De la liberté au droit
Observons d'emblée une évolution terminologique qui devrait susciter quelques commentaires. La loi du 17 juillet 1978 consacrait une "liberté" d'accès aux documents administratifs, alors que le Conseil constitutionnel reconnait l'existence d'un "droit" constitutionnel à l'accès à ces mêmes documents. S'agirait-il d'une erreur de plume ? On en doute, si l'on considère que la liberté renvoie à l'idée d'une prérogative qui n'est soumise à aucune contrainte particulière autre que les éventuelles infractions pénales commises lors de son exercice. Le droit, en revanche, s'analyse davantage comme une autorisation, une faculté d'accomplir ou non quelque chose. Or c'est exactement ce que consacre le Conseil constitutionnel, qui entend maintenir la transparence administrative sous son contrôle.
Le traitement Parcoursup
L'article 1er de la loi du 8 mars 2018 énonce : "Afin de garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l'examen des candidatures", les obligations de transparence "sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d'obtenir, s'ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise". Une distinction est ainsi opérée entre une première phase, purement algorithmique, conduisant à un premier classement, et une seconde phase, celle-là bien humaine, que constitue la décision finale de l'équipe pédagogique. L'algorithme n'est donc rien de plus qu'un outil d'aide à la décision.
Dans un arrêt du 12 juin 2019, le Conseil d'Etat avait évité le débat sur le caractère communicable ou non de ces algorithmes. S'appuyant sur l'article L 612-3 du code de l'éducation, il avait considéré que l'UNEF, syndicat d'étudiants, ne saurait représenter les "candidats" engagés dans Parcoursup puisque, par hypothèse, ils ne sont pas encore "étudiants". L'analyse serait juridiquement inattaquable, si l'UNEF s'était fondée sur le code de l'éducation.
La loi générale
Au contraire son recours reposait sur la loi générale, la loi du 17 juillet 1978 aujourd'hui codifiée dans les articles L 311-1 et L 300-2 du code des relations entre le public et l'administration. Dans ce cas, le droit d'accès est ouvert à tout le monde, sans qu'il soit nécessaire de faire état d'un quelconque intérêt à agir, la simple curiosité suffisant à justifier une démarche de transparence. Dans un avis du 23 juin 2016, Association Droits des Lycéens, la CADA s'était elle-même déclarée favorable à une transparence de même nature pour le code source du logiciel d'admission post-bac (APB), système qui a précédé Parcoursup.
La loi Lemaire pour une République numérique du 7 octobre 2016 ajoute les codes sources à la liste des documents administratifs communicables. Le décret du 14 mars 2017 précise que toute personne à laquelle est appliquée une décision issue d'un traitement algorithmique doit pouvoir obtenir communication des règles définissant ce traitement ainsi que des caractéristiques principales de sa mise en oeuvre.
Certes, on pouvait considérer que le Conseil d'Etat privilégiait la loi spéciale sur la loi générale, conformément aux règles en vigueur. Mais cette analyse était parfaitement illisible pour les demandeurs, et l'administration a fini par le comprendre. Le décret du 26 mars 2019 impose désormais aux établissements une publication "des critères généraux encadrant l'examen des candidatures (...)" (art. D. 612-1-5 du code de l'éducation), ce qui implique la transparence des algorithmes. Au moment où la QPC parvient au Conseil constitutionnel, elle ne présente donc plus réellement d'intérêt concret.
L'article 15 de la Déclaration de 1789
Certes, mais enfin elle consacre un nouveau "droit constitutionnel" de l'accès aux documents administratifs. Il trouve son fondement constitutionnel dans l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Sur ce plan, le Conseil se réfère à sa décision du 15 septembre 2017, qui trouvait déjà dans l'article 15 de la Déclaration le fondement d'un droit d'accès aux archives publiques.
Mais le Conseil entend bien définir lui-même le contenu de ces nouveaux droits de la transparence. Comme en 2017, il ajoute aussitôt qu'il "est loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi". Le contrôle de proportionnalité permet alors au Conseil d'apprécier si le droit d'accès est conforme ou non aux objectifs poursuivis.
Le retour du contrôle de proportionnalité
Dans le cas présent, le Conseil apprécie donc la constitutionnalité de l'article L 612-3 du code de l'éducation de manière extrêmement subtile, pour finalement parvenir à une transparence "sous contrôle".
S'appuyant sur les travaux préparatoires de la loi de 2018, il affirme d'abord que la détermination des critères de candidature par la phase algorithmique n'est pas dissociable de l'appréciation qui sera ensuite portée sur chaque candidat. Le secret des algorithmes est donc présenté comme un élément du secret des délibérations, secret qui assure lui-même l'indépendance des équipes pédagogiques et qui poursuit donc un objectif d'intérêt général. Cette analyse n'est pas discutable, dès lors que les établissements ne sont théoriquement pas tenus de recourir aux algorithmes, et que l'appréciation des mérites des candidats ne saurait être réalisée sur le seul fondement d'un traitement automatisé sans violer le principe de l'examen particulier du dossier.
Le second motif développé par le Conseil est peut-être moins clair. A ses yeux en effet, les candidats bénéficient d'une information suffisante, dès lors qu'ils sont informés, par la plateforme Parcoursup nationale, des "prérequis", connaissances et compétences attendues pour réussir dans une formation. Ils n'ont donc pas à connaître les critères placés dans les algorithmes des établissements. En outre, ajoute le Conseil constitutionnel non sans un brin de cynisme, les candidats refusés peuvent toujours, conformément à l'article L 612-3 du code de l'éducation, demander les motifs de cette décision négative, et "la communication prévue par ces dispositions peut, en outre, comporter des informations relatives aux critères utilisés par les traitements algorithmiques éventuellement mis en œuvre par les commissions d'examen". Les établissements peuvent donc, ou non, communiquer les algorithmes aux candidats écartés.
La transparence réduite au pouvoir discrétionnaire de l'administration
Reste évidemment le cas de l'UNEF, c'est-à-dire le cas des tiers non-candidats à la procédure Parcoursup. A dire vrai, ils sont traités de la même manière que les candidats. Le Conseil commence par affirmer que "l'absence d'accès des tiers à toute information relative aux critères et modalités d'examen des candidatures effectivement retenus par les établissements porterait au droit garanti par l'article 15 de la Déclaration de 1789 une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi, tiré de la protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques". Mais l'audace s'arrête là, et le Conseil se borne à faire peser sur les établissements de publier, à l'issue de la procédure, les critères utilisés pour l'examen des candidatures, "le cas échéant" sous la forme d'un rapport, précisant, "le cas échéant", dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen.
On a bien lu. La transparence des algorithmes, dans le cadre du nouveau "droit constitutionnel à l'accès aux documents administratifs", se traduit in fine par une simple faculté accordée aux établissements d'enseignement supérieur de faire savoir, par le moyen de leur choix, qu'ils ont utilisé des algorithmes, sans jamais être contraints de préciser leur contenu. La transparence désormais constitutionnelle se traduit donc par un renforcement du pouvoir discrétionnaire de l'administration.
Bien entendu, il n'est pas question de nier l'intérêt de cette consécration constitutionnelle du droit d'accès aux documents administratifs. L'auteur de ces lignes, soutenant une thèse sur le droit d'accès à l'information administrative, il y a de longues années, s'était entendu objecter, lors de la soutenance, que le sujet ne portait pas sur une liberté mais sur une simple règle de procédure non contentieuse, et que cette "troisième génération des droits de l'homme", formule chère à Guy Braibant, serait bientôt oubliée. Il n'y avait donc pas lieu d'en faire une thèse. Des progrès ont ensuite été réalisés par une véritable intégration de cette liberté dans l'ordre juridique, et l'on doit s'en réjouir.
En revanche, la décision du Conseil constitutionnel rappelle étrangement les réactions du Conseil d'Etat de la même époque. A quoi bon donner aux citoyens une liberté d'accès aux documents si le juge peut en avoir communication lors d'un recours ? Le Conseil d'Etat n'est-il pas le seul et unique gardien des libertés ? Aujourd'hui, le Conseil constitutionnel nous vend la même analyse, un peu modernisée. La transparence administrative ne saurait être un droit absolu ouvert à tout citoyen, à tout contribuable désireux de connaître les fondements des décisions administratives. C'est au Conseil constitutionnel d'apprécier dans quelle mesure cette liberté constitutionnelle peut être exercée, dans le respect des prérogatives de l'administration.