Un syndicaliste entre deux gendarmes
Le 25 novembre 2010, le Président Nicolas Sarkozy est en visite dans l'Allier, au Mayet-de-Montagne. Le préfet de l'Allier se souvient que son collègue
préfet de la Manche avait dû faire ses bagages de manière un peu précipitée, fin janvier 2009, après que le Président en visite à Saint Lo ait reçu divers projectiles provenant de manifestants mécontents. Prudent, le préfet de l'Allier avait donc donné l'ordre aux services de police et de gendarmerie d'éviter tout incident pendant la visite présidentielle.
A la brigade de gendarmerie du Mayet, on a appliqué le mot d'ordre à la lettre, un peu trop. Un syndicaliste de "Sud" avait appelé à une manifestation lors d'une réunion inter-syndicale tenue à Vichy, la veille de la visite présidentielle. Avec d'autres militants hostiles à la réforme des retraites, il envisageait de faire au Président Sarkozy une conduite de Grenoble, au Mayet-de-Montagne. Le lendemain, deux gendarmes, car ils vont toujours par deux, ont interpelé le perturbateur potentiel et l'ont conduit à la brigade. Pendant quatre heures, il a fait l'objet d'une vérification d'identité, a été fouillé, et auditionné à propos d'un collage d'affiches. Ensuite, il a pu quitter la brigade de gendarmerie, après que le Président ait lui-même quitté Mayet-de-Montagne.
Remis de ses émotions, le syndicaliste a porté plainte. Les deux gendarmes auteurs de l'interpellation n'ont pas été mis en examen, car ils ne faisaient qu'exécuter les ordres reçus. En revanche, les donneurs d'ordre, c'est-à-dire le commandant du groupement de gendarmerie de l'Allier ainsi
que son adjoint, le capitaine X..., ont été condamnés par le tribunal correctionnel pour atteinte à la liberté individuelle, condamnation confirmée en appel.
A l'occasion du pourvoi déposé par les deux officiers, la Cour de cassation reprend les critères constitutifs du délit, pour observer qu'ils sont réunis en l'espèce.
Reprenons les termes de l'article 432-4 du code pénal, qui punit "le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée
d'une mission de service public, agissant dans l'exercice ou à
l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, d'ordonner
ou d'accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté
individuelle"
Il ne fait aucun doute que des officiers de gendarmerie sont "dépositaires de l'autorité publique" et également "chargés d'une mission de service public". La Cour prend soin de préciser qu'ils sont "responsables localement de l'organisation et de la sécurité du déplacement du chef de l'Etat." Ils étaient donc également "dans l'exercice de leurs fonctions", et on rappellera que le syndicaliste a été interpelé par des gendarmes et prié de les suivre dans les locaux de la gendarmerie.
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Monsieur Leguignon, lampiste. Maurice Labro. 1951. Yves Deniaud |
Le caractère arbitraire de l'interpellation
Le caractère arbitraire de la mesure est, à dire vrai, attesté par les propos même de l'un des officiers qui a déclaré à l'un de ses subordonnés qu'il s'agissait d'une "interpellation déguisée". La personne appréhendée n'a jamais été mise en garde à vue et la vérification d'identité elle-même était illicite, dès lors qu'elle n'avait pas refusé de se plier à un contrôle d'identité. S'il a été vaguement question de collages d'affiches, les gendarmes n'ont pas mentionné au syndicaliste qu'il était en audition libre et pouvait donc quitter la gendarmerie. Au contraire, différentes pressions ont été réalisées pour l'empêcher de quitter les lieux.
De ces éléments, la Cour déduit que le caractère arbitraire de la rétention réside dans son absence de fondement légal.
Définition étroite de la liberté individuelle
Reste à s'interroger sur la notion de liberté individuelle à laquelle se réfère l'article 432-4 du code pénal. Pour la Cour de cassation, l'entrave à la liberté individuelle réside essentiellement dans l'atteinte à la liberté de circulation, avec pour conséquence une seconde atteinte à la liberté de manifestation. Cette analyse est en tout point conforme à celle développée par le Conseil constitutionnel à propos de l'article 66 de la Constitution : "
Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi". Pour le Conseil, depuis sa
décision du 16 juin 1999, la garantie de la liberté individuelle concerne toutes les mesures d'enfermement, y compris la rétention abusive dans une gendarmerie.
On pourrait souhaiter l'élargissement de cette définition et considérer que la liberté individuelle devrait s'étendre à la vie privée, à la captation des données personnelles. Pour le moment cependant, cette définition étroite est assez proche d'un habeas corpus à l'anglaise.
A première lecture, la décision de la Cour de cassation donne l'impression d'une protection efficace des libertés publiques. Toute forme de rétention administrative est prohibée et il convient parfois de le rappeler. Il n'en demeure pas moins que l'arrêt suscite d'autres réflexions, portant cette fois sur les officiers condamnés. Sont-ils réellement les seuls responsables de la mesure prise ? Certes, ils ont fait preuve d'un zèle intempestif, mais les ordres venaient du préfet et, sans doute, des plus hautes autorités de l'Etat. Lorsqu'un Président exige qu'aucun manifestant ne soit visible lors d'une de ses visites, le risque est grand de voir ses directives prises au pied de la lettre, surtout si les fonctionnaires craignent pour leur carrière. Dans toute l'affaire, les gendarmes sont coupables d'une atteinte à la liberté individuelle, mais aussi victimes du management par la peur.
la liberté affirme , le silence infirme !
RépondreSupprimer© Mr thuillier-charmet 2017
La police détient-elle un pouvoir arbitraire au Code Pénal ?
RépondreSupprimerLa cours de cassation à rejeté
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