélas, ils s'en voient privés pendant toute la période de la chasse, mais le législateur n'en a cure, sans doute parce que ces promeneurs ne songent pas à se constituer en lobby. De manière plus générale, la décision du Conseil témoigne ainsi d'une évolution inquiétante, comme s'il était normal que les lobbies définissent le contenu de l'intérêt général. 

Certes, l'affaire n'est pas terminée et il reste à attendre la réponse de la CEDH à la demande d'avis formulée par le Conseil d'État. Le risque d'une déclaration de non conformité à la Convention européenne n'est pas négligeable, mais la jurisprudence actuelle affirme très clairement la supériorité de la Constitution. L'éventuel conflit entre les juges devrait donc conforter la victoire des chasseurs.



Sur le droit de propriété : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 6

mercredi 3 novembre 2021

Il faut sauver le soldat Sarkozy


Convoqué comme témoin devant la 32e Chambre du tribunal correctionnel de Paris au procès des sondages de l'Elysée, l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy a refusé de répondre aux trente-six questions qui lui ont été posées. A l'appui de son refus, il a invoqué "les constitutionnalistes", selon lui unanimes, pour affirmer que sa comparution viole la Constitution. En réalité, l'ancien Président a sans doute lu la tribune publiée dans Le Monde par le professeur Olivier Beaud et l'avocat Daniel Soulez-Larivière. En revanche, il n'a sans doute pas pris connaissance l'autre article figurant sur la même page, signé celui-là par le professeur Julien Jeanneney. D'autres constitutionnalistes se sont d'ailleurs exprimés dans d'autres journaux ou revues juridiques, prenant une position nettement plus nuancée que celle mise en avant par des auteurs toujours prompts à dénoncer l'intolérable intrusion des juges dans les activités des politiques.

C'est vrai que l'ancien Président de la République a été cité dans bon nombre d'affaires depuis 2012, date à laquelle s'est achevé son quinquennat. Mais c'est la première fois qu'il est convoqué pour témoigner dans une affaire qui s'est déroulée durant ses fonctions présidentielles et qui touche ses principaux collaborateurs de l'époque. Ces derniers ont sans doute apprécié à sa juste valeur un silence qui, à leurs yeux, ne saurait remplacer un témoignage qui aurait pu être à décharge.

A la place, l'ancien Président a infligé aux juges un cours de droit constitutionnel sommaire, et même très sommaire. Il repose sur une assimilation pure et simple entre irresponsabilité et inviolabilité.

 

Irresponsabilité, inviolabilité, immunité

 

L'article 67 de la Constitution affirme que "le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité". Les seules exceptions à ce principe sont l'éventuelle compétence de la Cour pénale internationale (art. 53-2) ou la tout aussi éventuelle destitution du président par la Haute Cour pour "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat" (art. 68). De fait, durant son mandat, le Président ne peut "durant son mandat" et devant aucune juridiction être requis de témoigner, non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite". Ce même article 67 ajoute que durant ce mandat "tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu". Enfin, un dernier alinéa clôt l'article 67 en ces termes :  "Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions".

Le texte même de la Constitution  affirme ainsi que le principe d'irresponsabilité a pour fonction de sanctuariser la fonction présidentielle durant la durée du mandat. Il s'accompagne logiquement d'une inviolabilité qui s'analyse comme un simple privilège de juridiction. En effet, le Président en exercice peut être mis en cause devant la Haute Cour s'il a commis un acte grave constituant un manquement aux devoirs de sa fonction. La rédaction de l'article 67 montre clairement que ce privilège de juridiction n'a qu'un temps, puisque le délai de prescription est simplement suspendu. En effet, si le Président bénéficiait d'une inviolabilité "à vie", la prescription serait purement et simplement supprimée. De même est-il précisé que les procédures auxquelles il est fait obstacle peuvent être engagées ou reprises un mois après la cessation de ses fonctions. 

De toute évidence, la Constitution opère une distinction. Si l'irresponsabilité du Président s'étend à tous les actes commis durant ses fonctions, le privilège de juridiction prend fin avec la fin de celles-ci. Dans la mesure où Nicolas Sarkozy n'est pas lui-même poursuivi dans l'affaire des sondages, rien ne s'oppose donc à ce qu'il soit entendu comme témoin.

Cette confusion entre irresponsabilité et inviolabilité est sans doute le fruit d'une pratique aussi constante qu'erronée, qui consiste à utiliser le terme très englobant d'"immunité" présidentielle. C'est d'ailleurs celui employé dans l'article du Monde, qui présente la comparution de Nicolas Sarkozy comme "une claire violation de l'immunité présidentielle". De la part de constitutionnalistes, l'emploi de ce terme peut sembler étrange, car il ne figure pas dans la Constitution de 1958. En réalité, cette prétendue immunité n'est rien d'autre qu'un privilège de juridiction.



Des précédents peu convaincants


Quant aux précédents invoqués par ceux qui veulent protéger Nicolas Sarkozy, ils ne sont guère convaincants. Ainsi affirment-ils, et ils ont raison, que des magistrats se sont vu interdire de perquisitionner à l'Elysée, en 2007, dans le cadre de l'instruction ouverte à la suite de l'assassinat du juge Borrel, en 1995, à Djibouti. Ils ont également raison lorsqu'ils affirment que le statut pénal du chef de l'État a été invoqué pour leur refuser l'entrée à l'Elysée. 

En revanche, la suite de l'analyse laisse songeur. Pour nos auteurs, le fait que l'Elysée ait opposé le statut pénal du Président rend immédiatement la perquisition inconstitutionnelle. Doit-on leur rappeler que personne n'en a jugé ainsi, et qu'il demeure tout à fait possible que ce refus soit, lui aussi, inconstitutionnel ? En effet, les juges n'allaient pas perquisitionner dans le bureau du Président mais à la cellule "Afrique" de l'Elysée. Et depuis 2007, la Cour de cassation a été saisie de cette question, précisément à propos de l'affaire des sondages. Dans un arrêt du 19 décembre 2012, elle estime ainsi que "aucune disposition constitutionnelle, légale ou conventionnelle, ne prévoit l'immunité ou l'irresponsabilité pénale des membres du cabinet du Président de la République". Autant dire que le précédent de 2007 relève de l'histoire du droit. 

De même est-il affirmé que François Hollande a violé la Constitution, comme d'ailleurs le juge qui l'a convoqué, lorsqu'il a été auditionné, en janvier 2019, dans l'enquête portant sur l'assassinat de deux journalistes au Mali. En s'efforçant de suivre l'analyse, on comprend que lorsque l'Elysée barricade sa porte contre une perquisition, il applique la constitution. En revanche, quand un Président respectueux de la justice répond à sa convocation, il viole la constitution. Bref, si on résume, la pratique de l'un est nécessairement constitutionnelle, alors que la pratique de l'autre est nécessairement inconstitutionnelle. Mais qui en a jugé ainsi ? Aucun juge, aucune décision du Conseil constitutionnel n'est intervenue en ce sens. Le raisonnement repose uniquement sur la conviction des auteurs.

 

Il faut sauver le soldat Sarkozy

 

On l'aura compris. Il faut sauver le soldat Sarkozy. Mais a-t-on oublié qu'il s'est porté partie civile, durant son mandat, notamment dans un affaire de piratage de son compte bancaire en 2008 ? A l'époque, le tribunal correctionnel de Nanterre avait déclaré recevable sa constitution de partie civile, mais sursis à statuer sur la demande de dommages et intérêts, renvoyant sa décision à l'issue du mandat présidentiel. Dans un arrêt du 15 juin 2012, la Cour de cassation avait refusé cette analyse et confirmé la décision du juge d'appel qui avait accordé un euro de dommages et intérêts à Nicolas Sarkozy. Elle avait alors jugé que "en sa qualité de victime", le Président de la République était recevable à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat. Qu'en pensent ses défenseurs d'aujourd'hui ? Le Président de la République jouirait donc d'une totale immunité lorsqu'il lui est demandé de témoigner et, à l'inverse, il redeviendrait un justiciable comme les autres lorsqu'il est accusateur ? Ne voient-ils pas l'atteinte au principe d'égalité devant la loi qu'entraine cette instrumentalisation de la justice au profit d'un ancien Président ?




dimanche 31 octobre 2021

Les Invités de LLC : Ernest Renan. Souvenir d'enfance et de jeunesse

 

A l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations seront purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.

 

 Ernest RENAN

SOUVENIRS D'ENFANCE ET DE JEUNESSE

Edition de Jean Pommier

Folio Classique

Préface, p. 7

 

 


 

Le but du monde est le développement de l’esprit, et la première condition du développement de l’esprit, c’est sa liberté. Le plus mauvais état social, à ce point de vue, c’est l’état théocratique, comme l’islamisme et l’ancien État Pontifical, où le dogme règne directement d’une manière absolue. Les pays à religion d’État exclusive comme l’Espagne ne valent pas beaucoup mieux. Les pays reconnaissant une religion de la majorité ont aussi de graves inconvénients. Au nom des croyances réelles ou prétendues du grand nombre, l’État se croit obligé d’imposer à la pensée des exigences qu’elle ne peut accepter. La croyance ou l’opinion des uns ne saurait être une chaîne pour les autres. Tant qu’il y a eu des masses croyantes, c’est-à-dire des opinions presque universellement professées dans une nation, la liberté de recherche et de discussion n’a pas été possible. Un poids colossal de stupidité a écrasé l’esprit humain. L’effroyable aventure du moyen âge, cette interruption de mille ans dans l’histoire de la civilisation, vient moins des barbares que du triomphe de l’esprit dogmatique chez les masses.

Or, c’est là un état de choses qui prend fin de notre temps, et on ne doit pas s’étonner qu’il en résulte quelque ébranlement. Il n’y a plus de masses croyantes : une très grande partie du peuple n’admet plus le surnaturel, et on entrevoit le jour où les croyances de ce genre disparaîtront dans les foules, de la même manière que la croyance aux farfadets et aux revenants a disparu. Même, si nous devons traverser, comme cela est très probable, une réaction catholique momentanée, on ne verra pas le peuple retourner à l’église. La religion est irrévocablement devenue une affaire de goût personnel. Or, les croyances ne sont dangereuses que quand elles se présentent avec une sorte d’unanimité ou comme le fait d’une majorité indéniable. Devenues individuelles, elles sont la chose du monde la plus légitime, et l’on n’a dès lors qu’à pratiquer envers elles le respect qu’elles n’ont pas toujours eu pour leurs adversaires, quand elles se sentaient appuyées.

Assurément, il faudra du temps pour que cette liberté, qui est le but de la société humaine, s’organise chez nous comme elle est organisée en Amérique. La démocratie française a quelques principes essentiels à conquérir pour devenir un régime libéral. Il serait nécessaire avant tout que nous eussions des lois sur les associations, les fondations et la faculté de tester, analogues à celles que possèdent l’Amérique et l’Angleterre. 

(...)

En somme, il se peut fort bien que l’état social à l’américaine vers lequel nous marchons, indépendamment de toutes les formes de gouvernement, ne soit pas plus insupportable pour les gens d’esprit que les états sociaux mieux garantis que nous avons traversés. On pourra se créer, en un tel monde, des retraites fort tranquilles. « L’ère de la médiocrité en toute chose commence, disait naguère un penseur distingué. L’égalité engendre l’uniformité, et c’est en sacrifiant l’excellent, le remarquable, l’extraordinaire, que l’on se débarrasse du mauvais. Tout devient moins grossier ; mais tout est plus vulgaire. » Au moins peut-on espérer que la vulgarité ne sera pas de sitôt persécutrice pour le libre esprit. Descartes, en ce brillant xviie siècle, ne se trouvait nulle part mieux qu’à Amsterdam, parce que, « tout le monde y exerçant la marchandise, » personne ne se souciait de lui. Peut-être la vulgarité générale sera-t-elle un jour la condition du bonheur des élus. La vulgarité américaine ne brûlerait point Giordano Bruno, ne persécuterait point Galilée. Nous n’avons pas le droit d’être fort difficiles. Dans le passé, aux meilleures heures, nous n’avons été que tolérés. Cette tolérance, nous l’obtiendrons bien au moins de l’avenir. Un régime démocratique borné est, nous le savons, facilement vexatoire. Des gens d’esprit vivent cependant en Amérique, à condition de n’être pas trop exigeants. Noli me tangere est tout ce qu’il faut demander à la démocratie. Nous traverserons encore bien des alternatives d’anarchie et de despotisme avant de trouver le repos en ce juste milieu. 

Mais la liberté est comme la vérité : presque personne ne l’aime pour elle-même, et cependant, par l’impossibilité des extrêmes, on y revient toujours.


jeudi 28 octobre 2021

Les petits oiseaux : Errare humanum est, sed perseverare diabolicum


L'adage "Errare humanum est, sed perseverare diabolicum" est généralement attribué à Sénèque, sans que l'on en soit bien certain. En tout cas, il s'applique parfaitement aux actes pris par le gouvernement pour autoriser les chasses aux oiseaux dites "traditionnelles". L'ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d'État le 25 octobre 2021 sanctionne une persévérance inédite dans l'erreur juridique. En effet des autorisations de même nature, couvrant la période de 2018 à 2021, avaient été annulées par trois arrêts du 6 août 2021, il y a moins de trois mois. Les requérants étaient les mêmes, la Ligue pour la protection des oiseaux et l'association One Voice.


La directive "oiseaux"


Les malheureuses victimes de ces autorisations de chasse étaient les grives, merles noirs, vanneaux, pluviers dorés et alouettes des champs, toutes espèces qui avaient la malencontreuse idée de fréquenter les Ardennes et le sud-ouest de la France où leur chasse est considérée comme "traditionnelle". Elle est pratiquée tantôt avec des filets, tant avec des cages, techniques de capture massive qui s'exercent de manière indiscriminée, sans distinction d'espèce.

Précisément, la directive "oiseaux" du 30 novembre 2009, dans son article 8, interdit le recours « à tous moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective ou pouvant entraîner localement la disparition d'une espèce ». Le problème est que l'article 9, quant à lui, autorise des dérogations « s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante [...] pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités ». 

 

 
 
Cendrillon. Walt Disney.  1950
 
 
 
 

Le précédent d'août 2021

 

Dans ses trois arrêts du 6 août 2021, le Conseil d'État s'était penché sur la légalité des arrêtés autorisant ces chasses de 2018 à 2021, arrêtés pris par Barbara Pompili, la ministre de la transition écologique. Reprenant exactement les arguments développés par le lobby des chasseurs, elle s'était fondée sur l'article 9 de la directive européenne, affirmant, sans davantage de précision, qu'il "n'existait pas d'autre solution satisfaisante". Mais d'autre solution pour parvenir à quel but ? Et la ministre chargée de l'écologie déclarait alors, avec une charmante simplicité, qu'il convenait de protéger les chasses traditionnelles. On arrivait ainsi à la conclusion que la directive "oiseaux" n'avait pas pour objet de protéger les oiseaux, mais plutôt les chasseurs.

Face à un raisonnement aussi confondant, il n'est pas surprenant que le Conseil ait annulé les arrêtés. Il y était incité par l'arrêt rendu le 17 mars 2021 par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Celle-ci précise clairement que la seule mention de l'absence "d'autre solution satisfaisante"ne suffit pas à remplir l'obligation de motivation imposée par ce même article 9 de la directive. Au contraire, le texte dérogatoire doit reposer "sur les meilleures connaissances scientifiques pertinentes". En outre, la CJUE rappelle que les motifs de dérogation sont d'interprétation stricte et que "l'objectif de préserver les méthodes de chasse traditionnelles ne constitue pas un motif autonome de dérogation au sens de cet article".Les arguments dictés au ministre par le lobby des chasseurs ont donc été pulvérisés par la CJUE dès mars 2021.

Trois mois plus tard, dans trois arrêts rendus le 28 juin 2021, le Conseil d'État sanctionnait les arrêtés autorisant de manière dérogatoire la chasse à la glu pour le même motive de non-conformité à la directive "oiseaux" du 30 novembre 2009.

 

Une motivation toujours insuffisante

 

Mais tous ces revers n'ont pas empêché ce même gouvernement d'aller jusqu'au bout dans l'affaire qui a conduit aux trois décisions d'août 2021. Une fois l'annulation prévisible intervenue, cela ne l'a pas davantage empêché de reprendre des arrêtés identiques, ceux-là mêmes qui font l'objet d'une suspension prononcée par le juge de référés le 25 octobre 2021. Comme dans ses arrêtés antérieurs, la ministre avait affirmé un objectif de préservation des chasses traditionnelles, objectif qui ne figure pas dans la directive "oiseaux". Pour compléter le dispositif, elle avait fixé des quotas de prélèvement précis, estimant que cela suffisait à remplir les conditions posées par l'article 9. Hélas, le fait de fixer le nombre d'oiseaux susceptibles d'être capturés n'a pas pour conséquence de mettre fin au caractère indifférencié de leur capture, et c'est précisément ce qui rend ce type de chasse non conforme au droit européen.

A l'évidence, l'intérêt principal de l'ordonnance de référé du 25 octobre 2021 est de montrer la volonté du Conseil d'État d'assurer à la fois la protection des oiseaux et le respect de l'État de droit. On peut ainsi constater qu'il se montre plus écologiste que la ministre de l'Écologie, pourtant issue d'un parti politique écologiste. 

 

Quatre revers successifs

 

Cette constatation en impose toutefois une seconde. Dans ces contentieux liés aux chasses traditionnelles, le gouvernement a subi quatre revers successifs, un devant la CJUE le 17 mars, un devant le Conseil d'Etat le 28 juin sur la chasse à la glu, un le 6 août sur les chasses traditionnelles, et enfin un le 25 octobre sur le même sujet. Cela signifie que les autorités n'hésitent pas à violer les règles de l'État de droit de manière réitérée dans le seul but de donner satisfaction à un lobby. Doit-on en déduire que le gouvernement est dans la main des lobbys et qu'il fait prévaloir une démarche électoraliste au détriment de l'intérêt général ? Aux électeurs de se faire une opinion.


 


mardi 26 octobre 2021

Secret professionnel : le rêve perdu des avocats


Le débat sur le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire s'achève dans une certaine confusion. Les avocats, confiants dans les effets positifs de la désignation de l'un d'entre eux comme Garde des Sceaux, pensaient avoir obtenu une définition absolutiste du secret professionnel. Les dispositions initiales du projet avaient même été modifiées durant le débat à l'Assemblée nationale, dans le sens d'un renforcement du secret. Mieux protégé que le secret médical, mieux protégé que les secret des affaires, et à peine moins que le secret de la défense nationale, le secret professionnel de l'avocat devenait un obstacle presque absolu aux investigations des juges. 

Hélas, cette belle construction s'est effondrée en commission mixte paritaire, victime du Sénat mais aussi, peut-être, de l’hubris de ses promoteurs. 

 

Le secret professionnel

 

Jusqu'à aujourd'hui, le secret professionnel était régi par la loi du 31 décembre 1971. A l'origine, il n'a pas pour fonction de protéger l'avocat, mais de protéger son client. Il s'agit en effet d'empêcher les divulgations par l'avocat des informations qui lui ont été confiées, devoir sanctionné pénalement par l'article 226-13 du code pénal. Protégeant le client, il est alors logique que le secret ne protège pas l'avocat lui-même, lorsqu'il est mis en cause pour avoir  commis une infraction. C'est ce qu'affirme la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 janvier 2003. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, rattache certes le secret professionnel aux droits de la défense, mais précise, dans sa décision QPC du 24 juillet 2015 que "aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats".


Le "secret professionnel de la défense"

 

Le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire donne satisfaction aux avocats et permet d'écarter une jurisprudence qui leur semblait défavorable. Le secret professionnel est désormais officiellement perçu comme un instrument de protection au bénéfice non seulement du client, mais aussi de l'avocat. L'article 3 du projet initial ajoutait dans l'article préliminaire du code de procédure pénale un alinéa ainsi rédigé : "Le respect du secret professionnel de la défense est garanti au cours de la procédure dans les conditions prévues par le présent code". Cette notion de "secret professionnel de la défense" est une nouveauté, dont le Conseil d'État a pris acte, dans son avis sur le projet de loi.

Mais le Conseil d'État, dans son avis, entendait bien limiter ce "secret professionnel de la défense" dans le cadre strict de la procédure pénale. Il s'appuyait sur la position de la chambre criminelle, dans un arrêt du 22 mars 2016. Elle a alors affirmé qu'aucune disposition légale ou conventionnelle ne fait obstacle à la captation, l'enregistrement et la captation des propos tenus par un avocat sur la ligne téléphonique d'un tiers placé sur écoute, dès lors que "cet avocat n'assure pas la défense de la personne placée sous surveillance". Il en est de même lorsque les propos, pourtant échangés avec un client habituel, "révèlent des indices de sa participation à la des faits susceptibles de qualification pénale". 

Les débats devant l'Assemblée ont permis de renforcer le secret professionnel dans la procédure pénale. Un mécanisme de protection a été prévu dans le cas où des documents couverts par le secret professionnel de l'avocat seraient saisis lors d'une perquisition chez un tiers, et la présence de l'avocat durant les perquisitions a été garanti. 

Mais, précisément, les avocats n'étaient pas satisfaits d'un droit positif qui allégeait la protection lorsqu'ils interviennent comme conseils.

 


 Ce n'est qu'un rêve

La Belle Hélène. Offenbach

Dame Felicity Lott et Yann Beuron

Direction : Marc Minkovski. Mise en scène : Laurent Pelly. 2001

 

L'activité de conseil


Les avocats spécialisés en droit des affaires se sont rapidement fait entendre, et les débats devant l'Assemblée nationale ont permis de leur donner satisfaction. Il s'agissait cette fois de passer outre la décision du Conseil constitutionnel du 24 juillet 2015 et d'obtenir une garantie de confidentialité de l'ensemble des communications de l'avocat, y compris en matière fiscale. Bien entendu, le ministre ne s'est pas opposé à une telle évolution.

C'était compter sans le Sénat qui était opposé à cette évolution. Si l'arbitrage issu de la Commission mixte paritaire ne remet pas en cause l'applicabilité du secret professionnel à l'activité de conseil, il affirme néanmoins deux séries d'exceptions.

Les premières sont liées aux enquêtes ou informations judiciaires ouvertes pour fraude fiscale, corruption, trafic d'influence, et blanchiment de ces infractions. Encore faut-il que les pièces détenues par l'avocat ou les communications "établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission de ces infractions". Cette exception apparaît comme une évidence, dès lors que le secret absolu obtenu par les avocats conduisait à priver les acteurs de la lutte contre la corruption, et évidemment le Parquet national financier, de moyens d'action particulièrement précieux. 

La seconde exception au principe du secret de l'activité de conseil est prévue "lorsque l'avocat a fait l'objet de manoeuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d'une infraction". C'est évidemment l'hypothèse dans laquelle un escroc ou un fraudeur fiscal utiliserait le cabinet de son avocat comme un sanctuaire, parfaitement assuré de la confidentialité des documents qui y sont entreposés. Son dossier, aussi illégal soit-il, serait ainsi parfaitement à l'abri d'une saisie.

Les avocats sont vent debout contre ces deux exceptions issues de la CMP. Ils accusent évidemment les services fiscaux et les magistrats d'avoir obtenu ce résultat par un lobbying actif. La critique fait sourire si l'on considère précisément le lobbying qui a été effectué pour promouvoir un secret absolu des avocats, avec le soutien actif du Garde des Sceaux. Surtout, on éprouve quelques difficultés à comprendre les motifs d'une telle levée de boucliers. On imagine mal que les avocats conservent dans leur cabinet des pièces établissant la preuve de leur utilisation à des fins délictuelles. On imagine encore plus mal qu'ils se prêtent à une instrumentalisation du secret de leur cabinet par des escrocs divers et variés. Ce type de pratiques est évidemment exclue d'avocats qui sont des auxiliaires de justice et se font, nécessairement, une haute idée de leur mission.