La "rave party" qui s'est déroulée à Lieuron (Ille-et-Vilaine) du 31 décembre au 2 janvier suscite bon nombre de commentaires. Un rassemblement de plus de deux mille personnes a en effet quelque chose de choquant au moment précis où le Covid-19 se diffuse de nouveau très rapidement dans la population, contraignant les autorités à maintenir le couvre-feu durant la nuit du réveillon, interdisant donc les festivités de masse. Face à cette fête qui a été perçue comme une véritable provocation, certains ont salué une stratégie centrée sur la non-violence, consistant à attendre la fin de la fête pour verbaliser les participants. D'autres, plus sévères, ont dénoncé une véritable improvisation. Les forces de gendarmerie, peu nombreuses sur place, n'ont pas été informées à temps de l'évènement et n'ont donc pas été immédiatement en mesure de procéder à l'évacuation le site. In fine, bon nombre de participants sont parvenus à s'échapper et on recherche toujours les organisateurs.
Des "Nouveaux rassemblements de personnes"
Dès la fin du siècle dernier, les rave ont été rattachées aux "nouveaux rassemblements de personnes" (NRP), formule dépourvue de contenu juridique mais utilisée pour désigner des manifestations qui se déroulent sur la voie publique, et qui sont initiées par les réseaux sociaux. De l'apéro-géant au "diner en blanc" en passant par la "Flash Mobs", toutes ont pour point commun de refuser la procédure de déclaration préalable imposée par le droit des manifestations et de contraindre les forces de l'ordre à une certaine forme d'improvisation.
Les "rave" ont, quant à elles, été rapidement perçues comme dangereuses, et dès 1995, une circulaire de la Direction générale de la Police nationale, intitulée « Les soirées Rave, des situations à hauts risques », les présentait comme « des points de vente et d’usage des stupéfiants ». Ce texte était d’ailleurs le fruit d’un travail réalisé par la Mission de lutte anti-drogue (MILAD), surtout préoccupée par le fait que ces rassemblements étaient le lieu d’une initiation de masse à l’ecstasy, produit qui pénétrait alors massivement en France et dont les jeunes participants à ces Rave Parties ne mesuraient pas la dangerosité.
Un « rassemblement festif à caractère musical »
Perçues comme des manifestations permettant aux trafiquants de drogue d'élargir leur marché, les "rave", rebaptisées en « rassemblement festif à caractère musical », ont finalement été l'objet d'une police spéciale initiée par la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne. Ce rassemblement est alors défini par cinq critères cumulatifs.
Le rassemblement festif doit d’abord être organisé dans des espaces qui ne sont pas aménagés à cette fin, et c'était le cas à Lieuron, la fête se déroulant dans un hangar industriel. Il doit ensuite être susceptible de présenter des risques pour les participants. Jusqu'à aujourd'hui, les risques étaient surtout liés à la configuration des lieux, à leur difficulté d’accès, à l’absence de salubrité, ou encore aux nuisances sonores. A Lieuron, le risque était surtout d'ordre épidémique, lié à la grande promiscuité entre les participants. Le rassemblement doit donner lieu à diffusion de musique, et un décret du 3 mai 2002 précise qu’il s’agit de musique « amplifiée », ce qui suppose un important matériel de sonorisation.
Ensuite, l’effectif prévisible des participants doit être susceptible de dépasser 500 personnes, seuil qui permet de ne soumettre à la nouvelle police administrative que les opérations de grande ampleur, celle de Lieuron dépassant les 2000 participants. Enfin, le dernier critère de définition réside dans l’annonce du rassemblement, faite par « tout moyen de communication ou de télécommunication », formulation extrêmement large qui permet d’intégrer les rassemblements initiés par les réseaux sociaux. Lorsque ces cinq critères sont réunis, une police spéciale est mise en œuvre, reposant sur l’obligation d’une concertation préalable entre les organisateurs et les autorités, appuyée sur un régime déclaratoire considérablement durci par rapport au droit commun des manifestations.
W. Heymans, S. Guitry, A. Willemetz
Une sanction symbolique ?
Dans le cas de la rave de Lieuron, la procédure de concertation n'a pas eu lieu, d'autant que le rassemblement était déjà interdit sur le fondement de l'état d'urgence sanitaire. De fait, l'organisation sans déclaration préalable d'une rave party est sanctionnée pénalement, par une simple contravention (Crim., 17 janvier 2017).
Est-ce à dire que les organisateurs de la rave de Lieuron ne seront sanctionnés que symboliquement ? On pourrait le penser si l'on considère que l'état d'urgence permet seulement d'ajouter une seconde contravention, également applicable aux participants, celle qui prévoit une amende de 135 € pour manquement aux obligations du couvre-feu.
Des sanctions bien réelles
En réalité, le code pénal recèle d'autres dispositions permettant de diligenter des poursuites autrement plus sérieuses à l'encontre des organisateurs de la rave de Lieuron, à la condition évidemment qu'ils soient identifiés. L'article 223-1 du code pénal sanctionne ainsi la mise en danger de la vie d'autrui. Elle est définie comme "le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". Il ne s'agit plus cette fois d'une modeste contravention, mais d'un délit puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.
Ce délit a déjà été utilisé pour sanctionner les organisateurs d'une rave party. La cour d'appel de Paris a ainsi jugé, dans une décision du 31 mai 2000, que la violation de la réglementation sur les lieux ouverts au public mettait en danger la vie d'autrui, en raison de la "surpopulation de personnes dans les lieux qui ne sont pas aménagés à cet effet" et du "manque de dispositif particulier pour la sécurité des personnes" qui pouvait "s'avérer désastreux". Il ne fait guère de doute que cette jurisprudence pourrait directement permettre de sanctionner un comportement plus grave, les organisateurs de la rave de Lieuron ne pouvant ignorer le danger épidémiologique d'un tel rassemblement et n'ayant fait aucun effort pour inciter les participants à respecter les gestes barrières.
A ces peines traditionnelles s'ajoute une sanction propre aux rave parties. L'article L 211-15 du code de la sécurité intérieure autorise en effet la saisie du matériel utilisé, et notamment du matériel sonore, pour une durée de six mois, en vue de sa confiscation par le tribunal. Or les organisateurs de rave parties ne sont généralement pas de gentils jeunes gens amateurs de musique, mais des professionnels du secteur ayant investi dans un matériel sonore extrêmement onéreux. La confiscation de celui-ci met donc fin brutalement à l'activité de l'entreprise, et a certainement une portée dissuasive pour les autres professionnels.
Les sanctions sont possibles, et elles peuvent être lourdes. Il n'en demeure pas moins que le dommage le plus grand causé par cette rave-party réside dans l'image qu'elle a donnée. Elle a d'abord contribué à donner l'impression que la jeunesse veut ignorer le danger que représente un tel rassemblement, se conduisant ainsi avec une joyeuse inconscience. Or les jeunes ne sont pas nécessairement plus imprudents que les moins jeunes, et les participants à cette rave party ne représentent qu'une infime minorité de la jeunesse. Cette rave party a aussi, et surtout, donné l'impression d'un Exécutif dépassé, attentiste, plus enclin sanctionner les petites transgressions que les grandes violations de l'état d'urgence sanitaire. En terme d'image, la rave party de Lieuron tient plutôt du cauchemar.
Sur les rave parties : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 12, section 1 § 2 B