« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 27 juin 2016

Les Invités de LLC : Jean-Noël Luc et Serge Sur : Le doctorat pour les nuls


Le Monde a publié dans son édition du jeudi 9 juin 2016 une opinion des professeurs Jean-Noël Luc, de Paris-Sorbonne,  et Serge Sur, de Panthéon-Assas, au sujet de la réforme du doctorat par un arrêté du 25 mai 2016.

Liberté, libertés chéries reproduit ici de larges extraits du texte original, avec renvoi pour l’intégralité au site internet du Monde….


 
Le doctorat pour les nuls


Voulez-vous devenir docteur ? Foin de la thèse ! La réforme du 25 mai 2016 vous évite des travaux surannés. Fini les recherches approfondies, les méditations prolongées, l’effort de rédaction soignée d’un ouvrage qui atteste la qualité de votre formation. Qu’a la société à faire de votre savoir, l’université de votre talent, la connaissance de votre apport ? Il vous suffira bientôt, à côté d’un mémoire hâtif, d’un « portfolio » exaltant vos « activités », comme la validation de « modules professionnalisants », dont le terme, mais pas l’idée, a été retiré de l’arrêté. Vous ne possédiez pas de master, gage d’une initiation à la recherche ? Peu importe. Le tampon « VAE » (validation des acquis de l’expérience) vous a ouvert l’inscription en doctorat par dérogation. Autre tampon – « docteur »  – en fin du cursus, et l’affaire est bouclée ! Vive les réseaux, les copinages, les influences, qui couronneront votre habileté conviviale.

Voilà un texte qui s’applique à merveille à des élus, des énarques, sans parler de syndicalistes professionnels. Bienheureux hasard ! Aujourd’hui tous avocats, demain tous docteurs – ou plutôt pseudo-docteurs. Seuls les besogneux, amis de l’effort intellectuel et des vastes corpus documentaires de première main continueront à préparer de véritables thèses. Or d’une thèse, on ne sort pas comme y on est entré. Elle comporte une valeur intellectuelle ajoutée, elle apprend à rechercher, à construire, à rédiger, elle est un capital pour la vie entière, fruit d’une concentration exigeante et austère dont tous tirent le bénéfice, enseignants, chercheurs ou actifs d’autres professions.

Et le directeur de thèse ? Voilà l’ennemi ! N’est-il pas, et le texte le dit bien, un harceleur en puissance, qu’il faut contrôler ? En tout directeur de thèse, un DSK sommeille. Un « comité de suivi individuel du doctorant » le tiendra à l’œil. De même, ne participera-t-il plus à la délibération du jury de soutenance. Sa connaissance du sujet, du candidat, de la thèse, n’est elle pas dangereuse pour l’évaluation ? Ne risquerait-il pas d’influencer ses collègues, incapables de se faire une opinion ? La délibération elle-même est-elle utile ? Comme on supprime les mentions pour les remplacer par un simple « admis-refusé », il suffira là encore d’un tampon. Et l’on voit mal comment une thèse admise à soutenance pourrait être refusée. 


Deux mandarins fâchés. 
Chine. Paire de figurines en or représentant des signes du zodiaque. 
Dynastie Song (Xè-XIIIè s.)

 



1 commentaire:

  1. Initiative tout à fait louable que cette reprise de la tribune publiée dans le Monde par Jean-Noël Luc et Serge Sur. Une piqûre de rappel est toujours utile si ce n'est indispensable pour stigmatiser cette énième réforme de l'université qui donne froid dans le dos à tous les "docteurs" et autres adeptes de la connaissance. Horresco referens !

    Cette réforme du doctorat est malheureusement révélatrice - a minima - de quatre dérives de notre société.

    1.L'enterrement sans fleurs ni couronnes du système de la méritocratie à la française au profit d'un système de courtisanerie et de copinage des plus abjects. La promotion Voltaire de l'ENA en constitue l'exemple le plus significatif, d'autant plus regrettable qu'il vient du plus haut sommet de l'Etat. Le recours à cette pratique est bien loin de la République exemplaire.

    2. L'abandon masqué de la sélection - mot devenu aussi grossier qu'incongru de nos jours - comme en témoignent les débats dont la presse se fait régulièrement l'écho. Pauvres étudiants, pauvres chérubins, pauvres angelots qui ne supportent plus d'être notés, appréciés, classés par ordre de mérite. Heureusement, nous ne sommes pas encore dans le monde des bisounours. Ce sont leurs employeurs potentiels (administration grâce à des concours de plus en plus sélectifs ou entreprise avec des critères particulièrement drastiques) qui s'en chargeront sans le moindre état d'âme.

    3. La déresponsabilisation rampante des étudiants. Qu'advient-il, si par un malheureux hasard, ils obtiennent une mauvaise note, une mauvaise appréciation, une réprimande bien méritée ? La faute (nous sommes déjà dans le présomption de culpabilité) en revient automatiquement à l'enseignant. Au mieux, il est incompétent, au pire il est un harceleur, moral, sexuel, voire les deux. Comment pourrait-il en aller autrement dans notre société manichéenne ?

    4. La tyrannie de la complaisance (pour ne pas dire de la médiocrité) se substitue lentement mais sûrement à l'impératif d'exigence. Fini le respect de l'orthographe, des règles de grammaire et de la syntaxe ! Au diable, l'apprentissage continu des connaissances littéraire, historique, juridique ! En un mot, l'inculture tient le haut du pavé, reléguant la culture au musée d'un passé révolu et honni. A quoi bon étudier alors qu'on trouve tout sur Google en accès libre sur son smartphone, sa tablette, son ordinateur portable... sauf le jour de l'examen ?

    Quand la règle n'est plus appliquée à la lettre, elle se vide de sens, l'arbitraire n'est plus très loin.

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