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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
dimanche 26 juin 2016
QPC Cahuzac : Non bis in idem et le pouvoir de Bercy
mercredi 22 juin 2016
Ecoutes des avocats : échec d'un lobbying
Les poursuites disciplinaires
Hergé. Le secret de La Licorne. 1943 |
Depuis l'arrêt Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984 jusqu'à l'arrêt Pruteanu c. Roumanie du 3 février 2015, la Cour européenne considère que les communications téléphoniques relèvent de la vie privée et que le secret de la correspondance en fait partie. Il importe peu que ces écoutes aient effectuées sur la ligne d'un tiers (CEDH, 24 août 1998, Lambert c. France ; CEDH, 19 novembre 2013, Ulariu c. Roumanie). Toute interception, transcription et utilisation d'une communication téléphonique dans une procédure pénale constitue donc, en soi, une ingérence dans la vie privée, au sens de l'article 8 de la Convention européenne.
Une ingérence prévue par la loi
Le but légitime
La seconde condition de licéité de l'ingérence dans la vie privée réside dans le "but légitime" poursuivi par la procédure. Sur ce point, l'arrêt ne fait que reprendre une première décision d'irrecevabilité rendue sur saisine de M. Picart qui avait déjà contesté les interceptions dont il avait fait l'objet devant la Cour européenne. Dans un arrêt du 18 mars 2008, la Cour avait alors estimé que cette procédure poursuivait l'un des buts énumérés par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme : "la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales". Il en est de même dans le cas de l'interception contestée par l'avocat de M. Picart.
Le contrôle de proportionnalité
Enfin, la troisième et dernière condition posée par l'article 8 est la nécessité de l'ingérence dans une société démocratique, notion qui conduit la Cour européenne à exercer un contrôle de proportionnalité entre l'interception et le but légitime poursuivi. En l'espèce, les avocats requérants invoquent la jurisprudence Matheron c. France du 29 mars 2005 qui affirme que l'intéressé doit pouvoir contester devant un juge la régularité des écoutes téléphoniques utilisées à son encontre. Or, on se souvient que les deux avocats ont été l'objet de poursuites disciplinaires et n'ont donc pas pu saisir la chambre de l'instruction, compétente dans ce domaine.
La Cour fait cependant observer que les juges français, puis la Cour européenne, se sont déjà prononcés sur saisine de M. Picart, et ont considéré que les écoutes dont il avait fait l'objet, y compris la conversation avec Maître Crasnianski du 17 décembre 2002 , étaient parfaitement "nécessaires dans une société démocratique". Certes, ce n'est plus M. Picart qui saisit la Cour mais ses avocats. La conversation contestée est néanmoins la même, et l'écoute comme la transcription ont donc déjà été considérées comme licites.
La Cour ne peut cependant interrompre à ce stade son analyse dès lors que les requérants n'étaient pas parties à sa précédente décision. Elle rappelle donc que ces derniers ont pu obtenir un examen de la légalité des écoutes durant la procédure disciplinaire dont ils ont fait l'objet. Ils ont donc bénéficié d'un contrôle "efficace" même s'il ne s'inscrivait pas dans une procédure pénale.
Au-delà de l'affaire qu'elle examine, la Cour européenne prend une décision de principe en refusant de considérer comme confidentielle toute conversation entre un avocat et son client. Elle oppose donc une fin de non-recevoir aux revendications d'un secret absolu.
L'échec d'une revendication
La Cour se réfère à son arrêt Michaud c. France du 6 décembre 2012 et affirme "qu'un avocat ne peut mener à bien sa mission fondamentale s’il n’est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels". Mais si le secret professionnel est garanti et protégé par la Cour, il n'est pas pour autant absolu. Dans ce même arrêt Michaud, la Cour avait déjà estimé que n'était pas incompatible avec le secret professionnel l'obligation faite aux avocats de déclarer les soupçons de blanchiment qu'ils peuvent avoir à l'encontre de certains de leurs clients, ceux qui viennent les voir pour une mission de conseil et non pas une mission de défense.
Aujourd'hui, la Cour tient exactement le même raisonnement à propos des conversations téléphoniques qui sont couvertes par le secret, sauf si leur contenu fait présumer la participation de l'avocat lui-même à des faits constitutifs d'une infraction. Dans les deux cas, les droits de la défense du client ne sont pas affectés et c'est la raison pour laquelle la Cour écarte le principe de confidentialité. En tout état de cause, elle avertit que les conversations ainsi captées ne peuvent être utilisées contre le client mais seulement contre l'avocat.
Les lobbying des avocats en faveur d'un secret absolu essuie donc une défaite. Ils ont, en réalité, obtenu l'inverse de ce qu'ils recherchaient. La Cour européenne a en effet confirmé de manière éclatante que les avocats sont avant tout des citoyens et qu'ils sont également soumis à la loi. Pouvait-elle statuer autrement, si l'on considère que l'octroi d'un secret professionnel absolu conduisait à accorder aux avocats une véritable impunité pénale ?
vendredi 17 juin 2016
Vincent Lambert : le juge administratif et les pressions sur les médecins
Une seconde équipe médicale
Trois décisions contestées
L'indépendance professionnelle du médecin
Hergé. Vol 714 pour Sidney. 1968. Rastapopoulos et le docteur Krollspell. |
La reprise de la procédure
mercredi 15 juin 2016
Le délit d'atteinte à la liberté individuelle
Un syndicaliste entre deux gendarmes
Monsieur Leguignon, lampiste. Maurice Labro. 1951. Yves Deniaud |
Le caractère arbitraire de l'interpellation
Définition étroite de la liberté individuelle
lundi 13 juin 2016
La "vidéoprotection" en prison ou l'arrêté Abdeslam
La recherche d'un fondement juridique
La délibération de la CNIL
L'absence de loi
Sur le fond, la CNIL ne s'oppose pas au recours à la vidéo pour la surveillance des détenus, mais elle met en évidence le caractère quelque peu précipité de l'arrêté. La Commission rappelle que les personnes incarcérées bénéficient, en principe, du droit au respect de la vie privée, tel qu'il est garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, même si ce droit peut faire l'objet de restrictions plus importantes pour des motifs d'ordre public.
La Cour européenne des droits de l'homme n'a été saisie qu'une seule fois d'une requête émanant d'un détenu se plaignant d'être placé sous vidéo-surveillance de manière permanente. Elle n'a pas eu à se prononcer sur le fond, le requérant n'ayant pas, sur ce point, épuisé les voies de recours internes (CEDH 3 avril 2014, Salvatore Riina c. Italie). Elle a, en revanche, admis, dès son arrêt Ilascu et autres c. Moldavie et Russie du 8 juillet 2004, qu'un traitement particulier, reposant sur l'isolement cellulaire, peut être infligé aux détenus considérés comme particulièrement dangereux. Encore faut-il qu'il réponde à certaines conditions étroitement contrôlées par la Cour européenne.
Le traitement particulier doit d'abord être prévu par la loi. Force est de constater que ce n'est pas vraiment le cas en droit français. Etrangement prises au dépourvu par l'arrivée d'Abdeslam dans une prison française, les autorités ont pris en hâte un arrêté permettant de fonder sa surveillance. N'est-il pas surprenant que le législateur ne se soit jamais penché sur la question, alors même que l'on a vu se multiplier les lois antiterroristes ?
Le caractère proportionné de la mesure
L'arrêt du 9 juin 2016 prévoit un réexamen tous les trois mois, dès lors que l'autorisation de surveillance vidéo ne saurait dépasser cette durée. Une nouvelle décision doit alors intervenir et s'accompagner d'une motivation explicite, c'est-à-dire analysant les raisons de fait et de droit qui la justifient.
En dépit de ces précautions dont la Commission prend acte, sa délibération ressemble fort à une mise en garde des autorités françaises. Il est évident qu'aux yeux de la CNIL, l'arrêté du 9 juin 2016 ferait pâle figure s'il était contesté devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Le retour de la vidéosurveillance
C'est d'autant plus vrai que la CNIL fait observer, non sans perfidie, que la notion sur laquelle s'appuie l'arrêté est particulièrement incertaine. Il évoque en effet la "vidéoprotection" des cellules de détention, formule étrange si l'on considère qu'il s'agit surtout de surveiller les détenus. Cette formulation est le pur produit de la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ( Loppsi 2). Largement inspiré des idées d'Alain Bauer, ce texte transforme la terminologie employée : la "vidéosurveillance" est devenue "vidéoprotection". Dans les deux cas, il s'agit de vendre et d'installer le plus grand nombre de caméras possibles sur la voie publique et dans les lieux et établissements ouverts au public. Mais la vidéoprotection fait moins peur que la vidéosurveillance. A la caméra qui espionne la vie privée du citoyen succède la caméra qui protège les honnêtes gens. S'estimant, à tort, lié par la formulation employée par la loi, l'arrêté du 9 juin 2016 en vient à répandre la "vidéoprotection" dans les cellules des détenus.
La CNIL fait observer que le droit positif, en particulier l'article L. 251-1 du code de la sécurité intérieure (CSI), n'utilise le terme de vidéoprotection que pour désigner les systèmes de caméras installés sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. Or, la cellule d'un détenu n'est pas ouverte au public et la CNIL demande logiquement que le texte de l'arrêté fasse référence à la "vidéosurveillance". Elle n'a pas été entendue sur ce point.
Ce seul exemple suffit à montrer les limites d'un texte élaboré en quelques jours pour répondre à une situation d'urgence. Seule importait l'arrivée d'Abdeslam dans les prisons françaises et il convenait de prendre des mesures d'exception pour garder ce prisonnier hors-normes. Il n'en demeure pas moins que l'arrêté du 9 juin 2016 est un texte à portée générale. Pour éviter le ridicule d'une éventuelle saisine de la Cour européenne des droits de l'homme, il est urgent de demander au parlement de voter une loi sur le régime de vidéosurveillance concernant les détenus particulièrement dangereux. Qui oserait voter contre ?
vendredi 10 juin 2016
La banalisation de la déchéance de nationalité
Le fondement juridique
Adam et Eve chassés du Paradis. Domenico Zampieri dit Le Dominiquin. 1626 |