On s'en doutait un peu, mais le choc est tout de même rude pour tous les campeurs. Dans un arrêt du 17 février 2022, le Conseil d'État, sans précaution oratoire ni préparation psychologique, énonce en effet que le camping n'est pas une activité qui contribue à la vie de la nation.
La fermeture des terrains de camping
L'origine de cette grave question se trouve dans un recours déposé par une entreprise exploitant un terrain de camping. Elle a été contrainte de fermer cette installation durant l'état d'urgence sanitaire lié à l'épidémie de Covid-19, puis à la fin de cet état d'urgence, durant la période transitoire de sortie de crise. Or, cette période transitoire impliquait la possibilité de sortir hors de son domicile, dans un rayon de cent kilomètres. L'entreprise aurait donc apprécié de pouvoir ouvrir son camping à des campeurs "de proximité".
La requérante demande donc l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 mai 2020 qui faisait figurer parmi les activités susceptibles de recevoir du public les terrains de camping, "lorsqu'ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier". Ce décret complétait un premier texte du 11 mai 2020 qui dressait la liste des mesures susceptibles d'être prises dans le cadre de l'état d'urgence. Dans le cas présent, le terrain de camping n'accueillait malheureusement pas de résidents permanents et n'avait pas d'autre fonction que de permettre à des joyeux vacanciers de s'esbaudir au soleil.
Les moyens juridiques susceptibles d'être invoqués par l'entreprise gérant un terrain de camping n'étaient pas très nombreux. Comme on pouvait s'y attendre, celui reposant sur le caractère disproportionné de la mesure au regard de l'objectif de protection de la santé publique n'a pas prospéré. Le Conseil d'État se borné à mentionner que l'interdiction totale a été levée dès le 20 juin 2020, soit un mois après la publication du décret. Il ajoute que la mesure ne s'appliquait pas si le camping abritait le domicile régulier des résidents, dérogation montrant que la fermeture n'était pas une mesure absolue.
Egalité devant la loi
La société requérante a donc préféré s'appuyer sur la rupture du principe d'égalité devant la loi. Elle note que le décret du 11 mai 2020 ordonne la fermeture des campings, de villages vacances, maisons familiales et auberges collectives, mais, en revanche, autorise les hôtels à recevoir du public. Cette dérogation repose sur la nécessité d'assurer la poursuite des activités professionnelles qui nécessitent des déplacements, et donc un hébergement sur place. Aux yeux de l'entreprise requérante, les terrains de camping font l'objet d'une discrimination non justifiée, puisqu'ils peuvent aussi offrir un hébergement.
Mais pour le Conseil constitutionnel, le principe d'égalité ne s'oppose pas "le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général", principe acquis depuis la décision du 16 janvier 1982. Dans le cas présent, il note que les activités des terrains de camping ont "une visée principalement touristique", et ne sont pas vraiment utilisés pour les voyages d'affaires.
La continuité de la vie de la Nation
Les hôtels se voient donc investis d'une mission particulière liée à la "nécessité de garantir la continuité de la vie de la Nation", qui justifie un traitement différent.
La "nécessité de garantir la continuité de la vie de la Nation" est une notion qui n'est pas inconnue du système juridique. Elle trouve son fondement juridique dans l'article L 1111-1 du code de la défense, dans sa rédaction issue de la loi de programmation militaire du 29 juillet 2009 : "La stratégie de sécurité nationale a pour objet d'identifier l'ensemble
des menaces et des risques susceptibles d'affecter la vie de la Nation,
(...) et de
déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter". Ce même code de la défense dresse ensuite une liste des secteurs d'activités d'importance vitale (SAIV) classés en quatre catégories, à savoir les dominantes humaine, régalienne,
économique et technologique. On y trouve aussi bien la gestion de l'alimentation et de l'eau que les services civils, militaires et judiciaires de l'État, les communications, ou encore l'espace et la recherche.
La gestion de l'épidémie de Covid-19 a conduit à dresser la liste des services indispensables à la continuité de la vie de la Nation, qui devaient rester accessibles pendant le confinement. L'article 12 du décret du 11 mai 2020 impose ainsi l'accueil dans les établissements scolaires des enfants des personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et "à la continuité de la vie de la nation".
Le juge administratif a garanti le respect de cette disposition. C'est ainsi que le juge des référés a suspendu à plusieurs reprises, en particulier à la Réunion et en Guadeloupe, des arrêtés municipaux ordonnant la fermeture totale des écoles, sans accueil des enfants des personnels soignants. Le tribunal judiciaire d'Aix en Provence, dans un jugement du 30 avril 2020, rattache, quant à lui, les postiers aux "activités nécessaires à la continuité de la vie de la nation".
En revanche, les épiceries de nuit (T.A. Montpellier, 3 avril 2020) comme les fêtes foraines (T.A. Toulouse, 4 septembre 2020) ou les terrains de pétanque (TA Toulon, 23 avril 2020) ne sont pas considérés comme des "activités nécessaires à la continuité de la vie de la nation". Il en est de même des campings, et c'est précisément ce que vient d'affirmer le Conseil d'État.
Certes, on pourrait dire que les membres du Conseil d'État ne fréquentent sans doute pas souvent les terrains de camping, préférant peut-être organiser un barbecue dans les jardins du Palais Royal. Ce serait sans doute leur faire un mauvais procès. Le droit de l'exception, celui des temps de tempête et des épidémies, se construit de manière purement réactive. L'"importance vitale pour la continuité de la vie de la nation" est définie en fonction de la menace, en adaptant une grille définie par le Secrétariat générale de la défense nationale. En dehors de ces périodes d'exception, on retrouve un droit du temps normal, et même du beau temps et du soleil, un temps des vacances qui remplit les terrains de camping.