« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 28 avril 2012

La présomption de légitime défense, qu'est ce que cela veut dire ?

Des policiers manifestent dans la rue. Ils protestent contre la mise en examen pour homicide volontaire de l'un d'entre eux, après la mort d'un délinquant multirécidiviste. A la suite de cet évènement, le Président-candidat s'est empressé de proposer la consécration d'un "droit à la présomption de légitime défense" dont bénéficieraient les forces de police. Inutile de dire que l'idée vient tout droit du syndicat Alliance qui appelle à voter pour le Président Sarkozy et du programme du Front National. La proposition apparait  donc d'abord comme un moyen d'attirer les sympathies des électeurs du Front National, et c'est bien ainsi que la présentent les médias. 
 
Reste évidemment à s'interroger sur son contenu, en faisant préalablement observer que son application n'aurait sans doute pas empêché la mise en examen du policier auteur du coup de feu.

Usage des armes et présomption de légitime défense

Observons d'emblée que les différences dans les règles d'utilisation des armes sont sans influence sur le débat. Les policiers sont soumis au droit commun de l'article 122-5 du code pénal, qui précise que "n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte".


Le Pacha. Georges Lautner. 1968. Jean Gabin

Les gendarmes, quant à eux, doivent respecter l'article L 2338-3 du code de la défense qui autorise "les officiers et sous-officiers à déployer la force armée (...) lorsque les personnes invitées à s'arrêter par des appels répétés "Halte gendarmerie" faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s'arrêter que par l'usage des armes".

Les policiers demandent depuis bien longtemps de pouvoir, comme les gendarmes, faire usage de leurs armes après sommation. Mais cette revendication n'a rien à voir avec les règles gouvernant la légitime défense, auxquelles les gendarmes sont également soumis.

Conséquences de la réforme

Sur le plan de la procédure, la présomption de légitime défense conduit à faire reposer sur la victime l'initiative de l'action pénale, par le dépôt d'une plainte. En son absence, l'action publique n'aurait pas à être engagée, et le procureur ne serait pas tenu de désigner un juge d'instruction. Cette plainte risque d'ailleurs de ressembler fort à un parcours du combattant. On imagine facilement l'accueil au commissariat de police de celui qui veut précisément porter plainte contre un policier. Et s'il s'adresse directement au procureur de la République, ce qui est son droit le plus strict, il risque le classement sans suite.

Sur le fond, on peut théoriquement penser que la présomption de légitime défense n'aurait pas pour effet un  renversement de la charge de la preuve, dès lors que le juge d'instruction instruit à charge, et à décharge. Certes, mais ce dernier risque de se heurter à bien des difficultés, dès lors que le policier n'aura plus à démontrer qu'il a utilisé son arme face à une menace "actuelle, réelle et illégale", et que sa défense était "nécessaire, concomitante et proportionnée à l'agression". Il ne fait guère de doute que le seul témoignage du plaignant ne peut permettre de montrer que la riposte du policier n'était pas "nécessaire", c'est à dire par exemple qu'il disposait d'autres moyens pour se soustraire au danger.

Inconventionnalité, inconstitutionnalité

Sur ce point, il est évident que la réforme porte atteinte à l'"égalité des armes" garantie par la Convention européenne des droits de l'homme, et qui impose que les parties à un procès bénéficient de droits et de prérogatives identiques durant la procédure. De même, l'égalité devant la loi, principe constitutionnel garanti par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est  mise à mal.

On reconnait bien volontiers que la référence à un "permis de tuer" est excessive. Le plus grand danger de cette réforme ne réside pas seulement dans la procédure qu'elle se propose de mettre en place, mais surtout dans sa finalité globale. Ne s'agit il pas de créer un droit spécifique propre à la police ?

mercredi 25 avril 2012

Alea ACTA est : vers l'enterrement européen d'ACTA

L'acronyme ACTA désigne l'Accord commercial anti-contrefaçon (Anti-Counterfeiting Trade Agreement), Il s'agit d'un traité international multilatéral, dont l'objet est de protéger toutes les formes de propriété susceptibles de violation sur internet, y compris, et notamment de lutter contre le piratage.  La caractéristique essentielle de ce traité semble cependant être l'opacité. 

Opacité

Dans les termes tout d'abord, il  faut comprendre que l'Accord commercial anti-contrefaçon n'est ni seulement commercial, ni seulement anti-contrefaçon. Il ne couvre pas seulement les activités commerciales mais l'ensemble des biens et activités protégés par des droits de propriété intellectuelles, comme les brevets, les droits d'auteur, les droits des marques etc. Il ne s'agit donc pas seulement de protéger ces droits divers contre la contrefaçon mais contre toutes les atteintes aux droits d'auteur, quels qu'ils soient. L'intitulé même de la convention prête donc à confusion ou, à tout le moins, minimise l'étendue de son champ d'application.

Dans la procédure de négociation ensuite, l'ACTA s'est caractérisé par une véritable culture du secret. A une époque où l'on voit la négociation de conventions internationales se dérouler au grand jour, avec parfois des sites internet pour permettre à chacun de s'exprimer, avec souvent des ONG qui interviennent quasi officiellement auprès des Etats, l'ACTA a été négociée par des rencontres confidentielles. C'est si vrai que le contenu du projet n'a finalement été dévoilé au public que grâce à Wikileaks, qui avait commencé à diffuser des informations sur son contenu dès 2008.

Un contenu anglo saxon

L'ACTA impose aux signataires des modification du droit de la propriété intellectuelle, notamment lorsqu'il concerne internet. C'est ainsi que le texte prévoit que les Etats sont libres d'adopter des mesures plus contraignantes que celles prévues par le traité.

Or, le droit mis en place par le traité est essentiellement anglo-saxon et repose notamment sur la responsabilisation des fournisseurs d'accès à internet (FAI). Ces derniers pourraient ainsi être poursuivis pour avoir laissé circuler des informations et des biens illicites, système qui les obligerait à se comporter comme des gendarmes du net et à introduire un système de surveillance de l'ensemble des informations qui circulent sur le réseau mondial. Un tel système va directement à l'encontre du droit européen, et notamment du droit français, qui considère que le FAI n'est pas responsables des données illicites qu'il ne fait que transmettre. 

De le même manière, l'ACTA prévoit la possibilité de prononcer des sanctions sans l'intervention d'un juge, et sans respect du contradictoire, principes qui, sous les cieux européens, sont parfaitement inconstitutionnels.

Le problème est que les Etats membres n'ont guère été associés à l'élaboration de l'ACTA.



Un traité imposé aux Etats membres

L'ACTA se présente comme un traité négocié par un petit groupe d'Etats. Le noyau dur est constitué par les Etats-Unis bien entendu, et sept pays amis (Australie, Canada, Corée du Sud, Japon,Nouvelle Zélande et Singapour, auxquels on a ajouté le Maroc, puis la Jordanie, pour bien montrer que l'ACTA n'est pas un accord de pays riches contre les pauvres. Ces négociateurs ont été rapidement  rejoints par la Suisse, le Mexique et l'Union européenne.

C'est donc la Commission européenne qui a participé aux Rounds de négociation, au nom de l'ensemble de l'Union européenne. En janvier 2012, les pays de l'Union européenne ont été invités à signer un Accord à la négociation duquel ils n'avaient pas participé. Les bons élèves comme la France, désireux de plaire aux Etats Unis, ont évidemment signé tout de suite. D'autres comme les Pays Bas, l'Estonie, Chypre, la Slovaquie et surtout l'Allemagne n'ont pas signé. D'autres enfin ont signé, mais ont considéré, après l'avoir lu, qu'il était urgent de suspendre le processus de ratification. C'est le cas de la Pologne et de la Lettonie, le ministre de l'économie letton ayant annoncé, non sans naïveté : "Nous l'avons signé, mais nous nous apercevons maintenant que nous avons besoin d'en discuter".

L'Union européenne est désormais très divisée sur l'ACTA,et des initiatives récentes montrent une volonté d'empêcher sa mise en oeuvre.

L'opposition du parlement européen

Le parlement européen avait déjà montré son irritation lors de la signature du traité en janvier 2012. M. Kadir, rapporteur du projet auprès du parlement, avait alors démissionné en dénonçant une "mascarade", le parlement européen ayant été totalement mis à l'écart des négociations. Son successeur, David Martin, a conclu au rejet du texte. Le vote devait intervenir le 26 avril, mais il vient d'être reporté. La Commission, comprenant l'imminence du danger, a en effet annoncé sa volonté de saisir la CJUE pour lui demander de statuer sur la conformité du traité ACTA au droit de l'Union européenne, mais cette manoeuvre de dernière minute ne devrait pas modifier grand chose. On peut d'ailleurs se demander pourquoi la Cour estimerait qu'un tel traité est conforme au droit de l'Union, alors que sa conformité à la Convention européenne des droits de l'homme est plus que douteuse. 

L'opposition du Contrôleur européen de la protection des données

C'est précisément sur cette Convention que s'appuie l'avis rendu par la Contrôleur européen de la protection des données.(CEPD). A ses yeux, l'ACTA pourrait menacer le droit au respect de la vie privée. En effet, au sens de l'article 8 de la Convention européenne, les mesures portant atteinte à la vie privée ne sont licites que si elles sont "nécessaires dans une société démocratique" et "proportionnées à l'objectif poursuivi", en l'espèce la protection de la propriété intellectuelle.

Pour le CEPD, cet objectif aussi légitime soit-il, ne saurait justifier une surveillance indifférenciée et généralisée d'internet, y compris des données les plus personnelles des internautes. Il fait également observer que le système mis en oeuvre par l'ACTA" ne contient pas de garanties suffisantes, comme une protection juridictionnelle effective, et porte atteinte au principe de présomption d'innocence ainsi qu'au droit à la protection de la vie privée et des données personnelles".

La conclusion est sévère mais juste. Heureusement, le Contrôleur européen de la protection des données ne fait pas de commentaires sur les pays qui se sont dépêchés de signer l'ACTA pour faire plaisir à leurs amis américains... sans l'avoir lu ?


lundi 23 avril 2012

Conférence de Brighton : défaite maritime pour l'Angleterre


Les Anglais n'apprécient guère la Cour européenne des droits de l'homme. Ce n'est guère surprenant si l'on considère que le Royaume-Uni occupe une place particulière dans la géopolitique des libertés. Au sein de l'Europe, il se considère comme le pays qui n'a de leçon à recevoir de personne. A-t-on besoin d'adhérer à une Convention de protection des droits de l'homme lorsque l'on a inventé le Bill of Rights et l'Habeas Corpus ? A-t-on des leçons à recevoir d'une cour européenne alors que le système britannique de protection des droits de l'homme devrait plutôt servir d'exemple au monde entier ? 

La cristallisation

Le conflit s'est cristallisé ces derniers mois autour de plusieurs affaires mettant en cause le Royaume Uni devant la Cour. Une décision Hirst du 6 octobre 2005, puis plus récemment une décision Greens et M. T. c. Royaume Uni du 23 novembre 2010 ont condamné le système pénitentiaire britannique, qui prive de leur droit de vote toutes les personnes détenues. Pour la Cour, la privation des droits civiques ne peut être la seule conséquence de la privation de liberté, mais doit être prononcée comme une peine distincte. Cette jurisprudence a suscité un véritable tollé en Grande Bretagne, d'autant que la seconde décision donnait généreusement six mois au droit britannique pour se mettre en conformité avec la Convention européenne. Les Eurosceptiques y ont vu une intolérable ingérence de la Cour dans un domaine qui ne la concernait pas. 

Les relations se sont encore envenimées avec l'affaire Abu Qatada du 17 janvier 2012, dans laquelle la Cour européenne a accueilli le recours du requérant, terroriste de la mouvance Al Qaida. Elle a ainsi interdit, pour violation du droit à un procès équitable, son extradition vers la Jordanie, au motif qu'il était possible que des preuves recueillies par la torture soient utilisées contre lui lors de son procès. On imagine comment cette décision a été accueillie par la presse britannique, le Sun initiant immédiatement une pétition pour demander au gouvernement Cameron d'extrader immédiatement Abu Qatada, sans tenir compte de la décision de la Cour. L'animosité à l'égard de la Cour est alors sortie du simple débat juridique pour gagner l'opinion publique, et devenir un cheval de bataille des Eurosceptiques. 

Constable. La plage de Brighton. 1824

L'opportunité

Un peu par hasard, le Royaume Uni s'est récemment trouvé dans une position considérée comme favorable pour tenter une offensive contre la Cour européenne. D'une part, la présidence de la Cour est désormais confiée au Britannique Nicola Bratza, qui a succédé au Français Jean-Paul Costa. Le fait de ne pas aimer une institution a t il jamais empêché nos amis britanniques d'user de tous les arguments possibles pour en obtenir la présidence ? D'autre part, la Grande Bretagne assure jusqu'au 23 mai 2012 la présidence tournante du Comité des ministres du Conseil de l'Europe. C'est donc à ce titre qu'elle a convoqué la conférence de Brighton qui s'est déroulée les 19 et 20 avril. 

Disons le franchement, la situation n'était peut être pas aussi favorable que prévu. Car le juge Bratza a fait savoir, dans un article publié dans The Independant, que son gouvernement ferait mieux de soutenir les efforts de la Cour au lieu de la combattre. Autrement dit, le Président avertissait son gouvernement qu'il n'aurait pas son soutien pour des réformes qui porteraient une atteinte excessive aux prérogatives de la Cour. Par ailleurs, toute modification du fonctionnement de la Cour impose un vote unanime des 47 Etats membres du Conseil de l'Europe. Autant dire que l'initiative britannique n'avait que fort peu de chances de bouleverser le fonctionnement de la Cour européenne. 

Revendications britanniques

La revendication britannique s'appuyait sur le principe de subsidiarité. L'idée générale formulée par David Cameron était que "la Cour ne devrait pas compromettre sa propre réputation en réexaminant des décisions nationales lorsque ce n'est pas nécessaire". Pour les Britanniques, les Etats sont les mieux placés pour appliquer les droits prévus par la Convention européenne. Une requête adressée à la Cour devrait donc être jugée automatiquement irrecevable, si l'affaire a déjà été évoquée devant le juge interne, en tenant compte des droits garantis par la Convention. La Cour européenne se verrait donc cantonnée aux hypothèses, de plus en plus rares, d'affaires dans lesquelles les droits issus de la Convention n'ont jamais été invoqués devant les juges internes. La Cour ne serait plus saisie que lorsque les juges internes rencontrent une difficulté d'interprétation ou dans le cas d'une "erreur manifeste". L'ensemble de ce dispositif conduirait donc au déclin de l'intervention de la Cour, sa compétence se réduisant comme une peau de chagrin. 

Faiblesse des résultats

Finalement, la Grande Bretagne n'a rien obtenu, ou à peu près. La déclaration finale de la Conférence de Brighton a toutes les apparences du texte diplomatique parfaitement édulcoré et consensuel.  La seule réforme adoptée ne trouve pas son origine dans la mauvaise humeur britannique mais, de manière plus prosaïque, dans l'encombrement de la Cour qui rend indispensable la mise en place d'un système de filtrage plus efficace des requêtes. La conférence de Brighton décide donc que la Cour pourra, dès 2013, rejeter une requête si le plaignant n'a pas été victime d'une "inégalité significative". Il lui sera donc possible d'écarter les contentieux les plus bénins pour se concentrer sur les violations les plus graves des droits de l'homme. 

A dire vrai, l'évolution est bien modeste. Car le Protocole n° 10, entré en vigueur le 1er juin 2010, autorise déjà la Cour à déclarer une requête irrecevable lors le requérant "n'a subi aucun préjudice important". Par cette disposition, la Cour applique simplement le principe "De minimis non curat praetor".  

Même si la Conférence prévoit également un raccourcissement du délai de saisine de la Cour de 6 à 4 mois, on peut se demander si cette réforme permettra d'améliorer l'efficacité d'une Cour actuellement encombrée de 150 000 dossiers en attente, dont 90 % sont irrecevables. En tout état de cause, elle n'a aucunement pour effet de réduire le champ de compétence de cette juridiction. La démarche britannique semble donc définitivement enlisée dans les sables de Brighton... à moins qu'elle n'ait eu d'autre objet que de donner une satisfaction symbolique aux Eurosceptiques ?










vendredi 20 avril 2012

Résultat des élections : avant l'heure, c'est pas l'heure

Depuis quelques jours, on débat de l'éventuelle publication des résultats des élections, avant l'heure. Les uns, comme le candidat-président, ne voient guère d'inconvénients à ce que les médias diffusent les résultats après la fermeture des bureaux de vote ruraux à 18 h 30, alors que les bureaux de vote des zones urbaines ne ferment qu'à 19 h ou 20 h selon les cas. Les autres insistent sur le risque d'influencer le scrutin, puisque cette connaissance des premiers résultats peut conduire ceux qui n'ont pas encore voté, soit à se mobiliser, soit au contraire à s'abstenir. Ils invoquent ainsi une atteinte à la sérénité du vote.

Le régime juridique : la distinction entre résultats  et sondages

Observons d'emblée le flou qui entoure ce débat. Certains se réfèrent à la publication de "résultats", d'autres à celle de "sondages". Or le régime juridique n'est pas identique, même s'il conduit à la même interdiction. 

La publication de résultats partiels est interdite par l'article L 52-2 du code électoral avant la fermeture des derniers bureaux de vote. C'est ainsi que les résultats des DOM-COM sont gelés jusqu'à la fin du scrutin en métropole. Pour ce qui est des sondages "sorties des urnes", l'article 12 de la loi du 19 juillet 1977 considère cette publication comme une infraction punissable d'une amende de 75 000 € (art. L 90-1 du code électoral).

L 'improvisation

Bien entendu, la période actuelle se caractérise par une magnifique improvisation, comme si les autorités compétentes découvraient brutalement l'existence de Twitter et de Facebook, voire des journaux belges ou suisses. La Commission nationale de contrôle de la campagne électorale pour les élections présidentielles (CNCCEP) se borne à diffuser un "rappel au règlement". La Commission des sondages fait état d'un accord avec les principaux instituts  français, qui auraient renoncé à effectués des sondages "sorties des urnes". Reste que les instituts étrangers n'ont pas été l'objet d'une demande identique et que rien ne leur interdit d'effectuer ces enquêtes et de les diffuser sur des sites situés à l'étranger, ou sur les réseaux sociaux. 

Certains médias annoncent leur désir de passer outre une loi jugée obsolète. Ils envisagent l'avenir avec sérénité, estimant que l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme fait obstacle à leur condamnation. Autrement dit, la liberté de l'information devrait prévaloir sur l'interdiction de publier résultats partiels ou sondages avant la clôture des bureaux de vote. 


L'article 10 de la Convention européenne

Cet optimisme s'appuie sur l'article 10 de la Convention européenne qui a déjà permis de raccourcir la durée pendant laquelle les sondages sont interdits avant le scrutin. La loi de 1977 prévoyait en effet une interdiction générale de publication, de diffusion et de commentaire de tout sondage d'opinion, une semaine avant la consultation électorale. 


Lors des législatives de 1997, de nombreux journaux français ont indiqué à leurs lecteurs des adresses de sites internet étrangers diffusant des résultats de sondages. Dans certains cas, ils ont même publié ces résultats sur leur propre site. Des poursuites ont été engagées à l'égard des contrevenants, qui se sont finalement effondrées devant la Cour de cassation le 4 septembre 2001.  La haute juridiction a en effet annulé la condamnation des prévenus, au motif que l'interdiction de publication des sondages imposée par la loi de 1977 portait atteinte à l'article 10 de la Convention européenne. Elle instaure en effet une restriction qui n'est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés dans l'article 10 § 2 de la Convention, à savoir "les mesures nécessaires à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la morale ou des droits d'autrui". A la suite de cette décision, le législateur est intervenu pour réduire d'une semaine à deux jours la durée d'interdiction de publication de sondages avant l'ouverture du scrutin.

Il serait imprudent de s'appuyer sur cette jurisprudence pour publier des sondages avant la fermeture de tous les bureaux de vote. N'oublions pas que la décision de 2001 porte sur une publication antérieure au scrutin, alors que le débat actuel porte sur une publication avant sa clôture. L'atteinte à la sérénité des opérations électorales est tout de même plus évidente, et susceptible de fonder cet "intérêt légitime" et cette "nécessité" que demande la Cour européenne.

On ne peut donc pas conclure, comme n'hésitent pas à le faire certains médias, que la législation actuelle est obsolète, ce qui justifierait qu'elle soit tout simplement violée. Le développement considérable des réseaux sociaux n'a pas pour effet de rendre caduc le principe de sérénité du scrutin, mais tout simplement d'imposer une réflexion nouvelle sur les moyens de le garantir.

Changer les horaires

 Si on ne peut supprimer les réseaux sociaux, on peut faire en sorte que résultats et sondages puissent être effectués à la même heure, au moment où ils ne pourront plus influencer personne. Il suffit tout simplement d'unifier l'heure de fermeture des bureaux.

Aux termes de l'article R 41 du code électoral, applicable aux présidentielles, "le scrutin est ouvert à 8 heures et clos le même jour à 18 h". Pour "faciliter aux électeurs l'exercice de leur droit de vote (sic)", les préfets de département peuvent prendre des arrêtés avançant l'heure d'ouverture des bureaux ou, au contraire, la reculant. La fermeture plus tardive en zone urbaine trouve donc son fondement juridique dans ces arrêtés préfectoraux.

L'étude de ces fondements juridiques permet d'affirmer qu'il aurait été extrêmement simple d'éviter les divulgations prématurées de résultats, tout simplement en donnant instruction aux préfets de prendre des arrêtés unifiant l'heure de clôture du scrutin, à 19 h ou à 20 h. Rien ne l'interdisait, l'objet de "faciliter l'exercice du droit de vote" étant suffisamment imprécis pour justifier cette modification. Peut être le Président de la République aurait-il pu y penser ? Cela lui aurait évité d'affirmer aujourd'hui qu'il ne "serait pas choqué" de la publication de résultats avant 20 h, affirmation un peu étrange de la part de celui que l'article 5 fait garant de la Constitution et du fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Il pouvait d'ailleurs s'appuyer sur le rapport établi par la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale pour les élections présidentielles (CNCCEP) après l'élection de 2007, qui demandait l'unification des horaires de fermeture des bureaux sur l'ensemble du territoire. Mais sans doute le nouvel élu a t il omis de lire ce rapport, trop occupé à fêter sa victoire ?



mercredi 18 avril 2012

Katyn devant la Cour européenne, 72 ans après.


La décision du 16 avril 2012,Janowiec et a. c. Russie, rendue par la Cour européenne, trouve son origine dans le massacre de Katyn perpétré en avril et mai 1940, durant lequel vingt-deux mille officiers et responsables polonais ont trouvé la mort. Durant de longues années, la Russie a laissé croire que l'armée allemande était l'auteur de ce crime, et c'est seulement en 1990 que Mikhaël Gorbatchev a ordonné une enquête, alors que la plupart des historiens affirmaient la responsabilité de Staline dans le massacre.  En 2004, une décision de clore l'enquête a été prise par les autorités russes, mais elle demeure aujourd'hui classée secret-défense. En 2010, la Douma, c'est-à-dire la chambre basse du parlement russe, a voté une "déclaration" affirmant que "l'extermination massive de citoyens polonais sur le territoire soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale" avait été perpétrée sur l'ordre de Staline, et qu'il fallait continuer  "à vérifier les listes des victimes, rétablir la réputation des personnes mortes à Katyn et ailleurs, et mettre au jour les circonstances de cette tragédie".

Non satisfaits de cette procédure de réhabilitation trop lente à leurs yeux, quinze requérants polonais, proches de douze victimes du massacre, ont saisi la Cour européenne, entre 2007 et 2009. Ils se plaignent de n'avoir pas eu accès à la décision de cloture de l'enquête, de n'avoir pas pu avoir accès aux dossiers de leurs proches et de n'avoir pas pu engager de procédures en vue de leur réhabilitation. D'une façon générale, les requérants estiment que les autorités russes n'ont pas diligenté une enquête effective sur le massacre de Katyn, et ont traité les proches des victimes de manière trop désinvolte. 

Il est évidemment que cette affaire met la Cour européenne dans l'embarras. Donner satisfaction aux victimes polonaises en condamnant la Russie pour des faits produits il y a soixante-douze ans reviendrait à stigmatiser la Russie d'aujourd'hui pour des crimes commis par la Russie d'hier, cette Russie stalinienne que tout le monde veut oublier. A l'inverse, donner satisfaction à la Russie en rejetant purement et simplement les recours polonais reviendrait à refuser à ces personnes la qualité de victime, solution bien fâcheuse pour une juridiction dont l'objet même est la protection des droits de l'homme. Fort habilement, la Cour va trouver une solution de juste milieu. 

L'article 2 : l'obstacle de la non rétroactivité

La Cour européenne qualifie le massacre de Katyn de crime de guerre, qualification qui offre à la Pologne, et aux requérants, une reconnaissance internationale de ces exactions. On pourrait se demander cependant si la qualification de génocide n'aurait pas été préférable, sachant que ces exactions ont précisément eu lieu pour exterminer l'élite de la nation polonaise.  

Quoi qu'il en soit, les requérants ne demandaient pas une condamnation directe de la Russie actuelle pour les crimes commis en 1940. Ils contestaient en revanche le fait qu'elle se soit refusée à enquêter sérieusement sur ces crimes, violant ainsi l'article 2 de la Convention sur le droit à la vie.

La Cour refuse néanmoins de condamner la Russie sur ce fondement, qu'elle refuse d'examiner. En effet, ce pays n'a ratifié la Convention européenne qu'en 1998, soit cinquante-huit ans après les évènements. La Cour ne peut donc, en principe, examiner les faits antérieurs à cette date. La seule exception à ce principe est lorsque ces faits sont antérieurs de peu à la ratification, et que l'enquête a essentiellement lieu après celle-ci. Dans une affaire Silih c. Slovénie du 9 avril 2009, le décès du fils du requérant a lieu une année avant la ratification de la Convention européenne par la Cour européenne, et l'instruction a eu lieu, dans sa plus large part, après cette ratification. Et s'il est vrai que la Cour a accepté d'examiner une série d'affaires concernant la mort de manifestants durant la révolution roumaine de décembre 1989 (par exemple :  CEDH Agache et a. c. Roumanie du 20 octobre 2009), c'est que les enquêtes étaient loin d'être achevées au moment de la ratification de la ratification de la Convention par la Roumanie, en 1994. 

La situation est bien différente dans l'affaire du massacre de Katyn. La Cour fait observer qu'il n'y a aucun "lien véritable" entre les décès intervenus en mai-juin 1940 et l'entrée en vigueur de la Convention, cinquante-huit années plus tard. Quant aux enquêtes diligentées par les autorités russes, elles ont eu lieu essentiellement entre 1990 et 1998, c'est-à-dire avant la ratification de la Convention. Par voie de conséquence, la Cour s'interdit d'apprécier l'effectivité de l'enquête prise dans son intégralité et d'évaluer l'observation par la Russie de son obligation d'enquêter découlant de l'article 2. 

Si la non-rétroactivité fait obstacle à la condamnation de la Russie sur le fondement de l'article 2, la Cour va finalement prononcer cette condamnation sur la base des articles 38 et 3 de la Convention. 

Katyn. Andrzej Wajda. 2007

Le refus de coopérer avec la Cour (art. 38)

La Cour prend acte de la mauvaise volonté des autorités russes. Ces dernières ont non seulement refusé de communiquer aux parties la décision de clore l'enquête intervenue en 2004, mais elle l'ont également refusée à la Cour elle-même. La Cour fait clairement observer qu'elle ne voit pas l'intérêt de classifier cette pièce. Au contraire, une enquête transparente sur les crimes de l'ancien régime totalitaire ne pouvait porter atteinte aux intérêts liés à la sécurité nationale d'une Russie qui se proclame aujourd'hui démocratique. Cette classification est d'autant plus surprenante que les plus hautes autorités russes ont admis la responsabilité du régime stalinien dans le massacre de Katyn. 

Outre cette observation de bon sens, la Cour s'appuie aussi sur le droit international. Elle rappelle que la Convention de Vienne sur le droit des traités dispose que le droit interne ne peut être invoqué pour justifier le manquement d'un Etat à se conformer à un traité (art. 27). C'est bien le cas en l'espèce, puisque les autorités russes s'appuient sur le secret-défense pour refuser de coopérer avec la Cour européenne. Or, le secret-défense qui peut être invoqué par l'Etat, peut également être levé par l'Etat. 

La Russie est donc condamnée pour avoir refusé de coopérer avec la Cour dans le cadre de l'instruction de l'affaire, mais elle est aussi condamnée pour le traitement qu'elle a infligé aux requérants. 

Le traitement inhumain et dégradant

Les requérants sont les ayants droit des victimes de Katyn, l'une est la veuve de l'une d'entre elles, neuf autres sont des fils ou filles de ces victimes qui étaient encore des enfants lorsque leur père a été tué. La Cour observe qu'ils ont subi un double traumatisme, d'abord la perte d'un être cher, et ensuite le fait de n'avoir pas pu connaître la vérité pendant plus de cinquante années. La Cour observe la réticences des autorités russes à reconnaître le massacre de Katyn, et note que les requérants ont été traités avec mépris. Ils ont été confrontés au mensonge, au refus de toute information sur le sort de leurs proches, puis au rejet de toutes les démarches visant à la réhabilitation de leurs proches. Ce "déni" conduit à la Cour à considérer que les requérants ont fait l'objet d'un traitement inhumain au sens de l'article 3 de la Convention, sans toutefois leur accorder une réparation autre que morale. 

Ce raisonnement serait parfait s'il ne se heurtait pas à un problème de taille : pourquoi la non-rétroactivité est elle opposable à l'article 2 et pas à l'article 3 ? La Cour répond à l'objection en insistant sur la différence entre les deux garanties. L'article 2, relatif au droit à la vie, impose aux autorités de prendre des mesures concrètes, de diligenter une enquête pour trouver les responsables et les punir. L'article 3 en revanche, relatif au traitement inhumain et dégradant, impose aux autorités de réagir avec compassion au moment où elles sont saisies et peu importe donc que cette saisine intervienne bien longtemps après les faits. 

Cette différence d'application dans le temps entre les deux articles permet finalement à la Cour de rendre une décision tout entière tournée vers l'équité. Aux requérants, il s'agit de donner une satisfaction morale et l'assurance que leur qualité de victime sera reconnue. A la Russie, il faut montrer une volonté de tourner la page pour construire une Russie démocratique.




lundi 16 avril 2012

QPC : les soins psychiatriques reviennent devant le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel va bientôt se prononcer sur la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques. Ce texte est pourtant généralement présenté comme le fruit de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Deux décisions rendues sur QPC du 26 novembre 2010 et du 9 juin 2011 avaient en effet rendu indispensable l'intervention du législateur, en imposant le contrôle du juge judiciaire pour toute hospitalisation effectuée sans le consentement du patient. Une fois voté le nouveau texte, ce dernier n'avait pas été déféré au Conseil, tout simplement parce que l'on considérait qu'un produit de la jurisprudence du Conseil est nécessairement revêtu d'une sorte de label de constitutionnalité.

Les "programmes de soins", contrainte ou pas contrainte ? 

Il n'en est rien cependant, et la QPC posée aujourd'hui, transmise par le Conseil d'Etat, montre bien que la constitutionnalité d'un texte n'est jamais réellement acquise. La disposition qui pose problème est celle qui fait figurer les "programmes de soins" parmi les traitements susceptibles d'être imposés aux patients sans leur consentement (art. L 3211-2-1 al. 2 csp).

On connaissait déjà l'hospitalisation sous la contrainte, effectuée soit à la demande des proches, soit à celle des autorités publiques lorsqu'il apparaît que le patient présente un comportement très dangereux pour l'ordre public, voire pour lui-même. Mais le "programmes de soins", appelé aussi "soins ambulatoires" laisse perplexe. La loi nous dit qu'il peut comporter des soins à domicile dispensés par un établissement spécialisé, mais aussi une hospitalisation qui ne semble pas très éloignée de l'hospitalisation d'office.

Ces "programmes de soins"  sont au coeur de la QPC à laquelle le Conseil constitutionnel doit apporter une réponse dans les jours prochains. Les moyens d'inconstitutionnalité peuvent être recherchés dans plusieurs directions.

Intelligibilité et accessibilité de la loi

Le législateur n'a pas précisé les limites apportées à la liberté du patient soigné en "soins ambulatoires". Il a laissé aux équipes médicales le soin d'organiser à peu près librement le régime administratif de ces traitements. Cette incertitude est particulièrement dangereuse dans la mesure où elle concerne un patient traité, par hypothèse, contre sa volonté. La liberté d'aller et de venir est ainsi directement mise en cause, de même que le libre choix du médecin, voire le refus du traitement dont on sait qu'il est désormais considéré comme un droit du patient depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002.

Dans la pratique, les services hospitaliers interprètent de manière très étroite la notion de "programmes de soins". Un patient passe généralement d'un régime d'hospitalisation sous contrainte à un régime de "programme de soin" de manière très insensible. Il reste dans le même établissement, et bénéficie simplement de quelques heures de permission de sortie.

On peut ainsi considérer que les dispositions du code de la santé publique, très imprécises et laissant finalement s'exercer le pouvoir discrétionnaire du corps médical, ne répondent pas, sur ce point, aux exigences des principes d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, dont on sait qu'il s'agit d'un objectif à valeur constitutionnelle (voir par exemple la décision du 29 décembre 2009).

Cette exigence d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi conduit souvent le Conseil constitutionnel à s'interroger sur l'éventuelle incompétence négative du législateur. Pour simplifier le propos, l'idée générale est qu'une loi qui n'est pas claire est tout simplement mal écrite. Il y a quelques semaines, le Conseil a ainsi censuré la disposition la loi du 14 avril 2011 sur la garde à vue, imposant aux personnes poursuivies en matière de terrorisme de choisir leur avocat parmi une liste d'avocats habilités par le Conseil national des barreaux. Le texte ne définissait aucun des critères de cette habilitation, ni même les motifs d'une mesure. Le Conseil qui aurait pu se fonder sur le défaut d'intelligibilité de la loi, a préféré annuler la disposition pour incompétence négative, estimant que le législateur aurait dû se montrer plus précis dans l'encadrement juridique de cette procédure.

Les cigares du pharaon. Hergé. 1955.

Incompétence négative

L'incompétence négative peut évidemment être invoquée à l'encontre de l'organisation des "programmes de soins". Alors que le législateur envisageait une hospitalisation à domicile, les médecins pratiquent davantage une hospitalisation à plein temps, sauf quelques rares permissions de sortie. Il n'est évidemment pas question d'entrer dans le fond du débat, car on ne doute pas que si les médecins proposent un maintien à l'hôpital, c'est sans doute qu'il est nécessaire au traitement du patient. Peut-être sont ils également peu enthousiastes à l'idée de laisser en liberté des patients gravement atteints  ? Il n'empêche que cette divergence d'interprétations montre que la loi est mal rédigée, et que le législateur n'a pas été au bout de sa compétence en omettant de définir le cadre juridique de ces "soins ambulatoires".

Juge judiciaire et égalité devant la loi

Cette absence de cadre juridique conduit à constater une différence importante dans les garanties apportées au patient. En cas d'hospitalisation d'office, le juge des libertés et de la détention (JLD) est obligatoirement saisi à deux reprises, une première fois dans un délai de quinze jours après l'internement, une seconde fois dans un délai de six mois.

Il est vrai que l'on peut d'ores et déjà s'interroger sur la constitutionnalité de ce délai de six mois, le Conseil constitutionnel ayant affirmé, dans sa décision du 9 juin 2011, que le cas du patient hospitalisé d'office devait être réexaminé "dans un bref délai". Le délai de six mois est-il un "bref délai"? Espérons que le Conseil se prononcera sur cette question.

En dehors de ce problème d'ordre général, une question particulière est posée, qui concerne non seulement les patients placés en programmes de soins, mais aussi ceux qui sont hospitalisés dans des "unités pour malades difficiles"(UMD). Dans les deux cas, le juge judiciaire ne peut intervenir qu'après avoir recueilli l'avis d'un collège mis en place par la loi de 2011 (art. 3211-9 csp). Ce collège comprend deux représentants de l'équipe soignante, dont un psychiatre, et un autre praticien extérieur à l'équipe. A dire vrai, on ne comprend pas bien comment un psychiatre minoritaire dans un collège de trois personnes pourrait s'opposer aux décisions prises par un confrère à l'égard d'un patient qu'il ne connaît pas.

Quoi qu'il en soit, la saisine du JLD repose ainsi sur l'avis d'une commission d'experts pour les patients soignés en "programmes de soins", alors que le même JLD peut être directement saisi dans tous les cas d'hospitalisation sans le consentement. On objectera évidemment qu'en principe, le programme de soins est mis en oeuvre après avoir recueilli l'"avis" du patient, mais il ne s'agit que d'une procédure consultative qui ne remet pas en cause le fait que le traitement peut être entrepris sans le consentement du principal intéressé. Au demeurant, celui-ci se trouve souvent bien démuni, enfermé dans une camisole chimique, et ignorant la réalité de son statut juridique à l'égard de l'établissement où il est traité.

Au regard des conditions de la saisine du JLD, il y a donc inégalité entre les patients hospitalisés d'office et ceux qui font l'objet de ces fameux "programmes de soins". Les motifs de cette différence de traitement ne sont pas précisés par la loi. La décision rendue sur QPC par le Conseil constitutionnel devrait permettre de répondre à ces questions, et de lever l'ambiguité fondamentale de ces "programmes de soins" qui relèvent des traitements sous contrainte, mais qui s'efforcent de cacher cette contrainte. Ne serait-il pas préférable d'assumer la contrainte, d'en définir précisément le cadre juridique et de prévoir les garanties judiciaires indispensables à la garantie des libertés ?