Comment sortir de la crise politique ? La Première ministre a engagé jeudi 16 mars la responsabilité de son gouvernement sur le fondement de l'article 49 al. 3 de la Constitution. Il faut maintenant attendre le vote de la, ou des, motions de censures qui doivent être déposées dans les 24 heures et votées dans les 48 heures. La crise sera-t-elle résolue pour autant ? Si la censure est votée, le gouvernement est renversé et la loi n'est pas adoptée. Si la motion de censure est rejetée, la loi est adoptée, sans vote. Entre crise politique majeure, qui pourrait se traduire par une dissolution, et adoption d'une réforme impopulaire sans que la loi ait jamais été votée par l'Assemblée nationale, aucune deux hypothèses n'est réellement satisfaisante.
Le RIP
Le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, croit avoir trouvé une solution : le référendum d'initiative partagée (RIP), qui présente l'avantage de s'analyser comme une procédure démocratique. Valérie Rabault, parlementaire du Parti socialiste, également favorable à cette procédure ajoute, sur Europe-1, qu'elle "permet de bloquer pendant 9 mois la mise en œuvre de cette réforme et peut-être de faire en sorte qu'elle ne voie jamais le jour". Au risque de doucher quelque peu l'enthousiasme de ses promoteurs, force est de constater que l'utilisation du RIP se heurte à quelques écueils.
Rappelons les termes de l'article 11, tel qu'il est rédigé depuis la révision de 2008 : "Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an".
Conditions de fond
Le premier écueil réside, chacun le sait, dans le nombre de soutiens exigé pour obtenir ce référendum, 1/10è du corps électoral, soit 4 700 000 signatures. Jusqu'à aujourd'hui, aucune proposition n'est parvenue à remplir cette condition, et aucun RIP n'a jamais été organisé. Un seul texte, visant à affirmer le caractère de service public national à l'exploitation des aérodromes de Paris est parvenu jusqu'à l'étape des signatures, en recueillant 1 093 000. En tout état de cause, ce seul du dixième du corps électoral est difficile à atteindre, quel que soit l'intérêt de la proposition.
L'autre condition de fond est plus facile à remplir dans le cas d'une proposition relative à la réforme des retraites. Elle entre en effet parfaitement dans le champ d'application de l'article 11 de la Constitution qui prévoit qu'un référendum peut être organisé dans le domaine de la "politique économique, sociale et environnementale". Il ne fait aucun doute que la réforme des retraites relève à la fois de la politique économique et de la politique sociale.
Aux termes de l'article 11, une proposition de loi visant à l'organisation d'un RIP doit être déposée par au moins 1/5è des membres du Parlement. La proposition, et c'est l'une des spécificités de la procédure, peut donc réunir députés et sénateurs. Sur 925 parlementaires, au moins 185 d'entre eux doivent signer la proposition. Ce n'est pas vraiment une difficulté dans le cas présent, si l'on considère que l'inter-groupe Nupes réunit 123 députés à l'Assemblée, et que la réunion des groupes socialiste, communiste et écologiste au Sénat en compte 90. On atteint ainsi le nombre de 213, ce qui permet de déposer une proposition de référendum, sans qu'il soit nécessaire de faire appel à d'autres forces politiques.
Une loi promulguée depuis moins d'un an
Les difficultés commencent avec cette disposition de l'article 11 qui mentionne que la proposition "ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". De cette formulation, on doit déduire que la proposition de loi doit intervenir avant la promulgation de la loi sur les retraites. Est-il concrètement possible de respecter cette procédure ? Pour répondre à cette question, il convient d'envisager les différents scénarios envisageables.
La première hypothèse, défavorable au gouvernement, est qu'une des motions de censure soit adoptée. Dans ce cas, le gouvernement est renversé, la loi sur la réforme des retraites n'est pas adoptée et sombre dans le même naufrage que l'équipe gouvernementale. La question du RIP ne se pose plus, car il n'est pas question de contester un texte qui a disparu corps et biens.
La seconde hypothèse, la plus favorable au gouvernement, est qu'aucune mention de censure ne soit votée. Aux termes de l'article 49 al. 3, le projet est considéré comme adopté, dès que le Premier ministre engage sa responsabilité, sauf si une motion de censure est votée dans le délai de 36 heures, soit 24 heures pour déposer les motions, et 48 heures avant de procéder aux opérations de vote. Si aucune motion n'est votée, le projet demeure ainsi adopté, mais pas encore promulgué.
Le parlement aurait-il alors la possibilité de voter une proposition de loi demandant un référendum sur la réforme des retraites ? Peut-être, avec la complicité involontaire du Conseil constitutionnel.
Le télescopage des délais
La loi adoptée par le parlement, sans aucun vote de l'Assemblée nationale, sera en effet très probablement déférée au Conseil par soixante sénateurs et soixante députés. Or, l'article 61 al. 2 de la Constitution précise clairement que les lois adoptées par le parlement peuvent être soumises au Conseil constitutionnel "avant leur promulgation". La saisine du Conseil aura donc pour effet immédiat de retarder la promulgation et d'offrir un parlement un délai de nature à permettre le vote d'une proposition de loi demandant un RIP. La durée de ce délai serait en principe d'un mois, délai dont dispose le Conseil pour statuer. Mais on doit rappeler que le gouvernement peut librement invoquer l'urgence pour ramener ce délai à huit jours.
Il reste évidemment à se poser la question de l'articulation dans le temps des deux textes, la proposition de RIP d'un côté, la loi adoptée sur la réforme des retraites de l'autre. La proposition de RIP empêche-t-elle la promulgation de la loi retraites ? A l'inverse, la promulgation de la loi retraites interrompt-elle la procédure référendaire ? La question est importante si l'on considère qu'une fois la proposition référendaire votée, elle doit être elle-même soumise au Conseil avant que soit engagée la procédure de recueil des signatures, étendue sur neuf mois.
La réponse à cette question se trouve dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 9 mai 2019, à propos de la proposition de loi relative au maintien du groupe Aéroport de Paris dans le service public. Le Conseil estime alors que les conditions posées par l'article 11 sont respectées, alors même que la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises prévoyant cette privatisation a été adoptée le lendemain du dépôt de la proposition de loi référendaire. Il précise que, "à la date d'enregistrement de la saisine, la proposition de loi n'avait pas pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". Autrement dit, tant que la loi n'est pas promulguée lors de la saisine du Conseil, la proposition de RIP peut être votée.
A cette occasion, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a publié un communiqué éclairant cette décision. Il précise que la proposition de RIP ne doit pas porter sur une disposition promulguée depuis moins d’un an, "à la date d’enregistrement de la saisine par le Conseil constitutionnel". Peu importe donc, à ce moment précis, que le Conseil soit à la fois saisi de la proposition de RIP et de la loi à laquelle le RIP se propose précisément de faire obstacle. Dès lors que cette dernière n'est pas encore promulguée, la procédure référendaire peut s'engager. Si le Conseil décide que la proposition est conforme à la Constitution, s'ouvre alors le délai de 9 mois ouvert pour recueillir les signatures.
Cela ne signifie pas pour autant que la proposition de RIP empêche la promulgation de la loi sur la réforme des retraites. La Constitution mentionne en effet que le référendum d'initiative partagée ne peut intervenir pour abroger une loi "promulguée depuis moins d'un an". Cette condition ne s'applique qu'au moment de la saisine du Conseil constitutionnel. Peu importe donc que la loi ait ensuite été promulguée. Laurent Fabius, intervenant à propos du RIP relatif à la privatisation d'Aéroport de Paris, émet une critique discrète de cette absence d'articulation entre les délais : "La circonstance que, compte tenu du lancement de la procédure du RIP, cette privatisation puisse en fait être rendue plus difficile peut sans doute donner matière à réflexion sur la manière dont cette procédure a été conçue, mais nul ne saurait ignorer la lettre de la Constitution (...) que le Conseil constitutionnel a pour mission de faire respecter". Le président du Conseil constitutionnel affirme ainsi très poliment que les dispositions constitutionnelles sur le RIP, ajoutées à l'article 11 en 2008 et très tardivement concrétisées par une loi organique du 6 décembre 2013, sont le produit d'une réflexion inaboutie et d'une rédaction maladroite. La première conséquence de cette situation est que la mise en oeuvre de la loi reste suspendue pendant neuf mois au résultat du recueil des signatures, voire au référendum si par hasard les parlementaires parvenaient à réunir 1/5è du corps électoral sur leur projet.
Une fenêtre de tir
Certes, mais il n'empêche que cette absence de réflexion offre au parlement une fenêtre de tir, un petit moment, peut-être huit jours si le gouvernement a l'audace de saisir le Conseil constitutionnel en urgence de la loi sur les retraites. Mais ce serait quelque peu aventuré de presser cette noble institution, quand on lui soumet un texte adopté sur le fondement de l'article 47-1, c'est-à-dire considéré comme une loi rectificative d'un texte de financement de la loi sécurité sociale, alors qu'il ne s'agit pas de modifier un budget pour des questions conjoncturelles mais de faire adopter une réforme pérenne du financement des retraites. Dans ces conditions, il semblerait plus probable que le Conseil ait un mois pour statuer, et le parlement un mois pour adopter une proposition de référendum. Tout cela demeure subordonné au rejet de la motion de censure, ce qui démontre que les épreuves du gouvernement sont bien loin d'être terminées. La loi sans vote risque d'aboutir ainsi à un vote sans loi.