Haro sur l'anonymat
Un avocat bien connu, Eric Dupont-Moretti demande l'interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux, demande également formulée par bon nombre de parlementaires LaRem. Ils oublient sans doute qu'aucun des acteurs de l'affaire Griveaux n'est anonyme. L'intéressé a envoyé une vidéo à une dame identifiée. Cette vidéo s'est ensuite retrouvée sur un site, reproduite dans un article signé de Piotr Pavlenski. Enfin, cet article a été "retweeté" par un pittoresque parlementaire représentant nos compatriotes résidant en Suisse, opération réalisée à partir de son compte personnel parfaitement nominatif. Rien n'est anonyme dans l'affaire.
Au demeurant, l'anonymat d'un compte n'est pas un obstacle sérieux aux poursuites pénales. L'article 6 de la loi du 21 juin 2004 affirme que "l'autorité judiciaire peut requérir communication auprès des prestataires" des données d'identification des comptes utilisés pour envoyer des contenus illégaux. Cette procédure est régulièrement utilisée. C'est ainsi que, le 24 janvier 2013, le juge des référés du tribunal de Paris ordonnait à Twitter de communiquer les données d'identification de comptes ayant été utilisés pour diffuser des messages au contenu antisémite. Leurs auteurs ont été identifiés sans difficultés et ils ont été jugés.
Cette attaque de l'anonymat sur les réseaux sociaux ne s'accompagne d'aucun début de réflexion sérieuse sur le sujet. En effet, l'anonymat sur les réseaux sociaux n'existe pas. On devrait plutôt évoquer un "pseudonymat" qui consiste à se dissimuler derrière un pseudo que le juge peut facilement percer. Mais le recours à un nom d'emprunt ne présente pas que des inconvénients. Il peut aussi être utilisé par les lanceurs d'alerte qui craignent des représailles de leur employeur ou qui redoutent d'être accusés de promouvoir tel ou tel intérêt. On a vu ainsi, tout récemment, un compte twitter sous pseudonyme dénoncer, preuves à l'appui, une thèse de doctorat presque entièrement plagiée. L'information ayant été reprise dans Le Point, l'université concernée semble avoir finalement décidé d'engager des poursuites disciplinaires. L'aurait-elle fait sans ce compte sous pseudonyme ?
L'arsenal juridique en matière d'atteintes à la vie privée
L'article 9 du code civil énonce que "chacun a droit au respect de sa vie privée". Une violation de la vie privée peut donner lieu à une réparation civile, mais aussi à des poursuites pénales. Les articles 226-1 et suivants du code pénal punissent ainsi d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait d'avoir capté, enregistré ou transmis, sans son consentement, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.
Le Revenge Porn
Le problème a longtemps été celui du consentement. Les juges ont en effet été confrontés à la pratique récente du Revenge Porn.
Les faits sont toujours à peu près identiques : une jeune femme accepte de poser nue pour celui qui partage sa vie. Des photos dites de charme sont réalisées, avec son consentement. Quelques semaines, quelques mois ou quelques années plus tard, elle décide de rompre. Tout le problème est là : le couple disparaît mais les photos demeurent. Ces clichés peuvent alors devenir une arme redoutable pour un ancien compagnon animé par le désir de vengeance ou l'appât du gain, et dépourvu de toute élégance ou de tout scrupule. Il suffit en effet de les diffuser sur internet pour porter un préjudice considérable à l'intéressée.
Benjamin Griveaux est exactement dans cette situation. Il a envoyé lui-même une photo qu'il pensait flatteuse de son anatomie à une jeune femme, ce qui suppose évidemment qu'il a consenti à cet envoi. Et quelques mois plus tard, au moment où il est candidat à la mairie de Paris, cette photo apparaît sur internet, et est rapidement relayée sur les réseaux sociaux.
Appliquant le principe de l'interprétation étroite de la loi pénale, la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mars 2016, avait estimé que le Revenge Porn ne pouvait être sanctionné sur le fondement de l'article 226-1 du code pénal, précisément parce que l'image avait été captée avec le consentement de l'intéressé. Quant à la diffusion du cliché, l'intéressé ne peut s'y opposer que par un refus formel, le consentement étant présumé en l'absence de ce refus. Par voie de conséquence, la sanction du Revenge Porn devenait impossible.
La loi Lemaire du 7 octobre 2016
Heureusement, le législateur a rapidement réagi à cette situation. La loi Lemaire du 7 octobre 2016 pour une République numérique vient combler cette lacune du droit. Elle ajoute au code pénal un nouvel article 226-2-1 qui punit d'une peine d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de 60 000 € le fait de diffuser sur le net, sans le consentement de l'intéressé, des images "présentant un caractère sexuel". C'est exactement sur cette disposition que s'appuie la plainte déposée par Benjamin Griveaux. Elle devrait permettre de poursuivre ceux qui sont à l'origine de la divulgation ainsi que ceux, dont le joyeux parlementaire représentant les Français résidant en Suisse, qui se sont bornés à diffuser la vidéo.
L'arsenal juridique est donc tout-à-fait suffisant pour punir les auteurs de telles pratiques. Il est inutile de légiférer dans l'urgence, ni même de légiférer du tout. Les parlementaires LaRem devraient peut-être commencer à prendre conscience que le droit existait avant eux, et qu'il est même arrivé à ceux qui les ont précédés de voter d'excellents textes. On comprend évidemment qu'ils soient très fâchés par ce qui est arrivé à leur candidat à la mairie de Paris, victime d'une nouvelle forme d'"entôlage" particulièrement détestable. Certes Benjamin Griveaux pourra sans doute obtenir la condamnation de ceux qui ont porté une atteinte à sa vie privée dans ce qu'elle a de plus intime. Mais il ne pourra rien faire contre quelque chose d'autrement plus dévastateur : le ridicule.