Aude Brejon, docteur en droit international public, Université Panthéon Assas, et membre du CRDH, a bien voulu accepter la diffusion de cet article publié sur ThucyBlog. Liberté Libertés Chéries remercie l'auteur ainsi que les responsables de ThucyBlog qui ont permis cette publication.
L’incarcération des condamnés par la justice pénale nationale était sous l’Ancien régime, l’apanage du souverain, la démonstration de son pouvoir de punir. Du fait de leurs actes ou comportements criminels menaçant les intérêts du roi ou du peuple, les détenus étaient plongés dans les profondeurs des abîmes des établissements pénitentiaires. Pourtant, il est souvent oublié que, sous l’Ancien régime, l’emprisonnement témoignait d’une sophistication de la punition du condamné. Après tout, les condamnés étaient responsables de leur sort et des conditions déplorables de leur détention. En effet, sous l’influence d’Alexis de Tocqueville, l’emprisonnement a remplacé le bannissement et les châtiments corporels. Aujourd’hui, les gouvernants et la population persistent à penser que la réclusion criminelle est une preuve de mansuétude à l’égard de l’auteur du crime. Les limites à cette « bienveillance » s’illustrent cependant par les conditions de détention pour le moins précaires auxquelles sont confrontés la grande majorité des détenus aujourd’hui.
Le XXe siècle a toutefois connu l’avènement d’une nouvelle conception de la justice pénale, à savoir la réhabilitation des condamnés, afin de les réintégrer dans le giron de la société. Par conséquent, la condition juridique des condamnés n’est plus l’apanage du souverain. Seulement, le droit international de la détention n’est qu’incidemment contraignant pour les États, relativisant la protection qu’il entend accorder aux détenus, face à un pouvoir discrétionnaire encore présent. Dès lors, les détenus et les conditions de l’exécution de leur peine demeurent soumis à l’approche étatique. Or cette dépendance peine à permettre la réalisation des buts de l’incarcération, à savoir la neutralisation et la réhabilitation des condamnés, faisant osciller le droit international de la détention entre utopie et dystopie.
L’utopie : la protection du détenu par le droit international
Les détenus ne sont pas considérés par les organisations internationales comme un objet particulier de protection. Une protection spécifique de cette population est pourtant fondamentale du fait de l’atténuation importante de leurs droits fondamentaux causée par l’incarcération. Afin de permettre leur réinsertion au terme de leur détention, cette atténuation doit, en effet, être encadrée par un ensemble normatif susceptible de limiter la vengeance étatique. Pourtant, le droit international vient seulement corriger les abus réalisés contre les détenus dans le cadre de conventions plus larges de protection des droits fondamentaux. Les détenus sont ainsi rattachés à des ensembles d’individus spécialement protégés (Convention sur la détention des prisonniers de guerre en 1949) ou aux conventions plus générales en matière de protection des droits de l’homme.
Ainsi, l’article 6.4 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 protège la « personne détenue » sans toutefois la définir. Le Conseil de l’Europe n’a pas plus comblé les manques en matière de protection internationale des personnes détenues. Les différentes conventions produites par cette organisation internationale protègent en effet le détenu au travers de son statut général d’individu sans prendre en compte ses spécificités. Ainsi les détenus sont protégés par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants. Même la Convention de Strasbourg sur le transfèrement des personnes condamnées de 1983, dont on aurait pu penser qu’elle marquerait un tournant en matière de droit international de la détention, ignore la possibilité d’établir une protection juridique internationale de la personne détenue.
Une protection spécifique apparaît timidement au travers de la délimitation des conditions de la détention. Or, les règles internationales en matière de détention ne constituent que des principes directeurs pour les États qui n’ont aucun effet contraignant. Les organisations internationales s’étaient pourtant saisies de la question pénitentiaire au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Les Nations Unies avaient ainsi établi la Commission internationale pénale et pénitentiaire de l’Assemblée générale, dissoute en 1950 (Résolution 415(V) de l’Assemblée générale du 1er décembre 1950). Depuis ont lieu tous les 5 ans des Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale qui n’abordent qu’à la marge les problématiques liées aux conditions de détention. Il reste de ces réflexions onusiennes un ensemble de règles a minima pour le traitement des détenus, adopté en 1955 et revu en 2015 (règles Nelson Mandela).
Toutefois, ces règles, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime le précise d’emblée, n’ont pas vocation à établir un modèle pénitentiaire standard. Le pouvoir discrétionnaire du titulaire originel du pouvoir de punir demeure donc entier. Le Conseil de l’Europe a également choisi la voie de la soft law pour améliorer les conditions de détention. Seulement, malgré une volonté affichée de renforcer l’encadrement des conditions de détention, cette organisation internationale et sa Charte pénitentiaire européenne rencontrent une résistance étatique persistante (V. proposition pour une Charte pénitentiaire européenne). Pourtant, la situation carcérale demeure préoccupante et les détenus semblent aujourd’hui comme hier condamnés aux oubliettes de la société qui est censée les protéger.
Emission "Qui êtes-vous Claude Nougaro ?". 1967
La dystopie : la protection du détenu, auteur de crimes de droit international, par le droit international
Le cas particulier des détenus auteurs de crimes de droit international confirme le besoin d’une protection particulière de la part du droit international à deux titres. D’une part, un des principes majeurs du droit de l’exécution des peines suppose une égalité de traitement entre les détenus. Ces derniers doivent pouvoir bénéficier d’une égalité de traitement avec les détenus de droit commun. D’autre part, ces détenus ont non seulement perturbé l’ordre public d’un ou plusieurs États, mais également ont mis à mal les valeurs de la société internationale. Les velléités de punition au détriment du respect des droits fondamentaux sont donc accrues.
Or, l’exemple des détenus de la prison de Guantanamo démontre les risques d’une insuffisance de protection des détenus par le droit international. Le statut juridique contesté de cet établissement pénitentiaire américain situé à Cuba exclut toute application des droits de l’homme et abandonne les détenus au pouvoir discrétionnaire de l’État des États-Unis d’Amérique.
L’émergence de la justice pénale internationale pouvait certes laisser présager la consécration d’une protection des détenus par le droit international, mais l’ensemble des juridictions pénales internationales confie les condamnés aux « bons » soins de l’État. Les condamnés des tribunaux militaires de Tokyo et de Nuremberg ont en effet purgé leur peine dans les établissements pénitentiaires mis en place par les puissances d’occupation. Les rédacteurs des statuts des tribunaux pénaux internationaux se sont également reposés de manière exclusive sur les systèmes pénitentiaires nationaux qui pourtant présentaient des caractéristiques peu propices à un tel laissez-faire.
En effet, en ex-Yougoslavie, l’Etat n’existe plus, au Rwanda, l’Etat survit, mais n’est plus en mesure d’assurer les droits fondamentaux des détenus. Dans les territoires où l’État a disparu, l’administrateur onusien agit à la place de ce dernier. Cependant, la célérité, objectif consacré par les systèmes de common law en tant qu’élément à part entière de protection des droits de l’accusé, ainsi que le caractère ponctuel des actions sous chapitre VII, ont empêché une anticipation de la question carcérale. De ce fait, les juridictions internationalisées, compte tenu de leur rattachement au système pénal étatique, ont « bénéficié » des établissements pénitentiaires locaux, assujettis au droit de l’exécution des peines du for delicti (État sur le territoire duquel a été commis le crime).
La mise en place de la Cour pénale internationale laissait espérer une révolution du droit international de la détention. Seulement, les rédacteurs du Statut de Rome ont persisté dans le maintien de l’État comme autorité chargée de l’exécution des peines, en faisant appel aux normes « largement acceptées » en matière de détention (Article 106-2 du Statut de Rome). Toutefois, comment protéger des détenus au moyen des normes qui renvoient à l’appréciation étatique de manière extensive ? Ce renvoi indirect aux normes nationales d’exécution des peines ne permet pas la prise en compte de la spécificité du phénomène criminel international et de ses auteurs. Ces détenus ne bénéficient donc ni d’une protection contre le risque de vengeance des acteurs de la chaîne pénale locale, bien souvent victimes des crimes perpétrés, ni d’une structure désireuse de les réhabiliter.
À l’heure actuelle, le lien entre le droit international de la détention et l’État demeure prégnant. Les efforts réalisés en matière de lutte contre la criminalité, tant au niveau national qu’international, sont mis en péril si la réhabilitation demeure aux mains des « victimes » de ce phénomène. Par conséquent, tant les normes à destination des États que celles à destination des juridictions pénales internationales doivent être approfondies afin de correspondre aux spécificités de ces individus qui nécessitent une attention et une protection particulières, les condamnés.