Le débat sur la déchéance de nationalité de personnes ayant fait l'objet d'une condamnation pénale pour des actes liés au terrorisme prend de l'ampleur. La dialectique est généralement sommaire et les arguments reposent sur des idées simples. Les partisans de la déchéance sont qualifiés d'affreux réactionnaires, voire de nostalgiques du régime de Vichy, par les uns. Ceux qui lui sont hostiles sont à l'inverse dénoncés comme des militants qui privilégient l'approche idéologique au détriment de l'analyse juridique.La déchéance de nationalité existe déjà
L'article 23-7 du code civil, autorise la déchéance de l'étranger qui "se comporte en fait comme le national d'un pays étranger" et dont il est possible de constater, également par décret en Conseil d'Etat, qu'il a perdu la qualité de Français. Cette disposition n'est pas applicable aux terroristes liés à Daesh, organisation terroriste qui n'est pas considérée comme un Etat, bien qu'elle se revendique comme telle. En outre, elle concerne une déchéance détachée de tout lien avec une condamnation pénale, alors que le projet actuel vise à déchoir de leur nationalité ceux, et seulement ceux, qui ont été condamnés pour des faits liés au terrorisme.
L'article 25 al. 1 de ce même code civil prévoit un second type de déchéance prononcée par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat à l'égard des personnes condamnées pour un crime ou un délit "constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation". Dans l'état actuel du droit, cette disposition ne peut cependant concerner que des personnes ayant la nationalité française par acquisition. Le projet envisageait donc de l'étendre aux personnes nées françaises, dès lors qu'elles ont une double nationalité.
Le principe d'égalité, élément de communication
Les opposants à la réforme ont alors invoqué une supposée violation du principe d'égalité devant la loin, violation résultant d'une différence de traitement entre les binationaux et ceux qui n'ont que la nationalité française. Cet argument ne résiste pas à l'analyse juridique.
Dès sa décision du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel avait déjà jugé que « le législateur a pu, compte tenu de l'objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l'autorité administrative de déchoir de la nationalité française ceux qui l'ont acquise, sans que la différence de traitement qui en résulte viole le principe d'égalité". Cette jurisprudence a été réaffirmée très récemment dans la décision Ahmed S. rendue sur QPC le 15 janvier 2015.
Même infondé juridiquement, l'argument tiré de la violation du principe d'égalité présente l'avantage de constituer l'une de ces idées simples déjà évoquées et d'avoir un fort impact médiatique. C'est sans doute la raison pour laquelle l'Exécutif envisagerait aujourd'hui un élargissement de la déchéance à l'ensemble des citoyens français, qu'ils soient ou non binationaux. Le conditionnel s'impose cependant, car, pour le moment, nous ne disposons que de "petites phrases", et d'affirmations selon lesquelles le sujet est ouvert au débat. C'est bien la moindre des choses, puisque la loi sera votée par le Parlement qui a tout de même le droit de débattre de son contenu.
Dans cette hypothèse, l'argument médiatique de l'atteinte au principe d'égalité vole en éclats et il devient urgent d'en trouver un autre : l'apatridie.
L'apatridie
L'apatride est défini comme « toute personne qu'aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation" (article 1er de la Convention de New York du 28 septembre 1954). Plus simplement, l'apatride est donc celui qui n'a pas de nationalité. Il est évident que la possibilité de déchoir de sa nationalité un Français en ferait immédiatement un apatride. Les opposants au projet invoquent alors une nouvelle idée simple : il est interdit de créer des apatrides. Une nouvelle fois, l'idée se heurte à un obstacle de taille : le droit positif.
La loi
L'article 25 du code civil énonce que "l'individu qui a acquis la qualité de Français peut (...) être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride". Le risque d'apatridie est donc l'argument essentiel de la réduction de cette procédure au seul cas des binationaux. Il n'en demeure pas moins que cette disposition a valeur législative et que la loi à venir peut librement le modifier.

L'article 15 de la Convention Universelle des droits de l'homme a également été avancé pour justifier le refus du gouvernement de créer des apatrides (http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/01/06/manuel-valls-denonce-de-faux-debats-sur-la-decheance-de-nationalite_4842663_823448.html). Pensez-vous que ce fondement soit pertinent?
RépondreSupprimerBonjour
RépondreSupprimerIl semble que votre analyse juridique de l’atteinte au principe d’égalité se réduise à un extrait de la décision du Conseil constitutionnel de 1996 (DC n° 96-377). Or, si le juge avait à l’époque écarté ce moyen, on doit avoir à l’esprit que la situation n’était pas la même que celle qui nous concerne : il s’agissait du moyen tiré de l’inégalité dont seraient victimes des français ayant acquis la nationalité française par rapport à ceux qui sont nés français. Or, il s’agit aujourd’hui d’une mesure instaurant une différence de traitement entre des citoyens nés français. Rien ne dit que le juge tranchera dans le même sens.
Pour en revenir à l’arrêt de 1996, on ne peut que remarquer la concision de la solution : le juge constate que les deux catégories de français sont dans la même situation juridique, pour autant, il en tire des conséquences étonnantes : les nécessités de la lutte contre le terrorisme justifient un traitement différencié, sans manquer au principe d’égalité. Hélas, le Conseil se garde bien de préciser en quoi cette lutte contre le terrorisme (et surtout que ce dernier soit le fait de français naturalisés) rend nécessaire une telle mesure. C’est la porte ouverte à toutes les interprétations. Aussi peut-on s’y risquer : le juge considère en réalité que ces deux catégories de français ne se situent pas sur un même plan et qu’il n’est pas concevable que les sujets nés français puissent être déchus de leur nationalité, à l’instar des autres à l’égard desquels existe un régime particulier (l’article 25 du code civil) que le juge constitutionnel se refuse de retoucher.
Quid de la différence de traitement entre les binationaux et les autres, tous deux nés français ?
Je re-pose la question soulevée en 1996 et qui, selon moi, est déterminante dans le contrôle juridique de la mesure : la protection de l’ordre public nécessite-t-elle que seule une catégorie de français (les binationaux) puisse être déchue de sa nationalité en cas d’acte terroriste ? Si on répond positivement, c’est qu’on considère que les français binationaux présentent une caractéristique particulière qui justifie un régime spécial : être terroriste et binational nécessite qu’on doive être mis au ban de la société après avoir commis les actes incriminés. Si on est terroriste « mononational », la seule peine de détention criminelle suffit. Objectivement, c’est le seul critère de la binationalité qui détermine le régime applicable. A l’inverse, si répond que la sécurité de la nation n’exige pas que les binationaux seuls doivent être déchus de la nationalité française, alors cette mesure n’a aucune raison d’être. Est en cause non seulement le principe d’égalité mais aussi celui de proportionalité.
Les questions de fond sont, à mon sens, cruciales : Pourquoi ce critère ? Est-il pertinent ? Les terroristes binationaux sont-ils plus dangereux ou, a minima, moins légitime à rester français que les terroriste « mononationaux » ? J’ose penser que ce questionnement est justifié, quitte passer pour un simplet ou un béni-oui-oui de la bien-pensance.
J’ajouterai quelques mots sur l’apatridie dont votre éclairage a remis en cause la fin de mon analyse (c.f mon blog). Le gouvernement peut en réalité juridiquement déchoir de leur nationalité les français « mononationaux » : il peut en définitive soumettre les terroristes français aux mêmes sanctions, mettant fin ainsi à la controverse juridique. S’il ne le fait pas, c’est qu’il considère que les uns méritent un sort différent des autres… - c’est reparti pour un tour !