« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 9 juillet 2021

Le Conseil constitutionnel et l'échange de renseignements


Dans une décision La Quadrature du Net et autres rendue sur question prioritaire de constitutionnalité du 9 juillet 2021, le Conseil constitutionnel censure l'article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.

Cette disposition autorisait les échanges d'informations entre les services spécialisés de renseignement et d'autres services désignés par décret en Conseil d'État, dès lors que ces échanges sont "utiles à l'accomplissement de leurs missions". D'une manière très générale, il s'agit de fluidifier la circulation du renseignement, en y associant clairement les services chargés d'une mission de sécurité et ceux qui peuvent y concourir, notamment les collectivités locales, les établissements publics administratifs et autres services gérant un service public administratif. 

Il arrive très souvent que des acteurs de terrain de la sécurité, policiers, gendarmes ou douaniers, voire agents du fisc ou élus locaux, apportent des informations utiles aux services spécialisés et la loi ne fait sur ce point que conférer un fondement juridique à des pratiques déjà en vigueur. De même est-il normal que les services de renseignement informent d'autres services, et parfois les collectivités locales, notamment lorsqu'il s'agit de lutter contre la menace terroriste. Rappelons que la loi du 21 juillet 2016 a précisément été votée quelques mois après les attentats de 2015, pour renforcer les instruments de lutte contre le terrorisme et organiser une coopération institutionnelle.

 

Finalité des échanges de renseignement

 

La finalité de cet échange d'informations est donc légitime, et le Conseil ne manque pas de le rappeler : "Le législateur a entendu organiser et sécuriser le partage d'informations entre les services de renseignement et améliorer leur capacité opérationnelle. Ce faisant, ces dispositions mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation". Il fait également observer que tous les services concernés, renseignement et services chargés d'une mission de sécurité, ont pour point commun de concourir à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation. De fait, tous peuvent être autorisés à recourir aux techniques de recueil de renseignements soumises à autorisation, sonorisation, communication des fadettes, interception des communications.

 


 Échanges d'informations entre agents du renseignement

OSS 117, Le Caire nid d'espions. Michel Hazanavicius. 2006

 

L'incompétence négative

 

Mais cet échange d'informations doit être entouré de garanties précisées par le législateur. Et c'est précisément cette absence de garanties que sanctionne le Conseil constitutionnel. En effet, l'article L 863-2 du code de la sécurité intérieure se borne à mentionner que "les modalités et les conditions d'application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d'Etat".

L'association requérante s'appuyait donc sur les lacunes de la loi, invoquant un cas d'incompétence négative. Elle notait ainsi qu'aucune disposition n'organisait la protection des données personnelles et le secret de la vie privée. Les types d'informations susceptibles d'être échangées n'étaient pas précisés, pas plus que les personnes habilitées à en connaître. Enfin l'absence de contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement était également dénoncée.

Le Conseil ne reprend pas tous ces éléments, mais sanctionne, d'une manière générale, l'absence de garanties légales. Il observe que, potentiellement, un nombre immense de services peut être amené à pratiquer ces échanges d'informations et qu'elles peuvent concerner n'importe quelle catégorie de données, y compris celles relatives à la santé, aux opinions politiques ou aux convictions religieuses, toutes données également considérées comme sensibles. Or, la transmission de données sensibles doit nécessairement s'accompagner de garanties légales, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La disposition est donc considérée comme non conforme à la Constitution.


Le projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement


On peut toutefois se demander si l'intérêt essentiel de la décision ne réside pas dans la date différée de l'abrogation de la disposition contestée. Au motif que "l'abrogation immédiate (...) entraînerait des conséquences manifestement excessives", le Conseil la reporte au 31 décembre 2021.

Ces six mois de délai vont donc permettre d'attendre tranquillement le vote de la loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, actuellement en nouvelle lecture au parlement après commission mixte paritaire, ce qui signifie que la procédure législative est presque terminée. Or l'article 7 du projet de loi montre que les rédacteurs du projet avaient largement anticipé la censure constitutionnelle. 

Ses dispositions subordonnent les échanges de renseignements à une autorisation préalable du Premier ministre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, lorsque la transmission d'informations poursuit une finalité différente de celle qui en a justifié le recueil, et lorsque les renseignements sont produits par une technique d'interception à laquelle le service destinataire n'aurait pu recourir. De même, le législateur prévoit la destruction de ces renseignements, à la fin de la durée de conservation. 

La nouvelle loi vient ainsi corriger l'inconstitutionnalité de la première. Certes, on imagine mal le retour à un système dans lequel la lutte contre le terrorisme était censée se développer sans aucune synergie entre les services. Les échanges de renseignements sont aujourd'hui une nécessité qui n'est guère contestée. Il est donc préférables d'imposer des garanties légales, même relativement modestes, plutôt que voir proliférer ces échanges en dehors de tout dispositif législatif. Il n'empêche que l'on remarque que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 juillet, est d'autant plus prompt à censurer une disposition au nom du respect des libertés qu'il sait que l'abrogation qu'il prononce sera finalement dépourvue d'effet


 Sur la protection des données : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 8, section 5.

 

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