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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mardi 11 février 2020
Reconnaissance paternelle de l'enfant né sous X
vendredi 7 février 2020
La CEDH sanctionne la surpopulation carcérale... et le référé administratif
La surpopulation carcérale
L'absence d'arrêt pilote
Le référé-liberté
Sur les traitements inhumains et dégradants : Chapitre 7, section 1 § 2 du manuel de Libertés publiques sur internet.
lundi 3 février 2020
Le Conseil constitutionnel se met au vert
La liberté d'entreprendre
Le précédent de 2015
La santé publique
La Charte de l'environnement
vendredi 31 janvier 2020
Le naufrage de la circulaire Castaner
Le recours en référé, fondé sur le premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, énonce que le juge peut suspendre la décision, ou certains de ses effet, "lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
L'urgence
La condition d'urgence est remplie, et le juge des référés observe que "l'enregistrement des candidatures aux élections municipales débute d'ici quelques jours". La lecture de la décision laisse penser que le ministre de l'intérieur a osé invoquer l'inopposabilité aux tiers de la circulaire, dans la mesure où elle n'avait pas été publiée. Le juge des référés rappelle, quant à lui, que l'urgence s'apprécier in concreto, par rapport aux circonstances de l'espèce et il considère donc que le texte devait, en tout état de cause, être publié. Une manière élégante de dire que le ministre de l'intérieur ne pouvait tout de même pas invoquer l'irrégularité qu'il avait lui-même commise en ne publiant pas le texte immédiatement. Nemo auditur ejus propriam turpitudinem allegans.
Dans le cas présent, le doute sérieux porte sur trois éléments essentiels qui constituent autant d'erreurs manifestes d'appréciation.
Le seuil de 9000 habitants
Le juge des référés commence par sanctionner ce seuil de 9000 habitants, en deçà duquel aucune nuance n'est accordée aux listes candidates. Il s'appuie sur le termes du décret du 9 décembre 2014 relatif à la mise en oeuvre des fichiers "Application élection" et "Répertoire national des élus". Il rappelle que son article 5 interdit d'appliquer des nuances politiques aux candidats aux élections municipales dans les communes de moins de 1000 habitants. Aux yeux du ministre, cette prohibition n'empêche pas d'élargir ce seuil jusqu'à 9000 habitants.
Le juge des référés estime pourtant que ce raisonnement, digne des meilleurs jésuites, n'est pas compatible avec la finalité même du fichier qui est de permettre "aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps". Cette finalité est d'ailleurs précisée dans la délibération du 19 décembre 2013 rendue par la CNIL à propos de ces mêmes traitements automatisés.
En l'espèce, l'élargissement du seuil à 9000 habitants conduit à ne pas attribuer de nuance politique aux candidats dans plus de 95 % des communes, et à ne pas prendre en compte les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs. Le juge fait d'ailleurs observer que, lors des élections municipales de 2014, il avait été possible d'attribuer une nuance "divers droite" ou "divers gauche" à 80 % des candidats dans les communes de moins de 9000 habitants.
Le juge des référés invoque ainsi, implicitement, une erreur manifeste d'appréciation constituée par ce considérable élargissement du seuil d'attribution des nuances.
L'égalité entre les partis
Le juge des référés sanctionne également la nuance "Listes divers centre". La circulaire Castaner précisait ainsi que cette nuance serait attribuée aux listes qui auront obtenu l'investiture de LaRem ou du Modem. Une liste se déclarant "Les Républicains" pouvait donc être catapultée dans le "divers centre" si elle était soutenue par LaRem. Là encore l'opération était relativement transparente : faire apparaitre comme un succès électoral de LaRem la victoire d'une liste ayant l'étiquette "LR".
Cette logique du "en même temps", n'a pourtant pas séduit le juge des référés qui y a vu une atteinte au principe d'égalité entre les partis. Il fait observer en effet que le soutien du PS ou de LR à une liste ne permettait pas de la qualifier "divers gauche" et "divers droite", les deux partis intéressés ne tirant donc aucun bénéfice de ce soutien, dans la présentation des résultats. Cette rupture d'égalité fait naître évidemment un "doute sérieux" sur la légalité de la circulaire.
Le cas de "Debout la France"
Enfin, la dernière illégalité mentionnée par le juge des référés réside dans la nuance "extrême-droite" des listes "Debout la France". En 2014, le parti de M. Dupont-Aignan, était classé comme "divers droite". Et s'il a été qualifié d'"extrême-droite" aux législatives de 2017, c'est exclusivement parce que son président avait ouvertement rallié Marine Le Pen aux présidentielles. Mais, par la suite, Debout la France n'a plus passé aucun accord électoral avec le Rassemblement national et ses représentants au parlement européen siègent dans un autre groupe. Le requalifier aujourd'hui en "extrême-droite" constitue donc une erreur manifeste d'appréciation.
lundi 27 janvier 2020
Le crime de Mila
Le blasphème
Les Indégivrables. Xavier Gorce, avril 2019 |
Le blasphème "modernisé"
Le principe demeure donc celui posé dans l'arrêt Otto-Preminger Institut c. Autriche du 20 septembre 1994, qui affirme que les croyants "doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation de doctrines hostiles à leur foi". Bien plus, ils doivent aussi tolérer le discours provocateur. La Cour admet en effet que l'article 10 de la Convention, celui-là même qui consacre la liberté d'expression, protège aussi les propos qui "heurtent, choquent ou inquiètent", quel que soit le message considéré (Par exemple : CEDH, 25 juillet 2001, Perna c. Italie). Il ne fait guère de doute que les propos de Mila peuvent heurter les personnes de confession musulmane, mais elles doivent admettre, comme chacun d'entre nous, que la liberté d'expression ne peut exister que si elle protège précisément les discours que nous n'aimons pas entendre.
Si Mila ne peut pas être poursuivie pour blasphème, il n'en demeure pas moins que le procureur de la République de Vienne annonce l'ouverture de deux enquêtes. L'une concerne les appels au meurtre dont Mila est victime, l'autre, pour provocation à la haine raciale, est dirigée contre Mila.
La provocation à la haine raciale
Mila est-elle coupable de provocation à la haine raciale, délit prévu par l'article 24 al. 7 de la loi du 29 juillet 1881 ? En dépit de la violence des propos tenus, rien n'est moins certain. Selon la Cour de cassation, par exemple dans un arrêt du 7 juin 2017, cette infraction n'est caractérisée que "si les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les propos incriminés tendent à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence ou un groupe de personnes déterminées". Elle en déduit que le fait de considérer la naturalisation des étrangers présents sur le territoire comme une "invasion", et d'illustrer l'article par la photo d'un buste de Marianne recouvert d'un voile islamique, peut "légitimement heurter les personnes de confession musulmane", mais n'emporte aucune "exhortation à la discrimination, à la haine ou à la violence à leur égard".
La jurisprudence de la Cour européenne n'est guère différente. Elle sanctionne le "discours de haine", dès lors qu'il comporte une incitation réelle et sérieuse à l'extrémisme. Tel est le cas d'un dessin publié dans un hebdomadaire basque le 13 septembre 2001, qui faisait l'apologie des attentats de New York survenus deux jours auparavant (CEDH, 2 août 2008, Leroy c. France). Tel n'est pas le cas, en revanche, d'un dessin humoristique, simplement provocateur. La Cour estime alors que la liberté d'expression doit s'exercer pleinement, y compris lorsque les propos tenus risquent de "heurter, choquer ou inquiéter" autrui, lorsqu'ils "comportent une certaine dose d'exagération ou de provocation".
La provocation est donc protégée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit la liberté d'expression. Les idées peuvent circuler librement, y compris celles qui déplaisent ou qui dérangent, et celles que les croyants considèrent comme blasphématoires. Or que dit Mila ? Elle prend bien soin de distinguer la religion musulmane qu'elle critique violemment de ceux qui la pratiquent. Elle affirme clairement : "Je ne suis pas raciste, pas du tout. On ne peut pas être raciste envers une religion". Il n'y a donc aucune provocation, aucune incitation à la haine ou à la violence contre des personnes. Il y a seulement une adolescente de seize ans qui n'en peut plus du harcèlement dont elle est victime et qui en voit la cause dans l'obscurantisme religieux.
Il ne reste plus qu'à espérer que les poursuites dirigées contre les harceleurs, soigneusement cachés derrière des pseudonymes, aboutiront rapidement. Ceux qui ont menacé de mort une jeune femme de seize ans doivent être identifiés et poursuivis. Il est important que la justice passe, pour montrer que nous vivons dans un pays qui reconnaît la liberté d'expression, le droit au blasphème, le droit de critiquer les religions. Mila, du haut de ses seize ans, n'a rien fait d'autre qu'exercer ce droit, comme l'avait fait Charlie-Hebdo en publiant les caricatures de Mahomet. Elle ne doit donc pas être poursuivie, mais protégée.
jeudi 23 janvier 2020
La circulaire Castaner : 22 nuances de cris
22 nuances de listes
Qui suis-je ? Guy Béard. Archives INA, 9 février 1967
Les communes de moins de 9000 habitants
En 2020, cette exclusion concerne 96 % des communes, et plus de la moitié de la population. Pour ne prendre qu'un exemple, le département de l'Ain ne compte que dix communes de plus de 9000 habitants sur 393 villes et villages. Sur l'ensemble de la France, les résultats des élections municipales seront donc présentés à partir de ceux de 4 % des communes. On comprend évidemment que LaRem n'a pas très envie de diffuser des résultats qui mettraient en lumière sa faible implantation dans les zones rurales.
La sincérité du scrutin
Le premier d'entre eux, comme toujours en matière électorale, est le faible écart de voix. Il ne saurait évidemment concerner un recours contre la circulaire de 2020, qui peut être antérieur au scrutin, et ne concerne pas une élection particulière. Le second critère est beaucoup plus intéressant, et se trouve tout entier dans un phrase que le Conseil d'Etat reprend dans tous les arrêts concernés, par exemple dans la décision du 17 novembre 2010 : " Il ne résulte pas de l'instruction que cette nuance ait reçu un écho dans le débat électoral". En effet, la sincérité ne peut être atteinte si les électeurs n'ont pas eu connaissance de cette nuance ou ne s'y sont pas intéressés. Or précisément, malgré les tentatives du ministre de l'intérieur pour que la circulaire passe inaperçue, elle est aujourd'hui connue, diffusée et débattue. Elle a donc reçu "un écho dans le débat électoral".
Le principe de pluralisme
Au-delà de la sincérité du scrutin, c'est aussi le principe constitutionnel de pluralisme des courants d'opinion qui est en cause, et cette fois le problème concerne l'ensemble des communes françaises, quelle que soit leur population. L'article 4 de la Constitution énonce en effet que "la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation". Là encore, les décisions concernent l'annulation de consultations électorales, mais on a vu le Conseil d'Etat confirmer celle de Vitrolles en 1996, en se fondant précisément sur le non respect du principe de pluralisme des opinions. Les principales chaines de télévision avaient en effet réalisé plusieurs reportages sur cette consultation, en oubliant systématiquement de mentionner la candidature du requérant.
Pour apprécier l'éventuelle atteinte au principe de pluralisme, le Conseil d'Etat devra inverser l'analyse. L'attribution d'une nuance politique est-elle un pouvoir discrétionnaire du ministre ou constitue-t-elle un droit des candidats ? Une tête de liste Les Républicains qui se voit rangée parmi les centristes parce qu'il a reçu le soutien de LaRem ne peut-il invoquer une atteinte à son droit d'affirmer une position politique, quand bien même certains de ses colistiers ne seraient pas membres du même parti ? En tout état de cause, s'il est élu, il sera ensuite un maire Les Républicains. N'aurait-il pas été possible de situer cette liste à droite, le soutien LaRem n'étant pas nécessairement incompatible avec une telle qualification ? De son côté, le maire d'une commune d'une centaine d'habitants n'a-t-il pas le droit de voir respecter son étiquette politique, s'il a choisi d'en afficher une ?
Le Conseil d'Etat pourrait consacrer un droit au respect de l'affichage politique d'une liste aux élections municipales, élément du principe de pluralisme. Aura-t-il le courage de le faire ? Nous allons le savoir rapidement, car deux candidats Les Républicains, précisément dans l'Ain, ont déposé une demande de référé. A suivre.