Un faux nez de l'administration
Une très longue procédure
Impartialité subjective ou objective
Le premier critère peut être qualifié de subjectif, parce qu'il consiste à pénétrer dans la psychologie du juge, à rechercher s'il désirait favoriser un plaideur ou nuire à un justiciable. Dans ce cas, l'impartialité est présumée, jusqu'à preuve du contraire (CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c. Belgique). Dans le cas présent, la question de l'impartialité subjective ne se pose pas, et rien dans la procédure ne laisse entrevoir une volonté délibérée de l'un ou l'autre membre de la Cour des comptes de nuire au requérant.
C'est donc le critère objectif qui est invoqué, et il s'agit cette fois de contrôler l'organisation même de l'institution. La Cour des comptes ne doit pas seulement être impartiale, elle doit apparaître impartiale. La CEDH affirme ainsi, dans une jurisprudence constante et notamment dans son arrêt Morice c. France de 2015 : "En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer aux justiciables, à commencer par les parties à la procédure". Il appartient donc à la Cour européenne d'évaluer si les craintes du requérant sont, ou non, justifiées.
En l'espèce, aucun membre de la Cour des comptes chargé de contrôler la commune de Noisy-le-Grand n'a participé à la juridiction de jugement. La seule question posée est donc celle de savoir si les termes du rapport public peuvent être considérés comme un "préjugement".
Le Conseil d'Etat français, intervenant dans ses deux arrêts sur l'affaire le 30 décembre 2003, puis le 21 mars 2011, a rendu deux décisions négatives sur ce point. Comme souvent lorsqu'il est invité à se prononcer sur le principe d'impartialité, il procède par affirmation. A ses yeux, le fait que le rapport public de la Cour de comptes évoque l'existence d'opérations de gestion de fait "ne révèle aucun préjugement de l'appréciation qu'il incombe à la Cour de porter, une fois le périmètre de la gestion définitivement fixé, au stade la fixation de la ligne de compte (...)".
Le contrôle, tel que le Conseil d'Etat devrait l'exercer
La CEDH, quant à elle, exerce un contrôle beaucoup plus approfondi, montrant ainsi, en creux, au Conseil d'Etat celui qu'il devrait exercer. Elle observe que le rapport de la Cour des comptes envisageait l'affaire dans son ensemble, sans distinguer entre la qualification de gestion de fait et l'évaluation des sommes concernées. L'association est mentionnée ainsi que les différentes "primes" qu'elle versait, notamment une joyeuse "prime de libéralité" extrêmement bien nommée. Elle mentionnait des chiffres et visait même directement le requérant sans le nommer, mais il pouvait facilement être reconnu par les fonctions qu'il exerçait. Enfin, le rapport invoquait les "conséquences très dommageables" de telles pratiques, portant ainsi une appréciation sur la gravité des faits et l'ampleur des sommes en cause. De tous ces éléments, la CEDH déduit que le requérant était fondé à craindre un défaut d'impartialité objective.
Reste à s'interroger sur les conséquences d'une telle décision. On ne doute pas que, du côté de l'administration français, on minimisera sa portée. L'arrêt du Conseil d'Etat rendu le 10 mai 2004 n'affirme-t-il pas implicitement que le principe d'impartialité pourrait être violé si la Cour des comptes dans son rapport public "portait une appréciation sur la gravité des faits et l'imputation personnelle des responsabilités" ? Le Conseil d'Etat se donne ainsi le beau rôle. Il affirme qu'il peut sanctionner le défaut d'impartialité, qu'il sait le faire, mais qu'il ne veut pas la faire. En l'espèce, la formule ne manque pas d'hypocrisie, dès lors que l'intéressé peut facilement être identifié dans le rapport.
D'une manière générale, l'appréciation du principe d'impartialité par la juridiction administrative est désormais fortement mise en question par le droit européen. D'une manière générale, le Conseil d'Etat a tendance à rejeter l'idée même de l'impartialité objective pour s'en tenir à l'impartialité subjective. Il en fait la démonstration, lorsqu'il a apprécié la légalité d'un recours contre une sanction disciplinaire, alors que le même fonctionnaire avait décidé de retirer ses fonctions au requérant, nommé son successeur, rédigé le rapport de saisine de l'instance disciplinaire, avant de présider lui-même le conseil de discipline (CE, 13 novembre 2013). Pour le Conseil d'Etat, tout cela était parfaitement impartial, dès lors que les membres du conseil de discipline n'avaient pas tenu de propos déplacés sur la culpabilité de l'intéressé. S'il persévère dans cette jurisprudence, il ne fait guère de doute que la Cour européenne sera appelée à intervenir pour lui rappeler les dures réalités de l'impartialité objective.
Sur le principe d'impartialité : Chapitre 4 Section 1, § 1 du manuel de libertés publiques sur internet.