« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 19 juin 2021

De la probité en politique et des moyens de la contrôler


La probité de la vie politique a suscité une législation quelque peu éclatée. Son volet répressif est désormais satisfaisant depuis la loi du 6 décembre 2013 qui, à la suite de l'affaire Cahuzac, a créé le Parquet national financier (PNF). La persévérance avec laquelle l'actuel Garde des Sceaux s'efforce de le détruire démontre, à l'évidence, que cette institution dérange ceux qui, précisément, n'ont pas très envie de lutter contre la corruption. 

Le volet préventif, en revanche, demeure encore incomplet. Les autorités indépendantes créées pour assurer la transparence de la vie publique et contrôler les comptes de campagnes ne disposent pas des instruments indispensables à une réelle efficacité.

 

La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)


La HATVP est aussi le produit de l'affaire Cahuzac, créée par la loi relative à la transparence de la vie publique du 11 octobre 2013, en remplacement de la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Elle a pour mission de recevoir et contrôler les déclarations de patrimoine et d'intérêts déposées par les plus hauts responsables publics.

Son sixième rapport, publié le 3 juin 2021 témoigne des difficultés qu'elle rencontre pour remplir sa mission. Certes, la HATVP déclare avoir reçu en 2020 17 000 déclarations de patrimoine, un nombre inégalé depuis 2014.  Cet accroissement n'est guère surprenant si l'on considère que la liste des fonctions concernées par ces déclaration a été allongée par différents textes et que des élections municipales et sénatoriales se sont tenues durant l'année 2020, sans oublier le changement de gouvernement. 

Cette inflation de déclarations n'entraine pourtant aucun approfondissement du contrôle effectué par la HATVP.  Dans une interview au Monde du 4 juin, son président Didier Migaud reconnaît, avec un art consommé de l'Understatement que "le bilan est contrasté".  Il reconnaît qu'à l'issue du délai légal de deux mois pour déposer les déclarations après les élections municipales, seulement 47 %  des maires et 39 % avaient respecté cette obligation. Et le rapport a le bon goût de ne pas insister sur les réticences du Garde des Sceaux lui-même qui a dû être rappelé à l'ordre dans ce domaine. 

Quant au contenu des déclarations, le rapport affirme que seulement 52, 9 % d'entre elles étaient conformes aux exigences d'exhaustivité, d'exactitude et de sincérité posées par la loi. Le fléchissement est particulièrement net si l'on compare avec les chiffres de l'année 2019, les déclarations conformes à la loi étant alors de 73 %. 

A quoi attribuer cette baisse de 20 % ? Sans doute au fait que les personnes soumises à l'obligation de déclaration ont pris conscience que la HATVP était plus ou moins dépourvue de pouvoir de contrainte. S'il est vrai qu'elle peut signaler au parquet ceux qui manquent à cette obligation, seulement dix dossiers ont été transmis en 2020, dont celui du ministre délégué aux PME, soit deux fois moins qu'en 2019. Quant à la transparence, elle est encore très partielle. Seule la situation patrimoniale des membres du gouvernement est accessible sur le site de la HATVP, celle des parlementaires ne peut être consultée qu'en préfecture, et celle des élus locaux demeure confidentielle. 

Didier Migaud est conscient des pouvoirs finalement limités de l'institution qu'il préside. Il suggère de conférer à la HATVP un pouvoir de sanction propre qui lui permettrait d'agir directement sur ceux qui tardent à transmettre leur déclaration. Cette proposition, si elle était mise en oeuvre, permettrait peut-être d'accélérer la procédure, mais elle n'aurait aucun impact sur le contenu même des déclarations. Sur ce point, le président Migaud devrait d'abord s'interroger sur la réticence de la HATVP à saisir le procureur et tout simplement faire usage des prérogatives qui sont les siennes.




 Voutch

 

La commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

 

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) est bien plus ancienne que la HATVP. Créée par la loi du 15 janvier 1990, elle figure au nombre des autorités indépendantes listées par la loi du 20 janvier 2017. Son rôle est à la fois de contrôler le respect par les partis politiques de leurs obligations comptables et financières et de contrôler les comptes de campagne aussi bien pour les élections présidentielles que pour les législatives, européennes ou locales. Elle peut approuver, réformer, ou rejeter un compte de campagne et, le cas échéant, saisir le juge de l'élection en cas d'irrégularité. Dans le cas de l'élection présidentielle, le rejet du compte de campagne conduit donc à la saisine du Conseil constitutionnel.

Comme la HATVP, la CNCCFP, dans son rapport pour l'année 2020, constate une augmentation de son activité. Comme la HATVP, cet accroissement est dû aux élections municipales, et à l'évolution législative. La loi du 15 septembre 2017 sur la confiance dans la vie politique lui donne en effet compétence pour apprécier les prêts des personnes physiques qui sont en augmentation dans le financement des campagnes électorales.

Mais là encore, le bilan doit être nuancé. Dans une interview au Monde du 11 juin 2021, Philippe Vachia, président de la CNCCFP réclame de nouveaux moyens d'action. Il déplore notamment que l'institution qu'il préside soit dépourvue de droit d'accès et de demande de justifications aux grandes plateformes de réseaux sociaux. Dans de telles conditions, il est impossible de sanctionner une pratique qui consiste à acheter un référencement sur Google ou Facebook au profit de tel ou tel candidat. Il s'agit certes d'une publicité commerciale prohibée, mais la CNCCFP n'a pas les moyens de l'empêcher. 

Surtout, l'affaire Bygmalion a montré les limites de son action. On sait qu'en décembre 2012, elle a rejeté le compte de campagne du candidat-président Nicolas Sarkozy. A l'époque, la Commission a en effet rajouté au compte la somme de 1,5 million d'euros, réintégrant des meetings tenus par le président en exercice. De fait, le compte s'élevait à 22,8 millions, alors que la plafond autorisé était de 22,5 millions, dépassement qui a entrainé le rejet du compte. Nicolas Sarkozy a alors perdu son apport personnel de 10,5 millions d'euros et il a dû s'acquitter d'une sanction financière de 360 000 euros, finalement payés par le Sarkothon. 

Mais la CNCCFP avait filtré le moustique pour laisser passer le chameau. Au début de l'année 2014, la presse sortait l'affaire Bygmalion. L'instruction judiciaire laissait alors apparaître un dépassement non pas de 360 000 € mais de 17 millions. 

Comment expliquer que la CNCCFP n'ait rien vu ? Elle n'a rien vu parce que les instruments juridiques dont elle dispose ne lui permettent pas de voir quoi que ce soit. Son activité repose sur un simple régime déclaratoire. Elle reçoit le compte de résultat, le bilan et l'annexe, mais pas les factures. Elle ne dispose d'aucun moyen d'investigation, ne peut demander aucun justificatif. Elle ne pouvait donc matériellement avoir connaissance de la facturation directe à l'UMP des frais de meeting de Nicolas Sarkozy par la société Bygmalion, puisque précisément, elle n'avait pas connaissance de ces factures. Le président Vechia espère que la loi permettra un jour à la Commission d'accéder à la comptabilité des partis, mais ile ne semble pas vraiment croire en cette possibilité. Il ne semble pas qu'une telle réforme soit à l'ordre du jour d'un gouvernement pourtant prompt à annoncer des réformes législatives.

Le contrôle de la probité en politique est donc en crise, et les évènements récents ont permis d'en mesurer l'ampleur. Les textes existants mettent en place des procédures largement cosmétiques auxquelles il est facile de se soustraire. On laisse croire qu'il existe un véritable contrôle alors que celui-ci est insuffisant, comme est absente la transparence de ces procédures. Le résultat est que la fonction de contrôle est, de fait, confiée à la presse, et que le contrôle peut facilement se transformer en pilori médiatique. Si la presse d'investigation peut être très utile pour déceler des situations choquantes, le contrôle ne peut appartenir qu'aux autorités indépendantes et aux juges. Dans ce domaine, un long chemin reste à parcourir.

 

 

Sur l'expression politique : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 9, section 1.

1 commentaire:

  1. Parfaite analyse d'un mal bien français : l'inflation de lois et de comités Théodule pour tenter de régler des problèmes structurels (Cf. celui de la probité en politique) qui sapent l'état de droit et alimentent la défiance des citoyens à l'égard de leurs gouvernants.

    Plus l'on essaie d'encadrer la pratique de la vie politique avec des gadgets qui font souvent pschitt, plus l'on démontre son impuissance à introduire l'éthique, la morale, la probité dans l'ADN de nos représentants nationaux et locaux de manière pérenne. A titre d'exemple, un ex-premier ministre, condamné par le passé, va vendre ses talents à un pays étranger sans que cela ne soit proscrit par le droit positif. Il existe donc un nouveau trou dans la raquette.

    L'impuissance publique, dans laquelle nous évoluons, nous baignons, ne se règlera pas à coups de com' et d'effets de manche mais par une redynamisation du débat public, de la controverse, du débat, de l'acceptation de la contradiction, de l'analyse du réel. Ce qui est loin d'être évident au temps du politiquement correct digne des pires dictatures que nous dénonçons à longueur d'année !

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