La dissolution de l'Assemblée nationale, décidée par le Président de la République à la suite des élections européennes suscite un double contentieux. Dans un premier temps, une dizaine de recours ont été déposés contre le décret du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale. Ces requêtes ont été rejetées par le Conseil constitutionnel dans une décision du 20 juin 2024. Ensuite, le décret de dissolution lui-même, daté du 9 juin 2024, a lui-même été déféré au Conseil qui, sur ce point, n'a pas encore statué, mais les chances de succès sont extrêmement modestes.
Les recours contre le décret de convocation des électeurs
Aux termes de l'article 59 de la constitution, "le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs". Le plus souvent, le contentieux se déroule a posteriori, lorsqu'un candidat malheureux conteste l'élection de son concurrent dans la circonscription. Mais le Conseil, dans une décision du 7 juin 2012, se déclare compétent pour juger d'un recours mettant en cause la régularité d’élections à venir. Encore est-il nécessaire que l'irrecevabilité éventuelle qui pourrait être opposée à ces requêtes risque de compromettre gravement l'efficacité de son contrôle, de vicier le déroulement des opérations électorales ou de porter atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics. Dans le cas présent, le Conseil affirme, sans beaucoup de précision, que "ces conditions sont remplies". On peut penser en effet, qu'une convocation irrégulière des électeurs pourrait vicier le déroulement des opérations électorales.
Au fond, les requérants se fondent sur les délais entre la dissolution et la convocation des électeurs. L'article 12 de la Constitution énonce : "Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution". En l'espèce, le Président de la République a choisi la voie la plus courte. Le décret du 9 juin fixe les élections au 30 juin, soit exactement 20 jours après la dissolution. Sur ce point, le Conseil fait observer que le décret de dissolution est entré en vigueur dès sa publication au Journal officiel et que les élections peuvent donc intervenir le 20e jour après la dissolution. Il calcule donc en jours calendaires et non en jours francs, ce qui d'ailleurs n'était pas nécessairement acquis. On imagine mal toutefois, le Conseil rendant impossible la tenue des élections, pour un motif quelque peu futile.
Le Conseil écarte ainsi le moyen reposant sur l'incompatibilité de ce délai avec l'article L 157 du code électoral, selon lequel "les déclarations de candidatures doivent être déposées, en double exemplaire, à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin". Il écarte en même temps le moyen fondé sur l'incompatibilité du décret avec les délais dans lesquels le tribunal administratif peut être appelé à se prononcer sur les candidatures, délais prévus aux articles L 159 et L 160 du code électoral. Dans tous les cas, il est évident que l'article 12 de la Constitution est supérieur aux dispositions législatives du code électoral. Le délai de 20 jours pour organiser les élections, délai autorisé par la Constitution, s'impose donc. Une application des délais du code électoral reviendrait, en effet, à vider de son contenu la norme constitutionnelle.
D'une manière générale, le Conseil écarte différents moyens fondés sur l'idée que la brièveté de la campagne porterait atteinte à la sincérité du scrutin. Ceux de La France Insoumise contestent ainsi le gel des listes électorales qui, selon eux, entraverait l'exercice du droit de suffrage. Le Conseil répond logiquement que ce gel est indispensable pour l'organisation concrète du scrutin, et que pourront voter les électeurs ayant atteint l'âge de dix-huit ans ou acquis la nationalité française plus de dix jours avant la consultation électorale. Les conséquences de ce gel sont donc très modestes.
Il suffit d'une dissolution. Les Goguettes. 22 juin 2024
Les recours contre le décret de dissolution
Le Conseil ne s'est pas encore prononcé sur ces requêtes dirigées directement contre le décret de dissolution du 9 juin, mais, avouons-le, elles n'ont que fort peu de chances de prospérer.
Le Conseil s'est déjà prononcé à deux reprises sur des décrets de dissolution, et, à chaque fois, il s'est déclaré incompétent. Dans sa décision du 4 juin 1988 Minvielle de Guilhem de la Taillade, comme dans celle du 10 juillet 1997 M. Abraham, il déclare qu’"aucune
disposition de la Constitution ne donne compétence au Conseil
constitutionnel pour statuer sur la requête susvisée".
On ne voit par pour quel motif le Conseil constitutionnel modifierait une jurisprudence qui, sans la nommer, reste totalement inspirée par la théorie des actes de gouvernement. Certes, les actes de gouvernement, donc insusceptibles de recours, ont vu leur champ d'application se réduire depuis le XIXe siècle, époque où le Conseil d'État s'estimait incompétent pour apprécier toute décision dont le gouvernement estimait qu'elle touchait une "question politique". Aujourd'hui ne subsistent de l'acte de gouvernement que les décisions non détachables des relations internationales et celles qui concernent "les rapports entre les pouvoirs publics".
Précisément, dans un arrêt Allain du 20 février 1989, le Conseil d'État affirme clairement qu'il ne lui appartient pas "de se prononcer sur la légalité des actes relatifs aux rapports entre le Président de la République et l'Assemblée Nationale". Il se déclare donc incompétent pour connaître d'un recours dirigé contre un décret de dissolution. Certes, le Conseil constitutionnel, statuant en matière électorale, n'est pas le Conseil d'État. Il n'en demeure pas moins qu'il semble s'être approprié la théorie de l'acte de gouvernement.
L'irrecevabilité semble évident, mais elle pose néanmoins problème, car le décret de dissolution n'est finalement soumis à aucun contrôle. C'est fâcheux si l'on considère que l'article 12 de la Constitution affirme certes le pouvoir discrétionnaire du Président de la République pour prononcer la dissolution, mais encadre cette décision d'une procédure consultative obligatoire.
Ainsi est-il précisé que le décret de dissolution ne peut intervenir qu'"après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées". Or, dans l'état actuel du droit, aucun contrôle ne peut être exercé sur le respect de cette procédure consultative. Il ne s'agit évidemment que d'inscrétions de journalistes, mais on a appris que l'ancienne présidente de l'Assemblée nationale a dû demander au Président que cette consultation se déroule à huis-clos. De même a-t-il été mentionné que Gabriel Attal, Premier ministre, n'avait guère été consulté, à moins qu'il l'ait été tardivement. Il semble en effet que le journaliste de CNews Pascal Praud ait été informé de la dissolution, avant le Premier ministre.
Ragots, indiscrétions ? Peut-être, mais le problème ne disparaît pour autant. La procédure ne fait l'objet d'aucun contrôle contentieux. Bien entendu, dans une dissolution, le contrôle appartient d'abord au corps électoral. Et s'il n'est pas très intéressé par le respect des procédures, il se prononcera au moins sur le respect des promesses électorales.