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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
vendredi 7 août 2015
L'inventaire de la loi Macron par le Conseil constitutionnel
lundi 3 août 2015
Mariage des couples de même sexe : les joies du consensus
Les obligations positives des Etats
Une jurisprudence plus interventionniste
Castor et Pollux. Rome. 1er Siècle av. J.C. Musée du Prado. Madrid. |
L'apparition du consensus
L'influence du droit américain
Elle constate que ce mouvement dépasse largement les frontières du Conseil de l'Europe, citant au passage la décision rendue par la Cour Suprême des Etats-Unis le 26 juin 2015 Obergefell et a. v. Hodges qui considère le mariage homosexuel comme un droit constitutionnel. Cette référence au droit américain peut surprendre. La Cour ne prétend pas que la jurisprudence de la Cour Suprême des Etats-Unis constitue le fondement du droit européen des libertés mais il n'en demeure pas moins que cette citation, certes surabondante, n'est pas pour autant totalement innocente. On peut y voir une trace de l'influence qu'exerce désormais le droit américain sur le continent européen, influence d'autant plus importante qu'elle n'est pas réciproque. La lecture de l'arrêt Obergefell v. Hodges montre que la Cour suprême des Etats Unis utilise comme seule référence le droit américain, en l'espèce le 14è Amendement à la Constitution. Le droit européen ne l'intéresse pas, ce que l'on peut regretter si l'on considère le droit de porter des armes ou la peine de mort.
Quoi qu'il en soit, la Cour déduit de ces éléments que le consensus qui n'existait pas en 2010 peut désormais être considéré comme établi. Elle impose donc aux Etats de légiférer sur le statut des couples homosexuels, sans pour autant imposer le mariage, du moins pour le moment.
L'approche mathématique du consensus
vendredi 31 juillet 2015
Le chant du coq devant le Conseil constitutionnel
Le principe d'égalité
Chorégraphie : Frédérick Ashton. Royal Ballet
L'inégalité consacrée par le législateur
mercredi 29 juillet 2015
Accès aux données de connexion et secret professionnel des avocats
Les moyens qui ne sont pas invoqués
La décision du 23 juillet sur la loi renseignement était issue d'une double saisine du Parlement et du Président de la République. Le Conseil l'étudiait donc dans sa globalité et faisait une sorte de panorama des éventuels cas d'inconstitutionnalité, les écartant dans la plupart des cas.
Dans le cas de la QPC du 24, le Conseil n'examine que les moyens développés par les requérants. Or, les deux procédures étant sensiblement identiques, il aurait été logique que les moyens soulevés soient à peu près les mêmes. La procédure d'accès aux données de connexion prévue par la LPM du 18 décembre 2013 relevait en effet d'une décision l'autorité administrative, en l'espèce une "personnalité qualifiée" nommée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) sur une liste de trois noms proposée par le Premier ministre. La procédure de la loi renseignement, quant à elle, prévoit l'intervention d'une autre autorité présentée comme indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), chargée de donner un avis sur les demandes d'accès aux données personnelles formulées par les services de renseignement. Dans les deux cas, le législateur choisit donc de confier le contrôle des demandes d'accès à des autorités administratives et, finalement, au juge administratif. Le juge judiciaire est donc purement et simplement écarté de la procédure.
Dans le cas de la QPC du 24 juillet, les requérants ne semblent pas se plaindre de cette absence d'intervention du juge judiciaire. Ils invoquent pêle-mêle les jurisprudences belge et britannique, celles de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne, moyens parfaitement inopérants devant le Conseil constitutionnel. En revanche, ils n'invoquent pas l'article 66 de la Constitution, selon lequel le juge judiciaire est "gardien des libertés individuelles".
Imprécision
Rappelons que l'incompétence négative ne peut être invoquée dans une QPC que si elle provoque une atteinte à une liberté constitutionnellement garantie. En l'espèce, les requérants invoquent l'atteinte à la vie privée. A leurs yeux, l'imprécision des notions employées interdit d'exclure la communication de l'ensemble des communications privées d'une personne.
Il est vrai que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 16 décembre 1999, érige le "principe d'accessibilité et d'intelligibilité" en "objectif à valeur constitutionnelle". Ce principe s'applique de manière particulièrement rigoureuse en matière pénale, dès lors qu'il a pour fonction de garantir le respect du principe de sûreté. Dans les autres cas, rien n'interdit d'expliciter les termes d'une disposition législative par renvoi à d'autres dispositions législatives. C'est ce que fait le Conseil, en mentionnant notamment l'article L 34-1-II du code des postes et communications électroniques (cpce). Celui-ci définit la notion d'opérateur de communications électroniques comme "les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne", définition dont l'origine se trouve dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 (art. 6). De même, la notion d'"informations et documents" peut être définie par l'article L 34-1-VI qui précise que les données accessibles "portent exclusivement sur l'identification des personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs, sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers et sur la localisation des équipements terminaux". Elles ne peuvent donc pas porter sur le contenu des correspondances échangées. Pour le Conseil constitutionnel, l'atteinte à la vie privée ne peut donc pas matériellement exister.
Les secrets protégés
vendredi 24 juillet 2015
Loi renseignement : "Filtrer le moustique et laisser passer le chameau"
Le budget de la CNCTR
Le premier de ces points de détail est la disposition relative aux crédits de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), nouvelle autorité administrative indépendante chargée de donner un avis sur les demandes d'accès aux données personnelles formulées par les services de renseignement. La commission est donc plus administrative qu'indépendante, dès lors que l'autorisation est finalement donnée par le Premier ministre.
Que l'on ne s'y trompe pas. Le Conseil ne s'interroge pas sur l'indépendance de l'institution, mais sur son budget. Le programme auquel il est rattaché doit figurer dans la loi de finances et non pas dans la loi ordinaire. Empiétant sur des compétences réservées à la loi de finances, la disposition est donc déclarée non conforme à l'article 34 de la Constitution. On apprend à cette occasion que le budget de cette institution est rattaché au programme "Protection des droits et libertés" de la mission "Direction de l'action du gouvernement". S'agirait-il d'une forme particulière d'humour administratif ? En tout cas, il suffira au gouvernement d'intégrer ce budget dans la future loi de finances pour résoudre la question.
La surveillance internationale
Le deuxième élément censuré concerne la surveillance des communications émises ou reçues à l'étranger, surveillance que la loi autorise au nom des "intérêts fondamentaux de la Nation". Ces interceptions font l'objet d'un régime dérogatoire qui devait figurer dans l'article L 854-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI). Contrairement à ce qu'il a fait pour le régime général de surveillance, le législateur n'a pas défini les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des données mais s'est borné à renvoyer ces questions à un décret en Conseil d'Etat.
En déclarant ces dispositions non conformes à la Constitution, le Conseil constitutionnel se borne à appliquer sa jurisprudence sur l'incompétence négative. Dans sa décision du 13 mars 2003, il affirme ainsi qu'il appartient au législateur, et à lui seul, d'assurer la conciliation entre les nécessités de l'ordre public et le respect de la vie privée. Là encore, il suffira au législateur de réparer cet oubli dans une des nombreuses lois "fourre-tout", portant diverses dispositions sur tout et rien qui sont votées en fin d'année.
La procédure d'urgence opérationnelle
La troisième et dernière disposition déclarée non conforme à la Constitution est présentée comme plus importante par les premiers commentateurs de la décision. Elle porte sur la procédure qualifiée d'"urgence opérationnelle". Elle autorise les services de renseignement à déroger à la procédure d'autorisation du Premier ministre après avis de la CNCTR. Ils peuvent donc utiliser directement les instruments de captation de données, par exemple pose de balises ou interceptions des conversations téléphoniques, "en cas d'urgence liée à une menace imminente ou à un risque très élevé de ne pouvoir effectuer l'opération ultérieurement". Dans ce cas, la CNCTR et le Premier ministre sont simplement informés de l'opération et la demande d'autorisation sera déposée dans les 48 heures qui suivent.
En l'espèce, le Conseil exerce son contrôle de proportionnalité et considère que cette procédure d'urgence opérationnelle porte une atteinte "manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances". Ce contrôle de proportionnalité n'a rien de nouveau et le Conseil l'a, par exemple, exercé dans sa décision rendue sur QPC le 16 septembre 2010 à propos du fichier des empreintes génétiques.
On ne peut cependant s'empêcher de se demander pourquoi le contrôle de proportionnalité ne fonde qu'une seule déclaration d'inconstitutionnalité dans la loi alors qu'il est utilisé à plusieurs reprises. Le recours à la géolocalisation, la réquisition de données techniques auprès des opérateurs, l'interception des données circulant sur les réseaux téléphoniques par utilisation de l'IMSI Catcher, toutes ces prérogatives sont considérées comme ne portant pas une atteinte "manifestement disproportionnée" au droit au respect de la vie privée. Seule est sanctionnée la procédure d'urgence opérationnelle, qui pourtant n'était pas mentionnée dans la lettre de saisine des parlementaires.
Certes, cette lacune n'empêche pas le Conseil de se saisir de ce moyen, d'autant que la saisine du Président de la République l'invitait à se pencher sur l'ensemble du texte. Il est néanmoins possible que les parlementaires ne l'aient pas mentionné, tout simplement parce que cette disposition législative était inutile. D'une manière générale, les théories de l'urgence et des circonstances exceptionnelles ont toujours permis à l'autorité administrative d'agir de son propre chef, même sans titre formel de compétence. En l'espèce, rien n'interdit d'ailleurs au Premier ministre de déléguer aux différents responsables des services de renseignement une compétence pour agir en son nom dans l'hypothèse d'une situation d'urgence opérationnelle. Autrement dit, la disposition peut être d'autant plus facilement déclarée inconstitutionnelle que son absence dans la loi n'empêche pas la mise en oeuvre du dispositif d'urgence qu'elle prévoit.
Le mépris du juge judiciaire
Evoquant le chameau que le Conseil constitutionnel laisse passer, on ne reviendra pas sur tous les points validés par le Conseil constitutionnel, mais seulement sur le plus grave d'entre eux : le mépris affiché à l'égard du juge judiciaire.
L'article 66 de la Constitution énonce que l'autorité judiciaire est "gardienne de la liberté individuelle". Or, le juge judiciaire est totalement absent de la loi renseignement. Pour encadrer les pratiques des services, elle prévoit la double intervention de la CNCTR et du Conseil d'Etat. La première n'intervient que pour faire des "recommandations" sur les demandes de captation de données personnelles et le pouvoir de décision appartient au ministre compétent. Le second peut certes être saisi par une personne qui craint que ses données personnelles fassent l'objet d'une captation, mais il se borne à faire des "vérifications" dont l'intéressé ignore le contenu.
Depuis la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 23 janvier 1987, il n'est pas impossible d'établir un bloc de compétence au profit du juge administratif, à la condition toutefois qu'il soit justifié par une préoccupation de "bonne administration de la justice". En écartant l'intervention du juge judiciaire, le Conseil fait donc une lecture extensive de cette jurisprudence, mais aussi, et c'est plus grave, une interprétation étroite du principe de sûreté.
Le refus de l'Habeas Data
L'article 66 énonce que "nul ne peut être arrêté ni détenu", et la lecture qui en est faite conduite à limiter l'intervention du juge judiciaire aux cas d'arrestation et d'internement abusifs. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC du 17 décembre 2010 impose ainsi l'intervention du juge judiciaire dans le cas d'une détention arbitraire. Il en fait de même dans sa décision sur la géolocalisation du 25 mars 2014, affirmant ainsi que le recours à ce procédé de repérage doit être décidé par le juge judiciaire. Il s'agit cependant d'une géolocalisation utilisée lors d'une enquête judiciaire visant à arrêter les auteurs d'une infraction, et non pas d'une géolocalisation utilisée par les services de renseignements pour surveiller des personnes considérées comme dangereuses pour la sécurité publique.
Reste que, dans un cas le recours à la géolocalisation bénéficie de la garantie du juge judiciaire, alors que dans l'autre cas il est soumis à un contrôle, d'ailleurs modeste, du Conseil d'Etat. On avait espéré que le Conseil profiterait de l'occasion qui lui était donnée par cette saisine pour consacrer le principe d'Habeas Data et affirmer ainsi que la protection des données personnelles est, en soi, un élément de la sûreté, justifiant l'intervention du juge judiciaire. Le Conseil a refusé de saisir cette opportunité et la grande décision attendue n'est pas intervenue. Au contraire, la décision se caractérise par sa sécheresse, sa tendance à privilégier l'affirmation sur l'explication, son absence totale de réserve d'interprétation qui aurait pu guider l'application de la loi.