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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
jeudi 28 novembre 2019
La proposition Avia sur la "cyberhaine" torpillée par la Commission européenne
dimanche 24 novembre 2019
La CEDH et les zones de transit
La situation juridique des deux États défendeurs n'est évidemment pas identique. Les demandeurs d'asile sont gérés en Russie sur le fondement de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés et du droit interne russe. La Hongrie est membre de l'Union européenne et applique donc les directives de 2013 sur l'octroi et le retrait de la protection internationale. Elle est également liée par l'accord de réadmission passé entre l'Union et la Serbie.
Au-delà de ces différences dans le droit applicable, l'analyse en miroir des deux décisions dessine ainsi un cadre juridique exigeant sur les conditions matérielles de rétention, mais finalement assez compréhensif à l'égard des contraintes qui sont celles d'Etats confrontés à un flux important de demandeurs d'asile.
De la restriction à la privation de liberté
Les choix des intéressés
Dans l'arrêt Ilias et Ahmed c. Hongrie, la CEDH élargit cette analyse aux zones de transit situées à la frontière d'un Etat. En l'espèce, les deux ressortissants bangladais, venant de Serbie, ont franchi la frontière hongroise de leur propre chef. Ils ont accepté de demeurer dans la zone de transit le temps que leur demande d'asile soit examinée et aucun danger ne pesait directement sur leur vie et leur santé.
La durée de rétention en zone de transit
La situation est très différente dans l'affaire hongroise, car les autorités sont parvenues à gérer les demandes d'asile en moins de vingt-trois jours, même au prix d'une motivation stéréotypée, à une époque où ce pays était confronté à un afflux massif de demandeurs. Quoi qu'il en soit, la durée de restriction de liberté est jugée par la Cour suffisamment brève pour ne pas s'analyser comme une privation de liberté, d'autant que les intéressés avaient toujours la possibilité de quitter la Hongrie pour retourner en Serbie, ce pays étant lié à l'Union européenne par un accord de réadmission.
L'exigence d'un fondement juridique
Il n'en est pas de même en Hongrie, où les requérants ont été traités conformément au droit positif, selon les procédures imposées par le droit de l'Union européenne.
Le traitement inhumain et dégradant
Les autorités hongroises ont tout de même violé l'article 3 de manière plus abstraite, parce qu'elles ont omis de s'assurer que le renvoi en Serbie des requérants ne leur faisait pas courir un risque de traitement inhumain et dégradant, se bornant, dans une formule stéréotypée, à affirmer que ce pays était un pays sûr.
Une jurisprudence réaliste
De ces deux décisions, on doit déduire que la Cour européenne construit une jurisprudence très réaliste. Elle fait preuve d'une grande rigueur pour tout ce qui concerne la dignité de la personne, et elle sanctionne donc les autorités russes qui ont retenu des demandeurs d'asile dans une zone non aménagée à cette fin, dans des conditions indignes et dépourvues de toute protection, en particulier juridique et médicale. En revanche, la Cour se montre plus souple dans l'organisation de l'accueil des étrangers dans les pays confrontés à un flux considérable de demandeurs d'asile. Elle admet ainsi que le régime juridique des zones de transit ouvertes aux frontières soit calqué sur celui de celles ouvertes dans les aéroports, à la condition évidemment que les personnes y soient traitées avec humanité.
En définitive, deux décisions qui ont le mérite de satisfaire tout le monde. Les ONG salueront la sanction de traitements inhumains et dégradants. Les Etats, quant à eux, retiendront qu'une rétention en zone de transit n'est pas nécessairement une privation de liberté.
mardi 19 novembre 2019
"Flashmob" et réunion pacifique devant la CEDH
De minimis non curat praetor
Flashmob et manifestation
Voutch |
La liberté de réunion
Réunion et manifestation
jeudi 14 novembre 2019
Censure et autodafés à l'Université : la nouvelle Inquisition
Des actes de censure
La "franchise universitaire"
"Toutes mesures utiles"
Courage Fuyons, 1979, Yves Robert. Affiche de Savignac |
Un éléphant terrorisé par une souris
lundi 11 novembre 2019
arrêtés anti-pesticides : la guerre des polices, saison 2
L'intérêt de la décision réside donc dans la question de compétence. Le juge était en effet saisi d'une procédure de déféré, ce qui signifie que la demande de suspension émanait du préfet qui considérait l'arrêté illégal. Les élus locaux s'étaient en effet fondés sur le pouvoir de police générale conféré par l'article L 2212-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs ». Or, le préfet invoquait l'existence d'une police spéciale en ce domaine.
Le jugement Langouët
Deux semaines après le jugement Langoüet du tribunal de Rennes, le juge des référés de Cergy prend une ordonnance qui va résolument à l'encontre de cette analyse. Il choisit en effet de faire prévaloir la police générale détenue par l'élu sur la police spéciale assurée par l'Etat.
Le principe de précaution
Une carence de la police spéciale
En l'espèce, le juge des référés du tribunal de Cergy estime que l'abstention de l'Etat qui n'a pas usé de son pouvoir de police spéciale constitue une carence fautive. Dans une telle situation, le maire est donc fondé à utiliser son pouvoir de police générale pour protéger ses administrés.
L'argument n'est pas sans fondement. Précisément, le juge des référés s'appuie sur la décision rendue par le Conseil d'Etat le 26 juin 2019, par laquelle il annule un arrêté de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques. En effet, l'arrêté ne prévoyait aucune mesure de protection des riverains, alors qu'il reconnaissait leur exposition "aux pesticides sur le long terme". Ces produits sont donc présumés dangereux pour la santé publique et l'environnement. Le juge des référés considère donc que "dans ces conditions, (...) et en l'absence de mesures réglementaires suffisantes prises par les ministres titulaires de la police spéciale", les maires de Gennevilliers et de Sceaux ont pu "à bon droit considérer que les habitants étaient exposés à un danger grave", justifiant l'exercice de la police générale.
L'analyse est particulièrement sévère, car elle repose tout entière sur la constatation d'une carence de l'Etat, d'une négligence dans la protection de la santé publique. Sur ce point, on est évidemment tenté de suivre le juge des référés.
Le contentieux de la responsabilité
Il fait pourtant peu de cas des règles générales gouvernant l'articulation entre la police générale et la police spéciale. Or, elle repose sur l'idée que la police spéciale permet de prendre en compte les impératifs d'ordre public dans un secteur donné, rendant inutile l'exercice de la police générale. Le principe est donc celui de l'exclusivité. Depuis un arrêt du 30 juillet 1935, il est ainsi acquis que le maire ne peut exercer la police générale dans les gares et sur les voies ferrées, régis par la police spéciale des chemins de fer. Plus récemment, le juge a considéré qu'un élu ne peut réglementer l'implantation des antennes de téléphonie mobile sur le territoire de sa commune, ces antennes faisant l'objet d'une police spéciale (CE, 26 octobre 2011, commune de Saint-Denis). Cette jurisprudence est précisément celle qui fut appliquée en 2012 dans la décision Commune de Valence, à propos de la réglementation de la culture des OGM.
Le Conseil d'Etat acceptera-t-il de revenir sur cette jurisprudence ? Rien de moins certain, car il demeure attaché au principe selon lequel la carence du pouvoir de police peut être invoquée, mais doit être examinée dans le cadre du contentieux de la responsabilité. Dans une décision du 27 juillet 2015, le Conseil d'Etat, a ainsi engagé la responsabilité d'un élu qui n'avait pas usé de son pouvoir de police pour faire cesser une pollution provoquée par une installation d'assainissement défectueuse. Rien n'interdirait de s'appuyer sur cette jurisprudence pour engager la responsabilité de l'Etat qui n'a pas utilisé son pouvoir de police spéciale pour protéger les citoyens exposés à des produits dangereux.
Cette voie de droit est moins spectaculaire que l'usage du pouvoir de police générale, mais force est de constater qu'elle pourrait se révéler plus efficace dans un système dans lequel l'intérêt général n'est plus le ressort de l'action administrative, la norme juridique étant le produit d'une confrontation entre différents lobbies. La menace d'une lourde indemnisation pourrait ainsi faire peser sur l'Etat une contrainte beaucoup plus lourde qu'une annulation contentieuse. en lui imposant de faire prévaloir son intérêt financier sur celui des fabricants de substances chimiques.
vendredi 8 novembre 2019
Accès aux données : Le Conseil d'Etat et le droit d'accès indirect
Le droit d’accès indirect
Lorsqu'une personne craint de figurer dans un fichier intéressant la "sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique", elle peut saisir la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) qui désigne parmi ses membres un magistrat, pour procéder aux investigations utiles ainsi qu'aux modifications éventuellement nécessaires si le contenu de la fiche n'est pas conforme à la loi. Tel est le cas lorsque les informations qui y figurent apparaissent "inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées". Lorsque la Commission constate, en accord avec le gestionnaire du fichier, que les données stockées ne mettent pas en cause les finalités du traitement, elles peuvent être communiquées au requérant.
En l’espèce, le requérant, M. B., appuyait sa demande sur l’ancien article 41 de la loi du 6 janvier1978, mais les procédures n’ont guère changé et l’article 17 de la directive européenne « Police Justice » autorise aujourd'hui les Etats à maintenir ce droit d’accès indirect. Tout au plus observe-t-on que le décret du 1er août 2018 permet à la personne qui pense être fichée sur certains fichiers de police comme le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ) d’adresser au ministère de l’intérieur une demande d’accès direct. Mais, en cas de refus, elle devra ensuite porter la question devant la CNIL, revenant ainsi au droit d’accès indirect.
M. B. a effectué ces démarches, en vue d’accéder aux informations le concernant, figurant dans un « fichier d’informations générales » géré par le ministère de l’intérieur. Il a obtenu un avis favorable de la CNIL, demeuré lettre morte. Il a ensuite obtenu du tribunal administratif une injonction sous astreinte à l’encontre du ministère. Celui-ci a finalement permis à M. B. de consulter sa fiche à la préfecture, mais il a refusé de lui en délivrer copie. Estimant que l’administration n’avait pas respecté son obligation de transparence, le requérant est donc retourné devant les juges, et il a, de nouveau, obtenu satisfaction. Le tribunal administratif, puis la Cour administrative d’appel (CAA) ont décidé de liquider l’astreinte et de donner au ministre une nouvelle injonction de délivrer copie des documents demandée. Heureusement pour le ministère de l’intérieur, il y a le Conseil d’Etat, qu’il a saisi en cassation.
Le pouvoir discrétionnaire du ministre
La question posée est assez simple : le droit d’accès peut-il s’exercer par simple consultation, sans communication du document demandé ?
La réponse du Conseil d'Etat est claire : "Le responsable du traitement communique les informations sollicitées à la personne concernée selon les modalités qu'il définit". Et s'il limite l'information à une simple consultation, le demandeur doit tout simplement renoncer à obtenir copie du fichier. Le Conseil d'Etat attribue ainsi au ministre de l'intérieur le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des données personnelles concernant l'intéressé, alors même que celui-ci a obtenu de la CNIL et de la juridiction administrative une décision déclarant que ces informations ne sont couvertes par aucun secret et doivent lui être communiquées.
Le Conseil d'Etat heurte ainsi directement les principes généraux du droit de l'accès aux données. L'article L311-9 du code des relations avec le public prévoit ainsi qu'un document disponible sous forme électronique doit être communiqué "par courrier électronique et sans frais". Et la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique ajoute que « toute mise à disposition effectuée sous forme électronique en application du présent livre se fait dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé ».
En l'espèce, le demandeur, au moment où il demande la liquidation de l'astreinte, n'est plus soumis au régime du droit d'accès indirect, puisque la CNIL comme les juges du fond ont estimé que les informations demandées étaient parfaitement communicables à l'intéressé. Ces dispositions législatives, concernant la procédure de droit commun de l'accès aux données, auraient donc dû être applicables. Mais le Conseil d'Etat a préféré ramener ce contentieux dans la procédure dérogatoire du droit d'accès indirect, offrant ainsi au ministère de l'intérieur le pouvoir de déroger au droit commun.
On pourrait ne voir dans cette décision que l'illustration d'une tendance traditionnelle du Conseil d'Etat à refuser la transparence administrative. A ses yeux, et ce n'est pas nouveau, le droit à l'information du citoyen est une prérogative inutile et même nuisible, dès lors que le juge administratif, protecteur-des-libertés-publiques, est le seul en mesure de comprendre l'action de l'administration et de la contrôler. Le citoyen est invité à dormir tranquille et ne pas ennuyer l'administration par des demandes intempestives, pendant que le Conseil d'Etat le protège.
En l'espèce, la décision profite essentiellement au juge administratif lui-même. Revenons en effet à la situation d'origine, et au cas d'une personne qui veut accéder à la fiche le concernant pour engager un contentieux contre l'administration. Après l'avoir empêché de se procurer la preuve incontestable d'un comportement illicite de l'administration, le Conseil d'Etat pourra agir en toute liberté dans le contentieux qui suivra. S'il veut écarter le recours, il lui suffira d'invoquer l'absence de preuve, absence incontestable puisque c'est sa propre jurisprudence qui empêche l'intéressé de se la procurer. SI le Conseil d'Etat veut en revanche accueillir le recours, il pourra se faire communiquer la fiche demandée et l'utiliser comme élément de preuve. Mais rien ne l'y contraint, et le juge administratif pourra donc protéger les libertés, quand il en aura envie.