Le Conseil constitutionnel vient de valider, le 18 novembre 2011, l'essentiel du dispositif de la garde à vue, tel qu'il a été réformé par la loi du 14 avril 2011. Le Conseil a disposé de cinq QPC, jointes dans une décision unique, pour se se prononcer sur ce texte qui ne lui avait pas été déféré lors de son adoption.
Disons le d'emblée, la décision
Mme Elise A. et autres ne plait pas à tout le monde, et surtout pas au barreau qui manifeste haut et fort son mécontentement. Les avocats ont été à l'origine de la première
QPC "garde à vue 1" du 30 juillet 2010, par laquelle le Conseil avait sanctionné le dispositif existant, dans la mesure où il ne respectait pas le principe des droits de la défense. Il avait donc imposé une intervention législative destinée à permettre l'intervention de l'avocat dès le début de la GAV. Sur ce point, le Conseil semblait d'ailleurs s'accorder avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, notamment dans son arrêt
Dayanan c. Turquie du 13 octobre 2009.
Cette victoire était cependant jugée incomplète. Les avocats contestent des points essentiels de la procédure issue de la loi du 14 avril 2011 : l'absence d'accès au dossier de leur client, l'impossibilité d'assister à tous les actes de procédure (perquisitions, reconstitutions), le principe de l'"avocat taisant" qui leur interdit d'intervenir pendant l'interrogatoire et enfin la mise en place d'une audition libre qui permet aux forces de police d'entendre une personne, avec son consentement, en dehors du cadre de la garde à vue.
Le Conseil constitutionnel ne leur donne pas satisfaction, loin de là. Il définit au contraire, et avec beaucoup de précision, le contenu du droit à l'assistance d'un avocat, qui n'est pas un droit absolu mais s'apprécie, à chaque étape de la procédure, en fonction de son utilité au regard des droits de la défense.
La garde à vue, mesure de police judiciaire
Le Conseil rappelle que la garde à vue "est une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire". Il reconnaît, depuis sa décision de juillet 2010, que le droit actuel a renforcé l'importance de la phase d'enquête et qu'il convient donc de garantir à la personne mise en cause des "garanties appropriées" encadrant le déroulement de cette procédure et l'exercice des droits de la défense. Mais cette observation ne modifie en rien la nature même de la garde à vue. Celle-ci a pour objet de procéder à une enquête et d'apporter des éléments de preuve, à charge mais aussi à décharge. La discussion de la légalité des actes d'enquête ou du bien-fondé des éléments de preuve intervient plus tard, lors de l'instruction, voire du jugement.
Le Conseil refuse donc l'assimilation qui lui était proposée entre les droits de la défense et le respect du contradictoire. Ils n'impliquent pas nécessairement la possibilité de contester tous les actes accomplis durant l'enquête. Les droits de la défense ne se réduisent d'ailleurs pas à la relation avec l'avocat, mais englobent d'autres prérogatives comme le droit de demander des soins médicaux ou le droit de garder le silence. Au surplus, cette relation la personne gardée à vue et un avocat n'est pas obligatoire. Les autorités de police sont seulement tenues de proposer l'accès à un conseil, mais la personne gardée à vue peut refuser cette option. Les
premiers bilans de la procédure nouvelle montrent que, pour le moment, 41 % des gardés à vue sollicitent l'intervention d'un avocat.
|
La femme à abattre. Raoul Walsh. 1951. Humphrey Bogart. |
Le droit comparé
Cette priorité donnée aux nécessités de l'enquête n'est pas spécifique au système français. On se souvient qu'il y a encore quelques mois, le Président de la République, soutenu sur ce point par la plupart des institutions représentatives de la profession d'avocat, proclamait sa volonté de faire disparaître le juge d'instruction. Il s'agissait d'importer dans notre pays une procédure accusatoire "à l'américaine", opposant un procureur représentant l'accusation à des avocats qui cherchent à la fois les preuves à décharge et les arguments susceptibles d'emporter la conviction d'un jury. Si l'on étudie cette procédure américaine, présentée comme un exemple, on s'aperçoit que le respect des droits de la défense n'intervient qu'après la mise en accusation par un jury. La phase d'enquête autorise certes le prévenu à avertir ses avocats, mais ces derniers n'ont pas encore accès au dossier.
La loi québécoise exclut, quant à elle, la présence même de l'avocat au stade de l'enquête. La personne est entendue par un policier, et un seul (dans le cadre du dispositif ProGréai), et son conseil n'interviendra qu'une fois le dossier transmis au procureur. On estime au Québec que les droits de la défense sont respectés grâce à l'enregistrement vidéo de l'entretien, qui témoigne que la personne n'a subi aucune pression, et qui est toujours transmis au procureur. Pour la plupart des affaires, cet enregistrement vidéo se substitue purement et simplement à un procès verbal écrit..
Il y a donc plusieurs manières d'envisager le respect des droits de la défense, sans pour autant procéder à une assimilation pure et simple entre la phase d'enquête et la phase d'instruction.
L'"audition libre"
L'élément le plus discuté, à juste titre, de la loi du 14 avril 2011 est précisément cette "audition libre" qui autorise les forces de police à entendre une personne, avec son consentement, sans le régime de la contrainte. Dans ce cas, les règles relatives aux droits de la défense disparaissent purement et simplement, et l'assistance d'un l'avocat n'est plus une obligation.Une telle procédure offrait ainsi une échappatoire aux forces de police, et faisait craindre la création d'une sorte de "mini-garde à vue" non assortie des garanties relatives aux droits de la défense.
Le Conseil constitutionnel valide cette procédure mais énonce à son propos une réserve d'interprétation. Il considère en effet que les droits de la défense ne sont respectés dans ce cas que lorsque la personne à l'encontre de laquelle "il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction pour laquelle elle pourrait être placée en garde à vue a été informée de la nature et de la date de l'infraction qu'on la soupçonne d'avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie". Autrement dit, les autorités de police sont incitées à recourir à la garde à vue pour les infractions les plus graves, celles qui nécessitent le maintien sous contrainte de l'intéressé et qui donnent droit à l'assistance d'un avocat.
Le Conseil s'efforce ainsi de trouver un équilibre entre les nécessités des droits de la défense et celles de l'enquête. Ce n'est pas chose facile à un moment où personne ne s'accorde sur la baisse du taux d'élucidation des affaires pénales (9 % pour les syndicats de police, 1,5 % pour le ministre de l'intérieur), les statistiques officielles de la délinquance ayant un taux de fiabilité pour le moins réduit. Il n'est d'ailleurs pas évident d'établir un lien de causalité entre la nouvelle garde à vue et cette baisse des élucidations, comme le font les syndicats de police. D'autres facteurs entrent en jeu, ne serait-ce que la RGPP qui a réduit le nombre des fonctionnaires.
Vers des conflits entre juridictions ?
Est ce la fin de l'histoire ? Certes non. Les avocats n'entendent pas en rester là et ils disposent de deux leviers juridiques pour faire valoir leur thèse.
D'une part, la proposition de directive européenne présentée en juin 2011, et qui va dans le sens d'une présence de l'avocat à tous les stades antérieurs au procès. Ce texte ne s'oppose pas directement à la garde à vue française, dès lors qu'il impose "l'assistance" d'un avocat, sans imposer formellement l'accès à toutes les pièces et à tous les actes de la procédure. En revanche, l'audition libre pourrait être remise en question dès lors que la directive imposerait le droit à l'assistance d'un avocat pour toutes les phases antérieures au procès pénal. Or, pour le moment, la licéité de l'audition repose sur une réserve formulée par le Conseil et non pas sur le dispositif d'une de ses décisions.
D'autre part, les avocats font savoir qu'ils entendent saisir la Cour européenne sur cette question. Il est aujourd'hui impossible de prévoir l'issue du litige, car la jurisprudence de la Cour manque de limpidité dans ce domaine. Tout au plus énonce t elle que les droits de la défense s'appliquent dans la phase préalable au procès (
CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c. Turquie), ou qu'une condamnation ne saurait intervenir sur la seule base d'aveux obtenus hors la présence d'un avocat
(CEDH 11 décembre 2008, Panovits c. Chypre). Là encore, c'est le droit à "l'assistance d'un avocat" qui est privilégié, et rien ne dit que l'égalité des armes soit un principe acquis dès la garde à vue.
Quoi qu'il en soit, si la Cour accueillait la requête et déclarait que les dispositions de la loi d'avril 2011 ne sont pas conformes à la Convention européenne, nous nous trouverions devant le conflit tant attendu entre le Conseil constitutionnel et la Cour européenne. Certains en rêvent... mais on peut penser que la Cour européenne hésitera avant de susciter un tel conflit qui soulèverait la question des rapports entre la Constitution française et la Convention européenne des droits de l'homme.