Trois arrêts et trois retards
Dans sa décision du 30 janvier 2015, le Conseil d'Etat exerce un contrôle de la durée excessive, ou non, de chacune des trois procédures. Il parvient à la conclusion, un peu étrange, que la durée de procédure était effectivement excessive pour les deux premières et pas pour la troisième.
Le délai raisonnable
Le contrôle du juge repose sur le principe selon lequel les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable. Dans l'arrêt, le Conseil d'Etat affirme que ce principe trouve son origine dans les "principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives", formule qui figure déjà dans la décision d'Assemblée du 28 juin 2002 Garde des Sceaux ministre de la justice c. M. Magiera.
Certes, mais ces "principes généraux" trouvent eux-mêmes leur origine dans la Convention européenne des droits de l'homme, d'ailleurs citée dans les visas de la décision. Son article 6 § 1 énonce que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable (...)". Cette norme impose aux Etats d'organiser leur système juridique de manière à ce que les requérants et justiciables obtiennent une décision définitive, sans souffrir de retards qui en compromettraient l'efficacité.
Dans son arrêt du 26 octobre 1989 H. c. France, la Cour européenne précise que la durée à prendre compte pour apprécier son caractère raisonnable, ou non, a pour commencement la saisine de la juridiction et pour fin la date de notification du jugement. De son côté, le Conseil d'Etat, dans son arrêt Le Helloco du 6 mars 2009, affirme que ce caractère raisonnable s'apprécie "de manière à la fois globale et particulière à chaque instance". La formule peut surprendre, mais elle rend compte d'une réalité somme toute relativement simple.
Arman. Les rouages du temps. 1975. Accumulation de rouages d'horlogerie, résine et plexiglas |
"De manière particulière à chaque instance"
Le délai raisonnable s'apprécie "de manière particulière à chaque instance", c'est-à-dire recours par recours, et non pas à partir de l'ensemble de la relation du requérant avec les juges. Dans le cas de M. B., chacun de ces trois recours est donc examiné, solution certes la plus simple mais qui n'est pas sans poser problème. En effet, M. B. n'a pas seulement été victime d'une lenteur constatée dans chacun des recours. Il a aussi eu à souffrir de difficultés d'articulation entre ses requêtes, elles-mêmes sources de retards. Par exemple, il a été victime du fait que le recours contre la sanction prise à son encontre a été jugé alors qu'il n'avait toujours pas obtenu du juge administratif la décision portant sur la communication de certains éléments de son dossier. La réparation qu'il peut obtenir est donc nécessairement une réparation partielle qui ne couvre qu'une partie du préjudice subi.
"De manière globale"
Le délai raisonnable est aussi évalué "de manière globale", ce qui signifie que le juge prend en considération, pour chaque recours un certain nombre de critères. En l'espèce, deux critères essentiels sont invoqués.
La complexité de l'affaire
Le premier est la complexité de l'affaire. Il ne figure pas expressément dans l'arrêt, mais le Conseil d'Etat s'y réfère indirectement, lorsqu'il mentionne que la décision du 13 novembre 2013, celle sur la sanction, présentait des "implications en termes jurisprudentiels" qui ont justifié qu'elle soit jugée en assemblée du contentieux.
On se souvient que cet arrêt est à l'origine d'un revirement jurisprudentiel, le Conseil d'Etat exerçant désormais un contrôle normal sur les sanctions disciplinaires. Ce contrôle n'a en aucun cas bénéficié à M. B. qui a vu son recours rejeté. Il a en revanche profité au Conseil d'Etat qui a pu se présenter comme un ardent défenseur des droits des fonctionnaires, alors que, dans la même décision, il écartait le moyen tiré d'une violation évidente du principe d'impartialité, allant à l'encontre à la fois de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de celle de la Cour européenne des droits de l'homme.
Aujourd'hui, le Conseil d'Etat affirme que ce choix, qui incombe entièrement à la Haute Juridiction, de faire juger l'affaire par l'assemblée du contentieux est un élément de sa complexité et qu'il justifie donc un délai plus long. Il n'empêche que la complexité en cause trouve son origine dans la décision du Conseil d'Etat lui-même. L'argument revient en quelque sorte à dire que l'affaire est complexe lorsque le Conseil d'Etat décide que l'affaire est complexe.
Cette affirmation va-t-elle convaincre M. B. ? Il pense sans doute aujourd'hui que la Haute Juridiction a préféré attendre un peu, attendre que les auteurs de la décision exercent d'autres fonctions, attendre peut-être qu'il ait effectivement atteint l'âge de la retraite... Bref, laisser passer un peu d'eau sous les ponts, particulièrement le pont Alexandre III, celui qui est juste devant le Quai d'Orsay.
Pour ce qui est de l'arrêt du 17 juillet 2013, le Conseil d'Etat refuse de considérer que l'affaire présentait une quelconque complexité. Il a donc rejeté avec vaillance l'argument de l'administration qui estimait que, si ces affaires ne présentaient pas une complexité particulière, elles "nécessitaient néanmoins une analyse approfondie". Devrait-on en déduire que les affaires jugées en moins de trois ans ne font pas l'objet d'une analyse approfondie et que la bonne justice est nécessairement lente ? Le Conseil d'Etat a heureusement réfuté une telle analyse et admis que, dans le cas de l'arrêt du 17 juillet 2013, il y avait bien dépassement du délai raisonnable.
La situation particulière du requérant
Le second critère est la situation particulière du requérant. Dans son arrêt Dobbertin c. France du 25 février 1993, la Cour européenne affirme que la lenteur de la procédure peut être le fait du requérant, de ses retards pour fournir des pièces par exemple. Tel n'est évidemment pas le cas en l'espèce et le juge ne mentionne pas que M. B. ait fait quoi que ce soit pour ralentir ces procédures.
Au contraire, le juge fait observer que le requérant avait intérêt à ce que les deux premiers litiges, et notamment celui portant sur le décret mettant fin à ses fonctions d'ambassadeur soient tranchés rapidement. En effet, le 17 juillet 2013, au moment où la décision intervient, elle ne présente plus guère d'intérêt. Pour le requérant d'abord : il a été mis à la retraite d'office en février 2011, soit dix-sept mois avant la décision qui statue sur le point de savoir si le décret qui met fin à ses fonctions d'ambassadeur repose sur des motifs d'intérêt général ou constitue une sanction déguisée. Pour le Conseil d'Etat ensuite, qui se retrouve dans la situation d'avoir à juger d'une mesure préalable à la procédure disciplinaire sur laquelle il va devoir statuer dans un autre recours. Ce saucissonnage des décisions ne l'a-t-il pas empêché de voir l'essentiel, et notamment le fait que toutes les décisions affectant la carrière de M. B., suspension de ses fonctions, nomination de son successeur, saisine du Conseil de discipline, présidence du Conseil de discipline et proposition de la sanction, toutes ces décisions avaient été prises ou proposées par une seule et même personne ? A l'époque, le Rapporteur public avait conclu que ladite personne aurait été bien inspirée de s'abstenir de siéger, sans que le Conseil d'Etat s'émeuve de cette curiosité.
Certes, M. B. avait intérêt à ce que ces litiges soient tranchés rapidement, et il doit méditer aujourd'hui sur les sept cents euros accordés par la Haute Juridiction. Reste que cette réparation, aussi modeste soit-elle, constitue la reconnaissance d'un échec dans le traitement d'une affaire. Derrière le saucissonnage, il n'existe qu'une seule affaire mettant en question l'ensemble de la carrière d'un haut fonctionnaire. Et cette affaire n'a jamais été envisagée de manière globale. Il ne reste plus à espérer que la Cour européenne des droits de l'homme pourra, enfin, apprécier la conformité à la Convention européenne des droits de l'homme de l'ensemble de cette procédure.