L'Union nationale des étudiants de France (UNEF) est aujourd'hui au coeur d'une tempête. Le syndicat est accusé d'organiser des réunions réservées aux femmes et "aux personnes victimes de racisme". De fait Mélanie Luce, sa présidente, poussée dans ses retranchements sur Europe 1 par la journaliste Sonia Mabrouk, a fini par admettre que les hommes étaient exclus de certaines d'entre elles, comme d'ailleurs les personnes ayant la peau blanche. Bien entendu, les joies de l'intersectionnalité font que les deux interdictions peuvent parfaitement se cumuler et les hommes blancs "cisgenres" se trouvent ainsi exclus de certaines réunions.
En reconnaissant que des réunions étaient interdites à certains membres du syndicat n'ayant ni le bon genre ni la bonne couleur de peau, sa présidente reconnaissait une pratique discriminatoire. Aussitôt, certains commentateurs comme Eric Naulleau se sont prononçés en faveur de la dissolution de l'UNEF. De son côté, le député LR des Alpes-Maritimes Éric Ciotti, a demandé au ministre de l'Intérieur « d'étudier sans attendre la dissolution de l'Unef », mouvement selon lui « clairement antirépublicain devenu l'avant-garde de l'islamo-gauchisme ».
Une dissolution illégale
Ce discours révèle sans doute une certaine exaspération, mais il ne s'appuie sur une aucune analyse juridique. En l'état actuel du droit, la dissolution de l'UNEF serait totalement illégale.
La dissolution administrative d'une association est autorisée par l'article L212-1 du code de la sécurité intérieure. Cette procédure trouve son origine dans une loi du 10 janvier 1936. A l'époque, après le 6 février 1934, l'activité des "ligues" armées, souvent violentes et fort peu attachées au régime républicain, est apparue suffisamment dangereuse pour justifier un régime de dissolution administrative.
Celle-ci est toutefois soumise à des conditions rigoureuses liées à l'activité du groupement. Pour encourir la dissolution administrative en l'état actuel du droit, il doit soit être constitué comme un groupe armé, soit avoir pour but de porter atteinte à la forme républicaine du Gouvernement, soit se livrer à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger, soit enfin "provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence".
A l'évidence, il est impossible de considérer l'UNEF comme un groupe armé. Le syndicat ne remet pas en cause la forme républicaine du gouvernement et il ne se livre à aucun agissement en vue de provoquer des actes de terrorisme. Reste donc la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence.
Homme exclu d'une réunion non-mixte
Hilarion chassé du royaume des Willis
Giselle. Acte 2. Adolphe Adam
François Alu. Ballet de l'Opéra de Paris
L'absence de provocation
La provocation à la haine raciale est un délit prévu par l'article 24 al. 7 de la loi du 29 juillet 1881 ? La Cour de cassation, par exemple dans un arrêt du 7 juin 2017, affirme que cette infraction n'est caractérisée que "si les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les propos incriminés tendent à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence ou un groupe de personnes déterminées". Dans le cas présent, l'UNEF pratique la discrimination en interdisant à certains de ses membres l'accès aux réunions qu'elle organise. Ce choix de la non-mixité est purement interne à l'organisation, et "le public" n'est pas incité à suivre cet exemple.
Dans ces conditions, il est peu probable que le Conseil d'Etat admette la légalité d'une dissolution administrative. Il exerce en effet un contrôle de proportionnalité de cette mesure à la menace que représente le groupement pour l'ordre public. Dans un arrêt du 30 juillet 2014, saisi des décisions de trois mouvements d'extrême-droite, il affirme que deux d'entre eux peuvent être qualifiés de groupes de combat armés, alors que le troisième, véhiculant pourtant la même idéologie et lié aux deux autres, se bornait à leur prêter un local. Le décret de dissolution le concernant est donc illégal, et le Conseil d'État insiste donc sur le fait que le critère essentiel de la dissolution n'est pas l'idéologie véhiculée par l'association mais ses agissements attentatoires à l'ordre public. Là encore, les réunions non-mixtes de l'UNEF, même discriminatoires, ne portent pas atteinte à l'ordre public, ne suscitent pas de désordres particuliers.
La Cour européenne des droits de l'homme développe, de son côté, une jurisprudence assez comparable. Elle exerce aussi une certaine forme de contrôle de proportionnalité, en s'assurant que la dissolution présente un caractère "impérieux et nécessaire", formule employée par la décision du 11 octobre 2011, Association Rhino c. Suisse. Est alors admise la dissolution par le gouvernement espagnol de mouvements autonomistes basques, dès lors que, précisément, ils faisaient l'apologie du terrorisme ou le finançaient. Dans le cas de l'UNEF, il est à peu certain que la dissolution ne serait pas considérée comme présentant un caractère "impérieux et nécessaire", d'autant qu'il convient évidemment d'insister sur l'importance de la liberté syndicale.
D'autres sanctions possibles
Doit-on pour autant encourager l'UNEF à continuer dans ses pratiques d'exclusion ? Sans doute pas, et il existe d'autres moyens de sanction que la dissolution administrative d'un syndicat. Le premier consiste à poursuivre ses dirigeants devant le juge pénal sur le fondement de l'article 225-1 du code pénal. Celui-ci définit en effet la discrimination comme "toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe (...), de leur identité de genre". Rappelons que les peines peuvent aller jusqu'à trois années d'emprisonnement et 45 000 € d'amende. Le second instrument de sanction possible pourrait être d'ordre financier. Certains médias affirment, sans que l'on puisse le vérifier, que l'UNEF recevrait annuellement 450 000 € de subventions publiques. Peut-être est-ce le moment de réfléchir au bien-fondé d'un tel financement, surtout dans le cas d'un syndicat qui, in fine, ne représente que fort modestement les étudiants.
En effet, les représentants de l'UNEF dans les conseils des universités sont élus par une petite minorité d'étudiants, avec souvent un taux de participation de l'ordre de 5 %. Le résultat est que ce groupement peut être facilement victime d'entrisme : un petit groupe de militants de telle ou telle cause peut prendre le contrôle du syndicat dans une université, tout simplement parce qu'ils seront les seuls à voter. Ce phénomène pourrait notamment expliquer que les "anciens" militants de l'UNEF ne reconnaissent plus le groupement auquel ils ont appartenu.
Quoi qu'il en soit, cette situation nous renseigne sur la troisième et ultime sanction qui peut être appliquée, la seule qui soit aussi définitive que démocratique. Lors des prochaines élections universitaires, les étudiants ne pourraient-ils pas se déplacer en masse dans le but de voter contre un syndicat qui ne les représente plus ?
Sur la dissolution des groupements : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 12, section 2, § 1, B