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un arrêt du 15 décembre 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a prononcé la cassation de la condamnation de Gilles Bourdouleix, député-maire de Cholet pour apologie de crime de guerre ou contre l'humanité. A l'époque, c'est-à-dire en juillet 2013, l'affaire avait fait grand bruit.
On se souvient qu'une centaine de véhicules conduits par des gens du voyage avaient pénétré sur un terrain municipal loué à deux agriculteurs. La Cour de cassation prend soin, ce qui n'est pas fréquent, de rappeler le détail des faits : "Le député-maire, venu exprimer son désaccord à cette installation, avait alors été interpellé par une partie de ces personnes qui l'ont traité de raciste et lui ont adressé, par dérision, des saluts nazis. En quittant les lieux, l'élu a dit : "Comme quoi Hitler n'en a
peut-être pas tué assez, hein". Bien entendu, l'exploitation médiatique avait été à la mesure du propos, et l'élu avait finalement été condamné à 3000 € d'amende par le tribunal correctionnel d'Angers, condamnation confirmée par la Cour d'appel d'Angers en août 2014. Cette condamnation est aujourd'hui cassée sans renvoi, ce qui signifie que la Cour de cassation estime qu'il n'y a pas lieu à un nouveau procès au fond.
Les motifs de cette approche restrictive de la Cour de cassation doivent être recherchés dans la définition même de l'infraction. Rappelons que celle-ci figure dans l'
article 24 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 . Il sanctionne d'une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende ceux qui ont "
fait l'apologie (...) des crimes de
guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de
collaboration avec l'ennemi".
Le caractère public des propos
Le moyen essentiel de cassation réside dans le caractère, public ou non, des propos tenus. L'article 24 de la loi sur le presse renvoie en effet à l'article 23 du même texte qui précise que les propos incriminés doivent avoir été "proférés dans des lieux ou réunions publics". Toute la question est donc de savoir si le député-maire de Cholet est intervenu dans un "lieu public" ou lors d'une "réunion publique".
La Cour d'appel d'Angers avait estimé, quant à elle, que le caractère public était acquis, dès lors que l'élu avait prononcé les propos incriminés "publiquement et à voix
suffisamment audible pour être enregistrée par une personne à laquelle
sa phrase ne pouvait pas être précisément destinée". En l'occurrence, la Cour de cassation refuse de reconnaître le caractère public de ces propos, dès lors que l'enquête n'a pas permis de trouver, non seulement parmi les proches de l'élu, mais aussi parmi les agriculteurs locataires du terrain et les fonctionnaires de police présent sur les lieux, de nombreux témoins les ayant entendus. Seulement deux personnes ont témoigné en ce sens, un membre de la communauté des gens du voyage et le journaliste du Courrier de l'ouest qui les a enregistrés sur son téléphone et les a ensuite diffusés dans son journal, propos ensuite repris dans l'ensemble des médias. Pour la Cour, l'élu ne s'adressait pas au public présent et aux médias. Ce sont plutôt ces derniers qui ont capté ses propos à son insu.
Le Dictateur. Charlie Chaplin. 1940
Une définition étroite du délit d'apologie
La Cour de cassation donne ainsi une définition étroite du délit d'apologie en affirmant que l'infraction doit avoir été "
commise dans le cadre d'un
discours proféré, c'est-à-dire tenu à haute voix dans des circonstances
traduisant une volonté de le rendre public". Cette analyse peut être discutée, et l'on pourrait objecter que les propos sont devenus publics par la faute de leur auteur qui n'a pas su les maîtriser. Elle est pourtant conforme à la jurisprudence. La plupart des affaires concernant directement l'apologie de crime contre l'humanité visent en effet des paroles ou discours parfaitement maîtrisés par leurs auteurs. Tel est le cas du
jugement du tribunal de grande instance de Paris du 14 mars 2015 interdisant la diffusion du DVD d'un spectacle de Dieudonné, au motif qu'il y tenait des propos constitutifs d'apologie de crime contre l'humanité. En l'espèce, les caractères public et volontaire du propos n'étaient évidemment pas contestables. Trois jours plus tard,
le 18 mars 2015, le même pseudo-humoriste était condamné à deux mois de prison avec sursis pour apologie d'acte de terrorisme, après avoir écrit sur son "mur" Facebook : "
Je me sens Charlie Coulibaly". Là encore, le caractère public et volontaire de la diffusion ne faisait aucun doute.
La décision rendue le 15 décembre 2015 s'inspire très directement de la jurisprudence établie en matière d'injure. Pour les juges, l'injure publique n'est constituée que si son auteur a conscience que sa diffusion dépasse le cadre de la confidence à des intimes. Lorsqu'un ministre de l'intérieur tient des propos racistes dans une réunion de militants, il a le sentiment qu'ils demeureront dans ce cercle restreint, ignorant que des journalistes filmaient la conversation à son insu. Dans une
décision du 27 novembre 2012, la Cour de cassation estime alors que le caractère public de l'injure fait défaut, raisonnement absolument identique à celui qu'elle tient dans l'affaire Bourdouleix.
La jurisprudence européenne
La décision repose ainsi sur un fondement juridique solide. Il reste cependant à se demander si ce fondement résisterait à un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci a ainsi été saisie d'une atteinte à la vie privée constituée par l'enregistrement à leur insu d'une conversation téléphonique entre deux responsables gouvernementaux slovaques, conversation ensuite diffusée dans les médias. La Cour a considéré que la protection de la vie privée peut être écartée si la diffusion est indispensable pour développer un "
débat d'intérêt
général". Dans l'affaire
Radio Twist A.S. c. Slovaquie du 19 décembre 2006, il s'agissait en effet de mettre sur la place publique des pratiques
grossièrement illégales. La question est donc posée en d'autres termes. Ne pourrait-considérer que le fait qu'un élu affirme, même entre ses dents, que "
Hitler n'en a
peut-être pas tué assez" relève d'un "
débat d'intérêt
général" ? C'est à la Cour européenne des droits de l'homme, et à elle seule, de répondre à la question.
Sur les restrictions à la liberté d'expression : Chapitre 9 section 3 du
manuel de libertés publiques sur internet.
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