L'intérêt de la décision réside donc dans la question de compétence. Le juge était en effet saisi d'une procédure de déféré, ce qui signifie que la demande de suspension émanait du préfet qui considérait l'arrêté illégal. Les élus locaux s'étaient en effet fondés sur le pouvoir de police générale conféré par l'article L 2212-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs ». Or, le préfet invoquait l'existence d'une police spéciale en ce domaine.
Le jugement Langouët
Deux semaines après le jugement Langoüet du tribunal de Rennes, le juge des référés de Cergy prend une ordonnance qui va résolument à l'encontre de cette analyse. Il choisit en effet de faire prévaloir la police générale détenue par l'élu sur la police spéciale assurée par l'Etat.
Le principe de précaution
Une carence de la police spéciale
En l'espèce, le juge des référés du tribunal de Cergy estime que l'abstention de l'Etat qui n'a pas usé de son pouvoir de police spéciale constitue une carence fautive. Dans une telle situation, le maire est donc fondé à utiliser son pouvoir de police générale pour protéger ses administrés.
L'argument n'est pas sans fondement. Précisément, le juge des référés s'appuie sur la décision rendue par le Conseil d'Etat le 26 juin 2019, par laquelle il annule un arrêté de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques. En effet, l'arrêté ne prévoyait aucune mesure de protection des riverains, alors qu'il reconnaissait leur exposition "aux pesticides sur le long terme". Ces produits sont donc présumés dangereux pour la santé publique et l'environnement. Le juge des référés considère donc que "dans ces conditions, (...) et en l'absence de mesures réglementaires suffisantes prises par les ministres titulaires de la police spéciale", les maires de Gennevilliers et de Sceaux ont pu "à bon droit considérer que les habitants étaient exposés à un danger grave", justifiant l'exercice de la police générale.
L'analyse est particulièrement sévère, car elle repose tout entière sur la constatation d'une carence de l'Etat, d'une négligence dans la protection de la santé publique. Sur ce point, on est évidemment tenté de suivre le juge des référés.
Le contentieux de la responsabilité
Il fait pourtant peu de cas des règles générales gouvernant l'articulation entre la police générale et la police spéciale. Or, elle repose sur l'idée que la police spéciale permet de prendre en compte les impératifs d'ordre public dans un secteur donné, rendant inutile l'exercice de la police générale. Le principe est donc celui de l'exclusivité. Depuis un arrêt du 30 juillet 1935, il est ainsi acquis que le maire ne peut exercer la police générale dans les gares et sur les voies ferrées, régis par la police spéciale des chemins de fer. Plus récemment, le juge a considéré qu'un élu ne peut réglementer l'implantation des antennes de téléphonie mobile sur le territoire de sa commune, ces antennes faisant l'objet d'une police spéciale (CE, 26 octobre 2011, commune de Saint-Denis). Cette jurisprudence est précisément celle qui fut appliquée en 2012 dans la décision Commune de Valence, à propos de la réglementation de la culture des OGM.
Le Conseil d'Etat acceptera-t-il de revenir sur cette jurisprudence ? Rien de moins certain, car il demeure attaché au principe selon lequel la carence du pouvoir de police peut être invoquée, mais doit être examinée dans le cadre du contentieux de la responsabilité. Dans une décision du 27 juillet 2015, le Conseil d'Etat, a ainsi engagé la responsabilité d'un élu qui n'avait pas usé de son pouvoir de police pour faire cesser une pollution provoquée par une installation d'assainissement défectueuse. Rien n'interdirait de s'appuyer sur cette jurisprudence pour engager la responsabilité de l'Etat qui n'a pas utilisé son pouvoir de police spéciale pour protéger les citoyens exposés à des produits dangereux.
Cette voie de droit est moins spectaculaire que l'usage du pouvoir de police générale, mais force est de constater qu'elle pourrait se révéler plus efficace dans un système dans lequel l'intérêt général n'est plus le ressort de l'action administrative, la norme juridique étant le produit d'une confrontation entre différents lobbies. La menace d'une lourde indemnisation pourrait ainsi faire peser sur l'Etat une contrainte beaucoup plus lourde qu'une annulation contentieuse. en lui imposant de faire prévaloir son intérêt financier sur celui des fabricants de substances chimiques.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire