Les parlementaires de la Commission mixte paritaire ont finalement trouvé un accord sur le texte du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire. Après un dernier vote, il a été définitivement adopté, avant d'être déféré au Conseil constitutionnel, comme l'a annoncé le Premier ministre. La décision du Conseil est annoncée pour le 5 août, sans qu'il s'agisse d'une absolue certitude.
Aux arguments juridiques souvent fantaisistes actuellement développés par les opposants au texte le Conseil opposera son contrôle de proportionnalité, comme d'habitude. Il pourra donc faire ce qu'il veut, en estimant que telle ou telle mesure est proportionnée, ou non, à la menace pour la santé publique que représente l'actuel retour de l'épidémie. Il pourra aussi émettre quelques réserves d'interprétation, avant de valider l'essentiel de la loi.
A ce stade, l'un des intérêts du texte réside sans doute dans le décalage que l'on constate entre les propos du Président formulés dans son "Adresse au Français" du 12 juillet 2021, et les dispositions finalement votées. Le Président se présentait alors comme l'unique titulaire du pouvoir de décision, parlant à la première personne et assumant les décisions annoncées : "J'ai conscience de ce que je vous demande" (...).
Certaines annonces présidentielles ont été maintenues telles quelles dans le projet de loi, dont l'obligation vaccinale des personnels soignants et non-soignants des établissements de santé et maisons de retraite. Dans son Adresse du 12 juillet, le Président annonçait "la vaccination obligatoire sans attendre", fixant aux intéressés la date du 15 septembre pour produire un certificat vaccinal. Le texte, dans ses articles 5 à 7, concrétise cette disposition en dressant une liste des personnels concernés, et en reportant la date limite au 15 octobre.
Dans les autres domaines, les débats ont commencé dès le lendemain de l'intervention du Président. Les opposants et les lobbies divers et variés se sont fait entendre et les annonces présidentielles ont été mises à rude épreuve. Écartant ainsi à la fois le gouvernement et le parlement, la parole présidentielle apparaît alors de moins en moins crédible, discours provisoire dont chacun sait qu'il sera mis en cause le lendemain.
Le passe sanitaire
Le 12 juillet, le Président annonçait : "Dès le 21 juillet, le passe sanitaire sera étendu aux lieux de loisirs et de culture. Concrètement, pour tous nos compatriotes de plus de douze ans, il faudra pour accéder à un spectacle, un parc d'attraction, un concert ou un festival, avoir été vacciné ou présenter un test négatif récent". Ensuite, dès le mois d'août, le passe sera exigé dans les cafés, les restaurants, les centres commerciaux, hôpitaux, maisons de retraite et établissements médicaux sociaux, ainsi que pour prendre les moyens de transports pour les longs trajets. Et le Président d'ajouter que, selon la situation, "nous nous poserons la question de l'extension du passe sanitaire à d'autres activités". L'idée, parfaitement assumée, était de faire peser sur les non-vaccinés une contrainte suffisamment lourde pour qu'ils soient incités à se faire vacciner pour se protéger et protéger les autres.
Le lobby des centres commerciaux a d'abord obtenu que l'obligation du passe sanitaire soit limitée aux plus grands d'entre eux "au-delà d'un certain seuil fixé par décret". Ensuite, en CMP, il a obtenu la suppression pure et simple de toute mention relative à leur activité. Mais ce résultat, quelque peu inespéré, a surtout eu pour effet de mettre en lumière l'intensité du lobbying. De fait, la disposition supprimée a été rétablie par amendement après CMP, permettant aux préfets d'imposer le passe sanitaire en fonction de l'intensité de la menace épidémique.
Le lobby des restaurateurs a eu moins de succès, du moins en apparence, dans son refus du passe sanitaire en terrasse, sans doute parce que les éléments de langage n'étaient guère convaincants. Il estimait qu'un professionnel, personne privée, n'est pas compétent pour contrôler l'identité d'une personne. Il oubliait sans doute que les responsables des cinémas contrôlent l'identité des jeunes désireux de voir un film interdit aux moins de dix-huit ans, de la même manière que les compagnies aériennes s'assurent de celle des voyageurs qu'elles transportent. Mais précisément, aucune vérification de l'identité des consommateurs installés en terrasse n'est exigée, ce qui signifie qu'une personne peut s'installer en exhibant le QR Code d'un tiers. La contrainte est ainsi largement vidée de son contenu.
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Les sanctions
L'un des éléments les plus controversés résidait dans l'éventuel licenciement d'un salarié qui n'aurait pas engagé son parcours de vaccination avant le 15 septembre. Le Sénat a transformé ce licenciement en une suspension non rémunérée qui pourrait intervenir à partir du 15 octobre. Cela ne signifie pas que le licenciement soit totalement exclu. D'abord parce que les salariés en CDD risquent de devoir quitter leur emploi à la fin du contrat, ensuite parce que le licenciement peut toujours intervenir si l'entreprise ne parvient à replacer le salarié dans un poste qui ne le mette pas au contact du public. Le choix de cette nouvelle formule n'a finalement pas d'autre objet que de ne pas faire peser sur l'employeur la responsabilité d'un licenciement. Certes la procédure est relativement brutale, mais il ne fait aucun doute que le législateur s'inspire, sur ce point, de l'exemple italien. En provoquant une crainte de licenciement, les autorités italiennes ont obtenu la vaccination de 97 % des professionnels de santé.
L'état d'urgence revient masqué
Le Président Macron n'avait pas annoncé le retour à l'état d'urgence sanitaire, mais finalement ce qui figure dans la loi lui ressemble beaucoup. Depuis la loi du 31 mai 2021, un régime spécifique a en effet été mis en oeuvre. Tout en affirmant organiser la "sortie de crise", il confère aux préfets des compétences qui sont sensiblement celles de l'état d'urgence sanitaire. De fait, le nouveau texte se borne à prolonger l'application de cette loi du 15 septembre au 15 novembre, le parlement s'assurant ainsi d'une "clause de revoyure". Rappelons que la majorité LaRem voulait une prolongation jusqu'au 31 décembre, car il est toujours plus simple de gouverner par décret, voire par arrêté préfectoral, que de demander au parlement d'intervenir par la voie législative.
Cette victoire du Sénat risque toutefois de provoquer un débat encore plus vif. Un nouveau projet de loi devra être débattu avant le 15 novembre et il est probable que le variant sera toujours là, d'autant que la date limite de la vaccination des enfants et adolescents de plus de douze ans a, elle aussi, été repoussée au 30 septembre 2021, c'est à dire après la rentrée des classes. Il est alors probable que le débat portera cette fois sur l'obligation vaccinale, générale et absolue.
Le texte de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire apparaît ainsi comme un ensemble de mesures relativement disparates, fruit de mouvements contradictoires. D'un côté, un Président de la République voulant afficher sa fermeté, de l'autre un parlement désireux de voter la loi sans être considéré comme une simple chambre d'enregistrement. Et au milieu de tout cela, des lobbies qui n'ont pas d'autre préoccupation que l'allègement des contraintes pesant sur leur secteur professionnel. Et pourtant, l'intérêt général n'a jamais été la somme des intérêts particuliers.
Sur l'état d'urgence sanitaire : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 2, conclusion.