La Poste annonce pour le 1er janvier 2023 la disparition du timbre rouge, ou plus précisément la fin de l'affranchissement prioritaire. Pour la somme de 1, 43 €, il garantissait la distribution de la correspondance à son destinataire en moins de 24 heures. Pour justifier cette décision, la Poste invoque la baisse des envois par lettre, divisés par 14 depuis 2008 ainsi que le coût d'un service qui exige d'importants moyens logistiques. Bien entendu, est également invoquée la baisse de l'empreinte carbone, puisque les rotations par camions et par avions seront moins nombreuses. Le Greenwashing est souvent utilisé pour justifier des réformes reposant essentiellement sur une volonté de réduire les coûts.
Les options ouvertes à l'usager
Le résultat de l'opération est que, au 1er janvier 2023, l'usager n'aura plus le choix qu'entre trois options. Soit il enverra ses lettres à petite vitesse, avec le timbre vert de 1, 16 €. Dans ce cas, le délai d'acheminement est officiellement de deux jours, mais peut s'étendre à quatre à six jours pour les territoires d'outre-mer. Soit il usera de la nouvelle "lettre turquoise" distribuée le surlendemain, et dotée de garanties de traçabilité, moyennant la coquette somme de 2, 95 €. Soit il utilisera la "e-lettre rouge", largement dématérialisée. L'expéditeur pourra alors envoyer, par internet, de chez lui ou du bureau de poste, un document de trois feuillets maximum. Imprimé et mis sous pli dans un site de la Poste proche de la la destination, la lettre sera ensuite distribuée le lendemain de l'envoi.
Pourquoi pas ? L'idée est séduisante et la nouvelle procédure offrira un acheminement aussi rapide que l'ancienne, du moins en principe. Il n'est guère contestable que son coût sera inférieur, même si cet argument financier laisse un peu songeur, à propos d'une entreprise qui déclare avoir redressé ses comptes en 2021, avec un bénéfice net supérieur à deux milliards d'euros.
Tiens, voilà le facteur ! Bourvil. 1954
Lois de Rolland et principe d'égalité
Nul n'ignore que La Poste a perdu son monopole dans l'acheminement du courrier. C'est aujourd'hui une société anonyme et cette mission est confiée à une Holding, Sofipost. Toutefois, l'entreprise demeure un service public universel et ses activités sont encadrées par le code des postes et télécommunication qui a valeur législative ainsi que par un certain nombre de décrets. A ce titre, La Poste se voit imposer de distribuer le courrier six jours sur sept en France, et elle demeure soumise à ce que les juristes appellent "Les lois de Rolland", qui imposent le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité du service.
Si en l'espèce la continuité du service demeure assurée, et que La Poste revendique cette réforme comme un élément de son adaptabilité aux nouveaux besoins, on peut se demander si le principe d'égalité n'est pas quelque peu malmené. En effet, les personnes peu familières de l'outil internet, notamment les plus âgées et les plus isolées, auront bien des difficultés à utiliser la "e-lettre rouge". Elles seront alors contraintes de se rendre au bureau de poste le plus proche. Hélas, on sait que la fermeture des services publics est aujourd'hui une triste réalité et qu'il faut parfois parcourir des kilomètres pour trouver un bureau de poste. Imagine-t-on sérieusement qu'une personne âgée prendra son véhicule pour se rendre dans une ville plus ou moins éloignée, alors qu'il lui suffisait, jusqu'à présenter, de jeter la lettre au timbre rouge dans la boîte aux lettrex du village, voire de la donner au facteur ? En outre, l'empreinte carbone serait évidemment déraisonnable, pour reprendre le critère même développé par La Poste.
Le secret de la correspondance
Plus grave, la question de la protection du secret des correspondances n'a pas été sérieusement évoquée. Elle mériterait pourtant de l'être, ne serait-ce que parce que ce secret se rattache directement à la protection de la vie privée, qui a valeur constitutionnelle. Cette constatation conduit à s'interroger sur l'autorité compétente pour décider de la disparition du timbre rouge. Il semble que la décision ait été prise par La Poste qui la présente comme une "refonte de son offre d'affranchissement". Mais on pourrait tout aussi bien considérer que ce lien avec le respect de la vie privée fait relever une telle disposition du domaine de la loi.
Quoi qu'il en soit, La Poste se borne à affirmer que le secret sera respecté, tout en mentionnant que la lettre sera imprimée et mise sous pli dans un site proche du domicile du destinataire. Cela signifie que des agents auront accès à cette correspondance et qu'ils pourront, le cas échéant, en prendre connaissance, voire la transférer à un tiers. Cette situation peut se révéler inquiétante dans un village ou une petite ville où tout le monde se connaît. L'agent pourrait éprouver quelque curiosité, se demander quelle sont ces lettres parfumées envoyées au notaire, pourquoi la coiffeuse reçoit des rappels du Trésor public etc.
Or l'inviolabilité de la correspondance est une composante essentielle de la vie privée. Elle doit faire l'objet d'une protection particulièrement attentive.
Les agents employés à ces fonctions pourront être poursuivis, le cas échéant, pour toute violation du secret de la correspondance. Le Code pénal punit d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende « le fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance » (art. 226-15 c.pén.). Le secret de la correspondance est aujourd’hui étendu à l’ensemble des technologies de communication, à partir du principe cardinal de protection des données personnelles.
L'article L3-2 du code des postes et télécommunications impose, parmi les missions de service public qui incombent à La Poste de "garantir la confidentialité des envois de correspondance et l'intégrité de leur contenu", ainis que "le secret des correspondances (...)." Ce secret constitue une obligation de service pour les agents, et sa violation peut provoquer à la fois une sanction disciplinaire et une sanction pénale.
Si le secret de la correspondance est essentiellement garanti par la voie législative, il fait également l'objet d'une protection européenne. La CEDH, dans un arrêt de Grande Chambre du 5 septembre 2017 Barbulescu c. Roumanie, affirme ainsi que la surveillance, par une entreprise, des courriels des salariés emporte une ingérence excessive dans le secret de la correspondance.
Une idée de "Cost Killer"
Tout cela est fort bien, sur le papier. Car, dans le cas de la "e-lettre rouge", la question de la preuve d'un éventuel manquement au secret est posée. Dès lors que les agents des postes auront précisément pour fonction d'imprimer un document et de l'envoyer, rien ne les empêche matériellement de le lire. Et, en l'absence d'élément matériel, par exemple un courrier manifestement ouvert ou que l'on retrouve non distribué, il devient bien délicat de prouver la faute.
On pourra objecter que la quantité même de "e-lettres rouges" suscitera un travail tel que les agents auront autre chose à faire que de lire les missives ainsi expédiées. Mais, là encore, on peut s'interroger sur le caractère dissuasif d'une telle procédure. Quel est l'intérêt d'envoyer un courriel pour ensuite, pour qu'il soit ensuite transmis sur support papier ? La plupart de ceux qui envoient encore des lettres vont sans doute se résoudre à la communication par courriel. Il ne restera plus, comme marché, que celui des destinataires dépourvus d'accès à internet. La "e-lettre rouge" présente donc comme intérêt essentiel pour La Poste de dissuader les usagers d'y recourir. En bref, une opération toute simple de "Cost Killer", visant à les contraindre de recourir à des services plus onéreux.
Sur le secret de la correspondance : Chapitre 8 Section 5 du Manuel