Pages
« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
samedi 9 janvier 2016
La loi Gayssot conforme à la Constitution
mercredi 6 janvier 2016
L'apatride est en danger
La déchéance de nationalité existe déjà
L'article 23-7 du code civil, autorise la déchéance de l'étranger qui "se comporte en fait comme le national d'un pays étranger" et dont il est possible de constater, également par décret en Conseil d'Etat, qu'il a perdu la qualité de Français. Cette disposition n'est pas applicable aux terroristes liés à Daesh, organisation terroriste qui n'est pas considérée comme un Etat, bien qu'elle se revendique comme telle. En outre, elle concerne une déchéance détachée de tout lien avec une condamnation pénale, alors que le projet actuel vise à déchoir de leur nationalité ceux, et seulement ceux, qui ont été condamnés pour des faits liés au terrorisme.
L'article 25 al. 1 de ce même code civil prévoit un second type de déchéance prononcée par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat à l'égard des personnes condamnées pour un crime ou un délit "constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation". Dans l'état actuel du droit, cette disposition ne peut cependant concerner que des personnes ayant la nationalité française par acquisition. Le projet envisageait donc de l'étendre aux personnes nées françaises, dès lors qu'elles ont une double nationalité.
Le principe d'égalité, élément de communication
Les opposants à la réforme ont alors invoqué une supposée violation du principe d'égalité devant la loin, violation résultant d'une différence de traitement entre les binationaux et ceux qui n'ont que la nationalité française. Cet argument ne résiste pas à l'analyse juridique.
Dès sa décision du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel avait déjà jugé que « le législateur a pu, compte tenu de l'objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l'autorité administrative de déchoir de la nationalité française ceux qui l'ont acquise, sans que la différence de traitement qui en résulte viole le principe d'égalité". Cette jurisprudence a été réaffirmée très récemment dans la décision Ahmed S. rendue sur QPC le 15 janvier 2015.
Même infondé juridiquement, l'argument tiré de la violation du principe d'égalité présente l'avantage de constituer l'une de ces idées simples déjà évoquées et d'avoir un fort impact médiatique. C'est sans doute la raison pour laquelle l'Exécutif envisagerait aujourd'hui un élargissement de la déchéance à l'ensemble des citoyens français, qu'ils soient ou non binationaux. Le conditionnel s'impose cependant, car, pour le moment, nous ne disposons que de "petites phrases", et d'affirmations selon lesquelles le sujet est ouvert au débat. C'est bien la moindre des choses, puisque la loi sera votée par le Parlement qui a tout de même le droit de débattre de son contenu.
Dans cette hypothèse, l'argument médiatique de l'atteinte au principe d'égalité vole en éclats et il devient urgent d'en trouver un autre : l'apatridie.
L'apatridie
L'apatride est défini comme « toute personne qu'aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation" (article 1er de la Convention de New York du 28 septembre 1954). Plus simplement, l'apatride est donc celui qui n'a pas de nationalité. Il est évident que la possibilité de déchoir de sa nationalité un Français en ferait immédiatement un apatride. Les opposants au projet invoquent alors une nouvelle idée simple : il est interdit de créer des apatrides. Une nouvelle fois, l'idée se heurte à un obstacle de taille : le droit positif.
La loi
L'article 25 du code civil énonce que "l'individu qui a acquis la qualité de Français peut (...) être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride". Le risque d'apatridie est donc l'argument essentiel de la réduction de cette procédure au seul cas des binationaux. Il n'en demeure pas moins que cette disposition a valeur législative et que la loi à venir peut librement le modifier.
Les traités
samedi 2 janvier 2016
Apologie de crime contre l'humanité, quelques précisions
Le caractère public des propos
Une définition étroite du délit d'apologie
La jurisprudence européenne
Sur les restrictions à la liberté d'expression : Chapitre 9 section 3 du manuel de libertés publiques sur internet.
dimanche 27 décembre 2015
Le projet de révision constitutionnelle
La constitutionnalisation de l'état d'urgence
L'abandon de l'état d'urgence... après l'état d'urgence
Le projet de révision renonce finalement à une disposition qui figurait dans l'avant projet transmis au Conseil d'Etat. Pour reprendre la formule de ce dernier, il mettait en place un régime qui, "sans être l'état d'urgence, le prolongeait temporairement en lui empruntant certains traits". L'idée était de pouvoir maintenir en vigueur, après la fin de l'état d'urgence, les mesures individuelles prises sur son fondement, dès lors que subsistait un risque d'attentat terroriste. Pour les même motifs, de nouvelles mesures de police administrative d'ordre général comme les interdictions de manifestation ou de circulation pouvaient être prises. Dans son avis, le Conseil d'Etat a fait observer, fort justement, que des résultats identiques pouvaient être obtenus, soit en prorogeant l'état d'urgence, soit en prenant des mesures de droit commun de la police administrative.
La déchéance de la nationalité : une possibilité offerte au législateur
Serge Poliakoff. Bleu blanc rouge. 1962 |
Les personnes visées par la déchéance
Rappelons que les motifs du projet indiquent clairement que la déchéance de nationalité envisagée est une sanction liée à une condamnation pénale. Elle n'est donc pas directement liée à celle qui figure dans l'article 23-7 du code civil, qui concerne l'étranger qui "se comporte en fait comme le national d'un pays étranger" et dont il est possible de constater, également par décret en Conseil d'Etat, qu'il a perdu la qualité de Français.
La nécessaire constitutionnalisation
Ecarter le contrôle des juridictions européennes
La constitutionnalisation de la déchéance de nationalité permet également d'écarter le risque contrôle émanant de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ou de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
mardi 22 décembre 2015
QPC : L'assignation à résidence dans l'état d'urgence
Une décision sans surprise
L'ange exterminateur. Luis Bunuel. 1962 |
L'article 66 de la Constitution
Le contrôle de proportionnalité
dimanche 20 décembre 2015
Accord européen sur le "Paquet protection des données"
De manière concrète, le "Paquet protection des données" regroupe deux textes, un règlement et une directive. Le premier pose les principes généraux de la protection des données personnelles, la seconde traite de l'utilisation de celles-ci dans les secteurs de la police et de la justice pénale. Ces textes ont, avant tout, le mérite d'exister. Ils sont le résultat d'un compromis.
Le droit de contrôle sur ses données personnelles
Le règlement général sur la protection des données (RGPD) vise à résoudre ce que le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, a qualifié de "quadrature du cercle". Il s'agit à la fois de répondre aux besoins formulés par les entreprises du secteur de l'économie numérique et de protéger les données personnelles.
Les citoyens de l'Union européenne se voient reconnaître un certain nombre de droits. Le plus important est sans doute le principe du consentement à la collecte et à la conservation des données, droit qui constitue l'une des spécificités du droit européen. Les entreprises américaines du secteur ne pourront donc plus mettre en oeuvre une présomption de consentement, laissant ensuite la malheureuse victime européenne contester la collecte de ses données personnelles devant un tribunal situé à Palo Alto. D'une manière générale, ces entreprises devront d'ailleurs fournir des informations précises sur leur pratique de collecte et de conservation des données personnelles.
Le droit à la portabilité des données personnelles est également garanti, permettant à la personne de transférer ses données d'un prestataire de services à un autre. Si la consécration d'un tel droit n'est pas sans intérêt, on peut néanmoins s'interroger sur les instruments à la disposition de l'intéressé lui permettant de s'assurer que l'entreprise qu'il souhaite quitter ne conserver pas ses données, à des fins commerciales par exemple.
Le droit à l'oubli vient enfin compléter le droit au déréférencement déjà garanti par la Cour de justice de l'Union européenne depuis sa décision du 13 mai 2014 Google Spain NL. De manière très simple, le règlement prévoit la suppression des données à la demande de l'individu, dès lors qu'il ne souhaite plus leur conservation et qu'aucun motif légitime ne la justifie.
Ces éléments sont loin d'être négligeables, même si l'on observe que le texte européen n'est pas tout-à-fait aussi ambitieux que l'on aurait pu le souhaiter.
Tout d'abord, certains points n'ont pas fait l'objet d'un accord. C'est le cas notamment de la question de l'accord parental nécessaire pour s'inscrire sur un réseau social. Certains Etats souhaitaient le maintien du statu quo à l'âge de treize ans, d'autres se montraient plus rigoureux et désiraient interdire les réseaux sociaux aux moins de seize ans. Finalement, la question a été écartée du "paquet". Sans doute a-t-on quelque peu baissé les bras devant les difficultés de l'entreprise. Si l'on observe ainsi que Facebook interdit effectivement l'inscription aux enfants de moins de treize ans, force est de constater que le réseau social n'est guère en mesure de vérifier l'âge réel de ses adhérents. Il n'est pas exclu, en même temps, que le réseau social ait effectué un lobbying efficace durant la négociation du règlement européen.
Vie privée. René Magritte. 1946 |
Les concessions aux entreprises
Ensuite, ces éléments de protection des droits de l'individu ont été acquis au prix de concessions aux opérateurs du secteur. Ils ont remporté une véritable victoire en faisant intégrer dans le règlement le principe selon lequel la protection des données peut être intégrée aux produits et services dès la phase initiale du système. Ce principe de "Privacy In Design" leur permet ainsi de formuler ensuite une simple déclaration de la conformité de leur système à la législation en vigueur, ce qui évite le contrôle a priori des autorités chargées de la protection des données. Cette analyse repose, à l'évidence, sur une vision très optimiste de la volonté des entreprises de se soumettre au droit de l'Union européenne.
Cette impression est renforcée par les avantages offerts aux petites et moyennes entreprises (PME) qui sont dispensées d'un grand nombre de procédures : absence de notification des traitements de données personnelles aux autorités de contrôle, absence de désignation en leur sein d'un délégué à la protection des données dès lors que le traitement n'est pas leur coeur de métier, dispense de l'obligation d'étude d'impact de leurs fichiers. Les PME se voient même offrir la possibilité de faire payer les demandes d'accès aux données personnelles lorsqu'elles les jugent infondées ou excessives. La liste de ces avantages conduirait sans doute un avocat peu soucieux de ces préoccupations à conseiller à une multinationale américaine de créer des PME pour exercer son activité au sein de l'Union européenne, dans le seul but d'échapper aux règles les plus contraignantes du droit européen de la protection des données.
La coopération policière
La directive vise, quant à elle, à concilier protection des données personnelles et échange entre les autorités répressives au sein de l'Union. Il est évident que les évènements survenus à Paris le 13 novembre 2013 ont mis en lumière la nécessité de l'échange d'informations dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Ils ne sont donc pas étrangers à l'accord intervenu dans ce domaine.
Le texte vise d'abord à simplifier le droit applicable par les autorités policières et judiciaires. C'est ainsi que le texte s'applique de manière indifférenciée aux flux transfrontières de données privées et aux informations transmises par des services policiers ou judiciaires étrangers. D'une manière générale, elle établit un secret des sources renforcé pour les autorités policières. C'est ainsi qu'elle peuvent refuser de confirmer ou d'infirmer qu'elles disposent de données personnelles, dans le but de ne pas compromettre les investigations en cours.
L'objet de la directive est, avant tout, de permettre aux forces de l'ordre des Etats membres d'échanger plus facilement les informations utiles aux enquêtes, et donc de faciliter la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité.
Dans ce cas, la directive se borne à rappeler les garanties élémentaires qui s'appliquent en matière de collecte et de conservations de données personnelles à des fins de sécurité publique. Au sein de l'Union, tout traitement de ce type de données devra ainsi respecter les principes de nécessité, de proportionnalité et de légalité, principes anciens qui figuraient déjà dans la loi française du 6 janvier 1978. Il en est de même du contrôle qui doit être assuré par des autorités nationales indépendantes, contrôle qui doit s'accompagner d'un droit à un recours juridictionnel.
Le standard européen des protection des données est, incontestablement, en cours de construction. Il est loin d'être parfait, mais on observe qu'il n'interdit pas aux Etats membres de mettre en oeuvre des règles plus exigeantes. Dans tous les cas, l'important est que ces textes établissent un droit effectif, c'est-à-dire un droit assorti de sanctions. En cas de non-respect des obligations imposées par le règlement, les autorités nationales pourront ainsi infliger aux sociétés concernées une amende allant jusqu'à 4 % de leur chiffre d'affaires. Le pourcentage peut sembler modeste, mais il peut conduire à une amende considérable pour les multinationales du secteur. Ces deux textes, qui devraient entrer en vigueur dans un délai de deux ans, devraient ainsi offrir aux autorités de protection des Etats membres un instrument fort utile pour faire comprendre aux entreprises du secteur que l'Europe n'est pas seulement un territoire colonisé par le droit américain mais un espace juridique autonome.