« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


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jeudi 18 mai 2017

Droit au silence : l'aveu n'est plus la reine des preuves

Dans son arrêt du 25 avril 2017, la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme l'élargissement du droit au silence et du droit de ne pas s'auto-incriminer à l'ensemble de la procédure pénale. Cette évolution trouve son fondement dans la loi du 27 mai 2014 qui transpose la directive européenne du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales. 

L'auteur du pourvoi Hocine X., a été interpellé sur la voie publique, une arme à la main, et des témoins affirment qu'il a tiré sur M. Z.  Au moment de sa garde à vue, il est régulièrement avisé de ses droits et demande l'assistance d'un avocat avec lequel il s'entretient avant sa première audition. Mais sans doute son conseil n'a-t-il pas suffisamment insisté sur les bienfaits du droit au silence, surtout pour les personnes qui ont quelque chose à se reprocher. En effet, avant même cette première audition, alors que les enquêteurs le ramènent en voiture d'une perquisition effectuée chez lui, Hocine X. passe aux aveux. Il leur explique spontanément comment il est entré en possession de l'arme et comment il a accidentellement tiré sur M. Z. Les enquêteurs dressent un procès-verbal de ces déclarations, document qui va constituer l'élément essentiel de la mise en examen de Hocine X  pour tentative de meurtre, violences aggravées et infractions à la législation sur les armes. C'est précisément ce procès-verbal dont il demande aujourd'hui l'annulation, invoquant à la fois son droit au silence et son droit à ne pas s'auto-incriminer. 

Le droit au silence


Le droit au silence peut être considéré comme un droit d’importation, directement inspiré de la procédure accusatoire américaine reposant sur une stricte égalité entre l'accusation et la défense. Sa justification est moins évidente dans un système inquisitoire durant lequel l’enquête préliminaire et l’instruction se font à charge et à décharge. Cette situation explique certainement les difficultés qu'il a rencontrées pour s'implanter durablement dans notre système juridique. Affirmé par la loi Guigou du 15 juin 2000, il disparaît avec la loi du 18 mars 2003 pour revenir avec celle du 14 avril 2011, puis être confirmé et élargi par celle du 27 mai 2014.

Le droit au silence a connu des hauts et des bas, et il ne se serait sans doute pas développé sans la pression constante de la Cour européenne des droits de l'homme. Elle le considère en effet comme un élément du droit au procès équitable depuis l'arrêt Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996. Le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue sur QPC le 30 juillet 2010 a également considéré qu'il faisait partie des droits de la défense et s'imposait dès le début de la garde à vue. L'article 63-1 du code de procédure pénale confère donc à la personne placée en garde à vue "le droit, lors des auditions (...) de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire".

Certes, mais Hocine X. a eu la malencontreuse idée de faire ses aveux en dehors d'une audition. Il peut cependant là encore invoquer la jurisprudence libérale de la Cour européenne des droits de l'homme. Dès l'affaire Allan c. Royaume Uni de 2002, la Cour sanctionne ainsi l'utilisation à charge de confidences faites à un soi-disant co-détenu, en réalité un informateur de la police placé au contact de l'accusé pour obtenir des aveux. Ces confidences qui constituaient l'essentiel de l'accusation ont donc été obtenues contre le gré du requérant et l'utilisation qui en est faite au procès porte atteinte au droit de garder le silence qu'il avait pourtant invoqué. Le cas d'Hocine X. est très proche puisque lui aussi s'est laissé aller à faire des aveux en dehors d'une audition.  En l'espèce, il n'a d'ailleurs pas, expressément et de manière non équivoque, renoncé à l'assistance d'un avocat, seul élément qui permettrait de recueillir ses déclarations, même effectuées en dehors d'une audition proprement dite (CEDH, 1er décembre 2009, Ahmet Engin Satir c. Turquie).

N'avoue jamais. Guy Mardel. 1965

Le droit de ne pas s'auto-incriminer


Le droit de ne pas s'auto-incriminer est aussi directement inspiré du droit américain, plus exactement du 5è Amendement à la Constitution des Etats-Unis. En tant que tel, il ne figure pas formellement dans le code pénal. Il trouve son origine dans la jurisprudence de la Cour européenne qui, comme le droit au silence, le rattache aux exigences du procès équitable. Consacré par un arrêt du 25 février 1993 Funke c. France, il interdit à l'accusation de recourir à des éléments de preuve obtenus sous la contrainte ou par la ruse. Dans un arrêt très remarqué du 6 mars 2015, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation reprend ce principe et sanctionne pour défaut de loyauté le fait d'avoir sonorisé deux cellules de garde à vue dans lesquelles ont été enfermées des individus soupçonnés d'avoir dévalisé une bijouterie. Or ces enregistrements sont accablants : après avoir reconnu avoir exercé des violences à l'égard d'une cliente du magasin, l'un des deux gardés à vue propose à l'autre de le disculper, moyennant finances. Ces enregistrements considérés comme des éléments de preuve et versés au dossier seront finalement annulés car ils ont conduit les gardés à vue à s'auto-incriminer.

Dans le cas d'Hocine X., l'atteinte au droit à ne pas s'auto-incriminer est la conséquence logique de la violation de son droit au silence. Dès lors qu'il a fait des aveux en dehors d'une audition et alors qu'il n'était pas assisté par son avocat, il s'est nécessairement auto-incriminé.

L'ensemble de la procédure


D'une manière générale, la décision du 25 avril 2017 illustre une tendance de la jurisprudence à prendre en considération non plus les seules auditions mais l'ensemble de la période de garde à vue, et non pas la seule garde à vue mais l'ensemble de la procédure pénale. Appliquant la jurisprudence Bykov c. Russie du 10 mars 2009, la Cour de cassation examine donc l'ensemble de cette procédure.

La jurisprudence de la Cour européenne considère ainsi que toutes les phases antérieures à la saisine des juges du fond peuvent être soumises aux règles du procès équitable. Le célèbre arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 ne raisonne pas autrement lorsqu'il impose la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue. De la même manière, l'audition comme témoin doit être appréhendée au cas par cas, en fonction des conséquences qu'elle a eu sur la suite de la procédure et sur la situation de la personne mise en cause.  Dans l'arrêt Schmid-Laffer c. Suisse du 16 juin 2015, la Cour européenne estime ainsi que l'atteinte au droit au procès équitable n'est pas établie. Lors de sa première audition comme témoin, la requérante s'était bornée à mentionner qu'elle avait évoqué avec son amant la disparition de son encombrant mari, mais seulement "pour plaisanter". Ses propos ne permettaient donc pas de l'incriminer directement, en l'absence d'autres preuves. Il est vrai qu'il aurait été un peu délicat, en l'espèce, d'annuler la procédure dans la mesure où l'intéressée avait ensuite fait d'autres aveux circonstanciés, à deux reprises, avant finalement de se rétracter. 

Dans l'affaire Hocine X., la Cour de cassation embrasse aussi l'ensemble de la procédure pour apprécier la violation du droit au silence. Il ne fait pas de doute qu'en l'espèce, les aveux spontanés de l'intéressé sont directement à l'origine de sa mise en examen, et qu'il n'avait pas renoncé, de manière non équivoque, à son droit au silence. La sanction pour atteinte au droit au procès équitable n'est donc pas surprenante. 

La place de l'aveu


La décision peut susciter le débat. Certains, et notamment ceux qui sont chargés des enquêtes, penseront que l'arrêt les prive de moyens bien utiles pour obtenir des aveux. Qui a oublié, par exemple, que le maréchal des logis chef Abgrall, accompagné d'un collègue, avait obtenu des aveux de Francis Heaulme.. en l'invitant à déjeuner au mess de la Gendarmerie, à la bonne franquette, entre deux auditions ? Le tueur en série avait alors avoué qu'il avait égorgé une aide-soignante, Aline Pérès, "qui avait l'air si gentille". Certes, et on peut comprendre que les forces de police ressentent une certaine frustration à la lecture de l'arrêt. 

Mais il repose, avant tout, sur l'idée que l'aveu n'est pas "la reine des preuves" et ne saurait justifier, à lui seul, la mise en examen d'une personne. Il doit s'accompagner d'autres éléments à charge, témoignages, preuves scientifiques, écoutes etc. Cette fois, on ne songe plus à Francis Heaulme mais à Patrick Dils. Lui aussi avait avoué avoir tué les enfants de Montigny-les-Metz après trente-six heures de garde à vue... et son innocence a finalement été démontrée, avec le concours actif des services de police scientifique de la Gendarmerie. La Cour de cassation impose ainsi une extrême prudence dans l'enquête pénale, seul moyen d'éviter les erreurs judiciaires.


Sur le droit au silence et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination : Chap 4, section 1 § 2  du manuel de libertés publiques.

mardi 23 juin 2015

Le droit au silence ou les difficultés d'une acculturation

Le droit au silence dans la procédure pénale trouve son origine dans la Common Law et plus précisément dans le droit américain. La Cour européenne des droits de l'homme l'a, en quelque sorte, importé dans des systèmes juridiques européens auquel il était étranger. Cette intégration rencontre évidemment quelques difficultés, illustrées notamment par l'arrêt Schmid-Laffer c. Suisse rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 16 juin 2015. Les juges de Strasbourg y donnent d'utiles précisions sur la place du droit au silence dans la procédure, plus exactement le moment où il s'applique.

L'affaire semble directement inspirée de "Faites entrer l'accusé". En 2001, la requérante, mariée à O.S. et mère de deux enfants, a engagé une procédure de divorce. Les relations sont conflictuelles, conflits liés à la garde des enfants mais aussi au fait que la requérante vit une relation amoureuse avec M.S. En janvier 2001, le mari porte plainte contre sa femme et son amant qu'il accuse tous deux d'avoir déboulonné les roues de sa voiture. L'affaire est provisoirement classée sans suite, faute de preuves. Le 31 juillet suivant, le mari est assassiné par l'amant à coups de poignard. L'auteur du meurtre affirme qu'il a agi de son propre chef. Il incombe néanmoins à la police et à la justice suisses de déterminer si la requérante a participé à ce crime, s'il en est la complice ou l'instigatrice. 

Le lendemain du crime, elle est entendue comme témoin  (en allemand, "personne appelée à donner des renseignements : Auskunftperson"). Elle reconnaît alors avoir évoqué la disparition de son mari avec M.S, "pour plaisanter". Le 23 août suivant, arrêtée par la police et placée en détention provisoire, elle avoue avoir incité M. S. à tuer son époux, aveux confirmés à deux reprises par la suite. Bien qu'elle soit ensuite revenue sur ses aveux, elle a été condamnée à sept ans de prison, peine finalement confirmée par le tribunal fédéral en 2008.

Devant la Cour européenne des droits de l'homme, elle invoque une violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Elle considère qu'il y a violation du droit au procès équitable, dans la mesure où elle n'a pas été informée du droit de garder le silence et de ne pas s'auto-incriminer lors du premier interrogatoire, celui où elle était entendue comme témoin, aucune charge n'étant encore retenue contre elle. Le débat juridique est donc lié à l'application dans le temps de ce droit de garder le silence. Pour les juges suisses, ce droit s'applique à partir du moment où l'intéressée est "accusée" au sens juridique du terme, c'est--à-dire en l'espère à partir de son interrogatoire du 23 août, où elle était arrêtée et détenue. Pour la requérante, le droit de garder le silence s'appliquait, et devait donc lui être notifié dès son audition comme témoin.

Les noces rouges. Claude Chabrol 1973. Stéphane Audran et Michel Piccoli


Un droit d'importation


Le droit au silence peut être considéré comme un droit d’importation, directement inspiré de la procédure accusatoire américaine reposant sur une stricte égalité entre l'accusation et la défense. Sa justification est moins évidente dans un système inquisitoire durant lequel l’enquête préliminaire et l’instruction se font à charge et à décharge. Quoi qu'il en soit, la Cour européenne l'a considéré comme un élément du procès équitable dans un arrêt Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996. Le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité le 30 juillet 2010 a également considéré que le droit au silence fait partie des droits de la défense et s'impose dès le début de la garde à vue. La loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue tire les conséquences de ces jurisprudences concordantes et introduit "le droit, lors des auditions (...) de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire". 


Le droit français est donc, sur ce point, très proche du droit suisse. La personne n'est informée de l'existence du droit au silence, que lorsqu'elle est en garde à vue pour le droit français, ou en état d'arrestation pour le droit suisse. Le simple témoin n'a  pas à être informé de ce droit, et c'est précisément ce que conteste la requérante.

L'appréciation de l'ensemble de la procédure


Le recours n'est pas dépourvu d'arguments juridiques. La jurisprudence considère ainsi que les phases antérieures à la saisine des juges du fond peuvent être soumises aux règles du procès équitable. Le célèbre arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 ne raisonne pas autrement lorsqu'il impose la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue. De la même manière, la Cour européenne considère que le droit de garder le silence ne saurait être limité aux seuls aveux ou propos mettant l'intéressé directement en cause (CEDH, 17 décembre 1996 Saunders c. Royaume-Uni). Il s'applique également au cas où l'audition est susceptible d'affecter de manière substantielle la position de l'accusé, principe énoncé dans l'arrêt Shabelnik c. Ukraine du 19 février 2009. Dans le cas de la requérante, elle s'était bornée, lors de cette première audition, a mentionner qu'elle avait évoqué avec son amant la disparition de son encombrant mari, mais seulement "pour plaisanter".

La Cour européenne ajoute cependant une condition à cette application des règles du procès équitable avant qu'un juge soit saisi : elles ne s'appliquent que dans la mesure où leur absence risque de porter atteinte à l'équité du procès. Autrement dit, la Cour doit apprécier si l'absence de notification du droit au silence lors de la première audition de la requérante a été de nature à porter atteinte au caractère équitable de son procès (CEDH, 18 février 2010, Aleksandr Zaichenko c. Russie).. 

En l'espèce, la Cour observe, et c'est d'ailleurs la condition de recevabilité de la requête, que la première audition de la requérante était, en tant que telle, susceptible d'affecter le procès pénal. Imaginons qu'elle ait avoué, dès ce moment, être l'instigatrice de l'assassinat de son mari. Ses aveux auraient alors été obtenus sans que lui soit notifié le droit de garder le silence. Dans le doute, les policiers auraient donc dû lui notifier sont droit au silence. 

Si les policiers auraient sans doute dû envisager l'hypothèse des aveux, la Cour européenne, quant à elle, sait que la requérante n'a rien avoué durant cette première audition. Appliquant la jurisprudence Bykov c. Russie du 10 mars 2009, la Cour considère donc qu'elle doit examiner l'ensemble de la procédure. Dans le cas de Mme Schmid-Laffer, le premier interrogatoire ne constitue qu'un élément de preuve de faible importance, si on le compare aux aveux obtenus plus tard et ensuite réitérés, et aux témoignages accablants pour la requérante. Sa condamnation par les tribunaux suisses ne repose donc pas sur ce premier interrogatoire mais sur l'ensemble d'un dossier parfaitement solide. La Cour note à ce propos que ce premier interrogatoire n'a pas conduit la requérante à s'auto-incriminer puisqu'elle a été laissée libre à son issue.

La jurisprudence de la Cour européenne témoigne d'une approche non dogmatique du droit au silence, approche non dogmatique qui révèle peut-être un certain malaise. Certes, il fait désormais partie du standard européen des libertés, et les Etats parties à la Convention doivent en quelque sorte "faire avec", c'est-à-dire importer une procédure qui leur est étrangère. En appréciant le droit au silence par rapport à l'ensemble du procès pénal, la Cour leur laisse une marge de manoeuvre, étroite mais réelle. L'audition d'un témoin devient ainsi un moment où les autorités de police conservent une possibilité de choix. Soit elles notifient le droit au silence, et elles prennent le risque de n'avoir aucune information utile à la recherche de la vérité. Soit elles ne notifient pas le droit au silence, et elles prennent le risque... d'obtenir des aveux. Le second risque est tout de même moins détestable au regard des nécessités de l'enquête pénale.