Dans une décision du 3 mars 2022 M. A. B., la Cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris) annule la subvention de 100 000 € accordée par le Conseil de Paris à l'association SOS Méditerranée France, ainsi que le jugement du tribunal administratif de Paris qui affirmait sa légalité.
Cette association se donne pour objectif d'affréter des navires chargés de secourir des migrants en Méditerranée. Son rôle humanitaire ne fait guère de doute. Il exact que SOS Méditerranée et son navire l'Ocean Viking, a secouru de nombreux passagers embarqués sur des embarcations précaires, les sauvant parfois d'une mort certaine. Sans doute, mais le sujet demeure très sensible, et certains ne manquent pas d'observer que ces navires humanitaires apportent aussi une aide aux migrations irrégulières, et donc une aide aux passeurs. Ils conduisent en effet les migrants dans les ports européens, suscitant des tensions au sein de l'Union européenne. L'octroi, par la ville de Paris, de cette subvention de 100 000 €, ainsi que la remise d'une décoration au capitaine d'un navire d'une autre ONG poursuivi pénalement en Italie pour aide à l'entrée irrégulière sur le territoire, avaient ainsi suscité l'ire du ministre de l'Intérieur italien de l'époque, Matteo Salvini.
L'absence de convention
La ville de Paris fait reposer l'octroi de la subvention sur l'article L1115-1 du code général des collectivités territoriales. Il énonce que "dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales (...) peuvent mettre en oeuvre ou soutenir toute action internationales (...) de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire". Elle omet toutefois de mentionner le second alinéa de cet article L1115-1 qui précise que "à cette fin, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, le cas échéant, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères". En l'espèce, la ville de Paris n'a pas conclu de convention avec une collectivité locale étrangère.
Cette absence de convention est un peu gênante au regard de l'arrêt du Conseil d'État du 17 février 2016. Dans un tout autre domaine, en l'espèce il s'agissait d'une coopération internationale visant à la restauration de la basilique d'Annaba en Algérie, le juge précise comment l'article L1115-1 doit être interprété. Il énonce clairement que si le législateur a autorisé les collectivités locales à conduire des actions de coopération ou d'aide au développement, "il a aussi prévu qu'elles devaient", à cette fin, conclure des conventions avec d'autres collectivités locales étrangères. Aux termes de cette jurisprudence, ces conventions sont donc une obligation, que la ville de Paris n'a pas respectée en l'espèce.
La CAA Paris aurait certes pu se fonder sur ce manquement procédural, mais elle ne l'a pas fait. Sans doute a-t-elle été sensible au fait que l'interprétation du Conseil d'État en 2016 allait bien au-delà du texte de l'article L1115-1. Celui-ci ne dit pas que la convention est obligatoire, et, au contraire, affirme qu'un tel acte peut intervenir "le cas échéant", formule qui ne plaide pas dans le sens de son caractère contraignant.
L'ingérence dans la politique étrangère de la France
Ce principe a déjà été rappelé à plusieurs reprises par les juges du fond. Par un jugement du 29 mai 2019, le tribunal administratif de Cergy Pontoise annule ainsi une délibération de la ville d'Arnouville annonçant une Charte d'amitié avec une collectivité locale du Haut-Karabagh. Pour le juge, ce document, dont la nature juridique est loin d'être claire, porte "sur une affaire relative à la politique internationale de la France et à son intervention dans un conflit de portée internationale, compétence qui relève exclusivement de l’Etat, en vertu de l’article 52 de la Constitution". Tout est dit, et la décision de la CAA Paris repose sur un fondement identique. Certes, mais le moins que l'on puisse dire est que la jurisprudence demeure confuse.
Remous jurisprudentiels
C'est ainsi que la CAA Bordeaux a rendu une décision tout-à-fait différente sur la même question, la ville de Bordeaux ayant également subventionné SOS Méditerranée. Cette décision est intervenue un mois avant celle de la CAA Paris, le 7 février 2023, et il est exact qu'elle refuse d'annuler la délibération du Conseil municipal attribuant 50 000 € de subvention à l'association. Mais l'opposition entre les deux décisions doit être relativisée, car la délibération avait été rédigée avec davantage d'intelligence à Bordeaux qu'à Paris. Elle insistait en effet sur l'affectation des fonds qui ne devaient être utilisés qu'à des fins strictement humanitaires, pour soutenir des opérations de sauvetage en mer "au plus près des côtes libyennes". Tel n'était pas le cas à Paris, où la délibération prenait l'allure d'un soutien politique à l'activité de l'association, en ignorant les difficultés rencontrées au sein de l'UE.
Dans ces conditions, une subvention peut intervenir pour des motifs humanitaire, quand bien même elle ne répondrait pas un intérêt public local, notion qui ne figure plus dans l'analyse. Mais, dans ce cas, la jurisprudence fait tout de même état d'une réserve qui réside dans le fait que l'aide ne doit pas porter atteinte aux engagements internationaux de la France. Sur ce point, la jurisprudence est évidemment au cas par cas, et elle n'est guère abondante. On se souvient néanmoins de l'arrêt du Conseil d'État rendu le 23 octobre 1989. Il sanctionnait la délibération du conseil municipal de Pierrefitte-sur-Seine attribuant une subvention à l'association "Un bateau pour le Nicaragua". S'il s'agissait d'apporter quelques secours à la population du pays, la délibération montrait que la commune imputait à un État tiers, en l'occurrence les États-Unis, les difficultés économiques de cette population. La décision de la CAA Paris s'inscrit dans cette jurisprudence, alors que celle de la CAA Bordeaux se prononce en faveur de l'objet exclusivement humanitaire de l'intervention.
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