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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mardi 17 septembre 2019
Les "décrocheurs" devant le Président Magnaud
vendredi 13 septembre 2019
Droit de grève et service minimum dans les transports : quelques questions
Le droit de grève
Dans le metro. Louis Latapie. 1891-1972 |
Le transport terrestre
lundi 9 septembre 2019
Le droit d'épouser son ex-belle soeur
Le code civil grec porte-t-il atteinte au droit au mariage "dans sa substance même" ? La CEDH répond positivement à cette question, et avance trois arguments essentiels.
La décence et l'institution de la famille
Le premier réside dans la rigueur extrême du droit grec. Il considère en effet que l'interdiction du mariage entre alliés jusqu'au troisième degré subsiste après la dissolution du mariage. Alors même que M. Theodorou avait divorcé de Mme P.T., le lien avec la famille de cette dernière subsistait, et Mme Tsotsorou demeurait sa belle-soeur, du moins au regard du droit grec. Pour les autorités grecques, cette règle "sert la décence et l'institution de la famille" et doit éviter les confusions entre lien et degré de parenté ainsi qu'entre les générations. Peut-être s'agit-il aussi, même si les autorités grecques n'en ont pas fait mention, d'une volonté de limiter autant que possible les conséquences du divorce, considéré comme destructeur de la famille traditionnelle.
La CEDH reconnaît évidemment que les Etats peuvent limiter le droit de contracter mariage, lorsque le consentement est vicié, ou pour prévenir la bigamie ou la consanguinité. Dans sa décision O'Donoguhe et autres c. Royaume Uni du 14 décembre 2011 elle précise même que des restrictions peuvent intervenir pour lutter contre les mariages blancs. Encore faut-il toutefois que ces limitations n'aient pas pour effet d'enlever à une personne ou à une catégorie de personnes la capacité juridique de contracter mariage.
En l'espèce, "la décence et l'institution de la famille" ne sont pas concernées. M. Theodorou et Mme Tsotsorou ont vu leur mariage définitivement annulé dix ans après qu'il été célébré. Depuis cette date, ils vivent ensemble, hors les liens du mariage, puisque, en tout état de cause, ils ne peuvent pas faire autrement. On doit alors s'interroger sur les dispositions du droit grec qui invoquent "la décence et l'institution de la famille"... pour transformer un couple marié en couple illégitime. La CEDH fait d'ailleurs observer qu'il ne ressort pas du dossier que la fille issue du premier mariage de M. Theodorou souffre d'une "insécurité émotionnelle" suscitée par cette situation. En tout état de cause, les motifs invoqués par les autorités grecques pour justifier cette règle semblent bien légers par rapport à la brutalité de la dissolution d'un mariage.
Le consensus
Le second argument de la CEDH se trouve dans l'existence d'un consensus européen en matière d’empêchement au mariage des (anciens) belles-sœurs et beaux-frères. Seulement deux Etats membres, l'Italie et Saint-Marin, interdisent une telle union. Encore cette prohibition n'est-elle pas absolue et les intéressés peuvent demander aux juges de leur accorder une dérogation. Aucun, à l'instar de la Grèce, n'impose une interdiction absolue et définitive.
Observons à ce propos que ce n'est pas la première fois que la Cour constate une certaine forme de marginalisation du droit grec. Dans l'arrêt Vallianatos et autres du 7 novembre 2013, elle avait ainsi sanctionné comme discriminatoire l'absence totale de pacte de vie commune pour les homosexuels.
Une nullité a posteriori
Le droit grec est d'autant plus sanctionné par la Cour qu'en l'espèce, la nullité du mariage a été prononcée a posteriori, sur recours de la première épouse du requérant, recours déposé cinq mois après la célébration. Les autorités compétentes avaient autorisé le mariage, contrairement à l'affaire B. et L. c. Royaume Uni de 2005, dans laquelle l'administration britannique avait prononcé l'interdiction préalable d'un mariage entre une femme et le fils de son premier mari. Quant à la première épouse, Mme P.T., elle n'avait aucunement protesté lors de la publication des bans, alors même que cette publicité est précisément destinée à permettre d'éventuels recours.
Le troisième argument de la CEDH doit donc être recherché dans la légèreté des autorités grecques, car, selon le code civil, il leur appartenait d'apprécier la régularité du mariage. Or, elles n'ont pas effectué ce contrôle, et le couple s'est ainsi trouvé confronté à l'annulation de son mariage dix ans après sa célébration. Il est vrai que ce contentieux a eu au moins l'avantage de provoquer la sanction de la norme elle-même et non pas de la procédure organisant sa mise en oeuvre.
Peu à peu, au fil des jurisprudences, la CEDH élabore ainsi un standard européen du mariage. Certes, les Etats jouissent encore d'une marge d'appréciation et ils peuvent prévoir un traitement différent selon qu'un couple est marié ou non, par exemple en matière fiscale ou sociale. En revanche, ils ne peuvent restreindre de manière radicale le droit de se marier, pour des motifs relevant d'une morale sociale ou religieuse dont il n'est pas certain qu'elle fasse consensus au sein de la société. Cette décision s'inscrit ainsi dans un mouvement jurisprudentiel qui vise à considérer le mariage, non plus comme une institution sociale destinée à protéger la famille mais comme un droit individuel, un facteur d'épanouissement de la vie privée. Une vision que les autorités grecques considéreront peut-être comme peu orthodoxe.
Sur la liberté du mariage : Chapitre 8, Section 2 § 1 du manuel de Libertés publiques sur internet.
samedi 7 septembre 2019
La libération conditionnelle devant le Conseil constitutionnel
Cette disposition est issue de la loi du 3 juin 2016 et il s'agissait, on l'a compris, de renforcer les mesures de lutte contre le terrorisme et d'empêcher que des personnes condamnées sur ce fondement soient libérées sans contrôle de leur dangerosité. En soi, l'objectif n'a rien de choquant. Le problème, car il y a évidement un problème, est que les rédacteurs du texte ne se sont pas préoccupés de son articulation avec le droit existant, et notamment avec l'article 729-2 cpp. Celui-ci énonce que lorsqu'un étranger condamné à une peine d'emprisonnement est l'objet d'une mesure d'éloignement, sa libération conditionnelle est subordonnée à la condition que cette mesure soit exécutée. Elle est alors décidée sans son consentement.
Si l'on associe les deux textes, on s'aperçoit que l'étranger condamné pour terrorisme et faisant l'objet d'une décision d'éloignement ne peut pas demander une mesure de libération conditionnelle. Celle-ci devient irrecevable, dès lors que, devant être éloigné, il ne peut effectuer la période probatoire obligatoire. La situation est évidemment particulièrement dérogatoire pour ceux qui sont condamnés à perpétuité. Ne pouvant déposer de demande de libération conditionnelle, ils se trouvent ainsi dans une situation de perpétuité réelle, situation que les auteurs de la loi n'avaient même pas envisagée.
La nécessité de la peine
En l'espèce, le Conseil constitutionnelle déclare inconstitutionnelles les dispositions de l'article 730-2-1. Alors qu'il était invité par les avocats requérants à se placer sur le fondement de la dignité de la personne, il s'appuie, de manière plus classique, sur le principe de nécessité de la peine qui trouve son origine dans l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il estime en effet que ces dispositions privent les étrangers condamnés pour des faits de terrorisme de toute possibilité d'aménagement de peine, "en particulier dans le cas où elles ont été condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, elles sont manifestement contraires au principe de proportionnalité des peines".
Certes, le Conseil reconnaît, notamment dans sa décision QPC du 25 novembre 2011, qu'il n'a pas "un pouvoir général d'appréciation et de décision que celui du Parlement". Mais il doit néanmoins s'assurer de l'"absence d'inadéquation manifeste" entre l'infraction et la peine. En l'espèce, le Conseil élargit cette appréciation au régime juridique d'exécution de la peine privative de liberté. Il fait observer que celui ci repose non seulement sur une volonté de protéger la société et d'assurer la punition du condamné, mais aussi de favoriser son éventuelle insertion. Or, les Français condamnés pour terrorisme peuvent solliciter une libération conditionnelle, alors que les étrangers se voient interdire une telle possibilité. Aux yeux du Conseil, la disproportion entre les deux régimes est excessive.
La perpétuité réelle
De fait, le Conseil se prononce pour la première fois sur la peine de perpétuité, même s'il se borne à affirmer que cette absence de possibilité de demander une libération conditionnelle s'applique "en particulier" aux personnes ainsi soumises à une perpétuité réelle. Certes, il ne condamne pas la perpétuité réelle, question dont il n'est pas saisi. Il se borne à affirmer que cette perpétuité réelle ne peut, en tout état de cause, pas intervenir par le seul résultat d'une décision d'irrecevabilité rendue par un tribunal d'application des peines.
On peut tout de même y voir un élément du dialogue des juges. En effet, dans un arrêt Vinter c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) note que le droit des Etats membres en matière pénale vise à la fois à punir des infractions et à "oeuvrer à la réinsertion des condamnés", y compris ceux condamnés à perpétuité. La législation interne ne doit donc pas interdire, "de manière absolue et avec un effet automatique, l’accès à la libération conditionnelle (...)". Il n'existe donc pas réellement de droit à la libération conditionnelle, mais il existe un droit de la demander, en quelque sorte un droit d'avoir l'espoir de sortir un jour de prison. L'arrêt Marcello Viola c. Italie du 13 juin 2019 reprend clairement ce principe, à propos cette fois les peines d'emprisonnement à perpétuité prononcées contre les auteurs de crimes mafieux.
In fine, le Conseil constitutionnel décide l'abrogation de la disposition litigieuse, mais prend la précaution de la reporter au 1er juillet 2020. Il s'agit évidemment de permettre au Parlement de résoudre cette contradiction entre les normes. Reste que l'on imagine mal qu'il décide d'appliquer une peine de perpétuité réelle à l'encontre des étrangers, surtout s'ils peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Il est donc très probable qu'ils pourront désormais demander une libération conditionnelle, qui permettra en pratique de procéder à cet éloignement.
Sur le droit des étrangers : Chapitre 5, Section 2 du manuel de Libertés publiques sur internet.
mardi 3 septembre 2019
Le "Féminicide" ou la communication par le droit
Un fait
- Le "féminicide intime", c'est-à-dire commis par le conjoint ;
- Le "féminicide au nom de l'honneur", qui désigne l'assassinat d'une femme ou d'une jeune fille par un membre de sa famille, parce qu'elle aurait commis une transgression sexuelle ou comportementale. Le meurtrier estime alors protéger la réputation de sa famille et suivre les traditions ;
- Le "féminicide lié aux pratiques culturelles", par exemple lorsqu'une jeune mariée est assassinée car sa dot n'a pas été payée ;
- Le "féminicide sexuel", intervenu lors d'une agression sexuelle.
Un concept juridique opératoire ?
La CEDH
Une circonstance aggravante
vendredi 30 août 2019
Révision constitutionnelle : Où est le "renouveau de la vie démocratique" ?
Ce choix d'un paquet témoigne sans doute d'une volonté de mener à bien rapidement la réforme des institutions, mais il est aussi source de complexité. L'articulation entre les textes n'est pas évidente, et le lecteur peut être surpris de s'apercevoir que les réformes les plus essentielles, en particulier la réduction du nombre des parlementaires, figurent non pas dans la loi constitutionnelle mais dans la loi organique.
Le débat parlementaire n'est pas encore commencé, et il est aujourd'hui bien difficile de prévoir ce que deviendra cette réforme. Pour le moment, le paquet constitutionnel reflète surtout la volonté réformatrice du Président de la République et du gouvernement, volonté parfois tempérée par le réalisme du Conseil d'Etat. On y retrouve nombre de dispositions figurant déjà dans le premier projet de 2018, dont la discussion avait été abandonnée à la suite de l'affaire Benalla.
Il est évidemment impossible, dans le cadre limité d'un blog, de faire une analyse exhaustive de cet ensemble. On se limitera à étudier les dispositions qui touchent directement aux libertés publiques, et à mettre en évidence les axes essentiels de la réforme, ceux-là mêmes qui sont susceptibles de provoquer les débats les plus vifs, tant au parlement que dans l'opinion.
L'environnement
Certains reprocheront sans doute au projet d'enterrer l'environnement. Le texte original soumis au Conseil d'Etat prévoyait d'inscrire au premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : "La France agit pour la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques". Le Conseil d'Etat n'a pas montré d'enthousiasme excessif à l'égard de cette disposition, faisant observer que "l’article 1er de la Constitution n’a pas, en principe, vocation à accueillir l’énoncé de politiques publiques". Il reconnaît toutefois que le "caractère prioritaire de la cause environnementale" peut justifier une dérogation.
En revanche, la rédaction a suscité des réserves plus profondes. L'emploi du verbe "agir" lui a semblé dangereux, dans la mesure où il impose une obligation d'agir à l'Etat, tant au plan interne qu'international. Il risque donc d'avoir des conséquences tout-à-fait imprévisibles, la responsabilité de l'Etat risquant d'être engagée dès qu'il serait accusé d'inaction. Il a donc suggéré une autre rédaction : "La France favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques". Le verbe "favoriser" implique un engagement pour la cause environnementale et son intégration dans les politiques publiques, sans pour autant engager directement la responsabilité de l'Etat.
Cette nouvelle rédaction est celle qui figure dans l'article 1er du projet de révision constitutionnelle. A dire vrai, n'ajoute rien au cadre constitutionnel du droit de l'environnement. L'article 34 de la Constitution confie déjà à la loi le soin de déterminer les principes fondamentaux de sa préservation. La Charte de l'environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005, affirme en même temps que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». La nouvelle rédaction de l'article 1er est donc sans conséquences juridiques, et n'a sans doute pas d'autre objet que de donner satisfaction à un mouvement écologiste de plus en plus actif.
Reste qu'il serait tout de même nécessaire que l'Exécutif relise ses projets avant de les transmettre au parlement. La rédaction choisie dans l'article 1er n'est, en effet, pas identique à celle annoncée dans l'exposé des motifs. Celui-ci énonce en effet, dans une sorte de cote mal taillée, que la France "favorise la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et agit contre les changements climatiques". En principe, les parlementaires seront toutefois invités à débattre du texte de la loi et non pas de l'exposé des motifs.
Affiche, circa 1930 |
Le référendum
La manière dont est traitée la question du référendum relève de l'exercice de rhétorique. Il s'agit d'affirmer un attachement au référendum, instrument de démocratie directe qui était au coeur des revendications des Gilets jaunes. Mais en même temps, car il y a toujours un "en même temps", le projet révèle une grande méfiance à l'égard de la démocratie directe, une recherche constante de faire en sorte que le référendum n'existe que "sur le papier".
Le champ du référendum de l'article 11 est élargi aux "pouvoirs publics territoriaux" et aux "questions de société". La première mention est purement redondante car l'article 11 mentionnait déjà les "pouvoirs publics" et il était facile d'en déduire que les pouvoirs locaux en faisaient partie. La référence aux "questions de société" manque, quant à elle, de précision. D'ores et déjà, l'exposé des motifs semble craindre une interprétation trop large. Il précise donc que ces "questions de société n'incluent pas les matières fiscale et pénale". Les motifs de ce refus sont pour le moins embarrassés et le gouvernement invoque à la fois leur "nature particulière" et notre "tradition constitutionnelle". Le Conseil d'Etat, qui recommandait cette réserve, n'était pas plus clair sur sa motivation, expliquant que l'utilisation du référendum en matière pénale et fiscale "appelle (...) prudence et précaution". Disons-le franchement, l'idée générale est que le peuple ne doit pas se saisir de questions qu'il convient de laisser aux spécialistes.
Le référendum d'initiative partagée (RIP) fait l'objet d'un traitement tout aussi ambigu. Certes, il fera l'objet d'un nouvel article 69, figurant dans un nouveau titre XI, intitulé "De la participation citoyenne". Les seuils de mise en oeuvre seront abaissés à 1/10è des parlementaires et un million d'électeurs (au lieu des 4 700 000 signatures actuellement exigées). L'initiative pourrait même être inversée, le recueil des signatures précédans la résolution parlementaire.
Fort bien, mais tout cela ne modifie en rien le veto parlementaire. Comme aujourd'hui, le parlement pourra écarter le RIP, soit au stade de l'initiative, soit en refusant formellement le recours au référendum. Et le peuple ne dispose d'aucun moyen pour contourner ce veto. La démocratie directe ne peut donc s'exercer que sous le contrôle parlementaire.
Surtout, il est prévu une "clause anti-ADP". La proposition de loi soumise à un RIP ne pourra en effet avoir ni pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins de trois ans (et non un an comme aujourd'hui), ni porter sur le même objet qu'une disposition en cours d'examen au parlement ou définitivement adopté et non encore promulguée. Cette mesure est motivée en ces termes : "La participation citoyenne doit constituer un outil démocratique pour mettre à l'agenda politique des questions qui touchent les Français. Elle ne doit pas apparaître comme un mode de déstabilisation des institutions représentatives ou un moyen d'en contester constamment les décisions". La formulation est claire : l'intervention directe du peuple par référendum est perçue comme une "déstabilisation" et la durée de trois ans permet à un Président de développer son programme à peu près librement, sans être dérangé par une démocratie directe intempestive. De même, il suffira de laisser s'enliser un débat parlementaire pour empêcher la mise en oeuvre d'un RIP. Derrière l'élargissement du RIP se cache en réalité une forme d'assassinat par enthousiasme.
Ajoutons que le projet comporte la création d'un "Conseil de la participation citoyenne", institution au joli nom destinée à succéder au Conseil économique, social et environnemental. Il constituera l'image idéale de la participation médiatisée, indirecte et surtout totalement dépourvue de tout pouvoir décision, la future institution n'ayant qu'une fonction consultative.
La Justice
Sur ce point, le projet de 2019 ne diffère pas beaucoup de celui de 2018. L'article 5 du projet de révision supprime la disposition de l'article 56 de la Constitution aux termes de laquelle les anciens présidents de la République sont membres de droit du Conseil constitutionnel. On ne peut que s'en féliciter, mais déplorer en même temps que le caractère inabouti de la réforme. L'exposé des motifs inscrit en effet cette disposition dans un paragraphe intitulé : "Renforcer l'indépendance de notre justice". Peut-on vraiment considérer le Conseil constitutionnel comme une instance juridictionnelle indépendante et impartiale, alors que ses membres sont nommés exclusivement par des autorités politiques ? Poser la question revient malheureusement à y répondre.
Moins contestée est la réforme du Parquet, dont les membres seront désormais nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature et non plus sur avis simple. Sans la supprimer tout-à-fait, cette disposition réduit le poids de l'exécutif dans la procédure de nomination, allant dans le sens des garanties exigées par la Cour européenne des droits de l'homme. De même, la suppression de la Cour de justice de la République était-elle envisagée depuis longtemps, la responsabilité pénale des ministre pouvant être engagée dans les conditions du droit commun, devant la Cour d'appel de Paris. Un filtrage sera toutefois mis en oeuvre, destiné à éviter les plaintes uniquement destinées à déstabiliser un adversaire politique.
Le Parlement
Les dispositions les plus contestées ne figurent pas dans la loi constitutionnelle, mais dans la loi organique. Elle concernant la réduction de 25 % du nombre de parlementaires. Le nombre de députés passerait de 577 à 433, le nombre de sénateurs de 343 à 261. Le Conseil d'Etat ne s'y oppose pas, précisant toutefois que les parlementaires doivent conserver une représentation démographique équitable. Il rappelle également les dispositions de l'article 46 de la Constitution qui énoncent que "les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées". On sent le doute vis à vis d'une réforme qui impose que le Sénat vote la suppression de 25 % de ses membres.
Il se montre moins enthousiaste encore à l'égard de la disposition visant à injecter une dose de proportionnelle dans l'élection des députés. Le projet prévoit en effet que, parmi les 433 députés, 87 seront élus au scrutin de liste à la représentation proportionnelle dans une circonscription nationale unique. Seront également élus au scrutin de liste, dans une circonscription unique, les députés élus par les Français établis hors de France. Le Conseil d'Etat estime qu'il n'a pas à se prononcer sur le choix politique d'introduire une part limitée de représentation proportionnelle. Il s'interroge en revanche sur les motifs invoqués à l'appui de cette réforme, en l'espèce une meilleure représentation de la diversité des formations politiques. Or, seules pourront participer à la répartition des sièges les listes ayant obtenu plus de 5 % des suffrages, seuil qui exclut les petites formations politiques. En d'autres termes, la représentation proportionnelle permettra sans doute au Rassemblement national d'être mieux représenté au parlement, mais elle jouera essentiellement en faveur des grands partis.
Ce seuil de 5 %, comme bien d'autres éléments du projet de révision, sera certainement l'objet d'un débat. Reste que le texte même du projet laisse le lecteur sur sa faim. Intégration de l'environnement, mais purement cosmétique. Réforme du Conseil constitutionnel, mais seulement pour les membres de droit. Réforme du RIP, mais avec une immense méfiance à l'égard de la démocratie directe. Réforme du champ du référendum mais en interdisant au peuple d'intervenir dans des questions essentielles. Réforme du mode de scrutin, mais seulement au profit des grands partis. A ce stade, il est évidemment impossible d'envisager ce que deviendra cette réforme. Tout au plus peut-on rêver à ce qu'elle aurait pu être.