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L'article 4 de la Déclaration de 1789
Formellement, ce type de recours s'appuie d'abord sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui affirme que "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". De nombreux précédents ont déjà été observés, pour contester par exemple l'obligation de porter une ceinture de sécurité en voiture, tant pour le conducteur que pour les passagers.
Dans un arrêt du 20 mars 1980, la chambre criminelle affirme ainsi que cette obligation "ne saurait être regardée, eu égard à l'objet de sécurité publique qu'elle poursuit, comme portant atteinte aux dispositions de valeur constitutionnelle de l'article 4 de la Déclaration (...)". Elle sanctionne donc la décision d'une Cour d'appel qui avait écarté les poursuites engagées contre un conducteur car, en l'espèce, le port de la ceinture était sans influence sur les dommages subis par les tiers lors d'un accident de la circulation.
Il ne fait guère de doute que l'obligation de porter un masque fera l'objet d'une jurisprudence identique. Là aussi, le but de "sécurité publique" poursuivi par la mesure interdit de s'appuyer sur l'article 4 de la Déclaration de 1789. S'il est vrai qu'il affirme que "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui", il convient aussi de lire la suite : "L'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles
qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes
droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi". Le Conseil constitutionnel, depuis sa décision du 22 juillet 1980, considère "la sécurité des personnes et des biens" comme un "principe de valeur constitutionnelle", justifiant donc que des "bornes" soient posées à la liberté de chacun.
La liberté de circulation
D'autres requérants, toujours pour contester le port de la ceinture de sécurité, se sont appuyés sur l'article 2 du Protocole n° 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui consacre la liberté de circulation. La Cour de cassation, dans une décision du 25 novembre 1998 a écarté sèchement le pourvoi, faisant observer que le port de la ceinture de sécurité n'a jamais empêché personne de circuler en voiture.
Le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg s'est prononcé le 23 mai 2020 sur un recours demandant la suspension d'un arrêté du maire de cette même ville, imposant le port du masque dans "la zone de la Grande Ile, les ponts et les voies adjacentes". Là encore, les requérants faisaient valoir que cette obligation portait une atteinte grave et immédiate à leur liberté d'aller et de venir. Dans son ordonnance rejetant leur demande, le juge note qu'ils "ne démontrent pas en quoi la seule obligation du port du masque de 10 heures à 20 heures ne leur permettrait pas de se déplacer librement" dans ce quartier. En bref, le fait de porter un masque n'a jamais empêché qui que ce soit de marcher à pied.
Le pouvoir de police
Le requérant pourrait-il alors se fonder sur le fait que l'arrêté obligeant à porter le masque à Montpellier a valeur réglementaire, alors que l'article 4 de la Déclaration de 1789 énonce que les bornes de la liberté "ne peuvent être déterminées que par la Loi" ? On ignore si l'arrêté montpelliérain a été adopté par le maire ou par le préfet, mais c'est sans importance, car ces deux autorités sont dotées du pouvoir de police générale qu'elles exercent pour assurer l'ordre public, et donc l'hygiène publique qui en est partie intégrante.
Le pouvoir de police du maire repose sur un fondement législatif, l'article L 2212-2 du code des collectivités territoriales. Il précise qu'il implique le "soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser,
par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux
calamiteux". Autant dire que la prévention d'une épidémie relève effectivement de ses compétences.
Celles du préfet ont été précisées par les lois de décentralisations. Il demeure le "dépositaire de l'autorité de l'Etat dans le département" et il est donc également responsable de l'ordre public, comme représentant du Premier ministre et de chaque ministre dans le dépa
rtement. Le décret du 10 juillet 2020, modifié le 30 juillet 2020, fait de lui une autorité de substitution du ma
ire dans le cas précis du port du masque : "Dans les cas où le port du masque n'est pas prescrit par le présent décret, le préfet de département est habilité à le rendre obligatoire, sauf dans les locaux d'habitation, lorsque les circonstances locales l'exigent ».
Le caractère fluctuant de la jurisprudence administrative
Le requérant montpelliérain aura donc bien des difficultés à démontrer l'incompétence du maire ou du préfet et n'obtiendra pas davantage que cette obligation de porter le masque soit considérée comme une atteinte à une liberté fondamentale, justifiant une mesure d'urgence. Mais cette analyse concerne le droit actuel, pas celui en vigueur il y a trois, mois.
A l'époque, en effet, la jurisprudence administrative était bien différente : lorsque les masques faisaient cruellement défaut, les juges n'hésitaient pas à suspendre les arrêtés municipaux imposant leur port.
Le maire de Sceaux en a fait l'amère expérience. Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy, le 17 avril 2020, a pris une ordonnance suspendant un arrêté imposant le port du masque dans cette ville. Il invoquait des "circonstances particulières" liées, d'une part à la démographie de sa commune, d'autre part à la concentration des commerces de première nécessité dans une zone très étroite. Mais le juge a estimé que ces circonstances ne constituaient pas des "raisons impérieuses" justifiant le port du masque. Au contraire, il a affirmé que cette initiative locale était susceptible de nuire à la cohérence de la politique sanitaire. A l'époque, le port du masque était présenté comme inutile, tout simplement parce qu'il était impossible de s'en procurer. Aujourd'hui, l'arrêté du maire de Sceaux serait considéré comme parfaitement légal et adapté à la menace sanitaire.
Quoi qu'il en soit, la simple existence de recours contre le port du masque conduit à s'interroger sur la perception de la liberté qu'ils impliquent. Une contrainte visant à se protéger soi-même mais aussi à protéger autrui est perçue comme disproportionnée et insupportable. On refuse le port du masque comme on refuse la vaccination de ses enfants, en invoquant la liberté individuel
le, et en ignorant superbement que notre liberté s'arrête là où commence celle d'autrui. La revendication de la liberté individuelle s'analyse alors comme un égoïsme absolu, un refus d'accepter les contraintes de la vie en société, un rejet de toute responsabilité.
Calvin & Hobbes. Bill Watterson