"Le mariage oui, la chienlit non". Cette formule, inspirée des propos du Général de Gaulle tenus en mai 1968, pourrait servir de titre à l'ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d'État le 1er juin 2024. Il annule en effet la décision du juge des référés de Dijon qui avait suspendu un arrêté municipal repoussant la date d'un mariage dans la commune d'Autun. Si l'on en croit l'ordonnance du juge des référés du Conseil d'État, le mariage n'aurait donc pas dû être célébré le 1er juin, comme prévu. Mais, comme souvent en matière de mariage, il y a eu Happy End.
A l'audience, qui s'est tenue le matin même de la date prévue, le maire a affirmé que le mariage "pouvait se tenir dès que possible, y compris dans les heures qui viennent", dès lors qu'un terrain d'accord serait trouvé sur le maintien de l'ordre. C'est exactement ce qui s'est produit. La cérémonie a eu lieu, et elle s'est déroulée dans le calme. Fin de l'histoire ?
Inquiétudes à Autun
Pas tout-à-fait, car l'ordonnance de référé donne l'occasion d'un avertissement sans frais aux candidats au mariage et à ceux qui organisent la fête. Dans le cas présent, la préparation au mariage, ou plutôt la préparation du mariage, s'était mal passée. Le maire redoutait des débordements, et avait déjà été confronté, dans un passé proche, à une union pour le moins tapageuse, avec notamment un grand nombre de voitures de sport multipliant les infractions routières et semant une assez belle pagaille dans le centre ville. Pour éviter une nouvelle expérience de ce type, il avait cette fois organisé avec les futurs mariés une réunion préparatoire le 18 mai, en présence des services de la commune et de la gendarmerie. Mais les échanges avaient été tendus, et, pour finir, les futurs époux avaient quitté la réunion en claquant la porte et en proférant quelques menaces. Mystérieusement, et sans que l'on puisse en retrouver les auteurs, la nuit suivante avait été marquée par quelques incendies de véhicules, dont celui du maire. Finalement, l'élu avait pris deux arrêtés, l'un suspendant le mariage, l'autre interdisant à cette occasion la circulation des voitures de sport dans le centre ville.
Les deux arrêtés ne sont donc pas suspendus, et il s'agit, pour le juge des référés, de rappeler aux futurs époux, et pas seulement ceux d'Autun, que si le mariage est une liberté fondamentale, elle s'exerce, comme toutes les libertés, dans les limites de l'ordre public.
Manifestation du 12 novembre 2023
Collection particulière
Une liberté fondamentale
Dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel affirme que « le principe de la liberté du mariage est une des composantes de la liberté individuelle », à ce titre ouvert tant aux nationaux qu'aux étrangers, y compris ceux en situation irrégulière. Il précise, le 20 novembre 2003, qu’elle se rattache à la "liberté personnelle", découlant des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 Cette formulation est reprise à l’identique dans la décision du 17 mai 2013 déclarant conforme à la Constitution la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe.
De son côté, le Conseil d’État, dans une ordonnance de référé du 9 juillet 2014, M. A., évoque « la liberté de se marier, laquelle est une liberté fondamentale », formulation un peu différente de celle adoptée par le Conseil constitutionnel, mais qui témoigne de la consécration du mariage comme une liberté. Celle-ci n'est pas sans conséquences sur le droit positif. Jusqu'à aujourd'hui, ces conséquences ont été de deux ordres. D'une part, le législateur s'est efforcé de garantir le principe d'égalité devant le mariage en l'ouvrant aux couples homosexuels avec la loi du 17 mai 2013. D'autre part, il a admis que des considérations d'ordre public pouvaient justifier l'encadrement du droit au mariage.
Mariage et ordre public
Il appartient alors à l'État de préciser les éléments d’ordre public qui constituent le socle du mariage. C’est ainsi que l’interdiction de la polygamie est un principe général du droit français, et la Cour de cassation, dans un arrêt du 4 novembre 2020 confirme le refus d’acquisition de la nationalité française par déclaration, opposé à une épouse dont le mari était bigame. La Cour précise que « la vie commune requise pour devenir français par le mariage est, par principe, exclue en cas de bigamie ». De même, la loi du 26 novembre 2003 autorise le maire à saisir le procureur, dans le but de surseoir à la célébration d'une union, lorsqu'il craint un mariage blanc. Le principe est identique pour les mariages forcés et dans une QPC du 22 juin 2012, M. Thierry B., le Conseil constitutionnel admet l'intervention du procureur pour empêcher une union, s'il considère que le consentement de l’un des époux n’est pas « libre ».
Aujourd'hui, dans sa décision du 1er juin 2024, le juge des référés se borne finalement à rappeler que la célébration d'un mariage ne saurait entrainer de troubles tels que le maire ne soit pas en mesure de garantir le maintien de l'ordre public. On se trouve ici dans une jurisprudence classique, à quelques petites nuances près.
On observe d'abord que l'élu suspend la célébration en se fondant sur des troubles à l'ordre public susceptibles d'intervenir, car de tels évènements s'étaient produits lors d'un récent mariage, dans la famille même du futur époux. C'est donc la probabilité des troubles plutôt que les troubles eux-mêmes qui justifient la mesure. C'est aussi, implicitement, le fait que les futurs époux aient finalement refusé de participer à la réunion de préparation destinée à définir les mesures à prendre pour protéger l'ordre public. Quoi qu'il en soit, même si le risque est élevé, il demeure hypothétique.
L'interdiction générale de la circulation des voitures de sport dans le centre ville pose un autre problème, car cela revient à interdire l'accès au centre ville à tous les propriétaires de ce type de véhicule, même s'ils ne sont pas invités au mariage. Une analyse au fond pourrait parfaitement conduire à considérer la mesure comme disproportionnée par rapport au but à atteindre. Conformément à la jurisprudence Benjamin, le juge pourrait considérer qu'il existe d'autres moyens que l'interdiction pour organiser la circulation et contraindre les invités à utiliser leur véhicule dans le respect du code de la route.
Mais précisément, la décision est une ordonnance de référé et elle n'a aucun impact réel, puisque, à la fin de l'audience, tout le monde savait que le mariage litigieux serait célébré quelques heures plus tard. Il est impossible, évidemment, de savoir dans quelle mesure ces mots d'apaisement du maire ont, ou non, influencé la décision. Mais l'occasion était idéale pour rappeler, sans aucune conséquence, que les organisateurs du mariage sont responsables de son bon déroulement et qu'ils doivent coopérer avec les autorités municipales et celles chargées du maintien de l'ordre. Et l'histoire s'achève sur ces mots maintes fois répétés : Ils se marièrent, furent très heureux, et eurent beaucoup d'enfants.