« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 28 octobre 2021

Les petits oiseaux : Errare humanum est, sed perseverare diabolicum


L'adage "Errare humanum est, sed perseverare diabolicum" est généralement attribué à Sénèque, sans que l'on en soit bien certain. En tout cas, il s'applique parfaitement aux actes pris par le gouvernement pour autoriser les chasses aux oiseaux dites "traditionnelles". L'ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d'État le 25 octobre 2021 sanctionne une persévérance inédite dans l'erreur juridique. En effet des autorisations de même nature, couvrant la période de 2018 à 2021, avaient été annulées par trois arrêts du 6 août 2021, il y a moins de trois mois. Les requérants étaient les mêmes, la Ligue pour la protection des oiseaux et l'association One Voice.


La directive "oiseaux"


Les malheureuses victimes de ces autorisations de chasse étaient les grives, merles noirs, vanneaux, pluviers dorés et alouettes des champs, toutes espèces qui avaient la malencontreuse idée de fréquenter les Ardennes et le sud-ouest de la France où leur chasse est considérée comme "traditionnelle". Elle est pratiquée tantôt avec des filets, tant avec des cages, techniques de capture massive qui s'exercent de manière indiscriminée, sans distinction d'espèce.

Précisément, la directive "oiseaux" du 30 novembre 2009, dans son article 8, interdit le recours « à tous moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective ou pouvant entraîner localement la disparition d'une espèce ». Le problème est que l'article 9, quant à lui, autorise des dérogations « s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante [...] pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités ». 

 

 
 
Cendrillon. Walt Disney.  1950
 
 
 
 

Le précédent d'août 2021

 

Dans ses trois arrêts du 6 août 2021, le Conseil d'État s'était penché sur la légalité des arrêtés autorisant ces chasses de 2018 à 2021, arrêtés pris par Barbara Pompili, la ministre de la transition écologique. Reprenant exactement les arguments développés par le lobby des chasseurs, elle s'était fondée sur l'article 9 de la directive européenne, affirmant, sans davantage de précision, qu'il "n'existait pas d'autre solution satisfaisante". Mais d'autre solution pour parvenir à quel but ? Et la ministre chargée de l'écologie déclarait alors, avec une charmante simplicité, qu'il convenait de protéger les chasses traditionnelles. On arrivait ainsi à la conclusion que la directive "oiseaux" n'avait pas pour objet de protéger les oiseaux, mais plutôt les chasseurs.

Face à un raisonnement aussi confondant, il n'est pas surprenant que le Conseil ait annulé les arrêtés. Il y était incité par l'arrêt rendu le 17 mars 2021 par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Celle-ci précise clairement que la seule mention de l'absence "d'autre solution satisfaisante"ne suffit pas à remplir l'obligation de motivation imposée par ce même article 9 de la directive. Au contraire, le texte dérogatoire doit reposer "sur les meilleures connaissances scientifiques pertinentes". En outre, la CJUE rappelle que les motifs de dérogation sont d'interprétation stricte et que "l'objectif de préserver les méthodes de chasse traditionnelles ne constitue pas un motif autonome de dérogation au sens de cet article".Les arguments dictés au ministre par le lobby des chasseurs ont donc été pulvérisés par la CJUE dès mars 2021.

Trois mois plus tard, dans trois arrêts rendus le 28 juin 2021, le Conseil d'État sanctionnait les arrêtés autorisant de manière dérogatoire la chasse à la glu pour le même motive de non-conformité à la directive "oiseaux" du 30 novembre 2009.

 

Une motivation toujours insuffisante

 

Mais tous ces revers n'ont pas empêché ce même gouvernement d'aller jusqu'au bout dans l'affaire qui a conduit aux trois décisions d'août 2021. Une fois l'annulation prévisible intervenue, cela ne l'a pas davantage empêché de reprendre des arrêtés identiques, ceux-là mêmes qui font l'objet d'une suspension prononcée par le juge de référés le 25 octobre 2021. Comme dans ses arrêtés antérieurs, la ministre avait affirmé un objectif de préservation des chasses traditionnelles, objectif qui ne figure pas dans la directive "oiseaux". Pour compléter le dispositif, elle avait fixé des quotas de prélèvement précis, estimant que cela suffisait à remplir les conditions posées par l'article 9. Hélas, le fait de fixer le nombre d'oiseaux susceptibles d'être capturés n'a pas pour conséquence de mettre fin au caractère indifférencié de leur capture, et c'est précisément ce qui rend ce type de chasse non conforme au droit européen.

A l'évidence, l'intérêt principal de l'ordonnance de référé du 25 octobre 2021 est de montrer la volonté du Conseil d'État d'assurer à la fois la protection des oiseaux et le respect de l'État de droit. On peut ainsi constater qu'il se montre plus écologiste que la ministre de l'Écologie, pourtant issue d'un parti politique écologiste. 

 

Quatre revers successifs

 

Cette constatation en impose toutefois une seconde. Dans ces contentieux liés aux chasses traditionnelles, le gouvernement a subi quatre revers successifs, un devant la CJUE le 17 mars, un devant le Conseil d'Etat le 28 juin sur la chasse à la glu, un le 6 août sur les chasses traditionnelles, et enfin un le 25 octobre sur le même sujet. Cela signifie que les autorités n'hésitent pas à violer les règles de l'État de droit de manière réitérée dans le seul but de donner satisfaction à un lobby. Doit-on en déduire que le gouvernement est dans la main des lobbys et qu'il fait prévaloir une démarche électoraliste au détriment de l'intérêt général ? Aux électeurs de se faire une opinion.


 


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