Rappelons que le droit français ne réprime pas les sectes en tant que telles, dont il n'existe d'ailleurs pas de définition juridique. La loi About-Picard du 12 janvier 2001 ne fait pas référence à la dimension religieuse des groupements visés ni à la croyance qu’ils professent. Elle se borne à renforcer la répression des agissements illicites qu’ils sont susceptibles de commettre. Elle définit donc le mouvement sectaire comme celui « qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités ». Est donc considéré comme sectaire le groupement qui porte atteinte aux droits de ses adeptes.
Le projet actuel, plus de vingt ans après la loi fondatrice, trouve son origine dans les premières Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires qui se sont déroulées les 9 et 10 mars 2023.
Il s'agissait alors de tirer les conséquences d'un rapport particulièrement alarmant de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), institution désormais rattachée au ministère de l'Intérieur. Le nombre de saisines était alors de 4020 en 2021, soit une augmentation de 33, 6 % en un an. Sur l'ensemble des signalements effectués auprès de la Miviludes, 12 % concernaient des enfants, 25 % la santé, 70 % dénonçaient des pratiques non conventionnelles, et presque 4 % relevaient du complotisme, en particulier du mouvement antivax. Si le pourcentage peut sembler modeste, cette dernière catégorie représentait tout de même 148 dossiers.
Signé Furax. Hymne des Babus
Pierre Dac et Francis Blanche.. 1951-1952
La Miviludes
La Miviludes a été créée par un décret du 22 novembre 2002, d'application la loi About-Picard du 12 janvier 2001. Elle se veut d’abord un « observatoire » des mouvements sectaires dont les agissements sont attentatoires aux droits de l’homme. Elle diffuse des rapports qui sont autant de mises en garde, attirant l’attention sur des mouvements considérés comme dangereux. Mais l'institution a fait l'objet d'une relative mise en sommeil à partir des années 2010. On l’accusait alors de stigmatiser des mouvements religieux. Par un décret du 15juillet 2020, elle est rattachée au ministère de l’Intérieur et placée sous l’autorité du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. La visibilité de son action en a souffert, surtout si l'on considère que son personnel comptait alors huit personnes. Aujourd'hui, l'islam radical comme l'épidémie de Covid ont montré un certain accroissement des dérives sectaires, ce qui a suscité un intérêt nouveau pour le travail de la Miviludes, le personnel passant de huit à douze personnes. On le voit, l'augmentation des moyens de l'Institution demeure modeste.
Le projet de loi a pour objet d'accroître la visibilité et de développement la mission de la Miviludes. Il lui lui attribue un fondement législatif, ce qui met cette institution un peu plus à l'abri de l'action de lobbies visant à son affaiblissement. Cette disposition a été acceptée par le Sénat. De manière très pragmatique, le projet permettait aussi à la Miviludes d'intervenir comme amicus curiae, à la demande d'un parquet ou d'une juridiction pour l'éclairer sur les dérives sectaires. Une telle procédure n'est pas inconnue et existe déjà au profit de certaines autorités indépendantes. Le projet prévoyait donc que la Miviludes pourrait intervenir pour éclairer les juges à propos des abus de faiblesse, figurant déjà dans le code pénal, et de deux nouvelles infractions créées par les articles 1 et 2 du projet de loi. Mais le Sénat a supprimé ces deux infractions, réduisant le rôle de la Miviludes au seul abus de faiblesse.
La lecture du projet remanié par le Sénat montre qu'il a créé une infraction nouvelle, mais qu'il en a supprimé trois.
L'infraction nouvelle
Dans le chapitre 1er consacré à l'approche pénale, le Sénat ajoute une infraction qui vise à renforcer la répression de l'abus de faiblesse dès lors qu'il serait commis en ligne ou au moyen de supports numériques. Les peines sont donc portées à cinq ans d'emprisonnement et à 750 000 € d'amende dans cette hypothèse.
L'idée d'ajouter une infraction punissant l'abus de faiblesse en ligne n'est sans doute pas mauvaise. Mais le Sénat ne justifie pas réellement son choix d'aggraver la peine liée à cette incrimination. Il n'y est pas fait référence, ni dans le rapport, ni dans les débats. Or précisément, on aimerait savoir en quoi l'abus de faiblesse sur internet est plus grave que l'abus de faiblesse "à l'ancienne".
Les infractions qui disparaissent
Le projet de loi déposé devant le Sénat se proposait, dans ses articles 1, 2 et 4, de créer trois nouvelles infractions, spécifiques des dérives sectaires.
La première est le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse résultant de l'état de sujétion d'une personne. Il s'agit en fait de distinguer les abus d'ignorance et de faiblesse des personnes fragiles, déjà réprimé par l'article 223-15-2 du code pénal, de ceux des personnes déjà en état de sujétion. Cette infraction nouvelle a été justifiée par la difficulté pour les victimes d'admettre qu'elles sont en situation de
faiblesse et par le désir de reconnaître le préjudice causé par la
sujétion elle-même, indépendamment de tout acte que la
victime accomplirait ou s'abstiendrait d'accomplir. Pourrait ainsi
également être sanctionnée la mise sous sujétion
« ayant pour effet de causer une altération grave de la santé physique ou mentale ». Les peines seraient aggravées, de trois à cinq ans d'emprisonnement pour les infractions commises à l'encontre des mineurs ou des personnes vulnérables.
Le Sénat supprime purement et simplement cette infraction. Ses justifications ne sont guère convaincantes. Son rapport affirme d'abord que "le renforcement du quantum de peines (... à est encore une habitude courante du droit pénal, qui ne repose en général sur aucune évaluation d'un besoin en la matière". Il ajoute, ce qui n'est pas faux, que la répression des dérives sectaires souffre d'abord d'un manque de moyens humains et matériels. Sans doute, mais on ne voit pas exactement le rapport entre ce manque de moyens et la durée de la peine. Quoi qu'il en soit, cette infraction est supprimée et avec elle l'article 1er du projet.
L'article 2 connait le même sort, car il se limitait à dresser une liste de circonstances aggravantes à l'infraction de l'article 1er. Il disparaît donc et, avec lui, les circonstances aggravantes liées à la sujétion accompagnée de torture ou de violences.
Le cas de la provocation à l'abandon de soins
L'article 4, quant à lui, créait une infraction de provocation à l'abandon de soins, que le Sénat fait également disparaître. L'objet du texte semble pourtant utile, car il s'agit de sanctionner le fait d'inciter des malades à ne pas suivre un traitement thérapeutique prescrit par des médecins lorsque cela risque d'avoir des conséquences graves sur leur santé. Pour justifier son refus du texte, le Sénat s'appuie sur l'avis du Conseil d'État qui affirme que ces incriminations nouvelles peuvent être poursuivies sur d'autres fondements, comme l'exercice illégal de la médecine (article 4161-1 du code de la santé publique), les pratiques commerciales trompeuses (article L 121-2 du code de la consommation), la non-assistance à personne en danger (article 223-1 du code pénal), parmi d'autres.
On peut évidemment admettre cet argument, si ce n'est qu'il est très destructeur si l'on considère que l'objet du projet de loi était précisément de créer des infractions spécifiques aux dérives sectaires. Le Conseil d'État renvoie ainsi à un droit commun qui n'est finalement pas toujours utilisé avec efficacité dans ce domaine particulier. Les poursuites sont rares, notamment parce que le monde médical préfère régler ses comptes en interne, avec ses propres procédures disciplinaires. Ces pratiques constituent pourtant des infractions pénales qui doivent être sanctionnées.
Pour exprimer sa réserve, le Conseil d'État formule un autre argument, beaucoup plus surprenant. Lorsque la provocation à l'abandon de soins est formulée sur un blog ou un réseau social, il affirme qu'en tant "qu'elles viseraient à empêcher la promotion de pratiques de soins non conventionnelles dans la presse, sur internet et les réseaux sociaux, de telles dispositions constituent une atteinte à la liberté d'expression". Il ajoute que tout individu a le droit de refuser des soins, et finit par dire que n'ayant pas eu le temps de formuler une autre rédaction, il suggère de l'abandonner.
Le Sénat s'engouffre dans la brèche ainsi ouverte par le Conseil d'État. Bien entendu, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur le rôle des lobbies dans cette disparition de l'article 4, et d'ailleurs aussi dans celle des articles 1 et 2. Parmi les signataires de l'amendement de suppression, on découvre ainsi le nom d'un sénateur, médecin radiologue, qui, le 4 novembre 2022 a été interdit d'exercice de la médecine pendant neuf mois par la chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins de Bourgogne-Franche-Comté pour différentes fautes déontologiques. Il lui était reproché sa participation au documentaire complotiste Hold Up, et sa participation à un mouvement défendant le traitement du professeur Raoult. Certes, l'intéressé a fait appel de cette sanction disciplinaire. Mais on pourrait penser que les auteurs de dérives sectaires et les divers complotistes ont certainement trouvé quelques oreilles bienveillantes au Sénat.
Ce qui reste du projet de loi a été transmis à l'Assemblée nationale le 20 décembre. On peut espérer qu'il rétablira les dispositions supprimées. Dans le cas contraire, le débat pourrait être rapide, car les sénateurs n'en ont pas laissé grand-chose.
Les dérives sectaires : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 10, section 3