Madame Viviane Reding, vice président et commissaire européen chargé de la Justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, vient
une nouvelle fois d'affirmer la nécessité d'étendre à la presse la notion de droit à l'oubli. Dans un discours prononcé le 8 novembre 2011 à l'occasion du 50ème anniversaire de l'association européenne des éditeurs de journaux, elle confirme que cette évolution devrait intervenir à l'occasion de la révision de la
directive sur la protection des données personnelles, prévue en 2012.
Il est vrai que cette directive du 24 octobre 1995 n'envisage que la protection des données personnelles conservées dans des traitements automatisés. Il est donc indispensable de l'actualiser pour que le droit à l'oubli soit garanti en tant que tel par le droit de l'Union européenne, et qu'il soit envisagé à travers tous les vecteurs, internet, réseaux sociaux.. et la presse.
Le droit à l'oubli dans la presse, une histoire ancienne
Madame Viviane Reding découvre donc les bienfaits du droit à l'oubli dans la presse, ce qui est certainement une bonne chose.
Il est cependant loin d'être inconnu en droit français*. Sa première mention est sous la plume du Professeur Gérard Lyon-Caen dans sa note très critique sous l'affaire "Landru", en 1965. A l'époque, l'ancienne maîtresse du célèbre criminel demandait, devant le juge civil, réparation du préjudice que lui causait la sortie d'un film de Claude Chabrol relatant une période de sa vie, qu'elle aurait préféré enfouir dans le passé. Le juge a alors évoqué une "prescription du silence", pour finalement rejeter la demande au motif que la requérante avait elle même publié ses mémoires, et que le film reprenait des faits relatés dans des chroniques judiciaires parfaitement accessibles (TGI Seine, 14 octobre 1965, Mme S. c. Soc. Rome Paris Film? JCP 1966 I 14482, n. Lyon-Caen ; confirmé en appel : CA Paris 15 mars 1967).
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Claude Chabrol. Landru. 1963 |
Cette "prescription du silence" était pourtant une notion guère satisfaisante. Elle laissait supposer une certaine automaticité de l'oubli, alors même que le juge apprécie ce type d'affaire au cas par cas, en fonction des intérêts en cause. La notion de "droit à l'oubli" va donc finalement être préférée, et elle apparaît dans le droit positif avec la décision Madame M. c. Filipacchi et Cogedipresse du 20 avril 1983. Le TGI de Paris s'y exprime dans des termes qui montrent sa volonté de consacrer une nouvelle liberté publique :
"Attendu que toute personne qui a été mêlée à des évènements publics peut, le temps passant, revendiquer le droit à l'oubli ; que le rappel de ces évènements et du rôle qu'elle a pu y jouer est illégitime s'il n'est pas fondé sur les nécessités de l'histoire ou s'il peut être de nature à blesser sa sensibilité ;
"Attendu que ce droit à l'oubli qui s'impose à tous, y compris aux journalistes, doit également profiter à tous, y compris aux condamnés qui ont payé leur dette à la société et tentent de s'y réinsérer".
Le droit à l'oubli a donc intégré le droit positif il y a déjà plusieurs décennies par la voie de la responsabilité civile.
Droit à l'oubli et droit au respect de la vie privée
La Cour de cassation a également défini avec précision le champ d'application du droit à l'oubli, dans une
décision du 20 novembre 1990. Il vise l'ensemble du passé judiciaire d'une personne, qui dépasse donc largement l'espace de sa vie privée. Qu'ils relèvent ou non de la vie privée, les fait divulgués ont nécessairement été publics à une époque donnée, dans un passé plus ou moins lointain. Ce n'est pas la première publication qui est fautive, car elle est justifiée par la nécessité de rendre compte de l'actualité judiciaire, conformément à la loi sur la liberté de presse. En revanche, la nouvelle divulgation d'une procédure pénale depuis longtemps oubliée peut être constitutive d'une diffamation, qui peut donner lieu à la fois à une sanction pénale et à une réparation civile.
Dans une affaire du 20 avril 1983, le TGI de Paris a ainsi condamné à réparation l'hebdomadaire Paris-Match qui, dans une rubrique intitulée "La tête de l'emploi", avait publié la photo de la requérante, en la classant dans la catégorie des "criminels", et en précisant qu'elle avait tué l'épouse et le fils de son amant. Pour le juge, cette publication, dont on pouvait "à juste titre, contester le bon goût", ne se justifiait par "aucune nécessité évidente de l'information immédiate ou de la culture historique des lecteurs". Le droit à l'oubli ne cède donc devant la liberté de l'information que lorsque ce rappel de faits anciens est absolument pertinent par rapport à l'objet de la publication.
Le juge s'efforce, au cas par cas, de réaliser l'équilibre entre les nécessités de l'oubli et celles de l'information. Il s'assure par exemple que les faits concernant la vie privée actuelle d'une personne réinsérée dans la société ne sont pas diffusés, même si les circonstances d'un crime ancien peuvent parfois être rappelées dans la presse. Le droit au respect de la vie privée rejoint alors le droit à l'oubli pour mettre la personne à l'abri de son propre passé.
Ce souci d'équilibre et d'individualisation de chaque affaire est la caractéristique principale de cette jurisprudence ancienne. Le juge se montre prudent et attentif aux circonstances de l'espèce, tant il est difficile de concilier ce droit de la personnalité avec la liberté de presse. En étendant à la presse le droit à l'oubli numérique, sans davantage de réflexion, la future directive européenne risque de susciter davantage de problèmes qu'elle n'en résoudra.
Droit à l'oubli numérique et droit à l'oubli dans la presse
Le droit à l'oubli numérique présente la caractéristique d'être la conséquence du principe de finalité, qui figure déjà dans la directive de 1995 (et dans la loi française depuis 1978). En effet, la création d'un fichier automatisé de données nominatives est soumise à un régime de déclaration préalable, voire quelquefois d'autorisation. La CNIL est donc informée des finalités de la collecte et de la conservation des données. Lorsque ces finalités disparaissent, les données doivent être détruites. Elle sont donc nécessairement "oubliées"et la CNIL garantit le respect de ces procédures.
En matière de presse, la situation juridique est plus complexe, car la liberté de presse est organisée selon le régime répressif. Les responsables d'un organe de presse n'ont pas à déclarer préalablement les informations qu'ils ont l'intention de diffuser, que le journal soit édité sur support papier ou sur internet. Il est donc impossible d'envisager un contrôle préalable du respect du droit à l'oubli.
Reste à s'interroger sur les difficultés techniques de cette mise en oeuvre du droit à l'oubli.
- Il est impossible d'envisager une interdiction pure et simple de diffuser des données relatives au passé judiciaire d'une personne (voire un blocage des pages concernées sur internet) . Ce serait évidemment une atteinte absolue à la liberté de presse qui ne peut être réalisée que par un juge, c'est à dire a posteriori. L'anonymisation des données est donc la seule solution, si ce n'est que les organes de presse vont certainement s'opposer à une mesure à la fois contraignante et coûteuse. Au demeurant, le droit à l'oubli disparaît juridiquement avec le décès de son titulaire, ce qui implique une actualisation constante des archives du journal.
- Au bout de combien de temps une information qui rend compte de l'actualité judiciaire deviendra t elle une information qui porte atteinte au droit à l'oubli ? La réponse à cette question est évidemment impossible, dans la mesure de l'impact médiatique de chaque affaire judiciaire est différent.
- Quels seront les critères permettant de distinguer une publication dans l'intérêt public du (culture, recherche historique etc..) et une publication destinée simplement à faire monter les ventes en rappelant un fait divers racoleur ?
A toutes ces questions, il est pratiquement impossible d'apporter des réponses. Le droit à l'oubli reste un droit du cas par cas, de l'appréciation soigneuse des intérêts qui s'opposent, de la subtilité de l'analyse juridique. Un droit de haute couture et non pas de prêt à porter. Un droit qui doit incomber au juge, et à lui seul.
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Le premier article consacré au droit à l'oubli : R. Letteron, Le droit à l'oubli, Revue du droit public, 1996, n° 2, p. 385 et s. Disponible en PDF, sur demande à : noslibertes.veillejuriridique@gmail.com
Une petite précision doit être apportée. L'arrêt de la cour de cassation du 20 novembre 1990 (Bull. I n° 256 p. 181) pose deux règles. La première décide que l'intéressée ne peut se prévaloir d'un droit à l'oubli lorsque les faits en cause ont été publiés dans des comptes rendus judiciaires. En revanche, et c'est la seconde règle, l'intéressée peut agir sur le fondement de l'article 1382 du code civil (responsabilité civile) si le journaliste poursuivi a omis de mentionner une décision de réhabilitation touchant l'intéressée. Le droit à l'oubli n'a donc pas été retenu par la cour de cassation, certainement en raison des divers obstacles relevés à la fin de l'article ci-dessus.
RépondreSupprimerAntoine Alexiev
Je suis ancien détenu, remis en liberté depuis 2 ans et parfaitement réinséré dans la société et sans obligation (bracelet électronique, suivi médico-judiciaire, etc...)hormis mon inscription au FIJAIS puisqu'il s'agissait de faits à caractère sexuel.
RépondreSupprimerA ce jour, tout quidam qui connaît mes nom, prénom et profession peut très facilement m'identifier et connaître mon passé judiciaire vu que les articles de presse de 2005 et 2007 sont toujours consultables sur le Net.
Ceci constitue une atteinte à la vie privée, notamment pour la recherche d'un emploi et la réinsertion dans la société, surtout lorsqu'on a payé le prix fort au vu des responsabilités réelles dans les affaires reprochées.
Loin de remettre en question la liberté d'expression et d'information de la presse, il me semble tout à fait normal que cette information ne soit diffusée que dans le temps nécessaire, chez votre marchand de journaux vous ne trouvez pas le Quotidien vendu il y a 6 ans......
En gardant en ligne les archives journalistiques identifiant clairement une personne, il se créé peu à peu un pseudo fichier judiciaire consultable par tout le monde et qui échappe à tout contrôle, ce qui est contraire à toutes les Lois.
Il est donc grand temps que le droit à l'oubli soit appliqué sur le Web, personne n'est parfait, chacun commet des erreurs plus ou moins graves, et chacun a le droit de revendiquer que ses erreurs soient oubliées une fois qu'elles ont été réparées.
Bonjour,
SupprimerJe suis journaliste, je réalise un sujet sur les anciens détenus qui observent des difficultés à se réinsérer parce qu'une information les concernant circule encore sur internet.
Votre témoignage m'intéresse. Accepteriez-vous d'en discuter pas mail ?
Bien sûr, votre témoignage restera anonyme.
Je vous donne mon adresse : anne-sophie.valentin@ouest-france.fr
Bonjour Madame,
RépondreSupprimerJe serais très intéressée par votre article sur le droit à l'oubli. Mais je ne parviens pas à vous envoyer cette demande par mail, je reçois un message d'erreur...
Je fais actuellement un mémoire sur le droit à l'oubli numérique en prenant l'exemple de la presse en ligne. Votre article m'intéresse donc.
Votre billet de blog sur le droit à l'oubli est également très intéressant. Je n'avais pas connaissance des jurisprudences que vous y citez !
Merci par avance,
JB
Merci de me laisser une adresse courriel pour que je vous envoie l'article.
SupprimerBien cordialement,
RL
Je vois seulement votre réponse.
SupprimerDésolée de ne pas y avoir répondu plus tôt.
baron.julie@hotmail.fr
Merci encore,
Bien cordialement,
JB
Bonjour Madame,
RépondreSupprimerEtudiante en droit européen et stagiaire dans un cabinet d'avocats, je traite actuellement d'une affaire portant sur cette problématique. Je suis donc très intéressée par votre article sur le droit à l'oubli. Pourriez vous me l'envoyer à l'adresse mail suivante: ma_alia@hotmail.fr
Je vous en remercie d'avance.
Bien Cordialement,
MG
Bonjour Mme. Letteron,
RépondreSupprimerJe suis étudiant de droit à l'Université de Brasilia et je suis actuellement en recherche sur le « droit à l'oubli ». Ici au Brésil c'est un construction jurisprudentielle très récente est encore limitée à l'utilisation des données du système pénal par la presse, mais je travaille avec comment ce droit-là peut être allégué pour la protection d'informations personelles en général. Ce billet a attiré mon attention et j'aimerais si vous pourriez m'envoyer l'article cité par mail (pedrohasantiago@gmail.com) pour que je puisse avoir matériel de support dans mes écrits.
Je vous en remercie d'avance,
P.S.
Bonjour Mme. Letteron,
RépondreSupprimerJe suis étudiant de droit à l'Université de Brasilia et je suis actuellement en recherche sur le « droit à l'oubli ». Ici au Brésil c'est un construction jurisprudentielle très récente est encore limitée à l'utilisation des données du système pénal par la presse, mais je travaille avec comment ce droit-là peut être allégué pour la protection d'informations personelles en général. Son billet au blog « Liberté, Libertés chéries » a attiré mon attention et j'aimerais si vous pourriez m'envoyer l'article cité (R. Letteron, Le droit à l'oubli, Revue du droit public, 1996, n° 2, p. 385 et s.) pour que je puisse avoir matériel de support dans mes écrits.
Je vous en remercie d'avance.
Bien cordialement,
Pedro Santiago