« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 3 novembre 2011

Charlie, la Charia et le droit au blasphème


En matière de libertés publiques, rien n'est jamais acquis. La liberté d'expression semble pourtant solidement ancrée dans le droit positif. L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme rappelle que "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme". 

Chacun sait qu'un incendie a détruit, dans la nuit du 1er au 2 novembre 2011, les locaux de Charles Hebdo, au moment où sortait un numéro spécial consacré à la Charia, dont Mahomet était censé être le rédacteur en chef. Bien entendu, les auteurs de l'attentat demeurent pour le moment inconnus, et il faut espérer qu'ils seront rapidement arrêtés et jugés. 

Danger des amalgames

Certains sont tentés de faire un parallèle avec une autre affaire qui agite les esprits depuis quelques jours. Des catholiques intégristes jugeant blasphématoire une pièce de Romeo Castellucci, "Sur le concept du visage du fils de Dieu" ont en effet manifesté à plusieurs reprises et empêché le spectacle de se dérouler dans des conditions normales. Le parallèle a d'ailleurs été fait par le ministre de l'intérieur lui-même qui, commentant l'incendie de Charlie Hebdo, a déclaré " Les intégristes chrétiens, comme vous les qualifiez, protestent. Ils expriment aussi des opinions, ils ne brûlent pas". Il serait sans doute inopportun de rappeler au ministre de l'intérieur que le cinéma Saint Michel a précisément brûlé en 1988 pour avoir programmé le film de Martin Scorcese, "La dernière tentation du Christ"...

Cet amalgame est évidemment dangereux. D'une part, en opposant deux communautés religieuses, il laisse entendre que le caractère inacceptable de l'attentat commis contre les locaux de Charlie Hebdo rendrait acceptable l'atteinte commise à la liberté d'expression théatrale. Le ministre de l'intérieur, par ailleurs ministre des cultes, est pourtant chargé de faire respecter la loi, quelle qu'elle soit. Et si on se réjouit que les intégristes chrétiens n'aient pas mis le feu au théâtre de la Ville, si l'on admet bien volontiers que leur action n'a pas créé de dommages comparables à ceux subis par Charlie Hebdo... cette situation ne retire rien à l'illégalité de leur action. 

A la place d'un amalgame, c'est au contraire une distinction qui doit être réalisée entre deux actions bien différentes, qui n'ont évidemment pas la même gravité, et qui portent atteintes à deux libertés connexes, mais distinctes. L'action des intégristes chrétiens relève de l'atteinte à la liberté d'expression, alors que l'attentat contre Charlie Hebdo viole la liberté de presse qui fait l'objet d'une protection spécifique.

Le théâtre et la police générale

Un théâtre est un espace de liberté d'expression, liberté organisée selon le régime répressif. Ce terme, probablement mal choisi, désigne une liberté qui s'exerce librement, son titulaire pouvant éventuellement être condamné a posteriori par le juge pénal, en particulier s'il a usé de sa liberté d'expression de manière attentatoire à l'ordre public. Conformément à ces principes, l'ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles a donc levé la censure qui pesait sur le théâtre. La loi du 18 mars 1999 a ensuite unifié le régime juridique des manifestations artistiques. 

La Cour européenne des droits de l'homme rappelle, dans sa décision Ulusoy c. Turquie du 3 mai 2007 que la liberté d'expression théâtrale est protégée par l'article 10 de la Convention selon lequel "Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière". 

De ces dispositions, on déduit que le régime des théâtres relève de la police générale. Cela signifie que les autorités publiques n'ont pas le droit d'interdire une représentation, et qu'elles doivent mettre en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour garantir la liberté d'expression. Depuis le célèbre arrêt Benjamin de 1933, le juge administratif apprécie l'effectivité et la proportionnalité des moyens mis en oeuvre pour permettre l'exercice de la liberté d'expression. Conformément à cette jurisprudence, les représentations théâtrales doivent se dérouler aussi normalement que possible, sous la protection des forces de police si elle s'avère indispensable. 

Rappelons par ailleurs qu'un théâtre est un espace clos auquel on accède en payant sa place. Nul n'est contraint d'assister à une représentation, et la sanction la plus lourde pour une pièce de théâtre inutilement provocante est celle du public qui, dans sa grande sagesse, laisse la salle vide.

La "Une" de Charlie Hebdo du 2 novembre 2011
La liberté de presse et la police spéciale

De la même manière, nul n'est tenu d'acheter Charlie Hebdo, mais ce journal a évidemment le droit d'exprimer ses opinions, même particulièrement caustiques envers une religion. Facette de la liberté d'expression, la liberté de presse est soumise au même régime répressif, et chacun a donc le droit d'exprimer librement son opinion dans un journal. 

A la différence de la liberté d'expression théâtrale, la liberté de presse est cependant une police spéciale. Elle relève de la célèbre loi du 29 juillet 1881, dont on a vu récemment qu'elle s'appliquait également à l'expression sur internet. Sur le fond, elle prévoit des délits de presse limitativement énumérés et contrôlés par le juge pénal. 

Au strict plan juridique, le numéro de "Charia Hebdo" ne pose guère de problème, dans la mesure où la jurisprudence est très nette depuis la célèbre affaire des caricatures de Mahomet. La publication d'une série de douze dessins dans le journal danois Jyllands-Posten le 30 septembre 2005 avait engendré de nombreuses manifestations, dont certaines très violentes, de la part de différents mouvements musulmans. Plusieurs journaux, dont Charlie Hebdo, avaient pris l'iniative de reproduire ces dessins, pour affirmer leur attachement à la liberté de presse, et leur solidarité à l'égard du caricaturiste danois qui était l'objet de menaces.  

A l'époque, certains mouvements musulmans avaient engagé des poursuites pour "injure" envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une religion déterminée, délit prévu par l'article 33 al. 3 de la loi de 1881. Le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus le 22 mars 2007 après avoir examiné en détail les différents dessins, estimant avec sagesse qu'ils participaient à "un débat d'idées sur les dérives de certains tenant à un Islam intégriste ayant donné lieu à des débordements violents"

La Cour d'appel de Paris, statuant le 12 mars 2008, a confirmé cette argumentation. Contrairement au tribunal de première instance, elle n'examine pas chaque caricature successivement, mais les regroupe dans une même analyse. Elle note que les dessins visent une fraction de la communauté musulmane, et non son ensemble, et qu'ils ne sauraient être qualifiés d'"injure" puisqu'ils ne comportent aucune attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes.

Si le numéro spécial de Charlie Hebdo avait fait l'objet d'un recours, on peut penser que la liberté de presse aurait fait l'objet d'une protection identique par les juges... 

Le droit au blasphème

Qu'il s'agisse de l'expression théâtrale ou de la liberté de presse, les deux affaires rappellent que les convictions religieuses ne sauraient en soi fonder une atteinte à la liberté d'expression.

C'est évidemment plus facile d'accepter l'exercice de cette liberté quand elle véhicule des informations ou des idées considérées comme inoffensives, indifférentes, voire bien pensantes. C'est  plus difficile quand elle développe des idées qui heurtent, choquent ou simplement dérangent. Le blasphème est une appréciation, un jugement de valeur reposant sur la foi religieuse. Dans une société laïque, chacun peut librement considérer tel ou tel acte comme blasphématoire, mais ce sentiment relève de l'intimité de la vie privée, et ne saurait être imposé à tous. Le blasphème ne peut pas être pris en considération par le droit, et, d'une certaine manière, le droit au blasphème est un élément de la liberté d'expression.

Ce débat d'aujourd'hui nous ramène deux siècles en arrière, plus précisément sous la Restauration, l'époque de la loi sur le sacrilège (1825) et de la loi dite "de justice et d'amour" (1827). La première prévoyait la condamnation à mort par décapitation de tout profanateur, notamment lorsque la profanation touchait des hosties consacrées. La seconde muselait la presse, en particulier en cas de propos offensants pour la religion.. Veut-on vraiment revenir à cette période d'obscurantisme ?

C'est précisément la force d'une société laïque et pluraliste d'accepter tous les débats, car le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions, quelles qu'elles soient. 


mardi 1 novembre 2011

Les Anglais et la CEDH : Je t'aime.. moi non plus


Le Royaume Uni a toujours entretenu avec la Cour européenne des droits de l'homme une relation compliquée.En soi ce n'est guère surprenant si l'on considère que ce pays se caractérise d'abord par une position particulière dans la géopolitique des libertés.Comme dans bien d'autres domaines, le Royaume Uni se situe dans une sorte d'entre-deux, partagé entre sa proximité avec le droit américain et son ancrage continental. Avec les Etats-Unis, le Royaume Uni partage son attachement au dualisme et une certaine méfiance à l'égard des conventions intervenues dans le domaine des droits de l'homme.

Membre du Conseil de l'Europe, il participe cependant au système international de protection des droits de l'homme le plus achevé au plan international, les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme s'imposent à l'administration britannique comme aux autres. De même, on constate qu'en dépit de réticences affichées à l'égard de la Cour, les autorités britanniques se sont largement investies dans l'élection de Sir Nicolas Bratza à sa présidence.

La Cour européenne face  à  l'Habeas Corpus

Le Royaume Uni a certes juridiquement accepté la compétence de la Cour européenne... ce qui ne signifie pas qu'il adhère en profondeur à son principe même. Pour les Eurosceptiques en particulier, l'existence même d'une juridiction supranationale a quelque chose de "shocking" dans le pays du Bill of Rights et de  l'Habeas Corpus , bref dans un pays qui n'a de leçons à recevoir de personnes dans ce domaine.

Et pourtant... les statistiques récemment publiées par la Cour européenne montrent que 16 % des saisines britanniques de la Cour européenne portent précisément sur le principe de sûreté et 24 % sur les règles du procès équitable, pourtant garantis par cet Habeas Corpus présenté comme un modèle Sur le plan statistique, le Royaume Uni se situe derrière la Turquie, dont les saisines ne dépassent pas 15 % en matière de sûreté et 21 % en matière de procès équitable, et derrière la moyenne des 47 Etats parties à la Convention européenne qui se situe à 11 % pour la sûreté et 20 % pour le procès équitable.

Bien entendu, les juristes britanniques pourraient répondre que 39 % des saisines françaises portent sur la durée très excessives de nos procédures, et ils auraient raison. Mais l'administration française se caractérise par une absence totale de remise en cause des décisions de la Cour. Celle-ci a déjà suscité la modification de pans entiers de notre système juridique, des écoutes téléphoniques à la garde à vue en passant par le droit des étrangers. Si les décisions de la Cour européenne suscitent parfois quelques critiques, ces dernières ne dépassent pas le champ du débat juridique.

La situation  est bien différente au Royaume Uni, où quelques décisions récentes ont suscité une mise en cause aussi radicale que décomplexée de la Cour européenne.

André Derain. Big Ben. 1906

La Cour européenne face aux Eurosceptiques

Cette irritation est renforcée par certaines décisions de la Cour européenne, qui ne ménagent pas les autorités britanniques. On songe évidemment aux deux décisions du 7 juillet 2011 Al Skeini c. Royaume Uni, et Al Jedda c. Royaume Uni, A propos de différentes exactions commises sur des civils par des soldats britanniques en Irak, la Cour avait condamné le Royaume-Uni pour violation du principe de sûreté. Elle avait refusé de suivre les autorités britanniques qui estimaient que la responsabilité engagée était celle de l'ONU. A ses yeux, les victimes des mauvais traitements étaient placées sous la garde de l'armée britannique,ce qui suffit à engager la responsabilité du Royaume-Uni.

De manière un peu étrange, mais ô combien britannique, l'opposition des Eurosceptiques s'est cristallisée sur une jurisprudence qui, aux yeux français, ne présente qu'un intérêt des plus limités.  Par une décision Hirst du 6 octobre   2005,  le Royaume Uni a été condamné par la Cour pour discrimination, une loi de 1870 interdit en effet aux personnes détenues de participer aux élections. Il est vrai que M. Hirst était condamné pour avoir tué sa propriétaire à coup de hache, ce qui ne plaidait pas en sa faveur.. Mais il n'en demeure pas moins que la Cour estime que la privation des droits civiques ne doit pas être la conséquence de la privation de liberté mais doit être prononcée comme une peine distincte.

Confrontées à cette décision, les autorités britanniques ont fait la sourde oreille et refusé de modifier la législation. De manière très logique, le 23 novembre 2010, dans une affaire similaire, Greens et M. T. c. Royaume Uni, la Cour européenne a réitéré sa condamnation. Elle a eu en outre l'outrecuidance de donner cette fois un délai de 6 mois aux autorités britanniques pour mettre le droit en conformité à la norme européenne.

Cette fois, la décision a suscité un tollé, tant dans la population que dans les milieux gouvernementaux. M. David Cameron a déclaré qu'un prisonnier qui a rompu le contrat social doit perdre à la fois sa liberté et son droit de vote. Et il a reçu sur ce point le soutien des Communes qui ont refusé toute modification de la loi de 1870.

En même temps, un rapport publié en février 2011 par" Policy Exchange" intitulé "Bringing Rights Back Home" et signé par Michael Pinto-Duschinsky déclare que le Royaume Uni est devenu un "sous-serviteur" des juges strasbourgeois, qui n'ont "virtuellement aucune légitimité démocratique". Et l'auteur, professeur à Oxford et ancien conseiller du gouvernement, étudie les moyens juridiques de renoncer à la juridiction de la Cour, voire de se retirer de la Convention européenne. 

Aujourd'hui, l'examen imminent, le 2 novembre, par la Grande Chambre de la Cour, d'une nouvelle affaire portant sur le droit de vote d'un détenu, en Italie cette fois (Scoppola c. Italie) a pour effet de relancer l'offensive des Eurosceptiques britanniques. L'"Attorney General" se rendra à Strasbourg pour plaider la primauté des lois de l'Etat lorsque sont en cause des "questions de société", argumentaire dont on n'a évidemment pas le détail, mais qui semble avoir bien peu de chances de prospérer.

On peut toutefois s'interroger sur l'objet réel de cette démarche. Chacun sait que le Premier ministre David Cameron n'a évidemment pas intérêt à marginaliser le Royaume Uni au sein de l'Europe... Et une plaidoirie à Strasbourg permet de donner une satisfaction d'amour propre aux Eurosceptiques.. sans s'engager à rien.


dimanche 30 octobre 2011

Le Livre Blanc invente la garde à vue à géométrie variable


Le "Livre Blanc sur la sécurité publique" remis au  ministre de l'Intérieur le 26 octobre est passé relativement inaperçu, du moins si on le compare à la grande opération médiatique qui avait entouré l'adoption du "Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale" de 2008. Il s'agissait alors de réfléchir sur de vastes perspectives,  à savoir  "les moyens de garantir la sécurité du pays, assurer la défense de ses intérêts dans le monde et contribuer à l'affirmation de l'Europe sur la scène internationale". Derrière l'ambition officiellement affichée, l'objectif était plus terre-à-terre : mettre en oeuvre la RGPP, organiser la suppression de 57 000 postes dans les forces armées et la fermeture de nombreuses implantations, imposer la réforme à un monde militaire placé dans l'incapacité juridique de protester, et d'ailleurs fort peu associé à la rédaction du Livre Blanc.

Celui sur la sécurité présente un certain nombre de points communs avec son prédécesseur de la défense. Comme lui, il doit offrir une réflexion sur les moyens de garantir un service public, celui de la sécurité, présenté comme une priorité de l'actuel gouvernement... sans toutefois revenir sur la réduction régulière des effectifs et des budgets de fonctionnement. Comme lui, il a été rédigé sans réelle concertation avec les principaux acteurs concernés, en particulier les forces de police et de gendarmerie. Les auteurs sont en effet Messieurs Alain Bauer et Michel Gaudin, tous deux proches du Président de la République.

Un arsenal sécuritaire

On trouve dans le rapport tous les poncifs de la politique sécuritaire, un ensemble d'idées disparates, présentées comme nouvelles, mais déjà bien connues outre-Atlantique : développement des fichiers biométriques de "reconnaissance faciale", possibilité de déposer des "pré-plaintes" en ligne. Le Livre Blanc se prononce également pour la généralisation des "patrouilleurs", système inspiré des pratiques américaines qui consiste à faire de la police de proximité... en voiture. 

L'intérêt essentiel de ce nouveau Livre Blanc réside cependant dans le traitement de la garde à vue. Nul n'ignore que  la réforme instituée par la loi du 14 avril 2011 suscite un certain agacement, en particulier chez les syndicats de police. L'intervention de l'avocat dès le début de la procédure est perçue comme une intrusion inutile mais aussi comme la cause d'un alourdissement considérable des contraintes de procédure. Et il est vrai que le temps passé à organiser ces auditions n'est pas utilisé pour élucider les affaires en cours. Chacun redoute que la réforme ne suscite une réduction du taux d'élucidation, ce qui serait évidemment fâcheux en période électorale. 

Pour pallier ces inconvénients, les auteurs du Livre Blanc, dont on sait que la préoccupation n'est pas tant la réduction de la délinquance que celle des statistiques de la délinquance, ont fait preuve d'une imagination somme toute assez limitée.  Puisque la garde à vue dérange... pourquoi ne pas réduire le champ de la procédure de droit commun ? On sait que celle-ci ne doit pas dépasser 24 heures, renouvelables une fois, soit 48 heures au maximum. Nos auteurs proposent donc, non sans naïveté, de généraliser une garde à vue "plus longue" et de créer une garde à vue "plus courte", toutes deux destinées à faciliter la tâche des enquêteurs. Il suffisait d'y penser.
 
Garde à vue. Claude Miller 1981. Lino Ventura et Michel Serrault

La garde à vue "version longue"

Celle-là existe déjà.  Depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, la garde à vue peut durer jusqu'à 72 heures pour un certain nombre d'infractions mentionnées à l'article 706-73du code de procédure pénale et qui regroupent  les atteintes au droit humanitaire ainsi que ce que l'on désigne habituellement sous le vocable de "grande criminalité" : meurtre et vol en bande organisée, trafic de stupéfiants, enlèvement et séquestration, fausse monnaie, trafic d'armes, blanchiment etc... Par ailleurs, la garde à vue peut être encore prorogée, et durer cette fois jusqu'à 96 heures pour les infractions relatives au terrorisme, lorsqu'il existe un risque actuel d'acte de terrorisme.

On le voit, cette garde à vue "allongée" concerne déjà une grande partie des crimes les plus graves. Les auteurs du Livre Blanc proposent de l'étendre encore à l'ensemble des homicides volontaires, ouvrant la voie à une généralisation d'une garde à vue de 72 heures en matière criminelle. 

Cette procédure "allongée" est évidemment plus confortable pour les enquêteurs qui ont davantage de temps pour recueillir des preuves et obtenir des aveux. En outre, on sait que, "à titre exceptionnel", l'OPJ chargé de l'enquête peut demander au procureur le report de l'intervention de l'avocat, pour des "raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête". Le droit commun prévoit que cette intervention de l'avocat ne peut être différée au-delà de douze heures. En revanche, lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à cinq ans d'emprisonnement, ce délai de report est étendu jusqu'à la 24è heure.. Elargir le champ de cette procédure "longue" permet donc de revenir à une situation qui n'est pas très éloignée du droit antérieur à la loi d'avril 2011, et offre une enquêteurs une période relativement longue durant laquelle ils échappent à la présence de l'avocat. 

La garde à vue "version courte"

A l'opposé, le Livre Blanc envisage une garde à vue raccourcie à 4 heures. L'idée n'est pas nouvelle, et trouve son origine dans le rapport Léger sur la justice pénale, remis en septembre 2009. Il suggérait une "retenue judiciaire", nouvelle mouture de l'ancienne audition libre durant laquelle la personne acceptait librement d'être entendue, hors la présence d'un avocat. Alain Bauer s'est montré particulièrement attaché à cette proposition, qu'il a défendue dans une tribune publiée par le Figaro le 18 février 2010. Elle a ensuite suscité une proposition de loi qui n'a guère prospéré.. Devant ce succès pour le moins mitigé, il n'est guère surprenant qu'Alain Bauer ait réintroduit cette idée dans son Livre Blanc. 

Le projet initial est cependant quelque peu modifié. Ce n'est plus le fait que la personne se mette volontairement à la disposition des enquêteurs qui est mis en avant. C'est désormais le caractère relativement bénin des infractions qui devrait constituer le fondement de cette "retenue judiciaire". Le Livre Blanc invoque ainsi le vol à l'étalage ou la consommation simple de stupéfiants, et d'une manière générale les infractions assorties de peines inférieures ou égales à trois années d'emprisonnement qui pourraient être concernées par la nouvelle procédure. En tout état de cause, il n'est pas question d'une personne libre de ses mouvements qui accepte de participer à une enquête, mais bien d'une personne retenue contre son gré, car soupçonnée d'être l'auteur d'une ou plusieurs infractions.

L'idée n'est évidemment pas dépourvue d'habileté. Il peut sembler logique d'assouplir les procédures pour les affaires simples, d'autant que rien n'interdit d'achever la "retenue judicaire".... par une mise en garde à vue. Il n'empêche que cette procédure allégée a pour effet de priver la personne de retenue de l'exercice des droits de la défense. Elle offre aux enquêteurs une période de quatre heures durant laquelle une personne est interrogée hors la présence d'un avocat.

Si la manoeuvre est habile, ses chances de succès demeurent cependant limitées. On ne voit pas comment la Cour européenne comme le Conseil constitutionnel pourraient accepter, dès lors que la personne entendue est effectivement soupçonnée d'un délit, qu'elle ne bénéficie pas du tout des droits de la défense. On ne voit pas davantage la différence de nature entre cette "retenue judiciaire" et la garde à vue.. Elle est plus courte, ne concerne que des affaires délictuelles... Certes, mais à l'inverse, lorsqu'il s'agit de crimes particulièrement graves ou de terrorisme, la mise à la disposition des enquêteurs peut durer jusqu'à 72 heures, voire 96 heures... et il n'en demeure pas moins que cette procédure demeure qualifiée de "garde à vue"...En bref, la garde à vue ne se définit pas par les infractions qui la justifient, ni même par sa durée, mais bien davantage par les garanties qu'elle offre à la personne.

Il est vrai que si l'accroissement de la criminalité s'apprécie aussi par l'augmentation du nombre des gardes à vues, la "retenue judiciaire" devrait avoir un effet positif sur les statistiques... 

De quoi plaire aux auteurs du Livre Blanc...


vendredi 28 octobre 2011

Antennes relais et principe de précaution

Le Conseil d'Etat a rendu le 26 octobre trois décisions très attendues en matière d'installation des antennes de téléphonie mobile. A la suite de doutes relayés par les médias sur l'impact de ces installations sur la santé, certains élus des villes de Saint Denis, Pennes-Mirabeau et Bordeaux avaient pris diverses mesures soumettant la pose de ces antennes à différents types de contraintes. A Saint Denis, elles étaient interdites à moins de 100 mètres autour des crèches, des établissements scolaires et des résidences de personnes âgées. A Pennes-Mirabeau, elles étaient également interdites, cette fois dans un rayon de 300 mètres autour d'une habitation ou d'un établissement recevant du public. A Bordeaux enfin, elles étaient soumises au contrôle des services de la ville et également interdites autour des locaux accueillant des enfants de moins de douze ans. Dans ce dernier cas, le Conseil d'Etat est saisi en appel d'une demande de référé de SFR demandant la suspension de l'arrêté du maire. Les contentieux ont évidemment été initiés par les opérateurs de téléphonie mobile qui estiment que la multiplication de ces décisions locales empêche le déploiement de leur réseau sur l'ensemble du territoire. 

Si les restrictions envisagées par les élus divergent quelque peu, leurs décisions ont pour point commun de se fonder sur le principe de précaution pour écarter la liberté de communication. Le Conseil est donc finalement invité à se prononcer sur la concurrence entre la liberté de communication et le principe de précaution d'une part, et entre la police générale et une police spéciale d'autre part. 

Les multiples facettes de la liberté de communication

La liberté de communication, comme la liberté de presse, est une de ces libertés à multiples facettes, qui englobe à la fois la liberté d'expression et la liberté d'entreprendre. Dès le 18 septembre 1986, le Conseil constitutionnel a ainsi précisé que les auditeurs et téléspectateurs ont le droit d'installer des antennes de réception radio ou de télévision sur leur habitation, reconnaissant ainsi l'existence d'un droit d'envoyer, et pour les clients de recevoir, les émissions herziennes et plus tard satellitaires. Si aucune décision ne porte précisément sur la téléphonie mobile, il n'en demeure pas moins que l'installation des antennes relais peut être considérée comme le moyen d'exercice d'une forme très actuelle de la liberté de communication. 

Dans le cas de la téléphonie mobile, le déploiement des antennes-relais ne s'est pas accompagnée d'études de l'impact de cette technologie sur la santé des populations. Des études plus ou moins alarmistes circulent, des rumeurs se développent et des riverains refusent l'installation d'antennes relais. En février 2011, une étude du COMOP (Comité opérationnel de la table ronde gouvernementale "Radiofréquence, santé et environnement") montre cependant que l'exposition réelle du public aux ondes radio est extrêmement faible, sans nécessairement emporter la conviction des opposants les plus résolus à cette technologie.



Le principe de précaution, des jurisprudences divergentes

Au coeur du débat se trouve la principe de précaution. Issue du sommet de Rio, cette notion figure dans la Charte de l'environnement. Lorsque cette Charte est intégrée dans notre Constitution par la révision de février 2005, le principe de précaution y pénètre également, sans pour autant faire l'objet d'une définition très précise. Il est pourtant invoqué pour empêcher le déploiement des réseaux de téléphonie mobile, et les contentieux suscitent des jurisprudences très divergentes. 

Le juge judiciaire est saisi par des riverains qui demandent de mettre un fin à ce qu'ils considèrent comme une exposition à un risque sanitaire. Invoquant le principe de précaution, la Cour d'appel de Versailles, dans une décision du 4 février 2009, constate que l'opérateur aurait pu s'exonérer de sa responsabilité s'il avait démontré avoir pris des mesures de précaution, par exemple l'éloignement des antennes des personnes les plus vulnérables. En l'absence de telles mesures, il est condamné à verser aux demandeurs des dommages et intérêts. Le tribunal de grande instance de Carpentras, le 16 février 2009, exige, quant à lui, le démontage de l'antenne litigieuse. Quant au tribunal de grande instance d'Angers saisi en référé le 5 mars 2009, il a ordonné purement et simplement l'interdiction d'un projet d'implantation d'antennes relais. Pour ces juridictions, l'exposition à un risque sanitaire, même hypothétique, constitue une forme nouvelle de risque de voisinage. On observe cependant que ces décisions sont celles des juges du fond, et que la Cour de cassation ne s'est pas encore prononcée sur cette question. 

Le juge administratif s'est montré moins audacieux, saisi quant à lui par les opérateurs de téléphonie mobile contestant des arrêtés municipaux limitant ou interdisant le déploiement de ces antennes. Une  décision du 20 avril 2005 Société Bouygues Télécom, du Conseil d'Etat met fin à des jurisprudences de combat certains tribunaux administratifs et refuse de prendre en considération le principe de précaution dans le cadre du contrôle de légalité. Dans une autre décision du 2 juillet 2008, Soc. SFR il précise ensuite qu'un maire ne peut pas imposer des conditions d'éloignement à ces installations au nom du principe de précaution. 

Les trois décisions du 26 octobre confirment la jurisprudence antérieure, mais vont également plus loin en précisant cette fois que les élus locaux sont incompétents pour prendre des mesures restreignant le déploiement des antennes relais. 

Police générale et police spéciale

Le Conseil d'Etat affirme en effet que les autorités de l'Etat ont une compétence exclusive pour réglementer l'implantation des antennes relais sur le territoire. Il s'agit donc d'une police spéciale confiée au ministre chargé des communications électroniques, à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et à l'Agence nationale des fréquences (ANF). Il leur appartient, dans le cadre de leurs compétences, de définir les modalités d'implantation des stations électriques ainsi que les mesures éventuelles de protection du public contre les effets des ondes émises. En l'occurrence, la mise en service d'une antenne est subordonnée à une autorisation de l'ANF, délivrée au regard des caractéristiques techniques de la station et de son implantation locale.

Le maire se voit donc exclu de toute intervention au motif que les autorités de l'Etat "peuvent s'appuyer sur une expertise non disponible au plan local".  La police spéciale l'emporte évidemment sur la police générale, et le maire n'est plus fondé à intervenir sur le fondement de son pouvoir de police, sauf évidemment en cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles.

Cette décision porte un nouveau coup au principe de précaution. Le Conseil d'Etat énonce en effet que ce principe ne "saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d'excéder son champ de compétence et d'intervenir en dehors de ses domaines d'application". Autrement dit, même si les  seuils de radiation fixés par décret étaient localement dépassés, les maires demeureraient incompétents pour intervenir en ce domaine. La seule voie de droit dont ils disposent consiste à alerter les autorités compétentes.

La lecture de cette décision incite à s'interroger sur ce "principe de précaution", salué comme une formidable avancée dans la protection de l'environnement, introduit dans la Constitution avec enthousiasme, si souvent invoqué à l'appui de tout et de n'importe quoi, et aujourd'hui victime de l'incertitude de sa propre définition. Faute de parvenir à en préciser les contours, le Conseil d'Etat préfère l'écarter...

Reste à se demander si la Cour de cassation fera la même chose le jour où elle sera saisie d'une affaire relative à ces antennes relais.

mercredi 26 octobre 2011

Les recours de la Scientologie

 L'Eglise de Scientologie a convoqué la presse le 24 octobre pour lui annoncer qu'elle engageait un "recours" contre une circulaire du ministre de la justice relative à "la vigilance et la lutte contre les dérives sectaires". Il s'agit en effet d'une "circulaire de politique pénale" datée du 19 septembre qui porte sur la mise en oeuvre de l'article 223-15-2 du code pénal

L'abus d'état de faiblesse adapté à la sujétion mentale

Ce texte, issu de la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit, étend la notion d'"état de faiblesse" non seulement aux mineurs ou aux personnes vulnérables en raison de leur âge ou de leur état de santé, mais aussi à toute personne "en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement". L'infraction est d'ailleurs aggravée, lorsqu'elle est commise par le dirigeant d'un groupement dont l'objet même est "de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités". Autant dire que l'abus frauduleux de l'état de faiblesse est désormais adapté à la sujétion mentale, et vise donc directement les dérives sectaires.  

L'Eglise de Scientologie s'estime directement visée par ce texte, et redoute peut-être les peines encourues qui sont effectivement très lourdes : trois ans d'emprisonnement et /ou 375 000 € d'amende, qui peuvent aller jusqu'à cinq ans et 750 000 € lorsque les faits sont aggravés. 

Les indices de la sujétion mentale

La circulaire engage les parquets, dès qu'il y a suspicion de dérive sectaire, à vérifier si les victimes se trouvent en état de sujétion psychologique. Dans ce but, elle leur suggère l'examen de certains éléments du mode de vie des éventuelles victimes et énumère certains indices de sujétion : "séparation des membres de la famille, rupture avec l'environnement professionnel, refus de traitements médicaux conventionnels, exigence de remise de fonds, absence d'accès aux médias ou aux moyens de communication".. De même, sont énumérés comme instruments de sujétion certaines pratiques physiques ou comportementales telles que "les tests, les cures de purification, les régimes vitaminés, les jeûnes prolongés, les cours d'initiation répétés" ou encore "l'introduction d'un vocabulaire et d'un état-civil spécifique au groupe".

La Scientologie reconnaît elle-même qu'il s'agit de "pratiques religieuses" qu'elle recommande à ses adeptes. Quels sont pour autant les recours qu'elle déclare vouloir engager ? 



Le recours de la Scientologie

On observe d'emblée que es avocats de la secte, Me Michel de Guillenschmidt et Jean-Marc Florand,  n'utilisent pas le recours le plus évident, celui qui aurait consisté à contester directement la circulaire du ministre de la justice devant le Conseil d'Etat. Depuis la très célèbre jurisprudence Notre-Dame du Kreisker de 1954, il est acquis qu'un recours pour excès de pouvoir peut être dirigé contre une circulaire, dès lors qu'elle modifie le droit existant. Dans ce cas, elle est analysée comme un texte réglementaire, et donc annulée pour incompétence. Dès lors que la Scientologie se plaint que la circulaire ajoute des indices révélateurs de la sujétion qui ne figurent pas dans le texte de loi...pourquoi n'a t elle pas saisi le Conseil d'Etat ? 

Disons le franchement... l'illégalité de la circulaire est difficile à plaider. Rien n'interdit à un ministre de guider l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, en l'espèce celui d'engager des poursuites pour abus de sujétion psychologique. Et la jurisprudence estime depuis bien longtemps qu'une circulaire peut tout à fait donner à ses destinataires des éléments de nature à aider leur décision. C'est d'ailleurs la garantie d'une certaine égalité des justiciables, puisque l'infraction sera appréciée à partir de critères identiques sur l'ensemble du territoire. 

Une "plainte" auprès du rapporteur spécial des Nations Unies sur l'indépendance des juges

Faute de recours pour excès de pouvoir, l'Eglise de Scientologie a préféré déposer une "plainte" devant le rapporteur spécial des Nations Unies sur l'indépendance des juges... Et les journaux de reprendre à l'unisson le dépôt de cette "plainte" qui serait fondée sur "une atteinte aux droits des minorités religieuses". 

On doit évidemment féliciter les avocats de la secte d'avoir une telle idée qui leur permet d'engager une opération de communication sur la Scientologie sans courir le moindre risque juridique ou judiciaire. 

D'une part, on ne dépose pas "plainte" devant le rapporteur spécial, actuellement Madame Gabriela Carina Knaul de Albuquerque e Silva (Brésil). Cette autorité, créée en 1994 par la Commission des droits de l'homme n'est en effet dotée d'aucun pouvoir judiciaire. Elle "reçoit des informations qui sont portées à son attention" et peut, le cas échéant, faire des "recommandations". On peut en déduire que les pouvoirs du rapporteur spécial ne risquent pas de menacer les bases du système judiciaire français. 

D'autre part, le champ de compétence du rapporteur spécial se limite aux problèmes liés à l'indépendance du système judiciaire, qu'il s'agisse de celle des juges ou des magistrats. De toute évidence, on ne voit pas en quoi une circulaire adressée aux parquets mais qui leur laisse toute leur autonomie pour décider de l'opportunité des poursuites, porterait atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire et au principe du procès équitable.

Autant dire que la démarche de l'Eglise de Scientologie a assez peu de chances de prospérer.. 

Vers le procès en appel de la condamnation de 2009

On doit cependant s'interroger sur la proximité de cette démarche avec un autre procès, sérieux cette fois, qui va s'ouvrir le 3 novembre. La Scientologie fait appel en effet de la condamnation des structures françaises du mouvement, le "Celebrity Centre" et de sa librairie. La secte n'a pas été condamnée pour abus de faiblesse ou sujétion mentale, mais plus prosaïquement pour escroquerie en bande organisée. On se souvient peut-être de la "démonstration" à l'audience de l'"électromètre", appareil assez semblable au "biglotron" de Pierre Dac, et qui est censé permettre à l'adepte d'accéder à la sérénité en se libérant des éléments mentaux négatifs... 

A l'époque, le 15 juin 2009,  le parquet avait requis la dissolution des deux groupements.. mais elle s'était révélée inapplicable. En effet, un mystérieux amendement à une loi "fourre-tout" de simplification administrative avait été voté le 12 mai, interdisant la dissolution d'une secte pour escroquerie. Cet évènement témoignait des succès incontestables des activités de lobbying menées par la Scientologie, a empêché évidemment cette dissolution. 

Dès septembre 2009, un autre amendement, déposé au Sénat puis voté par l'Assemblée, a rétabli la possibilité de dissoudre une secte condamnée pour escroquerie.. Autant dire que le procès d'appel risque d'être intéressant... 

Il est alors très tentant de considérer que la secte s'efforce de distiller le soupçon sur le système judiciaire français... dont elle a beaucoup à redouter. 

lundi 24 octobre 2011

Chronique d'une QPC annoncée : garde à vue et libre choix du défenseur

La garde à vue suscite depuis presque deux ans une sorte d'affolement juridique. On sait que la nouvelle procédure, organisée par la loi du 14 avril 2011, a été contestée dès l'origine. De manière un peu surprenante, les critiques les plus vives ne provenaient pas des forces de police, même si les personnels redoutaient que l'accroissement des contraintes de procédure n'ait un impact négatif sur l'élucidation des affaires. Les critiques les plus aigües sont venues des avocats,  ceux-là mêmes qui avaient combattu en faveur de la réforme.

La garde à vue en précarité constitutionnelle

En dépit de toutes ces difficultés, on pouvait penser que la constitutionnalité de la loi du 14 avril 2011 était acquise, puisque précisément ce texte devait satisfaire aux exigences posées par le Conseil dans sa décision rendue sur QPC du 30 juillet 2010. Il n'en est rien cependant, et la procédure actuelle est victime d'une certaine précarité constitutionnelle, d'autant que la loi du 14 avril n'a pas été déférée au Conseil. Nombre de QPC ont été transmises par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, souvent à l'initiative des avocats eux-mêmes.

Sont actuellement visés par une QPC les articles 62 (possibilité d'entendre une personne non suspecte sans avocat), 63-3-1 (désignation de l'avocat par les tiers), 63-4-2 (entretien confidentiel avec l'avocat), 63-4-1 à 63-4-5 (accès au dossier, délai de carence, possibilité de report, obligation au secret..). Le Conseil constitutionnel est donc aujourd'hui invité à apprécier la conformité de la réforme aux principes qu'il avait lui même posés dans sa décision du 30 juillet 2010. Ces QPC reposent le plus souvent sur le droit à un procédure juste et équitable, les droits de la défense, voire le principe de sûreté c'est à dire le droit de ne pas être arrêté ni détenu sans l'intervention d'un juge. Sur tous ces points, le Conseil constitutionnel va devoir se prononcer, en se livrant probablement à un contrôle de proportionnalité entre les droits de la défense et nécessités de l'enquête. On se souvient en effet que la "recherche des auteurs d'infraction" est, en soi, un "objectif à valeur constitutionnelle" (par exemple décision du 22 avril 1997). 

Le libre choix du défenseur

Aujourd'hui, une nouvelle QPC est quasiment annoncée par le Conseil national des Barreaux (CNB). Son président, maître Thierry Wickers, s'est livré, le 21 octobre lors de la Convention nationale des avocats à Nantes, à une attaque en règle contre le dispositif actuel de la garde à vue. Il s'est surtout intéressé, ce qui est tout à fait nouveau, à l'article 706-88 al 2 du code de procédure pénale qui précise que si une personne est gardée à vue pour des affaires liées au terrorisme et à la grande criminalité, le juge des libertés et de la détention (JLD) ou le juge d'instruction peut décider qu'elle sera assistée par un avocat "désigné par le bâtonnier sur une liste d'avocats habilités, établie par le bureau du Conseil national des barreaux". Cette liste sera établit par le bureau du CNB, sur propositions des conseils de l'ordre de chaque barreau. 

Cet article 706-88 al. 2 cpp devrait faire l'objet d'un prochain décret d'application, mais il n'en demeure pas moins qu'il est plus efficace de mettre en cause la constitutionnalité de l'article 16 de la loi du 14 avril 2011 qui prévoit cette procédure plutôt que de faire un recours pour excès de pouvoir, une fois le décret entré en vigueur. 

La restriction au principe du libre choix du défenseur est évidente, dès lors que la personne gardée à vue perd le droit de choisir son avocat, celui-ci étant désigné par le bâtonnier. Il est vrai que le Conseil constitutionnel ne semble pas avoir accordé valeur constitutionnelle au principe de libre choix du défenseur, sans doute parce qu'il n'a pas été saisi de recours à son propos.

Cézanne. L'oncle Dominique en avocat



La position de la Cour européenne

En revanche, la Convention européenne des droits de l'homme le consacre expressément dans son article 6 § 3 :  "Tout accusé a droit notamment à se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix". Il est vrai que la Cour fait une lecture souple de ce principe. Des atteintes au libre choix du défenseur peuvent intervenir lorsqu'il "existe des motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent" (CEDH, 25 septembre 1992, Croissant c. Allemagne). Concrètement, la Cour admet ainsi une restriction au libre choix de l'avocat, par exemple lorsque les frais de représentation sont supportés par l'Etat dans le cadre d'un système d'aide judiciaire. 

L'éventuelle atteinte au libre choix de l'avocat doit donc être justifiée, pour la Cour européenne, si "les intérêts de la justice le commandent". En l'espèce cependant, l'article 706-88 al. 2 ccp reste muet sur les motifs qui ont conduit le législateur à prévoir une liste d'avocats habilités à assister en garde en vue les personnes accusées d'infractions liées au terrorisme ou à la grande criminalité. Il faut se tourner vers le rapport de l'Assemblée nationale sur le projet de loi pour trouver deux justifications : "Le premier risque résidera dans la possibilité que la personne gardée à vue soit assistée par un avocat défendant la même cause idéologique qu'elle ; le risque de fuites serait alors considérable. Le second risque sera, compte tenu de la personnalité, de la dangerosité et des moyens dont disposent certains auteurs d'actes de terrorisme que des pressions soient exercées par les personnes gardées à vue sur les avocats désignés pour qu'ils préviennent leurs complices ou fassent disparaître des preuves". Autant affirmer clairement que le législateur n'accorde qu'une confiance limitée aux défenseurs...

Cette double justification semble surprenante. La première impose en réalité un fichage par les barreaux des opinions politiques de leurs membres, ce qui est évidemment contraire aux principes les plus élémentaires de la législation informatique et libertés. La seconde fait plutôt appel à une analyse des vulnérabilités des avocats... L'"habilitation" à laquelle il est fait référence ressemble alors étrangement à une habilitation à connaître des documents classifiés. La question se pose de manière très concrète, puisque beaucoup de dossiers, particulièrement en matière de terrorisme, reposent sur des informations provenant du renseignement. Mais les barreaux sont évidemment incompétents pour attribuer ce type d'habilitation, comme d'ailleurs ils sont incompétents pour réaliser l'enquête qui la précède... 

Bien entendu, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel n'est pas lié par la jurisprudence de la Cour européenne. Il n'empêche qu'elle est pour lui une constante source d'inspiration... et que les dispositions de l'article 706-88 al. 2 du code de procédure pénale apparaissent bien fragiles face à une éventuelle QPC.